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Aubrac, 2010

Mi-juillet

Une balade sur le chemin du Tour de l’Aubrac. Tôt le matin, le temps est calme, le ciel bleu pur et le soleil commence à réchauffer l’atmosphère. La balade commence par une partie de route, de l’endroit où nous avons laissé le camping-car après une nuit des plus calmes en bordure de route. Belle vue, bien dégagée, sur le versant ouest puis forêt, une grande et belle forêt de gros hêtres. Après la route et quelques dizaines de mètres sur le chemin, nous débusquons deux biches et un faon qui ne laissent même pas le temps de sortir l’appareil photo tant leur départ est prompt, nous qui n’étions pourtant pas pressés ! Le chemin monte doucement sous le couvert pour déboucher sur les prairies d’altitude dans lesquelles il se perd peu à peu. C’est sans importance, la vue est de nouveau bien dégagée et nous savons quelle direction prendre, évidemment, cela oblige à passer quelques barbelés. Ils sont très nombreux et nous ne les comptons plus, ils sont devenus nos fidèles compagnons de randonnée. On les passe par-dessus si, le fil du haut n’étant pas trop tendu, on peut les enjamber, entre deux si l’espace est suffisant et les fils pas trop tendus et sinon, en dessous en s’aplatissant complètement sur le sol. Le maximum rencontré est de trois rangées de clôture parallèles à moins d’un mètre l’une de l’autre. Pour aujourd’hui, tout va bien, pas de difficulté. En débouchant sur la prairie la plus élevée un spectacle tout à fait inhabituel nous attend : une voiture, des gens. Il est vrai que nous sommes en été, mais les randonneurs occasionnels ne sont pas matinaux. C’est en s’approchant qu’on voit mieux la scène, ce ne sont ni des randonneurs ni des pique-niqueurs (de plus ce n’est pas l’heure et le chemin est quand même mauvais) mais des travailleurs. Ils ramassent la gentiane. Chacun connaît la gentiane, la grande, avec sa hampe florale jaune, qui ponctue la prairie de piques verticales, celle que l’on ramasse, précisément. Chacun connaît aussi, ne serait-ce que de renommée, la gentiane, l’alcool, l’alcool de gentiane. Une chance de rencontrer des ramasseurs, la première fois, et pourtant, que de fois avons-nous vu des bouteilles dans les magasins, que de fois avons-nous vu des gentianes, que de fois avons-nous même vu un terrain en partie remué après le ramassage, mais jamais nous n’avions eu l’opportunité de voir l’activité. Ils étaient deux au travail et trois au repos. Une sorte de long pieux de bois muni de deux grandes dents métalliques sert à extraire la partie enterrée. Il ne semble pas que ce soit une partie de plaisir de fouiller ce sol volcanique. La plante a des raisons de paraître solide : la partie enterrée est en effet constituée d’un gros rhizome assez profondément enterré, dont ces personnes avaient déjà fait de grands tas dans la prairie. Le plus délicat consiste en l’extraction de la bouteille qui prolonge le rhizome et qui contient l’alcool. Nous ne sommes pas allés voir ceux qui se reposaient sous les arbres un peu plus loin, mais il y a fort à parier qu’ils collaient les étiquettes sur les bouteilles après les avoir lavées. Quelques photos et nous repartons poursuivant notre balade tout en ramassant des framboises le long du chemin.

Le lendemain matin, retour au départ du chemin pour aller faire un tour en forêt du côté sud de la route. Là, point de gentiane, elles ne poussent qu’en terrain découvert, mais de nouveau des gens. Cette fois, l’activité est la cueillette du thé d’Aubrac. Nous avons droit à une explication sur la plante, petite, frêle, à fleur rose foncé. Quand on y prête attention, on en voit partout, comme nous verrons aussi de gros cèpes, trop avancés à notre goût pour être ramassés. On nous dit aussi qu’il y a une cascade, par là… L’indication est vague et la cascade mal indiquée sur la carte. Quelques divagations plus loin, nous la trouvons, les derniers pas sont un peu difficiles en raison du relief, mais sa recherche a été l’occasion de marcher en forêt, de continuer à manger des framboises et d’entendre toutes sortes d’oiseaux. S’il est bien difficile de voir les oiseaux on les entend tout du long. Bien sûr, les geais se cachent peu et donnent l’alerte de leur cris rauques et disgracieux, mais rien n’empêche d’écouter les autres et ce matin-là, la chance nous sourit à nouveau : quel est ce chant stridulé sur l’autre rive ? Un premier, puis un deuxième, et ainsi de suite ? L’oreille attentive reconnaît le chant de parade nuptiale de l’Icare (Icarus vulgaris aubracii L.). Chance, c’est vrai parce que l’oiseau que l’on croyait éteint depuis des siècles (ou plus) est bien présent, mais chance à demi seulement dans la mesure où nous n’avons pas réussi à l’approcher malgré toutes les précautions.

Le soir, le temps se gâte un peu ; après le vent fort de l’après-midi, il fait gris, le ciel est bas et s’il ne pleut pas, nous n’en sommes pas loin. Nous changeons de lieu de camping. Un parking aménagé, des tables, de gros arbres et une belle ouverture sur une prairie feront notre affaire. Les touristes ont tôt fait de partir, le vent avait déjà dû chasser la plupart d’entre eux et dès notre arrivée, nous sommes seuls. Après avoir réussi à mettre le camping-car à l’horizontale sur ce sol inégal, nous sommes bien à l’abri, chez nous, et guettons pour voir si des cervidés ne viendront pas brouter l’herbe de notre prairie. L’attente reste vaine. Après le repas, courte sortie vespérale. Tout en restant sur mes gardes, je marche sans faire craquer la moindre brindille parce que l’heure et la demi-obscurité qui s’installe sont propices aux rencontres. Une sorte de tumulus masque une profonde ravine au fond de laquelle on entend le ruisseau qui doit sauter de cascade en cascade. Ni l’heure ni le terrain ne se prêtent à l’exploration de ce côté-là. Je continue à avancer, à contrevent, aux aguets. En contrebas, de petits bancs de brume se lèvent, tout est gris, l’univers propice à la rencontre d’elfes. Ce soir, l’elfe est une biche qui broute les touffes d’herbes. Nous voyant au même instant, la rencontre est de courte durée. Il me reste à presser le pas pour ne pas traverser le petit bois dans le noir complet. La même sortie le lendemain matin, venteux et pluvieux, ne donnera rien. Il faudrait pouvoir rester à l’affût.

Le lieu : autour de la route départementale 164 (Aveyron) sur environ 3 km à moins de 2 km à l’ouest du carrefour avec la route Aubrac-Station de ski de Laguiole.