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Les voyages, 1

 

Le thème du jour est grave. Il touche chacun d’entre nous, quotidiennement. Question de la vie courante, le problème est parfaitement bien réglé partout, mais touche au premier chef le voyageur, contraint qu’il est de devoir se plier à des règles qu’il ignore. Si ce pauvre voyageur arrive à contourner la plupart des difficultés rencontrées ailleurs, il se trouve ici prisonnier de sa nature et doit s’adapter. Je veux parler de la fréquentation des lieux d’aisance.

Devant nécessité, la première grande interrogation sera de trouver l’endroit cherché avec plus ou moins d’empressement. Dieu merci, dans la plupart des langues utiles, l’énoncé du mot « Toilettes » avec l’intonation interrogative - surtout ne pas l’écrire - suffit à obtenir un renseignement les concernant, une indication, une direction, une désignation dans le meilleur des cas faute de quoi la question devra être posée à nouveau. Une fois sur place, on peut être surpris de trouver porte close pour la simple et bonne raison que le ou la préposé(e) à sa garde est parti(e), par exemple pour se restaurer. C’est ainsi que la ville de Crémone, célèbre en particulier depuis que le grand Stradivarius y a produit des violons beaucoup imités mais jamais égalés, possède des toilettes publiques qui ferment entre midi et deux heures. De même, le parking de la Chartreuse de Pavie, libre au stationnement des camping-cars le soir, nous étions plus de 30, ferme ses toilettes en fin d’après-midi. Il faut apprendre à régler ses besoins en fonction des heures d’ouverture. J’ignore si le problème est général en Italie, mais c’est une leçon à retenir : mieux vaut utiliser les lieux quand ils sont disponibles que de trouver porte fermée en cas de besoin. On se crée toutes sortes de besoin, pourquoi pas celui-ci ?

Admettons maintenant que la porte soit ouverte. C’est un grand pas en avant, voire un soulagement, mais cela ne résout pas tous les problèmes. On lit souvent des panneaux stipulant qu’on est prié de laisser les lieux dans un état de propreté mal décrit, par exemple aussi propres qu’on aimerait les trouver en arrivant, je ne souhaite pas rentrer ici dans des considérations sur la relativité, mais force est de constater que la propreté n’a pas le même sens pour tous. Ne noircissons cependant pas trop le tableau, oui, il existe des toilettes impeccables, qu’on dirait neuves, hygiéniques, mais ce n’est tout de même pas la majorité. Ne souhaitant froisser la susceptibilité de personne, je ne citerai aucun nom de lieu, pas même un pays et ma réflexion dépasse le simple voyage que nous venons de faire. La saleté n’est pas toujours là où l’on s’y attendrait au vu d’autres éléments de vie. Il existe hélas des endroits redoutables, à la limite du supportable ou le dépassant.

Une fois à l’intérieur, on cherche souvent à fermer la porte, eh bien il faut se dire que c’est un luxe et apprendre à s’en passer quand il le faut. Exemple, une station-service, en ville, la porte donne directement dans la rue, bien sûr elle ne ferme pas à clé et il y a du monde partout. Tant qu’on est dans une posture peu élégante, il suffit de se persuader que personne n’aura l’idée de venir et tout va bien. L’alternative est de venir à deux ou d’essayer de tenir la porte de l’intérieur si on n’en est pas trop loin et surtout si on peut y mettre la main. Une question se sera peut-être déjà posée : y a-t-il de la lumière ? Oui ! Je vois une lampe ! Mais pas la moindre trace d’interrupteur ! Voyons à l’extérieur. J’en ai trouvé un, parfois plusieurs. Ça marche ? Essais. Si c’est bon, retour pour examiner l’état général et la possibilité d’utilisation. D’autres fois, on a moins de chance et il n’y a pas d’interrupteur ou il ne fonctionne pas. Il reste un espoir, celui où quelques mouvements de natation résolvent le problème : on a pensé à installer un détecteur de présence, la lumière s’allume automatiquement en entrant, mais s’éteint dès qu’on cesse de bouger et c’est alors qu’on se met à nager d’un bras dans l’obscurité jusqu’à ce que le détecteur s’enclenche, opération qu’il faut ensuite renouveler aussi souvent que nécessaire. Et puis il reste toujours les cas où il n’y a rien à faire, rien ne fonctionne ou il n’y pas de lampe. Il suffit d’avoir anticipé et emporté sa lampe frontale préférée, tout est parfait. Ce n’est encore jamais arrivé, mais j’imagine la situation où aucune fermeture n’a été prévue - ce n’est au final pas si rare - il fait noir parce que c’est le soir ou parce qu’il n’y a aucune ouverture, on est installé, la frontale en place et quelqu’un entre. Quel spectacle offre-t-on ? Si ce sont des toilettes à la turque, c’est celui d’un mineur de fond sortant de son trou dans une posture inconfortable. Revenons un instant à la question de la fermeture. Une fois enfermé, on se sent à l’abri, presque chez soi, non ? Ne perdons tout de même pas de vue qu’on n’a pas l’intention d’y rester et que parfois, on souhaite en sortir rapidement. Mais… pourquoi d’ailleurs y a-t-il autant de mais ? Mais oui, bien sûr, il faut rouvrir et ce n’est pas toujours gagné comme on dit. Chacun en connaît de ces fermetures récalcitrantes qui une fois en place ont un mal fou à retrouver l’autre état. Pas de panique, c’est sûr, on n’a pas l’intention de passer la journée ou la nuit là, quelques essais de plus en plus vigoureux, la vigueur doit être intimement liée à l’agacement, ont toujours raison de ces systèmes peu sophistiqués. Dirais-je que j’en suis toujours sorti et que je ne suis pas coincé avec l’ordinateur dans quelque lieu sombre ou nauséabond ?

Un détail qui a son importance. Imaginons que l’on ait une ceinture. On l’aura remarqué, une fois ouverte, elle n’a plus la même tenue qu’avant et, tandis qu’on est occupé à autre chose, ses extrémités pourraient avoir l’idée d’aller explorer des recoins dont on n’a pas envie de rapporter des souvenirs. J’ai pris l’exemple de la ceinture, il vaut pour toute extrémité de vêtement ou d’accessoire.

Indépendant du type de toilette, il est un art si délicat qu’il serait une discipline olympique s’il pouvait être montré, c’est celui de la visée. Il s’agit non seulement de faire en sorte que notre contribution à l’enrichissement du sol atteigne l’endroit voulu, mais surtout qu’elle le fasse sans retour à l’expéditeur. Quoi de plus désagréable en effet que les éclaboussures ? Existe-t-il une technique permettant de les éviter ? Si la réponse était positive, elle serait connue. Il n’empêche, coûte que coûte, on fait les efforts qu’on pense efficaces pour parvenir à ses fins. Vu le sujet des propos, on me pardonnera de ne pas pouvoir entrer dans des détails que d’aucun jugerait inconvenants.

Le fait de pénétrer et de pouvoir utiliser un lieu d’aisance n’est pas tout, vient maintenant la question de la propreté personnelle. Il existe plusieurs système, les plus utilisés dans nos contrées sont l’eau courante et le papier. En entrant, on n’est pas assuré de trouver l’un ou l’autre. La méthode est simple, elle consiste à venir systématiquement avec ce dont on a besoin en prévoyant qu’on ne pourra pas le poser.

À cette étape, soulagé d’avoir accompli pour le mieux un geste simple mais vital, il reste à vider les lieux des impuretés apportées. La plus grande prudence s’impose. Le premier geste consiste à se remettre complètement dans une tenue qui autorise une sortie rapide. Il ne serait pas imaginable de décrire les systèmes rencontrés tant leur variété est grande. Dans la majorité des cas, il s’agit d’une chasse d’eau. Les installateurs n’ont pas tous le même talent pour mettre les arrivées d’eau en place et effectuer les raccords nécessaires. Les fuites ne sont pas rares et on ne prévoit en général pas de terminer par un bain de pied ou une douche. Un petit essai peut s’avérer utile, tout comme le repérage pour la fuite, pas la fuite d’eau, la fuite vers l’extérieur. En cas de fuite d’eau importante, ne pas oublier de bien regarder la direction principale de l’eau, et une fois que tout est mouillé, ne pas perdre de vue que le sol est devenu glissant ! En cas de débit trop important, se réfugier dans un coin peut être salutaire et remercier le ciel d’avoir autre chose aux pieds que des nus pieds. S’il n’y a pas d’eau ou si l’installation est si défaillante qu’elle ne vient pas, on quitte les lieux piteusement, les laissant dans un état peut-être moins propres qu’en arrivant, mais que faire ?