Retour aux billets

Inde 2013

Une journée

Mercredi 23 octobre

L’eau chaude a goutté toute la nuit sans nous déranger. 7 h 30, nous sortons de la chambre d’hôtel pour aller prendre un petit déjeuner. Peu d’agitation dans les rues. Pour nous sustenter, nous choisissons le restaurant en haut à droite juste à côté du carrefour. Chacun de lave consciencieusement les mains au lavabo. Est-il nécessaire de préciser qu’il n’y a ni savon ni serviette. Il nous arrive toutefois de voir et d’utiliser du savon, il nous est même arrivé de voir une serviette, sa couleur passait cependant l’envie de s’en servir. Pour la commande, pas de menu ; il y a bien des écritures un peu partout mais très peu d’anglais et l’alphabet tamoul, très joli, ne nous a encore livré aucun de ses secrets. Il faut alors s’en remettre au « maître d’hôtel » qui débite à toute vitesse une liste de possibilités dont il faut extraire le nom de quelques-unes. Quoiqu’il en soit, la première commande est celle d’une bouteille d’eau fraîche, commande passée au moment où l’on s’apprête à verser de l’eau de provenance indéterminée du pot en fer sur la table dans des timbales du même métal. Les timbales sont-elles lavées ? Mystère. Les Indiens ne portent pas les lèvres sur le récipient, ils font couler dans leur bouche. Sans aucune habitude, l’inondation paraissant inéluctable, nous ne tentons pas l’expérience. Les timbales ne nous inspirent pas confiance et lorsqu’arrive la bouteille d’eau, nous faisons comprendre par signes que nous boirons à la bouteille. L’autre opération préalable est le nettoyage de la table qui ne relève pas souvent du luxe. Un signe de la main et le préposé à cette opération s’exécute promptement. L’efficacité de la manœuvre est réduite : espérons que le chiffon utilisé, qui a perdu toute couleur depuis des lustres et va du gris douteux au noir suspect, ne sert qu’aux tables. Enfin, ce n’est pas si important que cela puisque la nourriture n’est pas posée à même la table. Le résultat est un étalement et une dilution, il suffit de faire attention pour poser les coudes. Au menu, c’est presque déjà devenu un rituel, une dosa, deux idli et un vadai avec les sauces habituelles, l’une épicée et l’autre à la noix de coco. Les idli, petites galettes de riz pilé d’une dizaine de centimètres gonflées au centre de leurs faces, sont cuits à la vapeur. La grande galette (dosa) qui est confectionnée à partir d’un mélange de farine de riz et de lentilles est cuite sur une seule de ses faces sur une plaque métallique très chaude puis badigeonnée de beurre clarifié. Immédiatement roulée en trois, elle est posée sur la feuille de bananiers là où il y a la place. Elle est cassante, ce qui tombe bien pour en faire des morceaux avec une seule main, et brûlante, ce qui est moins agréable pour la main ! En forme d’anneau de 7 à 8 centimètres, le vadai est passé à la friture. Sa chair est tendre et douce, mais rien dans son aspect ou dans sa coupe ne dévoile sa composition, principalement de la farine de pois chiches et des pommes de terre. Nous reconnaissons les sauces parce qu’elles sont identiques partout. L’une d’elles contient des petits morceaux d’oignons, des feuilles inconnues et des épices. Nous faisons confiance, et puis, le piment doit bien tuer tous les germes et autres, non ? La boisson numéro est le café, nous n’en buvons pas et essayons d’avoir du thé sans lait (black tea) ce qui n’est pas possible ici, tant pis. Tout est servi sur un morceau de feuille de bananier et il n’y a pas de couvert. On mange avec la main droite en découpant des morceaux de l’un des éléments et en essayant de prendre de la sauce avec. Ensuite, les mains, surtout la droite, bien grasses, le passage au lavabo s’impose. Une fois je suis allé inspecter les étagères et les comptoirs pour essayer de trouver des serviettes en papier. En fait la chaleur et les ventilateurs ont vite fait de sécher ce qui a été mouillé. Bilan : 130 roupies pour deux, un tout petit peu plus d’un euro cinquante, + 10 de pourboire, tout est sujet à pourboire !

Dans la rue, l’activité est à peine plus intense qu’en arrivant. Déjà, quelques enfants en uniforme se dirigent vers leur école ou se rassemblent pour un des multiples moyens de transport scolaire. Dans notre rue, celle de l’hôtel, l’adoption a été rapide, plusieurs cuisinières s’affairent à préparer des idli pour leurs nombreux clients, des hommes surtout auxquels se mêlent quelques mères de famille et leurs enfants en uniforme. La photo ne pose aucun problème, nul besoin de zoom ou de téléobjectif, on photographie qui on veut et on est même parfois sollicité pour cela. Par curiosité, nous allons jusqu’à l’intersection suivante. Des repasseurs se sont installés, l’un compte les vêtements apportés, un autre met des braises dans son fer, un troisième humecte le linge et en fait des boules avant de se lancer… Un tuk-tuk s’arrête pour embarquer des enfants et les amener à l’école. Les tuk-tuk sont de petits véhicules jaunes couverts à trois roues qui doivent être issus des scooters. Le chauffeur est au guidon et aux commandes, les passagers sont à l’arrière, parfois à l’avant aussi lorsque l’arrière déborde de passagers. Ici, sur les deux rangées arrière de sièges, face à face, sans doute prévus pour quatre passagers, ont pris place sept fillettes. Avant de s’y installer, elles ont posé leur cartable ou sac à dos dans le minuscule coffre, tout à l’arrière. Appels répétés de klaxon pour faire venir un retardataire et, hop, en route jusqu’au prochain arrêt, il reste bien quelques places !

Retour à l’hôtel pour boucler les bagages et manger deux délicieuses petites bananes sucrées mûries à terme sur le bananier, de quoi ne plus avoir envie d’en croquer une chez nous.

V., notre chauffeur est prêt, nous partons. Direction Tiruchirapalli (Trichy en anglais), une ville plus importante sur la rive sud de la Kaveri. Jusqu’ici, nous n’avons vu ce fleuve que sous forme de canaux de moindre importance en circulant dans le début de son delta. Ici, sur toute sa largeur, il dévoile son ampleur. Au milieu de la ville, un gros bloc de granite fait une petite montagne à lui seul. À son sommet a été construit un temple, dédié à Ganesha ; un escalier en partie taillé dans le rocher et à gravir pieds nus, temple oblige, lui donne accès. Vu le soleil et la température, nous décidons de ne pas aller nous brûler les pieds et de continuer plus loin. Avant de franchir le fleuve, arrêt à un hôtel, pour voir. La chambre double est affichée à 1 100 roupies (13 euros 50). C’est propre et bien rangé, mais placé presque au début du pont, l’endroit est bruyant, les coups de klaxon, élément numéro 1 de la conduite, sont incessants. Nous ne sommes pas enthousiasmés malgré un marchandage correct, le prix étant tombé à 800 roupies (presque 10 euros) petit déjeuner compris. Nous restons sur notre proposition de 700 roupies et décidons d’aller voir ailleurs. Ce qui nous a retenus est plus le bruit que le prix, sans compter que le trafic aurait réduit nos déplacements à pied. Ailleurs, c’est sur l’autre rive, la gauche près des grands temples. Après avoir traversé le fleuve en louvoyant entre vélos, motos, piétons, voitures, camions et bus et, comme partout abondamment klaxonné, nous atteignons la rive nord. Disons au passage que klaxonner est devenu une habitude dont l’excès a réduit l’efficacité. À pied, nous n’y faisons plus attention, avançant et traversant à notre gré. Je me rappelle une fois la fin d’un grand pont, plus de trottoir sur les cent derniers mètres, nous descendons sur la chaussée pour continuer, comme les autres. Nous entendions bien des coups de klaxon derrière, mais de là à nous retourner pour voir, non. L’insistance a pourtant fini par nous obliger à le faire et force a été de constater que nous avions un énorme bus sur les talons ! Pour en revenir à la Kaveri, l’un des cinq grands fleuves indiens, il est suivi par une petite route que nous empruntons. Comme nous l’avait annoncé V., il s’arrête à l’endroit où elle tourne, au niveau d’un premier temple. Du monde, quelques vaches, des magasins, un temple, du bruit, la chaleur… bref, la vie grouillante des zones semi-urbaines, et, en plus, un accès à la rivière où nous espérons bien voir des ablutions et de la lessive ne serait-ce que pour les taches de lumière colorée qui les accompagnent. En contournant le temple, nous évitons de nous déchausser pour la n-ième fois. Entre le temple et l’eau, surprise : toutes sortes de manifestations de pratiques religieuses s’exposent en plein air. Sur la gauche, devant le temple, un éléphant bénit qui veut. Accompagnée d’un officiant, la bête de service est parée d’un collier de clochettes à sa taille. Contrairement à celle de Kumbakonam, elle ne danse pas. Comme ailleurs, nous nous contentons d’observer, nous refusant à toute participation qui ne pourrait relever que du folklore. La cérémonie consiste à déposer son offrande, une roupie le plus souvent mais parfois un billet de 10 roupies, sur l’extrémité de la trompe que l’éléphant a appris à replier comme il faut pour la commodité du geste. D’un rapide mouvement de la trompe, l’argent passe dans la main de l’officiant, puis l’éléphant pose délicatement le bout de sa trompe sur la tête inclinée de la personne qui repart les mains jointes. Cela n’attire pas la foule, mais on y vient régulièrement et l’éléphant n’a pas le temps de se reposer. Pour quels espoirs ? De tous côtés, des grands carrés sont tracés sur le sol décorés, ils ont dû servir à quelque cérémonie matinale. Sur deux côtés, des abris sont partagés en stands numérotés dont quelques-uns sont en pleine activité : un ou plusieurs prêtres ou officiants ou gourous - comment les désigner ? - sont entourés de dévots ou de pèlerins qui écoutent avec recueillement ou participent à des gestes pleins d’ésotérisme et de couleurs. Un fait est sûr : tout se monnaie, échanges d’argent à sens unique pour tout. C’était ailleurs mais suffisamment frappant pour être retenu, dans un des mandapas d’un temple aux jolis piliers sculptés, une quinzaine de personnes comptaient des billets qu’ils mettaient en paquets retenus par des élastiques et ces paquets étaient empilés. Tous étaient assis sur les dalles et les piles arrivaient à leur hauteur. Tout autour ils avaient fait des tas et des tas de pièces. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, n’est-ce pas ? Et les ruisseaux ne sont pas si petits que l’on imagine : un grand panneau à l’entrée d’un autre temple n’indiquait-il pas des tarifs allant jusqu’à 6 500 roupies (80 euros) ? Pour en revenir à notre rive de la Kaveri aux multiples spectacles, il serait injuste de ne pas mentionner quelques petits oratoires et, justement, devant l’un d’eux, au milieu d’un groupe d’une dizaine de personnes, un homme couché à terre entre en transe. Tous se relèvent et essaient de contenir ses mouvements saccadés. Nous passons notre chemin, à notre goût, la limite de la dévotion a été franchie. Quelques marches plus bas, on se baigne dans l’eau du fleuve. Nous ignorons si ces ablutions relèvent de la religion aussi, nous n’y voyons qu’un florilège de couleurs puisque, bien sûr, on se baigne tout habillé. Il est temps d’aller vers le temple Ranganath Swami. Après avoir pris la route de la porte sud, étant en voiture, nous sommes obligés de bifurquer à gauche pour contourner un haut rempart rectangulaire que nous passons par une porte à l’ouest. Le quartier devient plus calme, plus propre, plus résidentiel, habité par les brahmanes du temple selon notre chauffeur. Un demi-rectangle à l’intérieur plus loin, arrêt devant un hôtel. C’est devenu une habitude : avez-vous une chambre double libre ? Combien est-ce ? Pouvons-nous voir ? La question du prix nécessite de l’organisation, il n’est en général pas opportun de la poser de suite. La visite est faite sous l’escorte d’un homme à tout faire. Elle doit être minutieuse à la fois pour montrer que nous ne sommes pas prêts à accepter n’importe quoi à n’importe quel prix et pour s’assurer de la présence et du bon fonctionnement des installations nécessaires. Par exemple, regarder l’état des oreillers en ouvrant les taies, soulever le drap pour contempler celui du matelas, ouvrir les robinets pour entendre dire que l’eau est disponible 24 h sur 24, refermer les robinets pour éviter de les laisser ouverts lorsqu’on ne parvient pas à faire autrement avant l’arrivée de secours, regarder l’état des seaux, celui des toilettes, s’assurer de la présence d’un miroir… toutes ces petites choses qui agacent ou empêchent le bon déroulement du séjour. Comme dit plus haut, ce peut être le moment opportun d’ouvrir la discussion sur le prix avec l’avantage de pouvoir faire une moue dubitative nécessaire, mais c’est toujours nécessaire, en cas de dysfonctionnement patent et de revenir tranquillement à la réception forts des résultats de l’enquête. Ici, le couloir est propre, brillant même, avec un petit tapis portant l’inscription Welcome devant chaque porte. La chambre, carrelée, est lumineuse, juste assez spacieuse pour nos deux sacs de voyage, elle n’est pas sous le toit, la salle d’eau a les équipements qui conviennent et l’eau chaude est disponible à certaines heures. Vu notre méconnaissance la langue tamoule, l’absence de téléviseur n’est pas un problème. Le prix ? 575 roupies (7 euros) et, ici, ils résistent à tout marchandage ce qui ne nous empêche pas de prendre la chambre ! Ensuite, ne souhaitant pas distribuer de pourboires à toute la collectivité, nous restons vigilants et limitons le nombre de porteurs à un. Une fois sur place avec nos bagages, il reste à le renvoyer chercher des serviettes et du savon, le pourboire ne venant qu’en dernier faute de quoi la dernière livraison ne serait pas faite par la même personne bien sûr. À propos de serviettes et de savon, il arrive qu’on y ait pas droit en raison du moindre standing de la chambre, nous les prenons toujours sans air conditionné, non pas tant pour une question de prix que pour celle de la continuité de température. Ça y est, nous y sommes, nous refermons la porte et prenons possession de notre chez nous, le chez nous d’une journée. Les premières surprises arrivent : l’eau chaude n’est pas froide ! En pleine journée, c’est vraiment surprenant, une hypothèse : la présence d’un réservoir tampon sur le toit, un de ces gros ballons noirs visibles ça et là en train de prendre le soleil toute la journée. Seconde surprise : il y a bien un lavabo, un grand lavabo, mais le miroir est accroché dans l’entrée. Quelques moustiques, pas trop, volent dans la pièce, des moustiques presque sympathiques ; bien entendu ils piquent mais ceux-ci ne font aucun bruit en volant, pas cet horripilant sifflement que nous leur connaissons. Tout est prévu pour leur déplacement et leur bien être puisque, comme souvent, les carreaux de la fenêtre de la salle d’eau ne sont pas jointifs. Bref, nous devons songer à autre chose. Nous sommes dans une des enceintes d’un temple et de nombreux temples ferment vers midi-une heure pour ne rouvrir qu’en fin d’après-midi où le jour décline vite à cette latitude. L’équipement minimum standard, hors vêtements, se compose de tongues, un guide, le matériel photo, nos papiers et l’argent, donc un sac à dos, et l’aventure peut commencer. Les chaussures sont toujours interdites d’où les tongues, laissées sans remords à une consigne, il arrive que la chemise le soit aussi, parfois c’est le cas du pantalon, souvent les sacs et de temps à autre les non-hindous. Bien sûr tout ceci doit être indiqué sur les panneaux placés à l’entrée mais notre situation vis-à-vis du tamoul écrit n’a pas évolué depuis ce matin. Une chose est certaine, nous ne nous séparons du sac qu’à la condition d’en avoir au préalable extrait tout ce qui est important. Hésitations à la porte, puis nous décidons d’y entrer à tour de rôle. Sans chaussures, je commence armé de patience, de l’appareil photo et du guide, c’est bon. Quelques mètres après l’entrée, un « guide » se présente en français pour me guider, non, je n’ai pas besoin de guide, merci. Ce n’est pas pour me guider, mais pour m’aider ! Nous avons l’habitude, je peux même réciter la suite : c’est gratuit, pour le plaisir… on peut me donner ce que l’on veut… En général, il suffit de répéter qu’on n’en a pas besoin à chacune de ses interventions pour que le postulant finisse par se lasser. Ici, cela se passe au guichet de paiement des droits d’entrée de l’appareil photo. Un escalier donne accès au toit du mandapa d’où l’on a une vue du temple, je sais, c’est dans mon guide et je n’ai pas besoin d’un « guide ». Son portable se met soudain à sonner, sauvé, je vais pouvoir m’éloigner et poursuivre à ma guise ! Eh bien non. À l’issu du court échange téléphonique, le « guide » me dit d’attendre parce qu’une femme arrive. Inimaginable mais ici l’inconcevable et l’indicible sont possibles. Je n’avais évidemment rien dit nous concernant mais… à l’extérieur, une femme qui attend à l’ombre d’un magasin avec un sac à dos et une paire de tongues à la main étonne et le patron du magasin en question avec quelques mots de français permettant les échanges avec les quelques français non anglophones de passage a fini par tout savoir de notre situation et appeler le « guide » ! Voilà comment nous nous retrouvons sur le toit du mandapa en compagnie du « guide ». Le toit du mandapa est une terrasse dont les bords offrent des vues sur le reste. Il fait clair, le soleil est au zénith et les ombres sont bien courtes. Les points de vue sur les temples étant rares, nous acceptons la brûlure des plantes de pieds sur le sol sombre surchauffé, réduisant cependant la durée de notre visite à cet endroit au strict minimum, principalement une belle vue sur les gopurams les plus proches, les gopurams sont ces immenses tours étagées qui surmontent les portes d’accès. Ils sont peints de couleurs franches dans des tons pastel et couverts de statues de divinités variées issues du panthéon hindou, la description d’une seule de leurs faces nécessiterait un livre entier. À la redescente, malgré la température du sol, arrêt pour admirer les statues d’une chapelle latérale et nous retournons bien vite, au rythme d’un sauna pour pieds, sur les dalles fraîches du mandapa. La visite s’achève avec le tour de la troisième enceinte, une agréable et jolie promenade ombragée autour des sanctuaires dont l’entrée est réservée aux hindous. Le plus remarquable réside dans les piliers sculptés, des alignements dans les couloirs et des statues. Les éléments de rite auxquels nous assistons en passant nous sont totalement hermétiques et, pour être francs, nous ne faisons pas d’effort pour essayer d’en saisir une signification. À l’extérieur, retour à la foule et au bruit. Nos sandales sont bien là, gardées avec zèle dans le petit magasin qui a servi d’intermédiaire. Le patron qui parle effectivement un peu français nous propose d’acheter des roupies. Cela tombe bien, nous avions l’intention d’aller à la banque dans l’après-midi. Je lui dis que nous avons des chèques de voyage, il répond que cela n’a pas d’importance et sort une grosse liasse de billets de 500 roupies. J’extrais donc deux chèques des profondeurs du sac et le lui tends. Un peu perplexe - ce ne sont pas les euros qu’il connaît - il téléphone et, après une conversation qui doit comporter la description des chèques recto-verso vu comme il les parcourt, il me les rend en disant qu’il ne prend que les nouveaux euros, pas les anciens ! Il ne connaît donc pas les chèques, il aurait d’ailleurs été bien surprenant qu’il puisse les changer, et pourtant le taux proposé est intéressant. Ce n’est pas grave, nous lui achetons une bouteille d’eau minérale fraîche, donnons cinq roupies au gardien des chaussures et regagnons l’hôtel où nous fixons rendez-vous au chauffeur pour 2 h dans le but de trouver une banque importante.

À l’heure dite, ce n’est pas la plus fraîche de la journée, en route. Même circuit que pour venir mais à l’envers. Disons que, comme à l’aller, nous franchissons un rempart par une porte, voie unique d’une trentaine de mètres, encombrée de quelques piétons et vélos et qui offre une belle caisse de résonance aux incessants coups de klaxon. Avant d’arriver au pont, un établissement bancaire, arrêt. On n’y échange pas non plus les chèques, nous nous y attendions. Reste à retraverser la Kaveri et à s’engouffrer dans le tohu-bohu fracassant de la ville. Au premier grand carrefour une banque, non un grand panneau en indiquant une. Le chauffeur s’arrête où il peut et nous traversons la cinq ou six voies de largeur - des voies non matérialisées, toute matérialisation est inutile - au trafic ininterrompu en diagonale. Comme le premier, le second trottoir est une sorte de terrain en terre battue encombré de motos arrêtées. Pas de banque en vue mais une indication pour monter un escalier sur le côté du bâtiment, c’est peu engageant mais nous ne nous arrêtons pas à si peu. En ciment brut, l’escalier sale ressemble à un accès à un entrepôt en cours de désaffection. En haut, il y a bien un bureau, un grand bureau de banque. L’intérieur est un peu à l’image de l’extérieur ce qui n’empêche pas d’être immédiatement reçus et renseignés. On ne change pas de chèques, il faut aller au siège principal dont on nous donne non pas l’adresse mais une façon de le trouver, c’est près d’un parc dont ils écrivent le nom, juste à côté d’un grand magasin rouge dont le nom suit. V., notre chauffeur, ne connaît pas ce parc mais les passants si. Premier demi-tour, il traverse la circulation de notre artère aussi facilement que nous l’avons fait à pied entre les motos, les bus et les voitures, notre klaxon s’ajoutant aux leurs. Au rond-point, à droite puis une rue qui va en rétrécissant. Les indications d’un piéton nous amènent à un nouveau demi-tour puis à une autre rue qui débouche sur une autre artère en sens unique dans le mauvais sens ! Par contre, juste en face, deux autres grandes banques, autant essayer. Dans l’impossibilité de trouver comment accéder à la première, nous optons pour la seconde. Elle ressemble un peu plus à l’image qu’on se fait de ce type d’établissement. Même accueil empressé, réponse analogue, nous en ressortons avec une enveloppe à l’adresse du siège central. Cette fois-ci est la bonne, le chauffeur connaît le quartier mais c’est loin, et nous qui comptions loger en ville pour faire tout cela à pied ! Une grande avenue plus dégagée, des arbres, c’est mieux, pas propre, mieux seulement. La banque est dans un grand, beau et agréable jardin propre. La chance n’est toutefois pas au rendez-vous puisqu’on n’y change pas non plus les chèques. Par contre, un bureau-agence privée dont on nous donne le nom et la localisation, moins de 500 m, effectue ce genre d’opération. Nous nous y rendons à pied, c’est juste de l’autre côté d’un grand rond-point. Nous en voyons l’enseigne à défaut d’en trouver une entrée. Le rez-de-chaussée avant de l’immeuble est occupé par des magasins assez chics. Arrivés sous l’enseigne, nous demandons à un homme qui semble sortir des lieux où est l’entrée en désignant l’enseigne et il montre un étroit passage un peu sale et plein de motos en stationnement à l’arrière. C’est bien là, un étage plus haut. Nous y sommes immédiatement bien reçus par une jeune et sympathique employée qui procède à la formalité avec une parfaite maîtrise. Il ne reste plus qu’à enfouir la liasse de billets (300 euros font environ 25 000 roupies) dans les profondeurs de nos affaires. C’est une somme importante pour le train de vie que nous menons, mais nous avons mission de remettre périodiquement au chauffeur des sommes fixées à l’avance par le patron. Ensuite, retour à la voiture et en route pour la rive gauche de la Kaveri où il reste un temple à visiter, le temple de Jambukeshwara, un peu à l’est du précédent. Il se trouve au bout d’une rue commerçante bien achalandée, un haut gopuram le signale dès le début de la rue. Avant la visite, nous prenons un thé avec V. à un kiosque dans la rue. C’est de là que nous voyons passer les deux jeunes Français rencontrés hier à Thanjavur. Nous les invitons à notre thé. Ils voyagent en bus et viennent de descendre d’un bus de la ville. C’est donc ensemble que nous visitons le temple, lui aussi entouré de plusieurs rangées d’enceintes aux portes surmontées de gopurams colorés. En fin de journée, la lumière tombe vite, nous prenons congé et retournons à l’hôtel où la nuit nous a précédés.

Une courte pause et nous sortons pour le restaurant, la maison voisine avec toujours la même question : comment cela va-t-il se passer ? La commande - pas de carte, juste une liste en tamoul au mur - la présentation ensuite - assiette ou pas, couverts ou non ? Dans un premier temps, nous faisons passer un chiffon sur la table et commandons une bouteille d’eau minérale fraîche avec laquelle on nous apporte les timbales habituelles que nous repoussons comme toujours. La suite est moins simple : il s’agit, comme ce matin, de repérer dans la liste de noms de plats locaux récitée à toute vitesse quelques éléments connus. Ce soir, ce seront des masala dosa, les mêmes grandes galettes, mais garnies de pommes de terre écrasées et épicées. En attendant qu’elles soient prêtes, les galettes ne sont faites qu’à la demande, on nous apporte les assiettes, des rectangles découpés dans des feuilles de bananiers que nous avons vus empilés plus loin. Ils sont un peu mouillés, preuve qu’ils ont été lavés, mais avec quelle eau ? Comme il reste toujours quelques saletés, un brin de toilette supplémentaire peut s’avérer utile. C’est très simple : il y a toujours de l’eau sur la table, celle du pot métallique, destinée à désaltérer M. Toulemonde, il suffit d’y plonger la main droite et d’envoyer ensuite des gouttes d’eau sur la feuille avant d’y passer la main à plat et de soulever la feuille pour laisser l’eau s’écouler sur la table. Ce n’est guère plus propre qu’avant mais cela a été nettoyé, n’est-ce pas l’essentiel ? Les masala dosa arrivent. Elles sont déposées sur les feuilles de bananiers, bientôt rejointes par les deux variétés de sauce dont il a été question. Un peu épaisses, elles ne se répandent pas spontanément sur la feuille. Pas le moindre couvert en vue, nous attaquons à la main droite. Sans habitude, découper une galette avec une seule main est déjà un casse-tête, alors, pour une galette garnie de pommes de terre hachées plus finement qu’à l’ordinaire, la dégustation tourne au désastre. La main gauche, depuis longtemps mise à contribution se couvre elle aussi petit à petit de purée. Bien sûr, pas la moindre serviette en papier dans les parages. Devant notre désarroi, on nous propose des morceaux de papier journal, nous nous demandions quel était ce curieux atelier de découpage de journaux dans un coin, en voilà l’explication ! En attendant, nous déposons les armes et demandons s’ils n’ont pas des cuillers par hasard, eh bien si ! Le temps d’aller passer les mains à l’eau, pas de savon, et nous pouvons finir plus proprement que nous n’avons commencé. Aux 2/3 du plat, on vient nous demander si nous souhaitons prendre autre chose. Si c’est non, la note suit immédiatement et attention à ne pas lâcher les couverts lorsqu’il y en a, ce serait débarrassé promptement !

Bien remplie, nos journées se terminent tôt et, d’ailleurs, la nuit est là dès 18 h 30, alors autant aller nourrir nos moustiques. Peu nombreux ce soir, sans doute pas plus de deux ou trois boutons demain matin. Bonsoir.