Travail de fourmis
Madikeri, le 14 novembre 2013
Tout le matériel nécessaire a été approvisionné et disposé de façon à assurer l’efficacité du travail, tas de sable, ciment, eau, pelles, cuvettes, tamis, règle, échelle, tout est bien là. L’armature en treillis et les guides ont été placés hier. Le tas de sable se trouve sur la droite, juste à côté du grand tamis incliné. À gauche, les sacs de ciment ont été soigneusement empilés. Tous deux accroupis, la nuit n’ayant pas suffi pour leurs échanges, Sudhir, le gardien du tas de sable, s’est lancé dans une grande discussion avec Kaushik, le gardien des sacs de ciment. Il s’agit maintenant de savoir si le gain de la journée sera suffisant pour se rendre à Madapur en tuk-tuk. C’est possible, à condition de partir au lever du soleil et de s’arrêter à Suntikopa puisque l’oncle de la femme du premier y habite et pourra l’y conduire en moto en échange d’un thé masala et de la promesse de parler de lui au chef du chantier qui s’ouvre, nous pourrions y aller ensemble… et cela n’en finit pas, de toute façon, ils ont toute la journée devant eux. Aux côtés de Sudhir, Arvind et Anup, la cuvette bien coïncée entre les chevilles, commencent à faire descendre du sable pour la remplir avant de l’envoyer sur le tamis sous lequel Upendra viendra chercher le sable fin à mélanger avec le ciment délivré par Subhash. Au tuyau, Krishna et ce sont Vijay et Satya qui font le ciment, le premier à la pelle, le second aux pieds, il n’y a qu’une pelle pour cela et puis ce dernier n’est pas prêt de se plaindre, voilà presque une semaine qu’il n’avait pas trouvé de travail. Une pile d’une dizaine de cuvettes métalliques attend que le mélange soit prêt. La suite est un court chemin escarpé allant de cet espace plat au plancher du premier étage de la maison en construction. Le plancher doit être impeccable parce qu’il servira de toit tant que des fonds suffisants n’auront pas été réunis pour monter un premier étage. Récente, l’échelle, deux grandes tiges de bambou reliées par des barreaux bien arrimés de même nature, est solide. Heureusement solide parce qu’elle supporte Narasimba, Mada, Ravi, Pradeep, Mahendra et Yogendra, tronçon d’une suite dont le début est composé de Bharat, Parmesh, Erubothu, Sanjir, Rajneesh et Prasad et la fin de Rajeev et Sandeep. Tout à coup, cette formidable machine humaine se met en route, le ciment commence à être prêt. Avec sa pelle, Ajay remplit la première cuvette posée à terre par Anil. Pleine, la cuvette est ramassée par Bharat qui la passe à Parmesh… et ainsi de suite jusqu’au pied de l’échelle où Prasad la lève vers Narasimba qui la soulève jusqu’à Mada, perché deux barreaux plus haut… En haut, Yogendra la tend à Rajeev qui la remet à Sandeep. Ce dernier la vide aux pieds de Sambhu qui étale et égalise le ciment. Un vrai professionnel ce Sambhu, il a appris, il sait, lui. Il n’est certes pas le maître d’œuvre, c’est Rakesh qui veille à côté de lui, ni le propriétaire, Jawaid qui observe toute la chaîne d’un œil attentif, mais c’est sur ses capacités et sa renommée que repose l’ensemble du travail et la bonne réalisation de la dalle. Il mesure toute l’importance de sa situation et de son pouvoir qu’il a bien marchandés pour ce chantier. Aussitôt vidée, la cuvette a été lancée à Kapil à la réception au pied de l’échelle, Kapil l’envoie à Kumar qui la remet dans la pile. Pendant ce temps, une deuxième, une troisième, une quatrième, une cinquième et une sixième cuvettes ont suivi le même chemin. Le rythme de croisière est maintenant atteint, rien ne s’arrêtera tant que la dalle ne sera pas terminée. Tout au plus, Latha, seule femme du chantier, viendra porter de l’eau ou du thé à ceux qui en demandent. Même les bonnes odeurs de la friture qu’elle prépare n’y feront rien et pourtant, ce n’est pas l’envie de croquer un petit beignet de piment qui manque, mais Latha viendra bien en porter aussi, non ? Sans en abuser toutefois parce qu’il s’agit de ne pas dépenser tout ce qui aura été gagné ici.