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Irak 2014

Zaxo (1)

La journée a été chargée, la frontière passée, les ombres commencent à s’allonger, le temps est donc venu pour nous de chercher un emplacement pour passer la nuit, la routine en quelque sorte. Comme souvent, nous regardons du côté des stations-service. Les premières sont beaucoup trop chargées, des camions garés partout, pour nous convenir. À l’entrée en ville, une autre, pas placée sur le parcours des camions, semble parfaite : vaste et pas chargée et, comme, de plus, les camions ne passent pas par ici, c’est calme. Nous nous arrêtons pour le plein, nous verrons ensuite pour le stationnement. Aucune idée de la façon de dire gas oil, j’essaie diesel, sans succès. Les pompistes ont la solution, elle consiste à renifler notre bouchon et à comparer avec l’odeur des produits délivrés aux pompes ce pour quoi ils n’hésitent pas à faire le plein de leur main ! La comparaison donne la pompe à utiliser. Je paie et pose la question suivante, celle du parking. Pas de problème et on nous dit où, c’est le point le plus éloigné de la rue principale, parfait. Devant nous, un mur en haut duquel trônent quelques petits immeubles proprets et neufs à deux étages. C’est tout à fait calme. La nuit tombe déjà lorsque nous recevons la visite d’un homme que nous n’avons pas encore vu dans la station et qui semble venir nous inviter. Il se dit Turc mais ses connaissances en turc ne dépassent pas les miennes. Ne comprenant rien à la situation, je vais voir. Sur le côté du bâtiment se trouve une cuisine avec quelques chaises et une table haute comme dans un bar. Sur la cuisinière mijotent du poulet et du riz accommodé. Dans le réfrigérateur attendent des salades… j’ai droit à une visite complète et suis invité à prendre ce que je veux. Ce seront deux morceaux de poulet et du riz. Par contre, impossible de payer. C’est très aimable mais que de questions en suspens : qui est-il ? Quel est son rôle dans la station ? Pourquoi est-ce gratuit alors que, bien sûr, quelqu’un a acheté les poulets, le riz, les légumes et tout le reste ? Nous voici donc avec un menu inattendu. Le riz, long au possible, mêlé de vermicelles comme on en trouve en Turquie, et la sauce sont excellents. Le poulet vient tout droit d’une batterie… Rien n’y fait, nous ne comprenons pas. Plus tard dans la soirée, nous jouons, comme souvent, une voiture s’arrête à côté sans que nous y prêtions attention, nous sommes sur un parking tout de même, seuls mais sur un parking et n’avons pas l’habitude, dans ce cas, de regarder les voisins. Mais voilà qu’en plus on frappe à la porte. C’est le même homme, une demi-pastèque à la main, un cadeau de plus qui ne viendra pas éclaircir la situation. Nous sommes très ennuyés. Il s’installe et regarde les jeux. Si nous pouvons échanger un peu avec lui grâce au turc, cela ne suffit pas à tout expliquer. Nous apprenons d’où il vient, pas très loin vers le sud, qu’il a trois enfants de 8, 5 et 3 ans. Il doit avoir une quarantaine d’années, parle de la situation catastrophique de sa ville d’origine. Il est sympathique et ne semble pas très heureux. Au moment de la séparation, nous insistons pour qu’il reprenne sa pastèque, nous n’en sommes pas amateurs, et lui donnons une tablette de chocolat qu’il s’empresse d’aller partager avec les pompistes. Il est temps de ranger les jeux, nous restons perplexes. Nuit d’un calme absolu, les appels à la prière durent peu et ne sont pas sonores.

Hier, nous avons repéré des tuyaux d’eau près du magasin de la station, le moment est venu d’aller voir si l’eau est potable et, dans l’affirmative, s’il est possible d’en prendre. Sans surprise, le bilan est positif. Ils vont même jusqu’à extraire le tuyau de leur machine distributrice d’eau pour nous faciliter le remplissage. Le débit laisse bien du temps pour bavarder tant bien que mal avec l’équipe, l’occasion d’apprendre à dire eau dans leur langue ce qui manquait à ma panoplie concernant ce mot dans nombre de langues. Lorsque tout est plein et que nous sommes prêts à partir, voilà notre « Turc » qui arrive et, bien entendu, pas de dérobade possible. Le second petit déjeuner est d’ailleurs plus copieux que le premier. Au menu, thé sucré, œuf brouillé, pain encore tiède, fromage blanc. Nous sommes servis en même temps que la plupart des personnels de la station. Ils ne paient pas, nous non plus, même en insistant lourdement. Finalement, il doit être le cuisinier de la station, c’est ce qui correspond le mieux à nos observations mais ne dépasse pas les suppositions. Adieu à tous, nous partons. Le beau temps d’hier après-midi s’est mué en un ciel gris qui prépare la pluie.

Ces sombres présages n’ont pas duré plus de la matinée, le ciel s’est à nouveau dégagé, le soleil et la chaleur sont revenus. Les paysages sont superbes, de belles montagnes bien vertes à l’herbe généreuse parsemée de petits arbres épars. À un moment, la route monte entre deux épines d’une chaîne de montagnes dont l’aspect rappelle celui de l’arête dorsale d’un stégosaure, continue à s’élever avant de plonger dans un désert surchauffé que nous évitons pour prendre une autre route de montagne au bout de laquelle un professeur et un directeur d’école sont prêts à satisfaire toute demande que nous formulerions pour notre halte.


1 Transcription kurde, la transcription arabe est Zakho ; Zaxo est une petite ville au nord du pays