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Iran 2014

Faire le plein de gazole

Âmes écologiques sensibles s’abstenir

En préparant son voyage, on tombe sur toutes sortes d’informations. En voici quelques-unes :

- les prix sont très bas (en comparaison des nôtres),

- nul ne peut acheter de gazole sans une carte, une petite carte comme une carte de crédit, à insérer dans la pompe,

- en arrivant à la frontière, si l’on possède un véhicule fonctionnant au gazole, on doit acheter une carte, elle est chère ce qui revient à augmenter le prix du carburant pour les visiteurs,

- si, à la frontière, on demande si le moteur tourne au gazole, répondre non,

- à l’achat, demander au pompiste ou à n’importe quel chauffeur de prêter sa carte, au pire cela coûtera un pourboire,

- les stations-services sont peu fréquentes,

- leur approvisionnement est aléatoire,

- il arrive qu’elles n’aient plus rien,

- faire le plein non pas lorsqu’on en a besoin mais lorsqu’une station se présente…

Notre expérience confirme certains points, mais pas tous, et nous pouvons en ajouter d’autres.

À la frontière, aucune question sur le carburant utilisé. Nous en étions plutôt satisfait à la fois pour ne pas devoir mentir s’il l’avait fallu et parce que les 4 h de difficultés passées au poste nous suffisaient.

Un de nos premiers soucis a été de repérer une station-service. En Iran, on roule à l’essence, seuls les poids lourds et les autocars circulent au gazole et les stations-service sont presque toutes spécialisées. On les différencie de loin aux véhicules en attente. L’absence de file peut signifier pénurie. Celles qui délivrent de l’essence se trouvent en général en périphérie des agglomérations alors que les autres sont souvent complètement isolées, au milieu de rien. Ne sachant rien de tout cela et sortant de Marivan, nous tombons sur une station, que des voitures. On comprend diesel ou gazole, mais aucune pompe n’en délivre. On nous demande quelle quantité il nous faut et on nous dirige vers des bidons, des gros, 200 L. Devant l’impossibilité de connaître le prix à l’avance et l’absence de garantie concernant le contenu de ces bidons, nous passons et allons chercher plus loin. C’est au sommet d’une petite colline dans un petit bois que nous découvrons l’objet de nos recherches. L’espace est aussi exigu que pour des voitures et il s’y presse des camions en tous sens, depuis d’énormes semi-remorques jusqu’à des camionnettes. Aucune file ne s’est dessiné, on avance comme on peut là où il reste de la place et dans les deux sens aux pompes ce qui donne de belles manœuvres pour ressortir. Le sol est une immense mare de gazole durcie par mélange avec de la terre. Les pompes et toutes les installations sont dans les mêmes tons, les pompistes aussi. L’odeur qui règne ne laisse planer aucun doute sur la nature du carburant vendu. Bref, nous observons un peu puis décidons de dépasser tout ce qui peut l’être pour aller au plus près des pompes, il semble que ce soit la règle pour les petits véhicules comme le nôtre. Notre tour venu, nous prenons place en biais entre un camion et un rebord en ciment, environ 1 cm de chaque côté. Des étrangers ici, c’est un peu l’événement. On se presse pour voir, pour savoir d’où nous venons. On ne nous pose même pas la question de la carte, le pompiste met la sienne dans la borne et demande combien nous en voulons. « Full », un mot dont je n’ai encore jamais constaté qu’il pût être incompris. Le problème est que les seuls réservoirs à remplir étant ceux de camions, le débit est très fort, et qu’aucun système d’arrêt automatique ne coupe l’alimentation lorsque le niveau atteint l’embout du pistolet. Ce qui doit arriver arrive donc, une belle inondation le temps du réflexe du pompiste. Pour ce premier remplissage, il y en a jusqu’au pneu, sur la main, le bras et un peu le pantalon du pompiste, sans incidence sur sa bonne humeur. Reste ensuite à faire en sorte que le montant soit un nombre rond. La méthode est simple, on continue à remplir, c’est-à-dire à faire couler sur le sol, jusqu’au bon nombre. Les premières fois, on a envie de le faire arrêter pour arrondir avec de la monnaie, puis on s’habitue. Paiement. Le prix affiché est de 2 500 rials le litre (un peu moins de 6 centimes) (nous n’avons pas vu d’autre prix), le prix payé est le double. Cela surprend, il semble que ce soit la règle en l’absence de carte. Une seule fois nous avons payé le prix affiché. Je ne proteste pas, à ce prix-là, pas question de faire la fine bouche ! Une autre fois, le pompiste a demandé sa carte à un chauffeur de bus, juste à côté. La pompe indiquait 60 000, je paie 120 000 et nous voyons le pompiste et le chauffeur se partager les 60 000 de plus devant le pare-brise, pas gênés du tout. J’aurais pu demander ma part, mais un plein à moins de 4 euros, franchement…
Passage obligé des chauffeurs, les stations sont des lieux de vie et de rencontre. Elles sont toujours laides et presque toujours sales vers les pompes, mais il y a toujours un magasin, fréquemment un restaurant, une mosquée, toujours des toilettes, de l’eau et du monde. C’est ainsi qu’un jour, dans le sud, nous sommes abordés par un homme âgé sans doute venu là en voisin, il est à pied, parlant bien anglais et un peu français, espagnol et d’autres. À la retraite, il avait fait carrière sur des paquebots de croisière et parcouru plus de la moitié de la planète. Il était content de rencontrer des étrangers, rares dans cette région. Quel regard porte-t-il sur son morceau de pays, coincé entre une montagne et le désert à la lisière d’une petite palmeraie, en comparaison de ce qu’il avait observé lors de ses voyages ?

Pour en finir avec cet épisode, un épilogue. Un beau jour, nous ressortons de ce beau pays. Première question avant toute régularisation de passeport ou de carnet de passage en douane, quelle est la capacité de votre réservoir ? On a beau avoir l’habitude des questions saugrenues aux passages de frontières, celle-ci surprend. Ne sachant pas exactement ce qu’elle cache, je réponds 30 L, peut-être s’agit-il d’une taxe à payer sur ce qui s’y trouve en quittant le territoire. Je vois bien qu’ils ne me croient pas et en déduis qu’il doit s’agir d’autre chose. Je me fais répéter la question et réponds cette fois 75 L - pour être honnête, disons que je n’en ai aucune idée, mais que cela me paraît vraisemblable. À eux aussi qui déclarent que je dois payer une taxe sur le gazole qu’ils calculent en fonction de cette capacité supposée, 3 millions 750 mille ce qui est exorbitant eu égard au coût de la vie dans le pays. Les essais de diversion, contestation et autres n’y font rien, ils expliquent calmement que c’est une taxe d’état, que le montant n’est pas à leur remettre mais à déposer au bureau de banque qui nous délivrera un reçu et que ce n’est pas négociable.