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France 2015

Scoop : il a plu à Sauveterre

Avant d’en venir au scoop, une question préoccupante relative au nom du lieu. Des Sauveterre, il s’en trouve bon nombre dans tout le sud de la France : Sauveterre, Sauveterre, Sauveterre ou Sauveterre par exemple et sans vouloir les citer tous, mais aussi Sauveterre-la-Lémance, Sauveterre-de-Rouergue ou Sauveterre-de-Guyenne sans chercher l’exhaustivité non plus. Chacun de ces villes et villages est habité. Un gentilé en caractérise donc chaque habitant. Question difficile.

Sauveterrien et Sauveterrienne, à défaut d’offrir une résonance agréable à l’oreille, ouvrent du moins des perspectives salvatrices plus souvent associées à la bannière étoilée et à l’hymne associé, la Star-Spangled Banner, mais qui n’ont aucune raison d’en avoir l’exclusivité d’autant qu’on dit la terre mal en point et qu’il n’est pas clair que le salut vienne de là-bas. Si Sauveterrois et Sauveterroise sont plus modestes et ne dérogent pas à l’usage des terminaisons courantes en -ois, leur sonorité contrariée, terre menant plus facilement à Terriens, leur confère une touche de mièvrerie et de petitesse en comparaison des précédents. Et si c’était autre chose ? On sait en effet que qu’en matière de gentilé, la variété est de mise, reposant souvent sur des critères historiques ou locaux accessibles seulement aux érudits et aux familiers des lieux. C’est ainsi qu’il se trouve – on s’en doutait – des Sauveterrien(ne)s, des Sauveterrois(ses) mais aussi Sauveterrat(e)s et des Sauveterrol(e)s. Quitte à assumer le contresens historique (1), ma préférence va incontestablement aux premiers.

Pour en revenir à notre Sauveterre, celui du scoop, j’ignore comment se nomment ses habitants. Sauveterre est ce tout petit village situé sur le plus vaste des grands causses, celui auquel il a donné son nom. Perché au sommet, la route le traverse en larges ondulations lascives (au sens ancien du mot) et, de quel côté qu’on y arrive, la pente est ascendante.

Aujourd’hui, Sauveterre reçoit. Notre présence est due à cette réception. C’est sous un ciel noir que la foule attend sur le bord de la route, l’orage menace. L’atmosphère s’en ressent. Répartie d’un côté et de l’autre de la chaussée, une grande famille redouble d’échanges dont le niveau reflète le débit de boissons absorbées, il fait chaud, n’est-ce pas ? De petits sacs à dos disposés çà et là des deux côtés, servent de réserves et chacun d’y puiser selon ses besoins. Il est d’ailleurs étonnant de constater que des sacs aussi simples aient une telle capacité. Les vendeurs de sacs qui ont l’habitude de la communiquer en litres feraient mieux d’utiliser la canette pour unité, ce serait plus parlant. Bref, l’attente étant longue de plusieurs heures pour certains, on rit beaucoup et de pas grand-chose. L’attente fait partie du rite, une sorte de préalable qui amène petit à petit à l’état qui permettra, le moment venu, de participer à la fête puis de jouir pleinement du spectacle. Les groupes qui se forment sont variés. Ainsi, à notre gauche, un jeune couple avec un jeune enfant, est là, dépourvu de tout, n’ayant rien emporté. L’enfant a soif mais ils n’ont pas d’eau, il a faim mais n’ont rien à lui donner… Qu’on se rassure toutefois, nous sommes restés assez longtemps et, lors de notre départ, l’enfant n’était pas décédé. Plus loin, des retraités BCBG camping-caristes ont installé leurs transats et leur glacière, ils sont prêts ! D’autres sont dans leur bulle, branchés à leur smartphone ou les yeux rivés sur leur tablette. Plus loin encore, la musique est si forte qu’elle franchit le col sans peine. La bonne humeur sinon franchouillarde du moins facile est de mise et les barrières habituelles entre les personnes ont sauté. Le temps qui passe semble n’avoir aucune autre incidence sur le public que la quantité des boissons consommées par ceux qui en ont.

Bien entendu, chacun sait que l’attente n’est pas éternelle, d’ailleurs, la plupart connaissent précisément l’heure de début du grand spectacle, nous en sommes. Comme nous, tous ignorent l’heure du début de la fête qui précède ce spectacle. Divers indices laissent penser que le début est proche. De grosses motos ont déposé leur cavalier près de nous, au milieu du carrefour. L’un d’eux a une taille en proportion de sa cylindrée et un nez rouge comme s’il était ici depuis le début de l’après-midi. Bien qu’ils le précèdent, comme tout le monde, ils connaissent l’heure du spectacle mais sont un peu imprécis quant à celle du défilé.

Ça y est ! Quelques éclairs bleus, bas sur l’horizon, parviennent. On les dirait synchronisés. Brefs comme des éclairs, ils ne sont accompagnés d’aucun roulement de tambour céleste, à peine un petit bruit de moteur. Des éclairs à répétition, suivis d’autres du même genre, puis d’autres encore. La tension monte chez les spectateurs mais les éclairs ne font que passer. D’autres éclairs, plus nombreux, brefs et rapides, sont à nouveau suivis d’un calme. Sept gros oiseaux mécaniques à pales passent au-dessus sans s’attarder. Puis, tout à coup, cette fois est la bonne, la fête commence, un long défilé de bolides de toutes formes, de tous gabarits, tous plus surprenants les uns que les autres sont accompagnés d’une pluie inhabituelle. Ce ne sont ni la chaleur, ni l’espoir de se rafraîchir qui attirent les spectateurs, non, c’est plutôt une sorte de frénésie compulsive qui leur fait prendre des risques pour se saisir, au vol pour les plus habiles, au sol pour ceux qui le sont moins, voire sur la chaussée pour les plus téméraires, de ce qui passe et qui les pousse  à empoigner tout ce qu’ils peuvent. Et gare ! La pseudo-fraternité de l’attente n’est plus de mise, maintenant, que le plus rapide gagne et tant pis pour celui qui a 1/10 de seconde de retard. À y regarder de plus près, avec un peu de recul si nécessaire, la pluie en question n’apporte pourtant que des colifichets, babioles, futilités et autres brimborions sans autre valeur que publicitaire. La pluie dure, tantôt plus abondante du côté droit, tantôt du gauche. Il est plus intéressant de regarder les nuages dont elle tombe. Ils sortent tout droit de l’imagination sans borne des officines publicitaires. Le spectacle mérite le coup d’œil, la surprise est au rendez-vous.
Il a bien plu à Sauveterre, d’une pluie d’orage si l’on s’en tient à la couleur du ciel, mais pas une de ses gouttes ne contenait d’eau.
Une fois le défilé terminé, un peu d’attente, le temps pour chacun de ranger son trésor, puis commence le spectacle proprement dit, celui d’un grand nombre de cyclistes pressés, si pressés que je n’ai pas eu le temps d’apercevoir le jaune. Pour les spectateurs, on sent bien que la tension est retombée et que, malgré des applaudissements, la fête est déjà un peu sur la fin.

Et, j’allais oublier : peu avant le défilé, une voiture est passée, quatre personnes à son bord. Sur sa banquette arrière, les lunettes Élyséennes scrutaient le spectacle des spectateurs. Sans doute à cause d’elles que les gros oiseaux étaient si nombreux dans le ciel aujourd’hui.




1 Au Moyen-Âge, une époque où la peur de la Géhenne le permettait, les mots équivalents à Sauveterre dans les différentes langues méridionales désignaient en effet des terres sur lesquelles on ne pouvait poursuivre un ennemi ou prétendu tel. Dès lors bien sûr, plus question de Sauveterrien(ne) puisque c’est la terre qui apporte le salut.