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Espagne 2019

Priego de Córdoba, dimanche 14 avril, dimanche des Rameaux, les mouvements de la Vierge

Un instant d’attente, pas d’inquiétude, la Vierge avance, pas droit, certes, mais sans risque. Deux points sont à régler avant d’en venir au sujet : la Vierge avec l’article défini et le V majuscule. Aussi nommée Marie, ici María, elle est la fameuse Mère de Dieu fait Homme. En occident, nul ne peut prétendre ne pas en voir entendu parler. Tout comme son fils dont j’ai déjà parlé, elle aurait vécu autour de l’an 0. Voici pour la personne, Marie, inutile d’en dire plus. Il en va autrement de son surnom : n’importe quel être censé se pose d’une part la question de cet article défini puisque cet état naturel est très répandu et d’autre part celle de la majuscule. S’en tenant au bon sens, la question aurait dû être tranchée avec l’enfantement sinon avant. Le fait que dans de hautes sphères, si hautes qu’elles doivent être proches des célestes, cette question, futile et dont la réponse n’a aucune incidence sur quoi que ce soit, ait été l’objet de débats au IVe siècle et qu’il ait fallu un concile sidère, de même que le temps qu’il a fallu attendre pour ce faire et que l’absence évidente de preuve matérielle à ce moment. Ainsi, à l’instar de la déesse Égyptienne Isis, Marie mère a été décrétée vierge. On ne devait pas avoir beaucoup à faire à cette époque dans ces hautes sphères.

La Vierge du jour est la très Sainte Marie de l’Incarnation, un de ses nombreux avatars.

Un chapelet à la main gauche, elle est installée derrière quatre rangée de dix beaux cierges allumés, de couleur ivoire et fichés sur autant de candélabres argentés que le soleil se plaît à faire étinceler au gré des mouvements de l’ensemble. Elle est revêtue d’un épais manteau bordeaux, les épaules et le haut du buste recouverts d’un châle blanc d’une grande finesse sur lequel est placée une large étole de fil doré. Un autre châle ou une partie de celui-là - le contrôle n’était pas possible au moment de l’observation - lui couvre si bien la chevelure que sa teinte ne peut se voir. Une large couronne argentée hérissée de rayons effilés est délicatement posée dessus. Que dire du visage ? Sa bouche est entrouverte comme si elle allait parler. Son rouge à lèvres, de couleur assortie au manteau les souligne bien. Ses grands yeux fixent le néant, juste au-dessus des quarante petites flammes. Elle semble absente, comme plongée dans d’amères pensées, reflets prémonitoires de l’histoire officielle ? Qui sait ? Il faudrait un nouveau concile pour en débattre. La question est-elle importante, à la hauteur du dogme ? Revenons-en plutôt au décor. L’ensemble précédent est posé sur une sorte d’épaisse estrade rectangulaire dont les quatre bords, de métal argenté embouti, sont ornés de fleurs fraîches multicolores. L’estrade elle-même repose sur quatre poutres qui dépassent à l’avant et à l’arrière, chacune d’elles reposant à son tour sur les épaules d’une bonne douzaine de solides gaillards. Solides gaillards ? Sans doute dans la mesure où ils doivent se mettre à près de cinquante pour déplacer le tout mais sans certitude toutefois puisque, de chacun d’eux, seuls les yeux de ceux qui sont à l’avant, à l’arrière et sur les côtés sont visibles. Leur costume masque le reste : longue tunique blanche aux boutons rouges, sans pli et descendant jusqu’aux pieds, chaussures et gants de la même couleur, large ceinture noire et longue cagoule rouge couvrant largement les épaules et juste percée de deux trous au niveau des yeux.

S’il est bien connu que, pour marcher, il suffit de mettre un pied devant l’autre et de recommencer, ceux-ci ne marchent pas tout à fait puisque, au lieu de mettre un pied devant l’autre, le moment venu, comme dans une chorégraphie bien synchronisée, ils avancent leur pied gauche vers l’avant gauche puis leur pied droit vers l’avant droite avant de recommencer. Vus de face, leurs déplacements bien coordonnés impriment un mouvement oscillatoire à la Vierge qui semble ainsi danser de droite et de gauche. Chacun de ces déplacements impliquant lui-même un abaissement simultané des épaules, la Vierge s’incline légèrement du côté du déplacement produisant un petit roulis propre à égayer la solennité de la cérémonie. Le rythme est donné par les tambours de la Banda de tambores de la Hermandad qui précèdent et par la Banda Sinfónica de la Soledad Coronada de Priego de Córdoba qui suit et marque la fin de la procession.

Pour compléter, les personnes qui ont la chance d’avoir un balcon au-dessus de la rue doivent pouvoir observer la progression sinusoïdale de la Vierge. Pour compléter encore, ceci n’est qu’une description partielle de la procession du matin, première des onze processions de la semaine. Les spectateurs, encore plus nombreux que les processionnaires ont des tenues de cérémonie de mariage.

Nous détonons.