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Portugal 2019

M. Silva

M. Silva habite un peu au nord d’Aveiro, sans plus de précision. Lorsque nous entrons dans la cour de son atelier, un grand hangar sans charme, M. Silva est si occupé qu’il ne s’en rend pas compte bien qu’il soit dehors. J’avance encore, arrête le moteur et descends j’allais dire à sa rencontre mais il ne m’a toujours pas remarqué. M. Silva n’a pas la tenue habituelle des personnes de son métier : pas de bleu de travail, pas de cambouis sur les mains ni sur lui, non, il est plutôt bien mis avec son pantalon propre, sa chemise grise aux manches retroussées et ses chaussures de ville. Petit, le cheveu gris et rare, M. Silva a dû souffler ses soixante bougies depuis quelques temps. Pour l’heure, à demi courbé sur une voiture de marque indéterminée, à la couleur vague et dont la fraîcheur remonte à des lustres, il s’affaire un phare dans la main gauche et un long tournevis dans la droite. Je toussote pour attirer son attention et le salue Bom dia. Un peu surpris, il me regarde puis tourne la tête vers notre véhicule. Là, les choses se compliquent pour moi puisque j’ai quasiment épuisé ma réserve de mot portugais. Alors, autant essayer : - Parlez-vous français ? Pas de réponse mais pas de rejet négatif non plus. À son âge, il a dû aller à l’école voire plus du temps de la dictature où le français avait le vent en poupe au moins du côté des autorités. Je ne dois cependant pas en rester là, déjà son regard se fait interrogateur. De l’index et du majeur gauches, je désigne mes yeux puis pointe le camping-car. Ça y est ! Nous avons un langage commun. Il pose le phare, le tournevis et nous voici partis. Lui : c’est quoi ? ou c’est où ? du regard. Moi : l’index droit recourbé vers le haut la main vers du sol. Message reçu, il se met à genoux et constate ce que nous avons incidemment remarqué quelques jours plus tôt : une plaque de protection du moteur qui a dû accrocher un obstacle saillant s’est arrachée de son attache avant et pend, retenue par ses attaches arrières. Le voici déjà parti chercher la clé à cliquet adéquate pour extraire le boulon qui a eu le bon goût de rester avec sa famille de rondelles. La suite est simple, une fois extrait, il suffit de le remettre avec une rondelle plus large et le tour est joué. Il bricole une grande rondelle pour lui donner la forme qui convient à l’emplacement, resserre le boulon et c’est fini. L’intervention n’a pas duré dix minutes. Arrive par conséquent LA question, LA parce que je ne sais pas le dire bien sûr. J’essaie quanto? proche du ¿cuánto? des Ibères voisins. Ses gestes de refus, des deux mains à la fois, sont clairs, il ne veut rien, même en insistant lourdement. J’en suis gêné mais fini par me résigner. Obrigado, merci - on touche à la fin de mes connaissances linguistiques - plusieurs fois et nous repartons.