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Voyage de 2012

Semaine 2, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro et Albanie

Jeudi 12 avril

de Vrsar à Rakovica (photos)

Incroyable : il fait presque beau ! Le ciel, bleu-gris, laisse passer des rayons de soleil. Retour à Poreč que le mauvais temps d’hier et l’heure tardive ne nous ont pas permis de visiter. De grands parkings sont aménagés non loin du centre. Comme il est tôt, nous y trouvons une place sans problème. C’est l’heure où écoliers, collégiens et lycéens convergent vers leurs établissements respectifs. En ville, on sent que c’est un peu tôt, mais déjà quelques magasins sont ouverts. Le pain est tout chaud ! Tous les bâtiments liés à la basilique Euphrasienne (Eufrazijeva bazilika) ne sont pas ouverts, mais la basilique l’est, c’est l’essentiel. À cette heure, nous sommes les seuls à admirer les mosaïques sur fond d’or décrites dans le guide. Les autres visiteurs sont des personnes qui entrent, font une courte prière et repartent sans se soucier des mosaïques ni de l’architecture qu’elles doivent côtoyer tous les jours. Nous prenons ensuite l’ancienne voie romaine de la presqu’île, la rue Dekumanus, rue touristique de la ville, où se trouvent les magasins de souvenirs. Ils ne sont pas encore ouverts. Le ciel est en train de reprendre la teinte d’hier. Sur le port, des rabatteurs proposent des excursions en bateau. Le tour consiste à descendre la côte jusqu’au fjord de Lim, à le visiter, prendre un repas à bord et revenir. En temps ordinaire, nous ne sommes déjà pas portés sur ce type de tourisme, avec ce ciel c’est hors de question.

Retour à la route. La deuxième ville visée est Rovinj. La route ne suit pas la mer à cause du fjord qui s’enfonce d’une dizaine de kilomètres dans la péninsule mais, à un moment, elle en longe la partie la plus à l’intérieur des terres et le soleil est revenu. Il est vrai que le relief évoque un fjord norvégien, la végétation pas du tout. La route de Rovinj traverse des terrains calcaires de type caussenard avec une terre rouge semblable. Le stationnement se fait obligatoirement à l’extérieur de la ville. Nous n’y arrivons pas. Nous trouvons bien le parking pour les autocars et les camping-cars, mais son parcmètre refuse les pièces. La recherche d’un autre stationnement reste vaine, nous repartons sans visiter.

Le point suivant se situe dans le centre de l’Istrie. Les paysages sont du même type. Quelques kilomètres à l’ouest de Pazin, une toute petite route mène à Beram. L’église Sainte-Marie (Sveta Marija na Škriljinah) est construite dans une vallée à l’écart du village. Le guide indique que la clé doit être demandée au village, nous ne le faisons pas et y allons directement. La route fait exactement une voie de large, mais voie sans issue, nous ne croisons personne. Le parking à l’arrivée est suffisant pour faire demi-tour et s’y arrêter. Comme l’église, il est en forêt. Un marchand de miel est installé entre le parking et l’église. Comme prévu, l’église est fermée. Nous en faisons le tour pour essayer de voir l’intérieur dont nous ne pouvons entrevoir qu’une partie au travers de la vitre d’une petite fenêtre. Au retour, nous croisons un couple d’Autrichiens qui arrive avec la personne à la clé ! Une chance. Les murs intérieurs sont entièrement peints (fin du XVe siècle). Dans l’ensemble, les peintures sont bien conservées. La célèbre danse macabre se trouve sur le mur au-dessus de la porte ouest. Saint Martin partageant son manteau avec son épée et d’autres peintures ont gardé une certaine fraîcheur. Le plafond est peint de fruits et d’angelots. C’est bien d’avoir pu visiter et nous recommanderions de se poser la question de la clé au village, pas comme nous !

De Pazin, nous prenons la route de la côte est. Une fois sur cette côte, la route suit la mer en corniche, offrant de beaux points de vue sur la mer, la falaise et l’île de Cres. La chance continue de nous sourire puisque plus nous avançons, moins il y a de nuages. La carte souligne le caractère pittoresque de la route jusqu’au fond de la baie de Rijeka, par contre, suivant la découpe des rochers dans la montagne, elle est loin d’être rectiligne et, bien qu’elle soit large, l’interdiction aux camions est compréhensible. La traversée de Rijeka se fait à allure réduite. Nous n’arrivons pas à en trouver la sortie sud bien qu’elle apparaisse sur la carte. À la première tentative, nous nous retrouvons sur l’autoroute sans l’avoir voulu et devons faire plusieurs kilomètres avant de pouvoir faire demi-tour. Au second passage, je prends un quartier périphérique sud. Bien que ce soit un quartier récent, les rues ne sont pas des plus larges. Nous nous guidons au relief et finissons par retrouver la route par laquelle nous aurions dû pouvoir arriver. La route qui présente l’avantage de ne pas nous enfermer et de suivre le rivage commence par une grande et belle boucle dans la baie de Bakar. La circulation est assez intense et la rareté des places de stationnement oblige hélas à rouler. Quelques villes ponctuent le trajet, parfois joliment placées au fond d’une petite baie. Partout la montagne commence au rivage. Le beau ciel bleu a bleui la mer et rend le parcours agréable. À Senj, nous quittons la mer. Avec l’altitude, les nuages sont vite retrouvés. Ils n’obscurcissent pas le ciel et laissent filtrer un peu de soleil, mais le changement est sensible. Le trajet traverse Otočac. Au-delà, la nature devient sauvage, les habitations rares, des villages semblent abandonnés. Même les voitures sont peu fréquentes. Nous pensions trouver un camping avant d’arriver au Parc national des lacs de Plitvice (Nacionalni park Plitvička Jezera), mais non. Il faut aller plus loin, en direction de la Bosnie-Herzégovine, jusqu’à Rakovica, pour en trouver un. Contrairement à hier, ici, on stationne sur de l’asphalte, écartant tout risque d’enlisement. Nous y arrivons tard, mais la place ne manque pas. Comme à Venise, l’eau des douches est chaude mais l’air est glacial.


Vendredi 13 avril

de Rakovica à Ražanac (photos)

C’est fait : le temps qui se couvrait hier soir est complètement gris. Il n’est pas menaçant mais presque, nous nous équipons en conséquence. Le parking, perdu en forêt, est vide. L’entrée dans le parc est chère. De l’entrée 2, la balade commence par une descente au premier lac pour y prendre un bateau, le vrai départ se trouve sur l’autre rive, près des premières cascades. J’étais venu ici en mai 78. Les différences : un mois plus tard, le printemps avait eu le temps de faire son effet sur la végétation, aujourd’hui, les premières pousses sont petites et frêles ; le ciel était parfaitement bleu, ce n’est pas le cas aujourd’hui et nous aurions attendu si nous avions été sûrs d’une amélioration demain, les tons sont un peu gris sur gris ; il n’y avait pas grand monde et je me demandais à chaque détour du chemin si je n’allais pas tomber sur un ours, nous sommes presque seuls, mais la pression sur la nature se sent et les ours doivent être allés plus loin dans les montagnes. Nous partons pour un tour complet du site en espérant que la pluie ne l’écourtera pas. Les centaines de cascades sont toujours là, toujours aussi belles, même si nous préférerions un bel éclairage. Les lacs restent sauvages, d’autant plus que l’on s’éloigne des entrées. Les groupes qui viennent ici doivent rester vers le bas, la présence de cascades implique un certain relief et chacun sait que les groupes ne s’aventurent jamais bien loin lorsque le parcours est un peu physique. Le tour des lacs fait une petite vingtaine de kilomètres, beaucoup plus que ce qu’envisagent d’ordinaire les touristes. Presque tout le parcours, un peu moins vers le haut et pas du tout sur la rive opposée aux entrées sur le grand lac du bas, est aménagé, de petits chemins en rondin permettent d’aller aux endroits les plus pittoresques. Par temps un peu humide et avec l’eau qui tombe des cascades, il arrive que ces rondins deviennent glissants. Une dame d’un groupe de Japonais est tombée et s’est arrêtée à quelques centimètres de l’eau. Nous montons assez haut, plus haut que les lacs, mais, le temps devenant de plus en plus gris et la pluie commençant doucement, il faut redescendre. De tous les côtés et même un jour aussi gris qu’aujourd’hui, les cascades et les lacs sont très beaux.

Nous terminons par la rive peu parcourue du grand lac du bas. Arrivés à l’entrée 1, la pluie commence sérieusement. Ici, d’après ce que nous avions compris, trois possibilités de retour, le bateau pour traverser le lac dans sa longueur, à pied sur l’autre rive et un mini-train. Je demande l’heure du prochain départ du mini-train, vingt minutes. Nous décidons d’attendre alors que le bateau part. Vingt minutes passent, une demi-heure… il faut se rendre à l’évidence, l’employé qui a répondu a dit n’importe quoi ou il n’a pas compris. Il ne reste plus qu’une demi-heure d’attente pour le prochain bateau ! Et sous la pluie, c’est tellement mieux ! Au moins, le parapluie sert à quelque chose. Retour au parking, arrêt au péage, tout est ouvert et un jeune employé vient nous annoncer que le système informatique qui gère les mouvements et le paiement est hors d’usage. Obligés de ne pas payer !

Au départ du parc et sur plusieurs kilomètres, nous sommes talonnés par une voiture de police. La vitesse étant limitée à 70 dans le parc et n’ayant pas vu de fin de limitation, je roule à 70 jusqu’à ce qu’ils se lassent et me doublent. Nous continuons vers le sud. Le paysage est complètement désolé et les villages abandonnés. Le temps gris complète le tableau. Cette région a été très touchée pendant la guerre, il est recommandé de ne pas s’écarter de la route en raison d’un déminage incomplet. C’est sans doute ce qui explique que les maisons soient noires et sans fenêtres. Nous n’avons aucune raison de traîner par là.

Retour à la mer. Le beau ciel bleu d’hier n’est plus qu’un souvenir. Nous allons sur l’île de Pag. Au niveau du pont d’accès, le paysage est minéral : des cailloux calcaires blancs ou ocre clair et la mer, rien d’autre. C’est étonnant et cela vaut le détour même un jour comme aujourd’hui. Un peu plus loin dans l’île, le paysage reverdit. Nous allons jusqu’à Gorica où nous tournons à gauche en direction de Povjana, pas tant pour l’intérêt touristique de cette bourgade que pour trouver un camping. Tout n’est pas fermé, maisons, commerces, campings, mais presque. Nous rebroussons chemin, repassons le pont en admirant le paysage et allons à Ražanac où un camping est marqué sur la carte. La porte est ouverte, il n’y a personne et tout le reste est fermé. Nous nous installons près de la sortie de façon à ce qu’une personne qui aurait l’idée de fermer la barrière nous voie. Plus tard, un homme vient, nous dit que c’est ouvert et que tout fonctionne. Nous lui disons que nous n’avons besoin de rien d’autre que d’un emplacement et nous ne le revoyons plus. Nuit calme sous les grands arbres des lieux.


Samedi 14 avril

de Ražanac à Trogir (photos)

Le temps n’a pas eu l’idée de changer pendant la nuit. Le ciel est toujours aussi bas et la mer aussi grise. Il a plu un peu, il tombe des gouttes. Une petite route mène directement de Ražanac à Zadar.

Une fois en ville, nous trouvons une place le long des remparts au niveau du marché. Nous en sommes tellement surpris que nous demandons si le stationnement est bien autorisé, les voitures sont déjà nombreuses, mais il aurait pu être réservé aux habitants de l’intérieur par exemple. Mais non, nous payons et c’est bon. Pour le tour en ville, nous suivons le trajet proposé par le guide. Il fait passer un peu partout dans la vieille ville. Nous passons un moment à l’abri dans l’église Saint-Donat. Cette église ancienne à deux niveaux a un plan parfaitement circulaire. Un groupe de jeunes y fait des travaux qui semblent liés à la géométrie. La mer, parfaitement calme sous les gouttes, a la teinte de l’argent fraîchement nettoyé. L’orgue marin émet des sons plaintifs liés au calme des flots, un bateau de croisière vomit des hordes de touristes, les participants à un concours de pêche sont sagement alignés derrière leurs cannes. Le mauvais temps n’a pas arrêté les habitants. Si l’activité du petit port de plaisance ou de pêche est réduite, nous rencontrons plus de monde autour du marché, un beau marché aux produits frais appétissants.

Vers le sud, le temps continue de se dégrader et c’est bien dommage parce que la route suit la côte. Nous ne nous arrêtons pas beaucoup et arrivons à Trogir sous une pluie battante. Les routes et les rues sont transformées en rivière. Des campings étant indiqués au sud sur la carte, nous passons le pont pour l’île de Čiovo et faisons un demi-tour serré à Gornji Okrug, juste avant que le gabarit de la route nous interdise le passage. Nous nous arrêtons au camping à mi-chemin du pont. Quelques camping-cars, nous ne serons pas gênés par les voisins ! Il n’est pas tard, mais vu le temps qu’il fait, nous nous contentons d’un tour du bord de mer au camping pendant une courte accalmie.


Dimanche 15 avril

de Trogir (Croatie) à Mostar (Bosnie-Herzégovine) (photos)

La journée commence par la visite de Trogir. Nous y sommes passés hier, sans pouvoir visiter. Ce matin, dimanche, nous trouvons une place à la sortie sud du centre et partons à la découverte sous le parapluie. Une bonne partie du marché, juste avant la vieille ville, est en activité. L’aspect touristique de la ville y est perceptible puisqu’à côté des fruits, des légumes et du poisson, les étals décorés de fromage, de miel et de quelques souvenirs sont bilingues allemand et croate. Deux ou trois groupes foulent les pavés mouillés de la ville. Les magasins sont fermés au contraire des principaux monuments. Le ciel reste très sombre. C’est malgré cela une jolie ville qui mérite d’y revenir.

L’étape suivante, pas bien loin, est Split. Dimanche est déjà un atout pour stationner dans le centre d’une grande ville. Ce n’est tout de même pas simple et, après un tour de repérage, nous y arrivons. Le temps n’est pas favorable, mais la ville nous paraît sinistre, avec des containers à poubelles pas vidés, des tags partout et de beaux bâtiments côtoyant des immeubles délabrés. Elle ne donne pas envie d’y rester. En arrivant par un autre quartier un jour de beau temps, nous aurions peut-être un avis différent.

Après Split, la route continue à longer la côte, mais nous la quittons à Omiš pour remonter la vallée de la Cetina. Au départ, la rivière est à la fois large de marécages et prise entre deux grandes falaises calcaires. La route par contre est assez étroite mais sans aucun trafic. Ensuite, elle ne suit plus la rivière de près et passe parfois haut, offrant de beaux points de vue. Nous traversons aussi quelques villages. La végétation a déjà repris. La route est signalée comme pittoresque sur la carte, non sans raison. À la jonction avec la route principale qui vient de la côte, un belvédère permet d’admirer la vallée dans son axe. La route principale monte dans la montagne en direction de la Bosnie-Herzégovine, nous prenons à droite, vers Mostar. Les virages se suivent sans interruption, la circulation est faible et presque exclusivement bosniaque. Arrêt à la frontière pour entrer en Bosnie-Herzégovine, pas pour sortir de Croatie. Les douaniers bosniaques veulent visiter, juste pour voir, pas pour contrôler, il ne doit pas passer beaucoup de camping-cars à ce poste. La suite de la route est assez désolée et les villages semblent moins développés que chez les voisins croates. Le paysage serait plaisant si le temps était plus clément.

Mostar se trouve dans la vallée, bien sûr puisque nous y allons pour voir le fameux pont. La route descend donc sur la ville qui ne semble pas particulièrement intéressante. Nous suivons des panneaux indicateurs, d’abord de grandes avenues, puis des rues et cela se termine bizarrement. Ne sachant pas à quelle distance nous sommes du but, nous passons un parking, la rue fait deux voies mais l’une d’elle est prise par des voitures garées. Puis elle devient trop petite pour le stationnement. Nous sommes trop près ! Le retour se fait en marche arrière jusqu’au parking. Nous y prenons place. Le préposé vient, ainsi qu’un autre homme, et tous les deux, en allemand, nous disent de ne pas nous garer là, qu’il y a un autre parking un peu plus loin, qu’il est très bien… Allons voir. C’est un parking fermé et privé. Nous pouvons y passer la nuit si nous voulons, il y a de l’eau et de l’électricité. Bref, on attend les touristes, d’ailleurs c’est assez cher. Mais ne traînons pas, il ne tombe pas une goutte, le ciel est un peu plus clair, il faut en profiter pour aller au pont. Nous y allons à pied par la rue que nous venons de prendre en marche avant puis arrière. Peu après l’endroit où nous avons rebroussé chemin commencent les magasins de souvenirs et les cafés-restaurants. Ils occupent toutes les maisons. Nous allons jusqu’au pont. Sur la droite, en amont, voyant comme une petite plage au bord de la Neretva, nous descendons pour avoir une vue du pont d’en-bas. Ce pont, unissant des quartiers croates catholiques et des quartiers bosniaques musulmans, était un symbole, un pont au sens propre et au sens figuré. Il a été détruit pendant la guerre, en 1993, et reconstruit en 2004. Il s’appelle Vieux pont (Stari most) mais celui que nous regardons n’a pas dix ans. Le lieu est très couru, des groupes entiers, de toutes nationalités, viennent le passer, ce qui explique le nombre de magasins. Le pont actuel a été reconstruit comme l’ancien, en dos d’âne prononcé avec une tour. Sur la rive droite, nous allons jusqu’à la mosquée dont le jardin est comme suspendu au-dessus de la rivière et d’où nous voyons le pont et les nuages noirs d’un orage qui se prépare. Il est temps de rentrer. Les premières grosses gouttes tombent au moment où nous repassons le pont. Nous pressons le pas, sous le parapluie, mais l’orage est plus rapide et des trombes d’eau s’abattent dès le passage du dernier magasin. Nous sommes tout près de la voiture, une bonne couche d’eau recouvre déjà le sol, nous ne sommes pas trop touchés. Que faire ? N’ayant aucune envie de payer le parking pour la nuit, nous partons en chercher un autre.

Pour cela, nous prenons la route de Sarajevo et, en sortant de la ville, un grand parking vide sous des rangées de platanes semble nous attendre. Sa surface n’est ni plane ni tout à fait horizontale, mais au milieu des flaques d’eau, en prenant quatre places, nous trouvons ce qui nous convient. Le seul souci est l’intensité du trafic sur cette route principale, heureusement un peu couvert par le bruit de la pluie !


Lundi 16 avril

de Mostar (Bosnie-Herzégovine) à Risan (Monténégro) (photos)

Contrairement à la pluie, le trafic a complètement cessé pendant la nuit. Il a repris tôt. À 7 h du matin, deux voitures sont déjà garées, comme il faut, en épi. Placés comme nous le sommes, si beaucoup se garaient en épi, nous pourrions être coincés, je déménage donc pour la première place mais en épi. Pendant un court instant, le soleil transparaît un peu derrière le manteau gris de nuages épais, l’éclaircie permet de constater que nous sommes presque entourés de montagnes et que les plus lointaines en direction de Sarajevo sont bien blanches.

Prêts à 8 h moins 10, nous partons vers le sud. Il pleut à torrent. À quelques kilomètres, bifurcation pour Blagaj où le guide indique des visites. Il pleut fort, comment pourrions-nous aller voir ? De plus, il est un peu tôt. Demi-tour et, de nouveau, cap au sud. La rivière a une belle couleur verte et semble avoir pas mal de puissance. Arrêt à Počitelj où la météo est plus clémente puisqu’il pleut, tout simplement. C’est un petit, tout petit village, perché sur le flanc de la colline, sur la rive gauche de la Neretva. Dominées par son château fort au donjon massif, une mosquée, une médersa et quelques maisons en pierre entre lesquelles serpentent des escaliers que la pluie rend glissants. Ici, quelques passants, alors que les autres villages étaient déserts, le changement de régime de la pluie doit en être responsable. Malgré des lointains absents, cachés derrière leurs rideaux de pluie et de nuages, la vue d’en haut laisse voir tous les dômes et le minaret sur fond de rivière turquoise et d’arbres aux feuilles naissantes. Les autres villages ne présentent guère d’intérêt, souvent de belles maisons récentes.

Déjà, avant la frontière, la vallée s’est élargie. Présentation des papiers, sans plus, nous sommes sur la route principale où les touristes sont plus fréquents et, de plus, nous sommes de retour en Croatie. La route s’élève haut au-dessus de la vallée, devenue ici une plaine, nous regrettons de ne pas pouvoir jouir de la vue qui doit s’offrir ici par temps normal. Nous sommes en route pour Dubrovnik, là-bas, vers le sud, là où c’est le plus sombre, encore plus foncé qu’ici, nous avons l’impression d’être le soir !

L’arrivée par un grand pont suspendu est impressionnante même si l’on ne voit que la baie et pas du tout la vieille ville. À partir de là ou presque, recherche d’un stationnement. La descente en ville est interdite aux camping-cars, les demi-tours hasardeux, l’un d’eux nous fait revenir au pont suspendu, quatre kilomètres en arrière ! Au premier passage, j’avais repéré une rue et peut-être de la place. Effectivement, mais le parking est privé. Un peu plus loin dans la même rue, deux places consécutives libres, de quoi entrer en avant sans manœuvrer et prendre les deux. Je vais à la borne pour payer, les nuages sont toujours là, mais il fait beaucoup plus clair et il ne tombe que quelques gouttes. Vite, quelques pièces dans la machine, le bouton vert, le ticket et là… je vois, tout en bas de la borne, un bel autocollant représentant un camping-car au-dessous d’un non moins bel autocollant d’interdiction d’arrêt ! Et pourtant, rien ne l’indiquait dans la rue. Une décision rapide à prendre, nous restons. Ensuite, tout doit aller vite, visite comprise. Le temps nous est favorable, nous n’avons même pas à ouvrir notre parapluie malgré quelques gouttes, par contre le guide reste enfermé dans le sac à dos. Rapide descente entre les gouttes et les voitures, escaliers et nous voici devant la porte au milieu de groupes de français. L’ensemble est absolument superbe et mérite bien plus de temps, dommage. Il suffira de revenir. Pour l’instant, c’est le moment de rentrer, la pluie reprend et nous retrouvons très vite le mauvais temps crépusculaire que nous avions en arrivant, montagnes coupées par les nuages, le bas à peine perceptible à cause de la pluie, mer dans les mêmes teintes, aucun horizon.

Que faire ? Rouler, aller au supermarché… Rouler signifie remonter des petits torrents dans les montées, en descendre dans les descentes, traverser des lacs en terrain plat. Petits pour dire que la couche d’eau est de un à deux centimètres pour les torrents, plus pour les lacs. La largeur des torrents et celle des lacs est d’au moins une voie, le plus souvent celle de la route, parfois plus, c’est spectaculaire mais lassant, nous ne sommes pas venus ici pour cela. Pour les parkings de supermarché, on peut se livrer à une expérience intéressante : y mettre de l’eau, pas mal d’eau, et vérifier qu’il est bien horizontal au fait que l’épaisseur de la couche est uniforme. Dernier point, et non des moindres, prendre la ou les places qui optimiseront le trajet de retour avec la charge. Bref, il faut se contenter de que l’on a.

Nous avançons. Le passage au Monténégro ne change pas la situation. Dommage là aussi : le fond du fjord de Kotor par ce temps, un désastre. Au large de Perast, l’îlot Saint-Georges (Sveti Đorđe) et surtout la couleur incongrue dans cette grisaille des toits bleu clair de l’église Notre-Dame-des-Rochers (Gospa od Skrpjela) de l’îlot voisin émergent à grand-peine. La route croise un fleuve de moins de cent mètres de longueur mais au débit fantastique et effrayant, une source d’une puissance inimaginable, Sopot, que les pluies intenses ont renforcée. Une accalmie marque l’arrivée à Risan et un parking un peu au-dessus de la mer, sur la route du monastère Banja, semble nous attendre. Le temps est si sec que nous pouvons envisager d’aller chercher du matériel, la carte d’Albanie par exemple, dans le coffre extérieur. Cela fait du bien, c’est hélas de courte durée puisqu’après une heure et demie d’arrêt, la pluie reprend. Intense, elle est bientôt accompagnée de rafales qui bousculent le camping-car bien que nous soyons un peu abrités par le cap du monastère. Décision est prise d’aller nous abriter du vent dans le village. C’est entre deux palmiers d’une longue rangée, devant un parc, que nous trouvons refuge. Il ne change rien à l’intensité de la pluie mais contre le vent, c’est bien. Une nouvelle accalmie dans le débit de pluie autorise une sortie, nous visitons le petit supermarché. Le nombre de produits et denrées proposés à la vente est impressionnant. L’unité monétaire étant ici l’euro, les comparaisons sont simples, l’entrecôte de bœuf est à 4,59 euros le kilo… Le personnel est surpris mais les échanges restent hélas limités. Retour chez nous. La nuit est ponctuée de pluies violentes, le ramassage des poubelles se fait à 23 h.


Mardi 17 avril

de Risan (Monténégro) à Shkodër (Albanie) (photos)

La situation météorologique ne s’est pas améliorée. Sous une pluie battante, passage à Perast, la ville la plus proche des deux îles dont celle de l’église aux toits bleu turquoise. Au large de Kotor, un bateau de croisière, les passagers doivent être déçus d’en voir encore moins que nous. Au lieu de poursuivre sur la grande route, nous rejoignons l’arrivée du ferry qui évite tous les bras du fjord et dont nous avons vu l’autre embarcadère hier par la petite route de Prčan. Aucune circulation, heureusement parce qu’elle suit la mer à une altitude comprise entre 50 cm et 2 m, sans parapet, et qu’elle fait à peine plus d’une voie de largeur. Tout est fermé et pas mal de maisons sont en vente, des anciennes comme des neuves. Il faut reconnaître qu’à part le pittoresque des lieux (arrosés aujourd’hui), il n’y a pas de place. Sur la gauche, presque tout le long, la montagne commence dès l’arrière des maisons et, sur la droite, la mer certes, mais sans un centimètre de plage. L’arrivée du ferry marque le début de la grande route.

La côte est sans doute belle, mais partout on bétonne et à bien des endroits, des constructions inachevées sont abandonnées. La route suit approximativement la côte jusqu’à Ucinj. Là, je savais qu’il fallait prendre à gauche ce que nous faisons à juste titre bien qu’aucun panneau n’indique l’Albanie, tout au plus quelques villages. Le plus surprenant, après toutes les grandes routes que nous venons de prendre, est de se retrouver sur une toute petite route qui serpente entre des petits champs et donne l’impression qu’elle va se terminer au village suivant. Pas mal de circulation, mais ni poids lourd ni bus dont le croisement aurait posé problème. Eh bien non, elle ne finit pas et d’ailleurs elle n’en finit pas ! Sur la fin, de grands travaux annoncent sa mise au gabarit du reste du réseau.

Et tout à coup, nous tombons sur la frontière. Arrêt au poste de police albanais, passeports, papiers du véhicule, le temps de rentrer tout cela dans l’ordinateur, un coup de tampon et c’est bon. Arrêt à la douane : le douanier, couché dans sa cabine, fait signe de passer sans se lever ! Voilà comment on se retrouve sur la route de Shkodër et là, fait extraordinaire pour nous, le ciel se dégage, du bleu apparaît, le soleil sort et les nuages régressent petit à petit. Il semblerait que le nombre de petits et grands restaurants le long de la route soit encore plus important ici qu’au Monténégro. Le soleil illumine les champs inondés et les rivières qui débordent, le mauvais temps n’a pas épargné cette région. Sur la fin, la route suit le Drin, très imposant. Après le pont, nous entrons en ville, il suffit de suivre les panneaux qui indiquent le centre, c’est facile. Cela commence bien mais s’arrête devant un panneau d’interdiction totale due à la réfection de la chaussée, pour dire, personne ne peut le contourner. Il ne nous reste plus qu’à improviser au jugé, une avenue sur la droite, une rue à gauche, toutes bien animées en passants, boutiques et voitures. Nous arrivons sur une place. Notre première préoccupation est de trouver un distributeur. Ce n’est pas si simple que cela en a l’air quand il faut en même temps surveiller les autres automobilistes, les piétons et l’état de la chaussée. Nous ne savons même pas où nous sommes. Je tourne à droite, continue jusqu’au rond-point suivant, un grand rond-point où des voitures sont arrêtées, un motocycliste discute avec un policier au milieu de la chaussée… Je reprends la même avenue en sens inverse et, un peu plus loin, prends place le long du trottoir, à pied, ce sera plus facile. Nous avons repéré deux grands hôtels, on saura bien nous dire où trouver un distributeur. Ce n’est finalement pas nécessaire : après avoir traversé l’avenue comme nous avons pu, en voici un. Par prudence, nous entrons dans l’établissement pour demander si l’appareil accepte notre carte, bonne idée, la réponse est négative. Le jeune employé qui nous a répondu nous raccompagne à l’extérieur pour en indiquer un autre qui l’acceptera. Nous y allons tout droit. Quatre personnes devant nous, nous allongeons la file d’attente, attente de courte durée, les quatre jeunes femmes étaient ensemble et une seule a effectué une opération. L’agent de sécurité est là, il surveille. Deux choix, l’anglais ou l’albanais, puis la devise, des leks ou des euros. Échec à la première tentative, trop longue selon le message, la carte ressort. Nouvelle tentative sans demande de reçu, acceptée. La carte ressort, pas d’argent. Si, si il vient au moment où nous commencions à nous éloigner. Le vigile qui nous a alertés a compris que nous étions français et parle foot-ball. Nous partons maintenant à la découverte dans quelques rues voisines, pour voir, frappés par l’animation et le nombre de passants alors qu’ils étaient si rares sous les trombes d’eau des pays traversés. Ajoutés aux immeubles peints de couleurs vives, à la largeur des avenues et la verdure, cela donne un ensemble agréable. Des magasins de tout, tous spécialisés, ce qui tend à disparaître chez nous au profit des hypers en tous genres, rendent la ville vivante. Finalement, nous sommes en plein centre. Courte halte dans un cyberespace pour consulter la météo des jours à venir, plutôt pires, la boîte aux lettres et les comptes qui bloquent parce que je rate le mot de passe sur ce clavier étrange, en partie effacé et peu éclairé, et nous continuons.

Il n’y pas vraiment de site touristique, mais cette balade ensoleillée nous fait du bien. En fait, le site touristique se trouve à la marge de la ville vers le sud, il s’agit de la forteresse Rozafa, sur la gauche en sortant. Je rate la rue et dois aller tourner au rond-point suivant. Là, les choses ne se passent pas de la façon habituelle. Je m’engage mais manifestement, ceux qui viennent de droite passent. Je n’ai compris qu’après : j’avais un panneau triangulaire blanc bordé de rouge (monté correctement, pointe en bas), les autres non, mais évidemment on ne le sait pas ! Heureusement, la conduite n’est pas agressive et laisse une large place à l’improvisation. Aucune difficulté pour trouver la citadelle. Au bout de la route, un petit parking de trois places dont deux sont occupées par des minibus. Je manœuvre pour me mettre dans le sens du départ tandis que les chauffeurs viennent et celui qui parle anglais explique qu’en prenant la rampe pavée, on trouve un parking très bien. De fait. Il a juste oublié de préciser qu’il est privé et payant. Le maître des lieux ou son représentant, parle allemand, nous allons pouvoir comprendre et nous entendre. Le tarif affiché en gros caractères sur son échoppe donne 100 leks (environ 0,70 euro), il demande un euro de l’heure. Nous pouvons y passer la nuit, pour cinq euros. Je lui dis que c’est cher mais il me parle de toutes les villes où il a travaillé en Allemagne, la liste est longue et il répète sans arrêt qu’il n’y a aucun problème, que c’est tranquille, qu’il ferme la grille le soir, etc. Sur ce, sans conclusion, nous partons à l’exploration de la citadelle. Vaste, occupant tout le sommet d’une colline, elle est un amoncellement de constructions des occupants successifs du lieu et ils ont été nombreux. Hormis les remparts extérieurs, les restes ne sont pas significatifs, de grands espaces sont couverts d’herbe où paissent des moutons. Le plus intéressant à nos yeux est la vue qu’offre cette position stratégique : au sud, le confluent du Drin et de la rivière d’écoulement du lac de Shkodër, à l’ouest, le lac lui-même, au nord, la ville et, à l’est, avant les montagnes, une plaine cultivée. Tout cela, avec le beau temps retrouvé, vaut le déplacement. Nous traînons un peu, admirant les asphodèles et d’autres fleurs qui leur ressemblent si l’on excepte leur belle couleur jaune d’or. À la redescente, au lieu de nous arrêter au parking, nous continuons pour aller sur la colline suivante. Des pavillons, des jardins potagers, un chemin plus qu’une route et partout ailleurs, des ordures, des bouteilles en plastique et des myriades de sacs en plastique que le vent a accrochés aux buissons…

Retour au camping. Le gardien est avec deux copains et le liquide incolore de leur verre n’est pas de l’eau, l’allemand lui vient moins bien. Je marchande la nuit à 500 (environ trois euros cinquante) aussitôt acceptés. Il demande 100 de plus pour le parking et je lui explique que c’est dans les 500, accepté. Il a dû se dire que 500 de raki en plus ce n’était pas si mal ! Nous rentrons chez nous et eux continuent leur activité. Plus tard, ses copains partis, il sort du kiosque. Il a un peu de mal à garder le cap mais prend sa Mercedes et part, la voiture doit connaître la route. Nous ne le reverrons que le lendemain. Nuit sans problème.


Mercredi 18 avril

de Shkodër à Korçë (photos)

Ce matin, départ tôt. Le gardien a retrouvé un débit de parole normal, la Mercedes est là et le portail avait été fermé, tout va bien, au revoir donc. Les prévisions météo nous ont fait opter pour l’est et le sud-est. Le ciel est cependant bien gris et ce choix est un choix par défaut, c’est pire dans le reste du pays. Après avoir fait bien attention au rond-point, nous prenons la route de Tiranë. Elle est importante et l’activité matinale est intense, la journée albanaise commence tôt aussi. Voilà le cinquième pays de notre route à avoir massivement investi dans les panneaux de limitation de vitesse et pas du tout dans ceux de fin de limite. La route est facile, la chaussée est excellente mais le moindre petit carrefour est limité à 60, les virages à 50, etc. Les contrôles radar sont très fréquents, on en est heureusement prévenu par des appels de phare bien connus. Aujourd’hui, nous avons un souci, un bruit jusque là peu perceptible augmente. Aucun des indicateurs du tableau de bord ne signale d’anomalie, il va toutefois falloir s’en occuper. En attendant, regardons le paysage : des cultures, beaucoup de verdure, des villages aux maisons récentes colorées le rendent plaisant. À un moment, la route se transforme en autoroute et la vitesse maximale autorisée passe de 80 à 100. Au lieu d’autoroute, je devrais dire route à voies séparées car rien ne change, seuls les animaux sont interdits. Et puis, il y a la traversée des villes, le passage des ponts. Dans une grande ligne droite, des policiers me font signe d’arrêter, clignotant à droite, freinage, pour rien, ils me font signe de continuer et de rouler doucement, je ne dépassais pourtant pas la limite. Ils répètent exactement leur procédé avec le minibus qui suit et que je regarde dans le rétroviseur.

L’un des deux faits surprenants de cette partie du trajet est la présence de boucheries. Les plus simples sont constituées d’un table et de trois morceaux de bois de deux mètres, deux plantés à la verticale de part de d’autre de la table, le troisième à l’horizontale en haut des deux premiers pour y accrocher les pièces de viande, des quartiers de mouton frais. À l’approche de la capitale, les boucheries deviennent plus sophistiquées, la viande n’est plus en plein air mais dans une petite échoppe aux murs en matériau transparent.

Notre second sujet d’étonnement à l’approche de la capitale est de constater que la route rétrécit, passant à deux voies et donnant l’impression d’arriver dans une petite ville industrieuse avec ses maisons plus resserrées, son trafic de transports en tous genres, ses petites et moyennes entreprises et un grand nombre de personnes qui vont en tous sens. Nous en arrivons à nous demander si nous ne sommes pas en train de faire fausse route. Pas d’immeuble en vue, même de ces vieux immeubles laids de la période précédente. Mais non ! Tout à coup, nous tombons sur un immense rond-point sous une autoroute dont la direction, à gauche, est celle de Tiranë. À nouveau, ce n’est pas une réelle autoroute. Elle n’est pas longue, nous voici en ville. Notre intention étant d’y revenir dans quelques jours, après notre tour dans le sud-est, nous n’y sommes pas pour visiter, juste voir au passage. La circulation est facile, les avenues sont larges. La grisaille ne nous fait pas regretter notre choix d’autant plus que le peu que nous voyons nous conforte dans l’idée d’y revenir. Si l’arrivée au centre n’a posé aucun problème, en sortir s’avère plus délicat. Pas la moindre indication. Une seule solution, demander. Les policiers sont nombreux, repérables de loin à leur gilet jaune fluo et leur képi assorti, ils deviennent des étapes obligées. Il suffit de connaître le nom de la prochaine grande ville de la route avec la prononciation locale, pour nous Elbasan (dire « elbassane »). Cela fonctionne, bien même, à une condition, comprendre la réponse ! Nous nous contentons du geste d’accompagnement. Premier essai : tout droit, il est bien question de feux tricolores (« semaforo »), mais quoi exactement ? Mystère. Tout droit dans un mur ! Vite, à droite ou à gauche ? À gauche. Dans quoi nous sommes-nous embarqués ? C’est tout petit et plein de voitures. Heureusement, ça passe, un peu juste, et nous en ressortons sur une avenue de deux fois trois voies dont les sens sont séparés par une petite rivière. Toujours aucune indication, mais le policier interrogé nous indique clairement de faire demi-tour. Où ? Au pont suivant bien sûr. Je suis deux voitures, complètement à gauche de la chaussée, avant de m’apercevoir que le pont n’est pas à sens unique ! Cela n’émeut personne, et puis, le pont est large d’au moins quatre voies, il reste de la place. Sur l’autre rive, ce n’est pas mieux puisqu’il n’y a toujours pas d’indication. Nouvel arrêt à la hauteur d’un policier et, de nouveau, aucune erreur d’interprétation sur son geste : demi-tour. Qui a raison ? Les trois peut-être, la sortie doit se trouver entre. La recherche porte maintenant sur LA rue qui part à droite. Nous remontons lentement pour découvrir une rue, sans indication. Je m’arrête près d’un taxi, en double file donc et demande au chauffeur « Elbasan? ». Réponse positive, c’est parti !

Nouvelle interrogation à la sortie de la ville. Elbasan est indiquée à l’avance, enfin, mais le rond-point comporte plus de sorties qu’il n’y en avait sur le panneau et les indications ne sont pas reprises sur le rond-point. Je m’arrête sur le rond-point, sors de la voiture et en attend une autre. C’est bon. La route, étroite et sinueuse, s’élève rapidement dans les nuages, c’est dommage parce que les montagnes semblent avoir fière allure et les rochers des formes peu communes. Nous avions commencé à l’entrevoir, mais, ici, nous en profitons pleinement : chaque virage, chaque espace libre, chaque creux… est une décharge, à défaut de voir au loin, nous regardons près. La redescente est superbe, toujours selon ce que nous en voyons, au milieu d’oliveraies aux souches âgées, noueuses, crevassées comme savent si bien le faire les oliviers. C’est la zone des kiosques des marchands d’olives, d’huile d’olive, de figues séchées et de miel.

Rapidement, nous nous retrouvons en bas puis à Elbasan. Peu après l’entrée dans la zone industrielle qui précède la ville, un grand panneau publicitaire intitulé Mercedes Truck Services (sans doute de l’albanais d’importation, comme chez nous) attire notre attention. Et si nous y allions ? Nous n’avons pas un Mercedes, ce n’est pas un camion, mais on trouve souvent dans les garages poids lourds des gens bien informés et bons techniciens. Demi-tour, nous ne sommes plus à cela près. À l’accueil, l’anglais est timide, mais suffisant et souriant, il faut aller voir à l’atelier, je m’en doutais ! À l’atelier, l’entrée d’un piéton surprend et quelqu’un s’approche, sans doute le chef qui me demande si je parle anglais, je dois vraiment avoir l’air exotique. Lui ne le parle pas mais il appelle un jeune qui le parle. Ils viennent à l’extérieur écouter le bruit qui nous inquiète. Ce n’est pas le moteur, nous nous en doutions, c’est derrière, le turbo selon eux. Il serait défectueux mais ne peuvent pas réparer n’ayant pas les pièces et ne pouvant sans doute pas les approvisionner, nous nous en doutions aussi. La question n’est pas tant celle de la réparation que celle de la poursuite du voyage et ce qui se passerait s’il cassait. Ils nous rassurent, parlant de perte de puissance.

Nous continuons donc et réétudierons le trajet ce soir. En attendant, après la traversée d’Elbasan qui ne laisse pas un souvenir impérissable, dans la grisaille et la pluie intermittente, nous remontons la vallée, passons Librazhd et finissons par atteindre Përrenjas. La route est excellente, mais la tristesse du temps rend les paysages moroses.

Descente et découverte du lac d’Ohrid dont nous entrevoyons les rives macédoniennes, de l’autre côté, mais pas les montagnes qu’elles ont pour base. Lin, le premier village au bord de l’eau, est mentionné dans notre guide. Le temps est toujours aussi sombre mais il ne pleut pas, allons prendre l’air. Au carrefour, un enfant vend des poissons, des œufs et des oiseaux aquatiques dont une grèbe, nous ignorions qu’on en mangeât. Le village ne comporte qu’une rue parallèle à la rive, elle est bordée de maisons presque tout le long des deux côtés, des maisons à deux étages ainsi que quelques étables pour un ou deux animaux, deux cafés-restaurants, trois petits magasins, une église et une mosquée. Les sentiers qui descendent vers le lac, tous boueux, débouchent sur une ou deux barques. La mosquée se trouve vers le milieu du village et l’église, un peu plus loin et de l’autre côté, trône au milieu d’un vaste champ d’ordures plutôt bleu, la couleur dominante des sacs plastique. Les passants sont surpris de nous croiser mais ne s’arrêtent pas pour nous dévisager comme c’est fréquemment le cas ailleurs. Un groupe d’enfants se disperse en criant, comme le font les enfants, et des adultes leur font des remontrances sur le bruit qu’ils font, comme le font des adultes. Les échanges se limites à un timide « hello ». Le plus surpris est le tenancier d’un des magasins auquel nous achetons des tomates et du fromage, un fromage entre frais et sec. Nous sommes persuadés que c’est un fromage de brebis mais nous ne réussissons pas à le savoir malgré nos imitations réalistes de bêlements et de meuglements ! Les tomates sont de vraies tomates qui ont dû pousser dans de la terre et croître au soleil, pas les balles rougeâtres de nos supermarchés. Voyant le commerçant écrire les prix sur un papier, nous nous demandons ce qui est si cher. Rien, il compte en anciens leks comme nous avons compté en anciens francs.

De retour au camping-car, nous poursuivons jusqu’à Pogradec. La route est mauvaise, nous devons serpenter comme nous pouvons entre les nids de poule. On vend du poisson, le plus souvent déjà conditionné en petits sachets, mais aussi vivant, en aquarium. Des vendeurs n’hésitent pas à s’avancer vers le milieu de la chaussée en exhibant une carpe ou une anguille. Pogradec, même en faisant abstraction du mauvais temps, ne semble pas présenter d’intérêt, ce qui ne l’empêche pas d’être aussi vivante que les autres villes. Évidemment, aucun panneau ne vient donner la direction de Korçë. Arrêt au niveau d’un chauffeur de taxi qui nous devance en nous demandant « Korçë? ». Étonnant, non ? Il est vrai qu’il n’y a guère d’autre destination possible. Après la montée au-dessus de Pogradec, bien mauvaise par endroits, nous arrivons sur un plateau consacré à des cultures d’arbres fruitiers. Nous avons, ici encore, le regret de ne pas voir les montagnes qui l’entourent. Nous sommes en altitude, la végétation n’a pas encore repris.

À l’arrivée à Korçë, notre idée est d’en faire un rapide tour motorisé pour nous repérer puis de partir pour Voskopojë. La route part vers l’ouest et, comme de bien entendu, nous ne la trouvons pas. Un essai par des petites rues nous amène sur une petite place où la meilleure solution me semble être de faire demi-tour de peur de nous retrouver coincés dans une rue trop étroite avec pour seule perspective celle d’une longue marche arrière. Il semble que nous effectuions la manœuvre devant le quartier général de la police. Plusieurs personnes en sortent. Je demande « Voskopojë? ». Mon interlocuteur a l’air embêté, cela doit être compliqué, du coup il propose de nous guider, lui devant dans sa voiture. Cela commence par un second demi-tour sur la même place ce qui prouve que nous n’étions pas si mal partis ! Une rue à gauche, une autre à droite et nous croisons un fourgon de police que notre guide arrête. Ils parlent et finalement notre guide nous dit de suivre le fourgon bleu. Nouveau regret : les gyrophares sont éteints. Notre course au travers de rues et de ruelles s’arrête sur un rond-point, le fourgon s’est arrêté sur la droite et il nous fait signe de venir sur sa gauche. Nous bloquerions tout le trafic s’il y en avait. Un policier descend, montre la route à prendre, adieux. Nous aurions vraiment eu du mal à trouver et comprenons maintenant les hésitations du premier guide à se lancer dans des explications, mais quelle serviabilité ! Rien d’autre qu’un grand geste de la main pour les remercier !

La route est mauvaise, truffée de nids de poule pleins d’eau. À Turan, un pont sur la rivière est limité à 24 tonnes mais des camions énormes chargés de rochers le franchissent. C’est là que nous trouvons le premier panneau indiquant Voskopojë, à dix kilomètres. Nous quittons ensuite la plaine et ses arbres fruitiers pour entamer la montée, Voskopojë est indiqué à huit kilomètres. La route est toute neuve. Dans la vallée, sur la droite, une rivière descend en cascades d’un village perché, l’une d’elles se sépare en deux, c’est déjà beau par ce temps. Nous arrivons sans encombre à Voskopojë où la belle route s’arrête, se séparant sur la place en rues boueuses en partie pavées. Un grand panneau en albanais et en anglais, avec un plan très bien fait, donne la localisation des nombreux églises et monastères voisins. Un autre donne des éléments de description de certains. Nous sommes à environ 1 200 m d’altitude, l’air est frais et le vent vif, un bonnet s’impose pour les sorties. Allons à Saint-Nicolas. Évidemment à l’heure qu’il est, il serait surprenant qu’elle soit ouverte. Nous nous contentons de ce qu’il est possible de voir de la rue d’où quelques peintures sont visibles. Il en est de même à Sainte-Marie. Pour Saint-Anastase, c’est un peu différent : le périmètre de l’église étant le cimetière « en activité » du bourg, sa porte est ouverte ce qui permet d’atteindre l’église et de voir toutes ses peintures extérieures de près ; la plupart sont très fines et un peu endommagées. Nous y passons plus de temps qu’aux précédentes. L’église elle-même est fermée, mais une vitre cassée sur son mur ouest laisse pénétrer le regard à défaut d’assez de lumière. Avec ce ciel chargé, le soir vient vite et la question du moment est de savoir si nous restons là, garés sur la place centrale devant la poste, pour la nuit. Après des hésitations, c’est oui et je cale le camping-car pour la nuit. Un peu plus tard, retour sur notre décision parce que deux jeunes adolescents viennent frapper à la fenêtre et nous interpeller, pas méchamment et très certainement sans arrière-pensée, juste pour nous saluer, pour s’amuser aussi, mais comme nous ne pouvons rien dire et que leurs connaissances en anglais semblent pour le moins réduites (« What’s your name? »), cela risque de durer ou de recommencer tôt demain matin, le mieux est d’aller chercher ailleurs. C’est délicat parce que les sols détrempés par les fortes pluies n’autorisent aucune sortie de route et que nous n’avons rien vu à l’aller.

Effectivement, nous retournons à Korçë où nous nous dirigeons vers la première station-service pour demander l’autorisation de passer la nuit sur leur parking. C’est non, mais on nous fait comprendre qu’il y a un parking à un kilomètre sur la droite. Nous voyons bien des enclos avec des voitures mais ils ressemblent plus à des cours d’entrepôts qu’à des parkings. Au grand-rond point, l’allée qui mène au cimetière retient un peu notre attention. Un nouveau tour aux « parkings », et nous verrons. Premier, personne, nous ressortons. Second, du monde. Je vais voir et tombe sur un jeune homme qui s’exprime parfaitement en français bien qu’il n’ait fait qu’un court séjour de deux jours à Paris, ses connaissances sont scolaires, belle efficacité de leurs méthodes. Il est de plus tout à fait sympathique et nous explique que nous pouvons rester là, qu’il n’y aura rien à payer et que si nous avons besoin de quelque chose, il nous suffit de demander au gardien, parce qu’en plus, on nous garde ! Seul le cadre n’est pas super : les immeubles sont tout droit sortis des cartons d’un expert du temps de la dictature, c’est laid. Nuit parfaitement calme.

Suite du voyage de 2012

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