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Voyage de 2012

Semaine 3, Albanie et Grèce

Jeudi 19 avril

de Korçë à Këlcyrë (photos)

L’activité reprend tôt, très tôt. À 8 h, tout le monde doit se trouver à son occupation, c’est sans importance puisque nous avons décidé d’aller visiter deux musées, l’un ouvre à 8 h et l’autre une demi-heure plus tard. En ville, stationnement devant la cathédrale et recherche du premier musée, le Musée d’art médiéval, qui doit se trouver derrière la cathédrale. Une nouvelle fois, nous tombons sur un réseau complexe de ruelles et cherchons de l’aide. Des personnes devant une maison semblent assurer une rentrée de maternelle. Aucune ne parle anglais, mais le nom du musée est écrit en albanais dans le guide. De nouveau, une certaine perplexité se dégage. Après quelques minutes d’attente, une jeune maman qui vient de laisser son enfant est mise à contribution par le groupe pour nous y mener. Elle doit parler un peu anglais et un peu français mais n’ose pas. Comment aurions-nous fait dans ce dédale de ruelles ? Elle repart aussi discrètement qu’elle était arrivée. Le musée se trouve dans le même bâtiment qu’une église orthodoxe. La porte est ouverte mais il n’y a pas âme qui vive et pas de lumière. L’attente est de courte durée, la responsable arrive. Elle parle anglais couramment et nous explique le musée, ses collections, ses choix et sa logique d’exposition, puis nous laisse visiter. Les nombreuses peintures sur bois dont plusieurs très anciennes en font le musée le plus riche d’Albanie dans son domaine. Avant de la quitter, nous lui demandons comment nous rendre au Musée d’archéologie. Elle l’explique tout en nous informant de sa fermeture exceptionnelle aujourd’hui.

C’est ainsi que nous retournons en ville voir ce qui s’y vend et ce qui s’y fait. La grande majorité des personnes sont des hommes, cela ne nous avait pas frappés à Shkodër mais, en y réfléchissant, ce devait déjà être le cas. Quelle peut bien être l’organisation de cette société où les hommes sont dans la rue à palabrer et où les femmes sont invisibles ? Ce ne sont sans doute pas tous les hommes et il se trouve des femmes aussi, mais c’est étrange. On ne rencontre pas non plus toutes les tranches d’âge. La société est jeune, mais les jeunes sont à l’école ou étudient, plus âgés ils travaillent sans doute. Ceux que l’on croise sont des hommes murs mais pas âgés. Les jeunes femmes revêtent les tenues moulantes à la mode universelle à part trois jeunes portant des hijab aux couleurs vives vues à Shkodër. Les personnes ne sont pas les mêmes selon les quartiers et les domaines d’activité mais les différences d’apparence sont minimes. L’autre fait marquant est le nombre de personnes, très important sans atteindre les foules asiatiques, il y a du monde partout et en quantité. Près du camping-car, trois ou quatre retraités ont installé des livres et des revues d’occasion le long de la grille d’un jardin et attendent les clients en buvant du raki. Beaucoup, par deux ou trois, se contentent de discuter en se déplaçant ou non.

Vers le marché, l’activité est plus intense. D’un côté se trouvent les denrées alimentaires pour partie dans des espaces couverts et pour partie sous des bâches et d’un autre le reste. Dans la première partie, des fruits, des légumes, ici aussi de belles denrées, en abondance, bien colorées, carottes, oranges, citrons, concombres, salades, courgettes… Cela se poursuit dans l’un des espaces couverts avec du miel, des œufs, du sel, du fromage. Pour aider à se décider, on goûte. Le miel est offert sur une petite spatule en plastique, mais au fait, a-t-il plusieurs spatules ? Le fromage est proposé en fines lamelles à qui veut. Le dernier espace couvert est réservé aux bouchers qui semblent tous proposer les mêmes morceaux de la même viande, du mouton. Belles pièces fraîches ici aussi.

En face, de l’autre côté de la rue, l’animation n’est pas moindre, pour une autre raison puisque c’est la gare routière où bus et minibus attendent les passagers et l’heure de départ. Je vais en voir un qui affiche Leskovik. J’aimerais savoir quel est l’état de la route, celle que nous allons prendre. Le chauffeur ne parle pas anglais. Comme il descend de son véhicule, je lui montre la chaussée, lui dit Leskovik et fait quelques gestes pour me faire comprendre, bien plat, des vagues avec la main. Je déduis de cette « conversation » singulière que ce ne devrait pas être mauvais mais sans doute un peu varié par endroits. Au retour, nous prenons deux pains dans un petit magasin, l’un d’eux sera très bon si nous en croyons les gestes de la commerçante, et deux côtes de veau chez un boucher (environ quatre euros). Pour terminer, visite de la cathédrale orthodoxe toute récente, elle a moins de vingt-cinq ans, et en route !

Comme les stations-service sont omniprésentes le long des routes, nous ne prenons même pas la précaution de faire le plein avant de quitter la ville. Depuis le matin, le soleil joue à cache-cache avec les nuages, quel changement ! Nous apprécions mieux les paysages et, bien que du côté des montagnes la vue soit encore réduite, nous réussissons à en voir, complètement enneigées. D’ailleurs, c’est un peu un souci puisque nous devons passer un col à près de 1 800 m d’altitude. La route monte, après les arbres fruitiers, le paysage devient aride. Elle est très sinueuse, juste assez large pour croiser, peu importe, le trafic est plus que réduit. Les pentes sont fortes. L’état de la chaussée est bon, il convient juste d’être attentif. Les rares routes de villages que nous voyons arriver à droite ou à gauche sont en terre ou empierrées. Le trajet est une suite de montées et de descentes fortes plus ou moins longues. Dans les vallées reparaissent les plantations d’arbres fruitiers. Les montagnes sont sauvages. À un moment, nous nous serions crus en Lozère, sur le Moure d’Allenc, à la sortie de l’hiver quand viennent les bouquets de primevères. Une autre fois, sur un causse en pente. Et à bien d’autres endroits, nous étions en Albanie avec ses propres paysages. Nous changeons de vallée sans arrêt. La couverture nuageuse puis la pluie retrouvées rendent l’orientation difficile, la précision de la carte n’est pas suffisante pour se retrouver entre ces montagnes, de plus, la route est vraiment très sinueuse. Elle mériterait d’être parcourue par beau temps. Nous sommes le plus souvent en pleine nature. Les villages et les villes sont plutôt rares, il n’empêche que trouver la sortie dans l’une d’elles nous oblige à demander à deux reprises. Les montagnes que nous devinons sur la gauche pendant la première partie du trajet marquent la frontière avec la Grèce.

Nous bifurquons ensuite vers le nord-ouest, suivant la vallée de la Vjosë, puissant fleuve grossi des pluies de ces derniers temps. La première ville, Përmet, arrive et il était temps parce que la jauge de carburant donne des signes d’un assoiffement imminent du camping-car. Dès à présent, nous commençons aussi à regarder les emplacements pour la nuit. Nous passons Përmet dont le centre se trouve sur la rive gauche. Plus loin, un espace sur le côté d’un embranchement, plat, empierré, la vue est assez jolie mais avec le temps qu’il fait, il est trop exposé, dommage.

C’est ainsi que nous arrivons à Këlcyrë, une petite ville sans charme avec ses immeubles datant de la dictature, ses maisons inachevées, son centre sans attrait mais coloré, ses rues défoncées, ses ordures et son temps gris. Le tableau serait sinistre si nous n’étions à l’entrée de la gorge taillée par le fleuve, les deux rives sont de hautes montagnes abruptes à l’extrémité ouest de la ville alors qu’à l’autre bout, la ville s’avance vers la plaine aux arbres fruitiers à peine sortis de leur léthargie hivernale. Il serait sinistre aussi si nous ne mentionnions pas l’activité qui y règne, il y a du monde partout. Après avoir repéré un endroit où dormir, pas des plus propres mais bien à l’abri en ville, nous remontons la rue principale pour aller à l’un des trois ou quatre locaux portant l’enseigne « Internet ». Ils ne reçoivent aucun signal de leur satellite. Nous comptions chercher un garage Fiat dans le nord-ouest de la Grèce, nous demanderons donc par SMS aux enfants de chercher pour nous. Le soir, aucun message ni appel ne passe. Il semble que tout le réseau soit coupé, ce n’est sans doute pas la faute du satellite mais plutôt l’antenne relais qui est coupée et les violents orages de la nuit nous laissent penser qu’elle a été fermée à dessein.


Vendredi 20 avril

de Këlcyrë à Butrint (photos)

Les restes des orages sont bien présents : vers 8 h et demie, il fait encore presque nuit tant le ciel est sombre dans la gorge, c’en est surprenant. Ciel noir, nuages accrochés à mi-pente, vallée profonde, fleuve puissant et tumultueux, tel est le décor au départ. La gorge débouche sur une autre vallée, plus large, celle du Drin qui vient mêler ses eaux à celle de la Vjosë.

La situation est l’inverse pour la route, notre route secondaire à l’état variable débouche sur une route importante qui nous conduit rapidement à Gjirokastër. La pluie a cessé et, de temps à autre, un coin de ciel bleu apparaît au-dessus de la ville, nous prenons toutefois le parapluie par prudence. Garés tout en bas, nous remontons l’avenue principale. Dans la vieille ville, plus haut, la foule s’est éclaircie. Rues pavées pas encore sèches, vieilles maisons en pierre aux larges toits, couvertures en pierre, c’est la première fois que nous voyons un quartier ancien et pas seulement une maison isolée. L’ensemble est austère parce que les pierres sont grises et que tout est en pierre, mais il a une cohérence dont émane la pérennité. Le tout est dominé par une citadelle. Encore quelques escaliers et nous y sommes. L’entrée est étrange. Après nous être acquittés du droit, nous pénétrons dans un bastion où l’eau dégouline de partout, conséquence des intempéries ? Un panneau à l’extérieur donnait le plan des lieux, mais l’intérieur est si sombre qu’au lieu de nous diriger en fonction de ce que nous avons retenu, nous le faisons en fonction des lueurs lointaines qui laissent penser à des ouvertures. C’est ainsi que nous partons à droite alors qu’il fallait prendre à gauche et traverser une allée de canons éclairés dirait-on par des veilleuses. Les terrasses du fort qui donnent sur la ville offrent une large vue, le regard porte bien sûr vers la vieille ville, juste en-dessous, et plus loin, sur la ville moderne, la vallée du Drin et la montagne sur les flancs de laquelle la ville est construite. L’intérêt de la citadelle en elle-même est mince. Du côté ouest, une échancrure dans les nuages découvre un beau ciel bleu et laisse passer de furtifs rayons de soleil qui n’arrivent pas à toucher la ville. Sur le flanc est de la vallée, l’orage de la nuit n’est pas terminé, tout est noir et bouché. Selon le vent, la trouée dans les nuages se déplace, rétrécit ou augmente ; l’arrivée du soleil sur la vieille ville est une question de patience. Une fois là, il faut en profiter sur-le-champ, l’éclaircie est si brève ! Nous replongeons dans la partie ancienne de la ville. Le trafic est intense et il y a maintenant du monde partout.

Nos pas nous portent au Musée ethnographique que nous trouvons facilement. Il est installé dans la maison natale d’Enver Hoxha. La porte est ouverte, entrons ! Pas de lumière, une unique pièce avec des objets liés à l’archéologie, qui surprennent, et un escalier. Au bout d’un moment, quelqu’un nous entend et nous invite à monter, l’entrée est au premier. De nouveau, l’accueil est remarquable, la personne présentant en anglais le musée, ses collections, la maison avec son histoire et son organisation puis nous laissant visiter à notre guise. C’est une maison importante qui ne reflète sûrement pas le niveau de vie moyen de Gjirokastër mais donne une bonne idée de celui de la classe aisée. Le premier étage est celui des quartiers d’hiver, plus fermés et mieux isolés que ceux d’été à l’étage supérieur, où l’on peut s’installer confortablement dans des salons avec des ouvertures de trois côtés sur la ville et la rue. Les objets disposés dans les pièces en rendent compte et sont accompagnés d’autres comme des costumes ou des outils.

Seconde visite, celle de la maison d’Ismail Kadare. Elle est indiquée dans la rue principale, nous partons dans sa direction, mais, ne la trouvant pas, une femme âgée tout de noir vêtue à qui nous disons « Kadare? » pose sa charge sur les pavés et nous y amène sans que nous comprenions un mot de son monologue, elle a l’air contente. Les travaux de restauration ne sont pas terminés, aussi la visite est-elle réduite aux murs extérieurs visibles depuis la ruelle. La maison semble grande.

Retour à la rue principale et descente dans la ville moderne où le spectacle ressemble fort à celui des autres villes. Un petit tour au marché, tout couvert de grands plastiques, ne nous laisse voir que la partie des biens de consommation non alimentaire, un grand bazar. À la descente de l’avenue principale, le nombre d’établissements bancaires nous étonne.

Après une pause chez nous, nous reprenons la route, la suite de celle qui nous a conduit ici et qui se poursuit jusqu’à la frontière grecque. L’orage a repris de plus belle sur les montagnes de la rive droite, ciel noir et rideaux de pluie si denses qu’ils masquent le paysage. Sur l’autre versant, si le ciel s’est assombri, il ne pleut pas. La route est un peu la limite entre les deux. Le trafic est maintenant un peu plus important, la majorité des voitures est immatriculée en Grèce mais il doit s’agir presque exclusivement d’Albanais, d’ailleurs certaines d’entre elles n’auraient sans doute pas le droit de circuler en Grèce. LA marque de voitures, minibus, camionnettes prisée par les Albanais est Mercedes. C’est presque exclusif, tous les modèles sont là, depuis des véhicules qui étaient en fin de vie dans leur pays d’origine et retrouvent ici sinon une seconde jeunesse du moins un deuxième ou un troisième… souffle et dont le compteur, s’il fonctionne encore, doit indiquer au moins dix tours de la terre jusqu’aux derniers modèles de tous calibres flambant neufs. Par contre, depuis que nous sommes près de la Grèce, la parc automobile s’est diversifié. Peu avant de quitter cette route - nous ne passons pas en Grèce tout de suite - contrôle policier. On nous fait signe de nous arrêter, ce que nous faisons, bien sûr. Ils arrêtent toutes les voitures dans les deux sens. Ils sont quatre, viennent vers nous et, au lieu de nous demander nos papiers ou ceux du camping-car, disent « What’s your name? », question à laquelle je réponds toujours franchement et que je fais d’ordinaire suivre de « and yours? », mais pas là ! La conversation n’est pas allée bien loin, s’est terminée par une chaleureuse poignée de main et la question « Sarandë? ». « Yes », suivi d’un geste indiquant le changement de route. Sarandë est la station balnéaire la plus méridionale du pays. Aller à la mer à cet endroit nécessite de nouveau le passage d’une chaîne de montagne. Sur son versant est, assez abrupt, les pentes ont la végétation peu fournie et laissent apparaître de longues rides de rocher. De l’autre côté, un couvert forestier vallonné et un ciel moins chargé redonnent des couleurs aux paysages d’autant que les arbres de Judée en pleine floraison égaient le fond vert tendre de leurs vives taches violettes. Dès la fin des montagnes, la traversée de Mesopotam - la Grèce n’est pas loin, les rivières non plus - où les cultures semblent bien organisées et l’irrigation intense marque le début de la plaine. Un peu plus loin, la route suit un camp de Tsiganes. Au milieu de la boue, le plastique fait office de toiture et des planches celui de murs.

Sarandë se trouve en bord de mer, étagée sur un dernier plissement de terrain qui suit la côte sur une grande distance. Les premières images de la ville évoquent le bétonnage rencontré en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro. On y construit des hôtels de plusieurs étages et les constructions neuves prolongent la ville. Trois rues principales, à trois étages différents, relief oblige, traversent la ville. Elles sont reliées entre elles par des escaliers ou des ruelles pentues. Tout du long, des magasins, mais presque personne, contrairement à ce que nous avons observé ailleurs, pas de voiture non plus. La ville semble morte. Le beau temps donnant l’impression de venir de la mer, nous nous arrêtons et marchons le long du front de mer, une jolie promenade bordées de palmiers et de très nombreux cafés et restaurants. La ville occupant le fond d’une grande baie, la promenade en donne un bon aperçu, mais il n’y a toujours personne et le soleil se fait attendre.

Après quelques menus achats, nous partons vers le sud, dans l’intention de visiter le site archéologique de Butrint demain matin. Nous ne trouvons la bonne sortie de ville qu’à la seconde tentative et partons au moment où le soleil daigne enfin illuminer toute la baie et la ville. Après avoir longé une baie profonde, la route suit la côte et offre quelques jolies vues sur l’île de Corfou et le détroit, d’autant plus que le soleil et le ciel bleu revenus ont fait passer la mer du gris à l’azur. L’unique village du trajet, Ksamil, est un surprenant mélange de maisons à tous les stades de la construction sur de petites collines au-dessus d’une baie.

À Butrint la route s’arrête sur un chenal qu’un bac hors d’âge tiré par des câbles permet de traverser, ce sera pour un autre jour. Sur la rive nord du chenal ne se trouvent qu’un hôtel et le site archéologique dont le parking sera notre terrain de camping. Du côté sud, un fort vénitien de forme triangulaire, la petite maison qui abrite le moteur du bac, une autre lui faisant face et dont le rôle reste mystérieux, un marchand de boissons et de quelques denrées installé dans un camion lui-même sans doute durablement établi là et une grande bâtisse un peu plus loin. Entre les deux, des barques et deux ou trois pêcheurs. Le bac fonctionne à la demande. Si un véhicule se présente du côté où il se trouve, il embarque rapidement et, le pilote s’assurant qu’il n’y en a pas d’autre en vue, ils traversent. Si, au contraire, le bac n’est pas du bon côté, les voitures klaxonnent pour se faire remarquer et le héler. Le passage d’une voiture est à cent leks. Il passe aussi des camions, des minibus ou des camionnettes, ce qui n’était pas une évidence en le regardant. Le passage à pied est gratuit. Malgré les appels au klaxon, la nuit promet d’être calme. Le trafic n’est pas intense et il a toutes les chances de baisser voire de s’interrompre. Nous ne saurons le dire, n’ayant rien entendu !


Samedi 21 avril

de Butrint à Qeparo (photos)

Nous voulions nous lever tôt, à l’ouverture du site si possible. Le caissier n’a toutefois pas réussi à nous donner l’heure d’ouverture hier soir. Comme nous sommes juste en face, nous voyons l’ouverture en direct. Le ciel est pur, le soleil luit comme nous l’avons peu vu depuis le départ. Nous y sommes. Le site est vaste et, une fois passé le guichet, la visite est libre. Il comporte des constructions imposantes, un ensemble avec un théâtre dont les gradins sont toujours parfaitement en place, les restes d’une basilique, des restes de murailles ; les pierres, de belles dimensions, sont assemblées comme le montrent des photos de Cuzco. Le tout est construit sur une colline-presqu’île dont le sommet domine la plaine au sud. Les occupants du site ont été nombreux, véritable reflet des maîtres successifs de cette région au cours des deux derniers millénaires. La multiplicité des influences sur les constructions s’en ressent avec, par exemple et comme souvent, la christianisation de lieux de cultes païens antérieurs. Le château qui couronne la colline abrite un petit musée aux objets intéressants. Bilan positif. En plus de toutes ces vieilles pierres, les lieux sont habités par des tortues aquatiques qui plongent si on les approche.

La journée étant loin d’être terminée, nous décidons de remonter la côte, au nord de Sarandë, sans but précis, pas trop loin car la décision a été prise d’être en Grèce lundi matin pour le garage. Retour à Sarandë où nous faisons quelques achats et où nous nous assurons de l’ouverture de la boulangerie demain dimanche. Le début de notre excursion est décevant puisque d’une part la route repasse derrière la montagne et d’autre part elle suit pendant plusieurs kilomètres le lieu de décharge de la ville. Quelques kilomètres plus loin, une échancrure dans la montagne, une route latérale et un panneau indiquant un monastère, la mer… et notre curiosité nous poussent. La chaussée est excellente et les pentes redoutables. Un col, nous redescendons, apercevant déjà une crique dont la couleur bleue est assombrie par les deux montagnes abruptes qui l’enserrent. Une barrière enfin, comme un portail de jardin en plus large, barre la route. Était-ce un ancien terrain militaire ? Aucun baraquement n’est visible. Cela s’arrête là, un mauvais chemin de terre sur la droite mène au monastère. Il n’y a pas âme qui vive, pas de bruit, juste une forêt dense de toutes les nuances de vert qu’invente le printemps.

Il ne reste plus qu’à rebrousser chemin jusqu’à la route principale. Elle rejoint le rivage plus loin et surprend par les différences d’altitudes auxquelles elle passe : certains villages sont perchés haut et d’autres sont établis en bord de mer. Les parties cultivées sont consacrées à l’olivier, de vieux oliviers dont les troncs noueux sont souvent percés de chas gros comme deux poings. Le reste est dévolu à l’élevage d’ovins et de bovins, ces derniers libres d’aller comme bon leur semble, les premiers étant gardés. La région n’est pas densément peuplée et hors des villages, le pays paraît vide. En fait, si l’on s’arrête, on entend parler, on voit des troupeaux. Il serait sans doute faux de dire qu’il y a du monde partout, mais il ne doit pas y avoir beaucoup d’endroit sans personne. Nous remontons ainsi la côte jusqu’à Himarë. Il n’est pas tard, mais nous ne souhaitons pas aller loin dans la mesure où il nous faut revenir par la même route et où nous aimerions nous arrêter tôt.

Pour revenir, nous traînons à la recherche d’un espace horizontal bien placé dans un périmètre où ils ne sont pas légion. Nous traînons aussi parce que le paysage est joli avec toutes les perspectives qu’il offre sur la mer. Nous n’avons pas eu la chance d’avoir du si beau temps depuis si longtemps que nous avions presque oublié. Tout à coup, en haut d’une côte et avant d’entreprendre de redescendre sur l’autre versant, comme un col entre deux baies et un peu d’herbe à plat. Notre arrivée affole un troupeau de jeunes veaux, le berger y remet de l’ordre. Un peu de repos, le temps de faire le point et de planifier notre programme pour les jours suivants et voilà que, petit à petit, arrive le reste du troupeau. Les taureaux, bien que jeunes, sont excités et cherchent querelle. Il n’est pas impossible que notre présence en soit la cause. Quoiqu’il en soit, il n’est plus question d’aller faire une balade et pour la nuit, ce sera ailleurs. Un ailleurs que nous n’allons pas chercher loin puisque dans la grande oliveraie au bas de la côte, à Qeparo, on a remblayé et aplani un terrain avec des cailloux et des roches, du solide, peut-être en vue d’y bâtir une maison. Pour nous, c’est parfait. Nous sommes près de la route mais la circulation est quasi nulle, des gens passent et nous saluent de la main. Une nuit sans autre lueur que celle des étoiles.


Dimanche 22 avril

de Qeparo (Albanie) à Ioannina (Ιωάννινα) (Grèce) (photos)

Direction Sarandë, cela devient une habitude. Il s’agit de faire des réserves pour les jours suivants. Surprise : la ville bruisse de toutes parts, il y du monde et des voitures partout. Des bateaux bas assurent le transbordement de hordes de touristes entre un paquebot au mouillage dans la baie et le port. Nous n’avons plus de pain et « notre » boulanger a des fournées de toutes sortes de pains tous plus appétissants les uns que les autres. Nous n’en prenons que trois ! Comme la boulangère parle anglais, nous avons de surcroît droit à des explications et la possibilité de converser autrement que par gestes. Un petit tour sur le bord de mer redevenu vivant nous permet d’apprécier une dernière fois la baie ensoleillée et nous partons.

À Ksamil, nous faisons le plein, à ras bord, le gazole étant beaucoup plus cher en Grèce, et le plein d’eau après avoir fait laver le camping-car. Sa couleur était le reflet fidèle de celle des routes mouillées, inondées ou boueuses des jours d’intempéries, il s’agit de lui redonner une allure pas trop négligée pour se présenter au garage !

Arrêt à Butrint où le parking est rempli de camping-cars italiens, sans doute un groupe en train de visiter le site archéologique. Nous nous garons, passons le bac à pied pour aller faire une longue balade sur une bande de terre au bord du lac au-delà du fort, dernière sortie albanaise. Les rencontres sont limitées à celles de hérons et d’aigrettes, de petits crabes dans l’eau et de trois gros chiens de berger menaçants heureusement restés de l’autre côté d’un chenal. Ensuite, passage du camping-car sur le bac. J’avais demandé au caissier du parc s’il connaissait le tarif, un tarif nécessairement supérieur à celui des voitures puisque j’occupe plus de place. Il ne savait pas mais avait évoqué deux cents leks. J’avais posé la question directement au préposé aux passages qui avait dit huit cents ! J’avais aussi demandé au bureau de tourisme de Sarandë, trouvé ouvert une fois, sans obtenir de réponse et enfin au gentil pompiste de Ksamil, du même avis que le caissier. Je prépare donc un billet de deux cents et une pièce de cent en réserve. On paie au cours de la croisière (environ deux minutes !). À deux cents, le préposé - ce n’est pas le même que celui que j’avais interrogé - fait la moue, j’ajoute cent et il part, satisfait, encaisser l’autre chauffeur.

La route de la frontière commence par suivre un réseau de chenaux et, quand elle s’élève, traverse des orangeraies de plantation récente dans les fonds de vallée. Les montagnes aux alentours sont en partie couvertes d’une végétation rase qui montre l’aridité du terrain. Dans une descente, nous sommes surpris de voir arriver un grand poste frontière, fin de l’Albanie. Le feu est rouge mais on nous fait signe d’avancer. Passeports et carte grise vont faire un tour près de l’ordinateur et sitôt les notes enregistrées, nous passons. Tiens, c’est bizarre, nous n’avons pas vu un seul Grec ! La raison en est simple, c’est la présence, plus bas, au détour d’un virage, d’un second grand poste frontière. Ici, on ne vient pas chercher les papiers, il faut aller les porter. Le premier comptoir est celui de la douane où l’on nous demande si nous avons du raki ou des cigarettes. Notre air ébahi vaut réponse. Second comptoir, la police où l’on ne veut même pas prendre nos cartes d’identité. Cette fois, nous sommes en Grèce. D’ordinaire lorsqu’on rentre dans un pays, un grand panneau indique les principales règles de circulation dont les vitesses maximales autorisées. Ici, rien. L’expérience montre vite que ces maxima sont ignorés des autochtones.

La route retrouve rapidement la côte qui ressemble en tous points à celle que nous avons suivie au nord de Sarandë. Les petites villes traversées sont comme mortes, leurs maisons fermées et leurs rues vides. Elles doivent revivre à certaines périodes de l’année. Premier croisement, arrêt obligatoire, le temps d’en lire les panneaux et de prendre la bonne décision. Au lieu de prendre vers Igoumenitsa (Ηγουμενίτσα) et la côte comme le font tous les vacanciers à la recherche des plages grecques, nous partons vers l’intérieur, en direction, non indiquée, d’Ioannina pour le garage Fiat de la région. Les montagnes sont sauvages, les routes absolument désertes avec moins d’un véhicule tous les dix kilomètres. Une fois sur la route, il est impossible de savoir si l’on est toujours sur la bonne, ses directions ne sont jamais indiquées, seuls les villages en dehors le sont. Comme elle tourne, monte et descend beaucoup, les paysages évoluent rapidement. Nous passons ainsi de vallées verdoyantes où les stigmates des intempéries sont bien visibles et les rivières encore chargées d’eaux boueuses à des versants offrant des points de vue sur d’autres vallées, des montagnes enneigées en toile de fond. Les arbres de Judée sont plus nombreux ici, leurs taches colorées sont omniprésentes le long de la route et en forêt. Le mauve, foncé de début de leur floraison, passe au rosé à la sortie des feuilles. Tout cela est joli, mais nous devons avancer et avoir trouvé le garage avant la nuit.

Ioannina commence par une zone industrielle de plusieurs kilomètres pour qui, comme nous, arrive par le nord-ouest. C’est bon signe, d’autant plus que le garage nous a été signalé dans cette partie de la ville. En poursuivant, on passe devant l’hôpital, un autre indice. Dépasser l’hôpital est par contre un mauvais signe, celui de l’arrivée en ville. De fait, l’urbanisation devient plus dense. Reste à trouver un rond-point pour revenir en arrière, il n’y en a pas, les rues adjacentes ne paraissent pas bien larges et la circulation s’est intensifiée. Patience, on finit toujours par y parvenir. Retour au-delà de l’hôpital. Un jeune pompiste interrogé ne sait pas, ne connaît pas le nom de la route qui passe devant la station et finit par avouer qu’il n’est pas d’ici. Nous parcourons les rues perpendiculaires, la route de l’aéroport… rien. À l’un de nos retours en ville, nous nous y engageons et arrivons ainsi, en longeant les remparts, au bord du lac. Il n’y avait personne en montagne, tous sont là, des voitures partout, des terrasses de café, beaucoup de terrasses, où l’on aurait peine à trouver une place. La question ne se pose pas, nous ne trouverions déjà pas de stationnement et sommes à la recherche d’un garage qui n’est certainement pas ici. Dommage, c’est très vivant, les vues sur le lac, le long de la grande allée bordée de platanes séculaires qui suit les remparts, le tour d’horizon de sommets encore blancs sont très attrayants. Le temps passe, il faut trouver et les indications qu’on nous a transmises sont insuffisantes. Il reste à demander à un chauffeur de taxi de nous y conduire. Retour à l’hôpital, pour ne pas être trop loin du but. Le chauffeur du premier taxi parle allemand. Il connaît bien l’endroit, c’est sur la route d’Athènes, à une dizaine de kilomètres. Merci à lui. Nous essayons, mais c’est tellement loin et à l’opposé de nos informations que nous sommes perplexes. Plein sud, des restes de chantier, des bretelles d’autoroute, des kilomètres qui passent et nous donnent à contempler les devantures de garages de toutes les marques de voitures possibles, mais pas Fiat. On dirait qu’il y en a moins, il a dû nous échapper, demi-tour. Au carrefour suivant, la voiture qui attend pour passer est une Fiat Punto. Je lui fais de grands signes désespérés et m’arrête au premier espace, il fait de même. C’est un jeune qui parle anglais et prend gentiment le temps de nous expliquer que le garage est bien là, deux kilomètres et demi plus loin, après Peugeot et d’autres. Un demi-tour de plus, c’est finalement facile lorsque la circulation est plus dense parce qu’on roule moins vite. Deux kilomètres et demi plus loin sur la droite, comme annoncé, nous découvrons l’objet de notre recherche. Un grand parking mais une barrière, dommage aussi, nous aurions dormi là. Trois cents mètres après, un grand espace plat, propre, récent, deux remorques de semi-remorque s’y trouvent. Ayant l’intention de nous rendre au garage le plus tôt possible demain lundi matin, si c’est un espace de travail, nous serons partis. Il fera pour une nuit. Il était temps, elle arrive. Nuit sans problème, un peu de bruit le soir, à cinquante mètres de la route d’Athènes, et un peu de fraîcheur sont sans importance puisque le but est atteint. Soir du premier tour des élections présidentielles en France, nous téléphonons et échangeons quelques nouvelles.


Lundi 23 avril

de Ioannina (Ιωάννινα) à Metsovo (Μέτσοβο) (photos)

Temps superbe, ciel limpide. Vite, au garage. Tiens, il est déjà ouvert. Nous sommes reçus à l’atelier par une dame qui parle anglais et dit que nous serons pris en charge dès qu’un mécanicien sera libre. L’attente n’est pas longue. Le chef d’atelier entend immédiatement le bruit. La conversation passe par la dame de la réception. Deux pistes : l’alternateur et la pompe à eau. Je pense qu’aucune n’est bonne. L’alternateur doit fonctionner normalement puisque nous n’avons rien remarqué sur les circuits électriques, les batteries sont rechargées et ne faiblissent pas. La pompe à eau n’est certainement pas défectueuse parce que le moteur tourne très bien et qu’à aucun moment nous n’avons constaté de montée en température, d’ailleurs aucun signal ne s’est jamais manifesté. Ils rentrent le camping-car en atelier, le montent sur un pont et un mécanicien entreprend de démonter un carter, tout en bas, puis une courroie. Il démarre, plus aucun bruit anormal, la panne se situe donc là. Retour à l’accueil. Cette courroie entraîne le compresseur de conditionnement d’air , le bruit suspect en provient donc. L’origine de la panne pourrait être dans les centaines de kilomètres faits dans l’eau avec des gerbes à chaque tour de roue puisque ce moteur est tout en bas, le carter n’aura pas été une protection suffisante. Ils ne peuvent pas réparer, n’ayant pas la pièce mais nous disent que si le bruit nous embête trop, nous n’avons qu’à prendre une paire de ciseaux et couper la courroie, elle ne sert qu’à cela. Ils tiennent de plus à nous dire ce qui est défectueux mais, ne connaissant pas le mot anglais, ils recourent à Google. Le mot anglais ne m’est pas connu non plus, ils le recherchent en français, c’est roulement. C’est amusant parce que je suis persuadé qu’en le faisant réparer en France, on n’aurait pas cherché à remplacer un roulement mais ce moteur en entier. Au bilan, nous avons été bien reçus, rapidement servis et avec soin. La conversation ne s’est pas limitée à la mécanique automobile. On a suivi les élections présidentielles en France et, au moins ici, on n’aurait voté ni S. ni M. (Chancelière allemande) La situation est devenue difficile pour les salariés, les taxes sont élevées. Ils semblent toutefois prendre la situation avec philosophie, disant « Vivons en bonne santé et heureux, le reste passera ». Sur ce, rassurés, nous repartons.

La visite de la ville commence par celle de la vieille ville fortifiée. Arrêt le long des remparts au bord du lac. Le beau temps fait ressortir les sommets tout autour. Les ruelles ensoleillées sont calmes. Nous nous dirigeons en premier vers l’avancée la plus septentrionale au-dessus du lac, un parc dans lequel nous visitons le Musée municipal installé dans la mosquée d’Aslan Pacha et où se trouvent d’autres bâtiments fermés. La vue est superbe, le parc agréable et le musée, bien que petit, donne un bon aperçu des communautés qui ont occupé les lieux. Notre deuxième visite concerne le second parc, lui aussi au-dessus du lac. Il renferme le Musée byzantin, fermé, et la mosquée Fethiye, fermée. La promenade n’en est pas moins agréable. Notre tour de la ville fortifiée terminé, nous passons à des rues animées du centre. La rue principale que nous avons descendue hier est le royaume des bijoutiers. Le nombre de boutiques est étonnant, surprise renforcée par la crise que traverse le pays. Comment est-ce viable ? Ailleurs, ce sont des cafés et puis d’autres commerces, fast-food à la grecque, habillement, quincaillerie, pâtisseries… qui petit à petit, en descendant vers le lac, cèdent la place aux souvenirs. Au lac, des bateaux embarquent des groupes pour l’île Nisi et ses monastères. Nous n’en sommes pas, souhaitant avancer un peu. Le bord du lac, le long des remparts, est décidément très beau.

Maintenant que nous connaissons bien la géographie de la ville, nous en sortons sans problème et dans la direction voulue. La route s’élève rapidement au-dessus du lac, offrant de belles vues sur Ioannina. Comme jusqu’ici, nous évitons l’autoroute et partons, seuls, au travers de montagnes sauvages. Les reliefs sont tourmentés, les vallées profondes et ravinées et les sommets encore enneigés. Les villages sont rares, la circulation nulle, nous nous arrêtons où nous voulons sans provoquer la moindre gêne.

Nous atteignons Metsovo dans l’après-midi. Le village est établi sur un versant abrupt. La route qui mène à son centre commence par une épingle puis sa largeur diminue au point que nous nous demandons comment cela va se finir. Mais non, tout va bien. Nous arrivons sur la place centrale où se trouvent deux autocars. Le développement touristique saisit immédiatement : la plupart des maisons sont des hôtels ou des pensions, le nombre de restaurants et de magasins de souvenirs est impressionnant. Nous trouvons une place sans difficulté, mais il ne doit pas en être de même à d’autres saisons, et nous partons à la recherche de la maison-musée Tositsa. Indiquée à droite de la banque dans notre guide, nous ne la trouvons pas et demandons, il fallait choisir la bonne banque ! Et nous voilà en train de remonter la rue principale, toujours pas de trace de cette maison, nous redemandons, encore deux cents mètres puis à gauche.

Nous finissons par y parvenir. À l’intérieur, personne ! Quelqu’un vient, nous demande d’attendre cinq minutes dans la salle audiovisuelle. Le guide est un jeune homme qui parle anglais et explique l’origine et les transformations de la maison, une grande maison dont chaque étage a un rôle propre. Les pièces sont grandes, le mobilier et les objets exposés concourent à donner la finalité de chacune. Une pièce sans fenêtre au premier, deux grands lits bas, le premier pour les parents et grands-parents, le second pour les enfants. Entre les deux, un petit foyer et une table basse composée d’un plateau amovible de grand diamètre et d’un piétement séparé en bois ; elle est destinée à être posée sur un lit pour le repas commun au chaud en hiver. Chaque étage a sa cuisine. En haut, pour les quartiers d’été, les pièces sont spacieuses et aérées, les fenêtres qui donnent sur les passages et escaliers autour de la maison leur apportent un bel éclairage naturel. L’organisation de cette maison est du même type que celle que nous avons visitée à Gjirokastër. Le dernier étage est consacré à la vie politique et aux riches collections d’icônes anciennes d’Evangelos Averoff. Au-delà de l’aspect muséographique, le guide a l’art de rendre la visite intéressante, prenant le temps d’expliquer, de répondre aux questions et, le cas échéant, de revenir en arrière. En sortant, nous lui demandons comment nous rendre au monastère Saint-Nicolas. Cela a l’air compliqué. Nous en retenons qu’il faut prendre à droite de la banque, l’autre, que cela mène à une église, qu’il faut prendre à sa droite, la suite est vague…

Après être retournés sur la place principale par d’autres escaliers et d’autres ruelles qu’à la montée, nous trouvons le panneau à côté de la banque et entamons la descente. Comme aucun escalier ni aucune ruelle ne sont rectilignes, nous avons un peu de mal à savoir où nous allons aussi nous laissons-nous guider par la pente. Bonne méthode, voici l’église, une petite église sans intérêt, mais l’indice est suffisant. À sa droite, un chemin. Puis à gauche un panneau, nous y allons. Le chemin est raide, par endroits en escalier. Au détour d’un virage, nous découvrons le monastère en contrebas. La suite est facile. En bas, le soleil est déjà passé derrière la montagne et, surtout, le monastère est fermé ! Si la question du chemin de retour ne se pose pas, il n’en reste pas moins qu’il monte fort et qu’au total, ce sont cent cinquante mètres de dénivelé. En haut, bien que nous puissions passer des heures à explorer tout ce que proposent les magasins de souvenirs, nous ne traînons pas.

Nous n’avons pas encore d’emplacement pour la nuit et il est tard. En sortant du village, nous nous y attendions, aucun panneau ne mentionne la destination suivante. Nous redescendons la côte que nous avons montée à l’arrivée pour aller jusqu’au carrefour suivant dans l’espoir d’être mieux informés, en vain. C’est en remontant à nouveau que nous découvrons deux panneaux consécutifs en route. Le vent étant assez fort, nous cherchons un endroit abrité. Les bas-côtés sont si larges en altitude que nous trouvons sans peine. La présence d’un remonte-pente donne la raison de leur taille. Nous sommes surpris, ce soir-là, d’avoir des voisins : une voiture et ses deux occupants arrivent tard - nous sommes déjà couchés - et passent la nuit dans leur voiture. Pourquoi se sont-ils installés là, en altitude, alors que dix à quinze kilomètres plus loin, dans une vallée, ils auraient eu moins froid ? Mais ont-ils froid ?


Mardi 24 avril

de Metsovo (Μέτσοβο) à Agii Theodori (Άγιοι Θεοδώροι) (photos)

Au réveil, nous constatons que nos voisins sont déjà partis. Comme prévu, la nuit a été fraîche (3°C) mais un tout petit peu moins qu’à Ioannina (Ιωάννινα). Il fait très beau.

Le calcul de l’heure de départ pour être aux Météores (Μετέωρα Μοναστήρια) à 9 h a donné 7 h 30. La forêt a disparu. Le paysage est alpin avec ses terrains dénudés, ses torrents et ses lambeaux de neige. Nous sommes seuls. Une surprise nous attend au premier carrefour, la route que nous devions prendre est fermée. Isolés comme nous le sommes et incapables de comprendre les panneaux si tant est qu’ils soient explicatifs, la barrière, elle, n’a pas besoin d’explication. Nous voilà dans l’obligation de faire un long détour par Grevena (Γρεβενά), une cinquantaine de kilomètres plus au nord. La programmation de la journée prend du retard, disons une heure si nous roulons bien. La route n’est pas désagréable, au contraire. Elle descend graduellement, faisant traverser des paysages variés au développement de plus en plus avancé. Après la montagne dénudée, viennent des forêts sauvages de plus en plus composées de feuillus, puis l’agriculture occupe une place plus importante. Les villages sont aussi de plus en plus nombreux. En reprenant vers le sud, à Grevena, nous ne montons pas aussi haut et restons, après le passage d’une rivière dans une petite gorge rocheuse, au niveau de forêts de chênes toujours tachées d’arbres de Judée et trouées de champs de céréales vert printanier avec lesquels le blanc éblouissant de quelques villages contraste fortement.

Nous retrouvons la route par laquelle nous comptions arriver une dizaine de kilomètres avant Kalambaka (Καλαμπάκα). Elle est bordée de kiosques de souvenirs en tous genres, de restaurants et de panneaux publicitaires qui marquent l’approche d’un lieu touristique. De grands rochers noirs commencent à se découper sur le ciel. À Kalambaka, une première indication nous amène au centre-ville. Là, ne sachant pas encore quels monastères nous irons visiter à pied ni ceux pour lesquels nous prendrons le camping-car, nous suivons un panneau qui mentionne un parking libre. Ce n’est pas une bonne idée car cela nous fait traverser toute la ville, la rue, au début commerçante et bien achalandée, rétrécit à mesure que nous avançons. Le stationnement désordonné contribue à rendre la circulation malaisée, même seuls ! La question de l’existence d’un parking et celle de pouvoir faire demi-tour commencent à se poser. Je profite d’un croisement pour demander à l’automobiliste s’il y a un parking. Elle ne répond pas à la question mais nous dit que nous trouverons une place sur laquelle nous pourrons tourner. Exact, par contre nous ne pouvons envisager de rester ici de peur d’y être bloqués. Au retour, pas de place libre mais une simple sortie de maison nous incite à nous arrêter pour organiser nos visites avec les guides. Ils ne sont pas suffisamment précis, mais cela n’a pas d’importance puisque, sans l’avoir remarqué, nous nous sommes garés derrière la dame qui vient de nous renseigner et qui vient maintenant nous proposer de nous montrer la route de Kastraki (Καστρακί) en la suivant. Vraiment très aimable. Autant dire que nous parvenons maintenant sans peine. Elle s’arrête au carrefour et nous fait signe de continuer. Un grand merci. J’avais vu ce grand carrefour mais pas de panneau pour Kastraki. Y en a-t-il un ? Ce n’est pas certain et ce ne serait pas la première fois qu’il aurait fallu arriver par la bonne rue pour le voir ! À partir de là, plus aucun problème. Le faubourg de Kastraki est résolument tourné vers le tourisme ; ses maisons et terrains sont des hôtels, des pensions, des restaurants, des commerces, des campings…

Du coup, nous continuons motorisés vers les Météores. La route contourne quatre grands rochers noirs de fière allure et, au détour d’un virage, le monastère Saint-Nicolas-Anapafsas (Αγίου Νικολάου Αναπαυσά) apparaît, perché sur un autre de ces rochers dans une situation à donner le vertige. Nous passons pour aller au monastère de Varlaam (Βαρλαάμ) but initial, mais avec une heure et demie de retard. De plus, aujourd’hui mardi, le Grand Météore (Μεγάλου Μετεώρου) est fermé, ce qui doit renforcer la concentration ici. Enfin, nous composons et en profitons, un guide en français par ici, un en allemand par là, un en anglais, un autre en coréen, en japonais… ces deux derniers ne nous servant à rien d’autre qu’à ajouter une touche d’exotisme puisque nous ne les comprenons pas. Cela doit être difficile pour eux puisque les membres de leur groupe sont occupés à se photographier devant à peu près tout. Assez de généralisations faciles, quelques uns écoutent et nous ne sommes pas ici pour eux mais pour le monastère. À l’entrée, les femmes qui ne sont pas décemment vêtues sont priées de s’attacher un grand morceau de tissu rectangulaire autour de la taille en guise de jupe longue. Le port du pantalon, par exemple, n’est pas correct. Le site est extraordinaire, même avec des escaliers et des ponts. La vue extérieure est magique, la vue d’en haut porte loin et montre des aspects de ces rochers de grès noir si lisses et si verticaux. Nous retiendrons deux points de cette visite, la vue sur les alentours et les peintures murales dans l’église principale.

De là, nous décidons de nous rendre au monastère Saint-Étienne (Αγίου Στεφάνου), mis comment résister à la vue du monastère de la Sainte-Trinité (Αγίας Τριάδος) depuis le fond de sa vallée ? Le monastère occupe le sommet « plat » de l’un des rochers. Les parois sont verticales et le rocher un peu séparé des autres, le site est vraiment très beau. La visite se mérite, une descente puis une remontée par des escaliers en partie taillés dans le rocher. La visite serait presque décevante si nous n’en retenions la même chose que pour le premier.

En route pour le plus éloigné, Saint-Étienne. Du côté de l’arrivée, le site est moins impressionnant puisqu’on est plus haut que le monastère ; par contre, le point de vue que l’on en a depuis la route avant le parking le situe bien par rapport à la plaine. Il est fermé, pause de milieu de journée, et rouvre à 15 h comme nous l’apprennent deux Françaises rencontrées là et qui connaissent bien la Lozère. En attendant, nous redescendons au premier. Belle montée aussi et rapide car l’heure de fermeture doit être proche. Effectivement, sitôt les entrées payées, le guichetier annonce la fermeture pour dans dix minutes. Ici, la vue vers l’extérieur est moins intéressante. Les peintures murales de la toute petite église principale sont très belles aussi mais l’exiguïté et le peu de lumière nous font apprécier la lampe frontale. Retour au monastère de Saint-Étienne. Son rocher, comme un poste avancé au-dessus de la plaine et de Kalambaka, offre de belles vues. Ce monastère est occupé par des nonnes - attention aux tenues masculines légères - qui se sont spécialisées dans la peinture d’icônes, leur magasin en regorge. Les peintures murales dans l’église ne sont pas anciennes. Nous passons un bon moment dans la cour ensoleillée à bavarder avec les deux Françaises de tout à l’heure.

Souhaitant nous avancer un peu avant la nuit, nous reprenons la route de Grevena où il nous a semblé ce matin que nous devrions trouver sans difficulté un endroit pour dormir. Nous en voyons plusieurs et finissons par choisir une carrière, plutôt une excavation, juste avant Agii Theodori.


Mercredi 25 avril

d’Agii Theodori (Άγιοι Θεοδώροι) à Pella (Πέλλα) (photos)

Ce jour commence tôt. À 2 h 17 du matin, des bruits de moteurs autour du camping-car, des pas mais peu de paroles. J’entrouvre un rideau pour voir. Je ne distingue rien parce que des phares nous illuminent, puis l’agitation extérieure augmente. Je finis par en voir les responsables, ils portent des uniformes. De là où nous regardons, les voitures ne sont pas visibles. Quelqu’un frappe légèrement à l’une des portes avant et enfin un très bref coup de sirène me décide à ouvrir une fenêtre. Ce sont des policiers, cinq ou six, qui demandent si nous avons un problème et veulent voir nos papiers. Je leur demande deux minutes et descend, du lit, pas du camping-car. Le temps de trouver une carte d’identité et d’enfiler un pantalon, j’ouvre la porte et cinq faisceaux lumineux se braquent sur moi. Je leur tends ma carte, ils demandent si nous sommes deux, avec ma femme. Je les rassure et les sens un peu hésitants et, sur ce, ils me rendent ma carte, disent merci et au revoir. La suite de la nuit, comme le début, sans un bruit. Cette intervention policière, sans nous empêcher de dormir, nous surprend. Nous sommes à moins d’un kilomètre d’Agii Theodori, quelqu’un aurait-il signalé notre présence ? Sinon, ils patrouillent la nuit, on l’imagine, mais à deux voitures et à ce nombre ? Quoiqu’il en soit mieux vaut une telle visite plutôt qu’une mauvaise maraude.

Au matin, grand soleil, nous poursuivons. Grevena (Γρεβενά) où nous quittons la route d’hier pour Kozani (Κοζάνη) puis Veria (Βέροια). Sur la majeure partie du trajet, un paysage de collines basses nous accompagne. Il change radicalement à Veria qui marque le début de la plaine et des grandes cultures fruitières, cerisiers et pêchers principalement. Quelques hésitations à l’entrée à Veria, nous cherchons la route de Vergina (Βεργίνα), à une douzaine de kilomètres au sud. Nous n’avons pas dû faire au mieux mais nous y arrivons.

Vergina est un village que sans doute personne ne remarquerait s’il ne recelait des trésors. Le village est bien organisé, le site fléché, rapidement, le stationnement est interdit à l’exception d’un parking privé à deux cents mètres du but. Sur le trajet pédestre, on a droit à une succession de restaurants et de magasins de souvenirs. Le seul défaut d’organisation réside, à mes yeux, dans le fait d’avoir interdit la circulation ce qui permet de marcher au milieu de la chaussée sans être obligés, comme au supermarché, de passer par les rayons. J’exagère en ce sens que cela reste simple donc joli, qu’il fait un temps superbe et que la température est celle que l’on souhaite avoir en balade. Le site n’est pas grand et lorsqu’on y arrive, il n’y a rien, absolument rien à voir, ou plutôt si, des groupes, des groupes et encore des groupes dont certains semblent attendre, beaucoup de groupes scolaires. Une petite éminence occupe le centre, le fameux tumulus qui abrite les tombes royales. Courte attente et nous avons le droit d’entrer, tout se trouve à l’intérieur du tumulus : des tombes in situ dont celle de Philippe II (-380, -336) plus ou moins ouvertes, plus ou moins bien conservées et en parallèle les trésors qu’elles contenaient, dans la pénombre. Les plus grands tombeaux ont la taille de maisons. La découverte de celle de Philippe II est récente (1977) et le trésor fantastique. Même si les groupes sont nombreux, nous arrivons à tout visiter, il suffit de ne pas suivre à la lettre le parcours préconisé, profitant des vitrines libres entre deux groupes et allant tantôt en avant, tantôt en arrière. De plus, des groupes scolaires ne traînent pas. Très bien, à recommander. Le palais, sur un site voisin, à un kilomètre, étant fermé, durablement fermé, nous décidons de partir pour Lefkadia (Λευκάδια), quitte à revenir à Veria qui se trouve sur la route.

Lefkadia est un village autour duquel se trouvent au moins trois sites. Contents d’avoir trouvé l’embranchement pour Lefkadia, nous entrons dans le village à la recherche d’indications. Nous remontons toute la rue principale sans rien voir. En haut, la route monte sur une colline qui, en approchant, se révèle être un camp militaire, redescente en marche arrière jusqu’au village, redescente de la rue principale, puis retour à la route où nous avions vu des panneaux. Effectivement, au lieu de la route-rue du village, une minuscule route conduit à un site. Un couple de paysans âgés au travail nous salue à notre passage. Comme nous, ils doivent se demander ce que nous avons dans la tête pour aller là. Nous commençons en effet à avoir des doutes. La largeur de la chaussée pour commencer : je l’occupe intégralement, le croisement d’un vélo ne pourrait se faire sans qu’il mette pied à terre et passe dans un champ. Le gabarit ensuite qui n’est pas suffisant pour le camping-car puisque nous touchons en permanence des branches d’arbre. Comme nous nous y attendions, nous trouvons porte close mais il y a heureusement assez de place dans les herbes folles qui gardent l’entrée pour faire demi-tour. Et au revoir. Un autre site se trouve sur la grande route, pas plus ouvert. Un troisième est indiqué un peu plus loin sur la gauche en revenant sur Veria. Après un passage à niveau campagnard, nous y arrivons mais tout semble mort. Je trouve trois hommes en train de pique-niquer dans le bâtiment voisin. C’est fermé - cela se voyait - et, d’après ce que je comprends, cela n’ouvrira pas aujourd’hui. Par contre, le site est plaisant : une fontaine, de grands platanes et un coin d’herbe vert tendre au milieu des vergers semblent nous attendre. Nous y faisons une bonne pause pendant laquelle nous voyons partir tous ceux qui « travaillaient » ici et qui nous saluent.

Réflexion faite, nous continuons et pourtant le lieu nous tentait. Nous aimerions visiter Thessalonique (Θεσσαλονίκη) demain et une ville d’une telle importance nécessite une préparation minutieuse, non pas tant pour nous que pour le camping-car. En attendant, nous allons voir Edessa (Ἔδεσσα) que les guides nous font préférer à Veria. La ville est construite sur un plateau rocheux accroché au versant de la vallée. Le point de repère en est la (on devrait dire les) cascade(s) dont le nom local est Waterfalls, très bien indiquée(s). Nous trouvons sans peine un stationnement et partons à la découverte. L’heure n’est pas des plus propices pour l’éclairage mais nous les trouvons et y passons un moment. Direction ensuite, en bordure de falaise, de quelques demeures ottomanes à l’état variable, restaurées, en ruine… Visite de quelques rues du centre puis du parc où nous admirons des platanes gigantesques. Une fois n’est pas coutume, nous passons par les magasins de souvenirs où des pots de sirops, de fruits au sirop, des fruits secs, du nougat, de l’huile d’olive attendent des clients à côté de jeans, T-shirts, ballons en plastique… J’allais oublier les buvettes et les restaurants aussi peu achalandés. Les Grecs ne sont pas encore ressortis. Cette ville nous laisse une impression mitigée. Son site est magnifique, dominant toute la plaine, la vue porte loin. Les cascades sont de belles cascades, le débit est important et la hauteur aussi. Les maisons ottomanes ne sont pas en état et c’est dommage. Ce qui nous gêne le plus sont les tags. Nous en voyons partout depuis notre arrivée dans ce pays, sans aucun respect de rien, ni des maisons réhabilitées, ni d’immeubles neufs, ni et surtout pas des panneaux indicateurs, dans toutes les villes et aussi, dans une moindre mesure, en dehors. Ils semblent encore plus nombreux ici. Cela finit par peser. En ces temps de crise, il doit être intéressant de devenir actionnaire dans des entreprises de bombes de peinture.

Du promontoire, nous avons vu, juste en-dessous, un site archéologique et un monastère, c’est-à-dire deux parkings potentiels pour la nuit ! Aucun des deux ne convient, celui du monastère est en pente et celui du site sur un petit carrefour. Après mûre réflexion, nous décidons d’arriver à Thessalonique avant les Grecs, donc avant 8 h demain matin. Le mieux pour cela est d’avancer et de s’arrêter à une heure de route de la ville. Notre point de mire est Pella, un site archéologique que nous ne visiterons pas et dont nous comptons profiter du parking. Une grande et belle route au milieu des vergers nous y amène rapidement, si bien que nous y sommes avant le coucher du soleil. Surprise à l’arrivée, il n’y a pas réellement de parking mais plutôt un bout de route avec un terrain vague et un camping-car allemand déjà installé. Nous nous mettons au milieu des herbes et tout va bien. Nous ne voyons pas nos voisins d’un soir.

Suite du voyage de 2012

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