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Voyage de 2012

Semaine 5, Turquie

Jeudi 3 mai

d’Edincik à Gülpınar (photos)

La ville d’Edincik se trouve sur une colline, la plage et l’isthme de la péninsule de Kapıdağı où nous venons de passer la nuit sont en dehors. C’est à Edincik que nous retrouvons la route principale qui suit la mer de Marmara vers l’ouest. La carte montre que, sur une centaine de kilomètres, elle ne suit pas la côte de près. Cela se confirme, la mer n’est pas du tout visible. La route est très large, rectiligne et ne traverse que fort peu de villages. Le paysage ressemble à la Beauce avec des champs de céréales presque tout le long. Les différences sont un relief à peine plus marqué et quelques oliveraies. Pour nous occuper, la circulation étant presque nulle, nous rechargeons les batteries. Celle de l’appareil photo est la plus rapide, puis c’est le tour du téléphone portable et enfin celui de l’ordinateur. Nous ne l’avions encore jamais rechargé en route. Le branchement suffit à arrêter tout le système. Nous contrôlons, en rebranchant la batterie de l’appareil photo, il ne fonctionne plus. Non seulement le transformateur est grillé, mais aussi la rallonge. Nous savions que l’ordinateur avait besoin de plus de puissance que ne pouvait en fournir le transformateur ou la prise allume-cigare du camping-car, mais nous pensions que cela se ferait plus lentement. Nous ne pouvons rester sans ce dispositif faute duquel nous n’aurons bientôt ni téléphone ni appareil photo, il va falloir trouver une solution.

Nous ne retrouvons la mer qu’en approchant de Çanakkale, au début du Détroit des Dardanelles et, même là, c’est de courte durée. L’autre rive est bien visible. L’arrêt qui était prévu à Çanakkale est devenu indispensable. Au centre, nous trouvons un parking au fond d’une rue, juste avant un canal. J’embarque le matériel défaillant et nous partons en ville. La rue est très commerçante, mais aucun des commerces ne propose ce type de matériel. Le long d’un parc, nous trouvons un premier magasin de téléphones portables, mais ils n’ont pas de transformateur, le second non plus. Le troisième n’en a pas, mais le jeune gérant, tout à sa conversation son téléphone portable à l’oreille, commence à démonter notre appareil. Rien de défectueux n’est visible, il désigne le petit circuit imprimé comme responsable, mais c’est irréparable. En fait, son appel téléphonique faisait partie de la réparation : deux autres jeunes arrivent avec trois appareils ! Il ne reste plus qu’à choisir et à marchander un peu pour le principe, mais c’est déjà moins cher que chez nous. Forts de cet achat, après nos remerciements, nous partons vers le port.

Un grand Cheval de Troie en bois trône sur le quai. Non loin un dispositif explique les différentes phases de développement de la cité troyenne. De la jetée, on peut d’autant mieux observer la presqu’île de Gallipoli que son relief est marqué et que la ville de Kilitbahir n’est distante que d’un peu plus de deux kilomètres.

Nous retournons ensuite au camping-car où nous vérifions le bon fonctionnement du nouveau transformateur. Il est parfait pour le téléphone portable mais le chargeur de la batterie de l’appareil photo ne fonctionne pas. Retour au magasin en voiture. Le stationnement et même l’arrêt sont interdits, je prends donc place entre les voitures qui s’y trouvent au moment où passe une voiture de police qui ne dit rien, tout le monde a les feux de détresse allumés, et retourne dans le magasin. Il fait des essais, ce qu’il avait déjà fait avant la transaction, mais cette fois avec mes appareils et constate que c’est juste la prise qui ne tient pas bien et qu’il suffit de la mettre comme il faut.

C’est parfait, nous partons. Destination : Troie. Le passage de la mer de Marmara à la mer Égée n’a pas eu d’incidence sur le paysage, les champs sont un peu plus petits. On dit du site de Troie qu’il n’est pas bien intéressant, voire décevant pour des non-spécialistes. Depuis l’écriture de l’Iliade, l’image de l’ancienne cité a tellement été décrite, utilisée et galvaudée que l’on s’attendrait à un site grandiose. Ce n’est pas le cas, le site est petit et les restes réduits. Nous le savions d’après les guides mais peut-on passer à seulement quelques kilomètres sans s’y rendre ? On y est accueilli par un cheval en bois de la même taille que celui de Çanakkale. Des pans de mur et des soubassements émergent des herbes. La rampe pavée n’est pas bien longue. Le plus spectaculaire à cette saison sont les ombellifères à grosses inflorescences jaunes qui font jusqu’à deux mètres de hauteur.

Les environs immédiats ne présentant guère d’intérêt, nous continuons vers le sud par la petite route pittoresque qui suit la côte d’un peu plus près que la grande route de ce matin. Les quelques plages, petites, sont vides. La recherche d’une place pour la nuit commence à Gülpınar. Rien dans le bas de la ville, nous passons en haut et prenons place entre le stade, un enclos herbu, et le terrain d’activités physiques. Plusieurs personnes, des femmes, y pratiquent du sport à l’aide du matériel mis à disposition. L’emplacement est parfait pour un coucher de soleil vers la mer.


Vendredi 4 mai

de Gülpınar à Kuyaksızlar Köyü (photos)

Aujourd’hui, des visites de sites gréco-romains sont au programme. Le premier, Assos, n’est pas loin. Il suffit de prendre la route qui traverse la garrigue et qui commence à notre camping. Nous ne visitons que la partie supérieure du site, dans le village de Behram. Nous nous garons dans le centre et montons au sommet de la colline. Tout le long de la rue pavée est bordé d’échoppes de souvenirs pas encore ouvertes. Des ruines de fortifications et d’un temple jouxtent une mosquée, toutes perchées au-dessus d’une pente forte vers la mer. La vue sur la côte est superbe. L’île grecque de Lesbos (Λέσβος) est à portée de main. Les restes de colonnes ont fière allure dans un tel cadre. Au retour à la voiture, l’activité commence à peine, seules quelques petites boutiques de souvenirs ouvrent et des enfants partent à l’école. Nous partons vers le nord en direction d’Ayvacık pour rattraper la grande route. La petite route qui y mène est fort sinueuse. La garrigue a cédé la place à des forêts et des plantations, figuiers et pistachiers. Nous ne nous attardons pas à Ayvacık bien que ce soit jour de marché, nous contentant de pain et d’œufs frais. À la sortie du village, nous nous trompons de route et reprenons vers la mer, pas loin de Behram Köyü. Du coup, nous suivons le rivage. La route est minuscule, pas bien bonne. De part et d’autre sont construites des maisons qui sont autant de gîtes, d’hôtels et de restaurants, en bord de mer. La saison touristique n’a pas commencé, tout est vide et mort. Nous prenons un auto-stoppeur, le gérant de l’un des hôtels qui part chercher sa voiture à Edremit à une cinquantaine de kilomètres. Il parle un peu anglais mais la disposition des passagers dans le camping-car limite les échanges. La route principale contourne la baie d’Edremit dont tout le fond est urbanisé. Nous la quittons avant Ayvalık pour prendre une route pittoresque de montagne en direction de Bergama. Elle traverse de belles pinèdes avec quelques cultures.

Bergama est le nom turc de la ville antique de Pergame. La route descend la vallée de la rivière qui l’arrose. De nouveau, le site antique occupe le sommet d’une haute colline bien visible avant d’entrer en ville. Son accès n’est pas simple. Il est double puisqu’on peut y monter en téléphérique ou aller se garer en haut. J’hésite à m’engager dans une rue étroite en forte pente mais des passants nous font signe de monter. La route tourne autour de la colline pour arriver en haut. Un parking est aménagé à l’entrée du site, près de la station supérieure du téléphérique. Son prix nous choque, aussi cher que l’entrée dans le site lui-même. Le parking domine un barrage et son lac. Si les lointains n’étaient pas brumeux, par ce beau temps, le regard porterait loin. Le site est vaste et le nombre de visiteurs pas trop important. Le théâtre est construit sur le flanc de la colline et en épouse la pente, il est d’autant plus impressionnant qu’il est grand. Des gradins les plus hauts, on a l’impression d’être au-dessus de la scène. À défaut de spectacle théâtral, nous avons le début des appels aux prières, puis des prières du vendredi qui montent de la ville. Les mosquées doivent être nombreuses et les prières ne sont pas identiques, une belle cacophonie. Tout en haut de la colline, le blanc pur des colonnes du temple de Trajan se détache sur le bleu du ciel, avec un grand arbre aux feuilles encore vert tendre, l’ensemble est plaisant et agréable. Après ces visites et celles des autres lieux du site, nous descendons au milieu des fleurs jusqu’à la villa des mosaïques. Le gardien ne doit pas recevoir beaucoup de visites et doit s’ennuyer, seul ici. La villa porte bien son nom, les mosaïques valent la descente et même la remontée sur la colline ! Vu l’heure tardive, nous n’allons pas à l’Asclépieion.

De Bergama, nous partons vers l’intérieur des terres. Les abords des routes de Soma puis d’Akhisar ne nous conviennent pas, elles sont importantes et n’offrent pas de possibilités d’arrêt prolongé. Au sud d’Akhisar, la route est doublée d’un chantier d’élargissement sur lequel nous finissons par prendre place. Nous sommes dans une plaine plantée de jeunes oliviers et de céréales. Des villages sont visibles au loin. Le chantier est très large, nous sommes donc assez loin de la route pour être tranquilles mais pas assez pour atténuer le bruit de la circulation des camions. L’endroit ne nous plaît qu’à moitié, le coucher de soleil est pourtant beau. Après mûre réflexion, à la tombée de la nuit, nous prenons la petite route de Kuyaksızlar Köyü, juste en face. Comme son nom l’indique, c’est un village. Il commence à faire sombre, nous nous arrêtons près de la première maison, il n’y a plus aucun bruit, c’est très bien pour la nuit.


Samedi 5 mai

de Kuyaksızlar Köyü à Aphrodisias (photos)

Comme nous nous sommes garés alors qu’il faisait déjà sombre, aux phares, nous n’avons pas pu inspecter les lieux pour savoir si nous ne gênions pas, ce qui nous oblige à partir tôt. Malgré cela, les agriculteurs sont soit déjà partis, soit en train de partir aux champs. Il est vrai que le travail dans la fraîcheur matinale est plus agréable que sous le soleil de plomb en pleine journée. La route suit des lacs qui reflètent le soleil bas. Elle monte ensuite dans des collines où les oliveraies sont moins fréquentes et où l’on cultive le pavot, de gros pavots blancs. La première ville est Salihli. La route la contourne, mais nous y passons à la fois par curiosité et parce que nous nous approvisionnerions bien en produits frais. Notre passage en ville surprend, nous aussi, la partie du bazar qui s’y trouve concerne essentiellement l’agriculture et l’outillage. Un peu plus loin, un supermarché, et justement, nous n’en avons pas encore visité. Il n’est pas ouvert mais juste à côté se trouve un marché couvert avec des tas de haricots, des tas de petits pois, des tomates en quantité, des carottes, des courgettes, etc. Tas est le mot qui convient, de gros tas coniques obtenus en déversant les haricots en haut et en les laissant « s’écouler ». Nous prenons de tout, non, j’exagère, mais nous en aurons pour plusieurs jours. Allons voir le supermarché. C’est impeccable, le personnel est nombreux et les rayons plus richement fournis que chez nous où l’on trouve parfois des produits identiques sur une certaine longueur. Les prix par contre sont supérieurs à ceux qui sont pratiqués au bazar.

Nous quittons cette ville fleurie et ensoleillée pour monter dans la montagne. Le col à passer n’est qu’à 1 200 mètres d’altitude, c’est suffisant pour marquer une différence sensible dans la progression du printemps. À un certain niveau, ce ne sont que champs de fleurs sauvages sur fond de montagne avec des traînées de neige, plus haut, les feuilles ne sont pas encore sorties. L’habitat est moins dispersé et moins étendu qu’en plaine. Un bol d’air frais entre deux vallées. Vers Ödemiş, des groupes de femmes s’occupent des cultures, la production doit approcher. En remontant, les oliveraies reprennent de l’importance, on y travaille beaucoup. Le sol, sous les oliviers, est utilisé pour d’autres cultures. Plus loin, le relief est plus marqué et on cultive plus les figuiers que les oliviers. Un petit morceau de grande route à l’est de Nazilli et nous reprenons une route moins importante en direction du site antique d’Aphrodisias. Les maisons, par ici, ont un étage ouvert sous le toit, un espace pour sécher des récoltes ou pour en stocker. La saison n’est pas encore assez avancée pour savoir.

Nous arrivons dans le village de Geyre où se trouve le site d’Aphrodisias assez tôt pour le visiter. Un grand parking est aménagé, le tarif y est aussi exagéré qu’à Pergame et il est interdit de stationner ailleurs. Après plusieurs tentatives en bord de route, nous nous rabattons sur le parking parce qu’il est possible d’y rester pour la nuit. Pour le prix, on a droit au transport en petit train vers le site et au retour. Nous ne l’attendons pas. Nous faisons tout d’abord la visite du musée, il contient de très belles pièces. Le site n’est pas trop grand et pourtant, on n’en découvre les éléments qu’un à un. Le temps superbe met les ruines en valeur. Les colonnes debout sont nombreuses. Les constructions les plus remarquables sont le théâtre, l’odéon, le stade et le tétrapylon. Le stade par exemple est entier et de grandes dimensions ce que l’on ne voit pas souvent. L’odéon est un petit amphithéâtre en marbre blanc. Le tétrapylon, une porte à seize colonnes et frontons presque entière, semble sortir de la belle pelouse. L’eau dont des monuments émergent a envahi des parties du site. Les coassements accompagnent le visiteur. Encore toutes vertes, les pistaches commencent à prendre forme. Nous prenons le petit train pour rentrer.

Il n’est pas tard, le temps d’aller visiter le village. Cette partie du village est une rue le long de laquelle des maisons sont construites, bien espacées les unes des autres, plus ou moins proches de la chaussée, toutes entourées de jardins aux cultures vivrières variées. La rue monte en pente douce vers les collines, nous la remontons jusqu’à la fin de la partie asphaltée, un peu plus haut que la mosquée. À cette heure où le soleil est déjà bas, les travailleurs des champs et des jardins sont rentrés et il y a peu de monde dans la rue. Les seuls lieux qui en rassemblent sont les maisons de thé. Elles sont trois sur le trajet et il ne s’y trouve que des hommes. Au passage devant chacune, nous lisons les interrogations sur les visages. C’est à la première que nous faisons une pause. À notre premier passage, nous sommes hélés par une tablée et invités à prendre un thé. Nous expliquons que nous nous arrêterons en redescendant, ce que nous faisons. La conversation n’est pas facile, mais ils comprennent que nous venons de France, du sud de la France, en voiture, que nous trouvons leur pays très beau, que nous avons deux enfants, que je suis retraité, ce que j’ai appris à dire, que nous sommes passés par İstanbul, Bursa, Çanakkale, que nous allons dans l’est, que nous allons dormir au parking et partir demain pour Pamukkale et diverses autres petites choses encore. C’est plus difficile dans l’autre sens parce qu’ils ne savent pas ne dire qu’un mot et qu’ils mélangent leur conversation avec nos échanges. Le plus facile est le nom de notre président, décidément très célèbre en Turquie et très décrié. Les gestes dont ils accompagnent son nom ne laissent aucun doute sur leur opinion. Lorsque nous repartons, aucun n’a bougé de son siège, ils semblent rivés là depuis un moment. C’est un lieu de convivialité, mais nous nous interrogeons sur la place des femmes, sont-elles cantonnés aux travaux des champs et à la maison ? Nous arrivons chez nous aux derniers rayons du soleil.


Dimanche 6 mai

d’Aphrodisias à Salda Gölü (photos)

Le soleil se lève vers 7 h, une centaine de kilomètres nous sépare de Pamukkale, pour y arriver en même temps que les premiers rayons de soleil, nous devons partir à 5 h. J’attends la fin de l’appel du muezzin pour démarrer. Première route de nuit, rien à signaler, pas un vélo, pas un tracteur, juste quelques rares piétons près des mosquées dans les villages traversés. À part deux passages en travaux, la route est excellente. Le jour vient à notre rencontre vers Tavas. Ensuite nous rattrapons la route de Denizli qui traverse des forêts. Aucun trafic en ville, nous suivons les indications pour Pamukkale. La route de plaine, avant d’arriver et de remonter vers le village, traverse des champs de grenadiers dont certains commencent à fleurir. Une fois sur place, impossible de se tromper, la colline de dépôts cristallins blancs est là, devant nous. Le parking est vide et gratuit. 7 h, nous y allons.

Sur la gauche, sous le soleil, la blancheur est éclatante. Cent mètres après l’entrée, le port de chaussures est interdit et la montée le long des bassins se fait pieds nus dans l’eau. La température initiale de l’eau est de 36° C, aux pieds, cela dépend de son trajet mais elle n’est pas froide. Nous montons en compagnie d’un Suisse qui est déjà venu la veille en fin de journée. Il est vrai que, vu son orientation, la visite de la partie active des concrétions doit être plus intéressante en fin de journée ; en contrepartie, il dit qu’il devait y avoir deux mille personnes hier soir alors que nous ne sommes que trois à monter et qu’un seul groupe, des Asiatiques d’Extrême-orient, se trouve en haut. Nous montons doucement, admirant au passage les vasques bleu turquoise. Au-delà, la vue porte de la plaine jusqu’aux sommets encore enneigés qui la barrent à l’ouest et derrière lesquels se trouve Aphrodisias. À l’arrivée en haut du travertin, des bancs sont à disposition pour se rechausser et immédiatement derrière commence le site antique d’Hiérapolis.

Nous en commençons la visite par le centre appelé Antique Pool, un beau jardin avec des bassins à l’eau si claire qu’elle laisse voir dans tous leurs détails les blocs et colonnes qui en tapissent le fond. Plusieurs buvettes, restaurants et magasins sont là aussi, ne perdons pas de vue que les touristes arrivent par ici ! Un chemin de planches suit tout le haut des concrétions de travertin, les séparant, avec un jardin fleuri bien entretenu, des ruines d’Hiérapolis. Nous allons jusqu’au bout, la ville antique devait être grande, et revenons par les ruines. Celles des thermes du nord, trois hautes voûtes, et celles de l’allée entre les deux portes, porte de Domitien et porte byzantine, sont impressionnantes. Le soleil est maintenant haut, nous montons au théâtre où il n’y a pas plus de monde que dans le reste des ruines. Encore un beau théâtre, mieux conservé que celui d’Aphrodisias. De par sa situation nous voyons toute la ville. Après la visite du musée qui présente des collections de statues, de frises en pierre et d’objets provenant du site, nous suivons le chemin du bord des concrétions vers l’autre extrémité. La partie jardin est encore plus fleurie, de très beaux massifs de roses. De ce côté, le sentier domine les vasques d’eau bleu turquoise disséminées dans le blanc tacheté de touristes, la vue est superbe, à recommander. Il ne reste plus qu’à redescendre. Des baigneurs ont pris place un peu partout dans l’eau qui dévale la pente, on se photographie beaucoup. Plus on descend et moins il y a de monde, à la fin, nous ne sommes pas plus nombreux qu’à la montée. Comme nous avons l’intention de nous arrêter tôt, nous partons.

La direction générale est celle d’Antalya, mais pas pour aujourd’hui. Nous prenons une petite route et sommes attentifs aux endroits un peu à l’écart pour le calme, abrités, plats… le mouton à cinq pattes ! Il en existe heureusement à quatre pattes et demie qui font l’affaire. C’est ainsi qu’après avoir passé un col, le route descend vers le lac de Salda au bord duquel les gens font des grillades à l’abri de pins. Voilà de quoi nous reposer de notre départ matinal. Le lac est étonnant, d’un bleu éclatant qui contraste fortement avec le blanc presque pur de ses rives. Le blanc est si vif qu’il interroge. Il se poursuit sur des kilomètres et il n’y pousse rien, le lac serait-il salé ? Saluant et répondant aux bonjours, nous l’avons suivi à pied un bon moment. Partout, au travers des pins, transparaît le découpage horizontal bleu du ciel, lointains plutôt verts, blancs de la rive opposée, bleu du lac, blanc de notre rive. Le soir, pas une lumière si ce n’est celle de la pleine lune. Étant un peu en altitude, l’air fraîchit. Vers 9 h, après avoir reçu les résultats de l’élection présidentielle, nous sommes seuls. Autant dire que la nuit est calme.


Lundi 7 mai

de Salda Gölü à Aspendos (photos)

Réveil au lever du soleil, vers 6 h 30, plus tôt que je ne pensais, il avait dû se lever derrière des montagnes les jours précédents. La lumière du matin est très pure, aucun nuage ne masque le bleu du ciel. La route est on ne peut plus calme. Avec l’altitude, la végétation est moins avancée, les cultures de cerisiers, d’abricotiers… n’en sont que plus belles, toutes en fleur. Plus loin, nous traversons une forêt de pins dans un relief marqué avec de beaux points de vue. La ville de Karamanlı consacre son activité à l’exploitation du marbre, une carrière occupe même, de façon surprenante, le sommet d’une colline. Partout, ce ne sont que des scieries de marbre, de grosses entreprises. En ville, les écoliers en uniforme se dirigent vers l’école. Par ici, les chemins des champs sont empierrés avec les chutes de marbre. Puis la descente s’amorce, on doit perdre mille mètres d’altitude. La circulation s’intensifie mais sans excès. La ville approche. Un grand parking au pied d’une cascade artificielle au moment où l’on passe la dernière colline découvre tout à coup la baie d’Antalya.

Le ciel est resté bleu, l’approche de la Méditerranée a ajouté un léger voile de brume à l’horizon. La ville et ses alentours, avec de nombreux immeubles bien agencés, occupent toute la plaine en bord de mer. Sur la droite, vers l’ouest, les sommets du Bey Dağları sont en partie enneigés. Au loin, à l’avant, nous devinons plus que nous ne voyons le cœur de l’ancienne cité. Allez, nous nous lançons. Le centre-ville est très bien indiqué. Nous suivons une ligne de tramway et le moins que l’on puisse dire est que c’est joli, de l’herbe verte, des fleurs, des palmiers, un ordonnancement impeccable, pas un détritus, pas un tag, belle entrée en ville ! Évidemment, tout a une fin et un moment arrive où seul le tramway est autorisé à continuer, il faut prendre une décision, à droite ou à gauche ? C’est à gauche que nous partons à la recherche d’un parking (otopark). Le stationnement est interdit, l’arrêt aussi, mais ceux qui sont arrêtés en double file gênent. À deux reprises, cela passe juste au ras des rétroviseurs. Tiens, un parking caché là ! Je m’y engage mais on nous fait des signes désespérés relatifs à la taille du camping-car. Un des gardiens nous aide à ressortir en marche arrière dans le flot. Après plusieurs tours et demi-tours, nous en trouvons un deuxième, impossible d’y entrer, les arbres sont trop bas. Du coup, nous prenons une avenue sur la gauche et, là, non seulement c’est autorisé, mais en plus il y a de la place. La préposée nous fait comprendre que la durée maximale est de deux heures. Elle nous explique aussi comment rejoindre la vieille ville, c’est tout près. Parfait. Nous descendons une grande allée commerciale piétonne bien achalandée et agrémentée de fontaines et de jets d’eau et nous débouchons sur le haut de la vieille ville où nous reconnaissons, pour les avoir rencontrés dans les guides, la Tour de l’horloge et le Minaret crénelé. C’est joli mais vite vu. Reste à descendre une des ruelles, pour ses vieilles maisons ottomanes, jusqu’au petit port. Les vieilles maisons sont là, nombreuses, variées, installées sur les pentes le long de petites rues tortueuses. La question est cependant de savoir si l’on arrive à faire abstraction des rez-de-chaussée à cent pour cent consacrés au tourisme. Notre réponse est à regret négative. Les regrets sont dus à la disposition des lieux, à l’architecture et au goût dont on a fait preuve lors de la restauration. De plus, des restaurants ont pleinement profité des lieux pour créer des espaces agréables. Nous n’avons eu qu’une idée, ressortir de ce piège à touristes pour atteindre l’autre extrémité du port ; au final, nous avons réussi à ressortir par des ruelles tout aussi belles mais moins bien placées par rapport aux circuits touristiques. Quoiqu’il en soit, deux heures passent vite, il faut songer au retour. Dans la même allée commerçante, nous nous laissons tenter par un gâteau dégoulinant de miel que nous portons presque comme un étendard jusqu’à la voiture.

Nous rejoignons la route principale pour nous éloigner encore un peu plus vers l’est. La ville ou plutôt ses faubourgs industriels et de services s’étend beaucoup, mais l’avance est rapide et, de nouveau, des vergers occupent la plaine des deux côtés, les premières orangeraies significatives et surtout des plantations de grenadiers qui doivent être importantes à la saison de production. Nous n’allons pas loin : Aspendos, un site ancien réputé pour avoir conservé son théâtre dans un très bel état. Dans le village de Büyükbelkiz où il se trouve, on charge un camion d’oranges. Un grand parking, nous y sommes et prenons place à l’ombre, le soleil tape fort et, en plaine côtière, la forte chaleur n’est pas compensée par l’altitude. Un haut mur ferme le côté ouest du parking jusqu’à la route, celui du théâtre. On entre par le bas, au niveau de la scène. Le mur, à l’intérieur, a perdu la plus majeure partie de sa décoration mais ce qui reste permet de se rendre compte de son importance. Sa hauteur est impressionnante, la même hauteur que la partie gradins. Les ouvertures pour l’entrée des comédiens, les escaliers et couloirs sont là. Le haut de l’amphithéâtre est surmonté d’une galerie couverte en arceaux voûtés impeccables. Nous avons finalement vu bon nombre de théâtres, il est vrai que celui-ci est le mieux préservé. Aucun regret. Le volet folklore touristique est présent aussi : un grand gaillard en costume de légionnaire romain sue à grosses gouttes sous son casque doré tandis que deux photographes apostrophent les touristes pour une pose. Les touristes, parlons-en. Au moment où nous entrions, quatre gros bus ont déversé quatre « troupeaux » de Français. Chacun a son guide qui s’installe dans le théâtre pour délivrer ses commentaires de façon plus spectaculaire qu’à l’ordinaire. Les groupes s’éparpillent ensuite et, jusqu’au regroupement, la langue vernaculaire est le français. Ce n’est pas bien long. À notre départ, il ne reste presque plus personne.

Malgré la température, nous montons sur la colline à laquelle le théâtre est adossé et sur laquelle se trouvent les ruines de la ville. De son rebord, on domine le théâtre, nous pouvons en apprécier les dimensions. Après une rencontre avec une tortue qui court - oui, oui - se cacher sous des herbes, nous partons à la découverte du plateau. C’est vers son extrémité nord qu’arrivait l’aqueduc. S’il ne reste pratiquement rien sur le plateau, nous découvrons toute la traversée de la plaine depuis les pentes plus au nord. Le système est assez sophistiqué : par un premier aqueduc, l’eau descendait de la montagne jusqu’au début de la plaine ; à cet endroit, sa hauteur est importante tandis que, dans la plaine elle-même, elle est beaucoup plus faible, l’eau devait y être sous pression due à la différence de hauteur. À la fin de la plaine, peu avant le plateau d’où nous observons ces constructions, l’aqueduc revient à une hauteur plus importante et c’est sa pression qui permettait à l’eau de remonter cette « marche d’escalier » géante et de venir s’écouler là où elle était nécessaire aux besoins de la ville. On ne peut qu’être admiratif devant le savoir-faire des ingénieurs romains. Le reste de la ville comprend aussi quelques bâtiments intéressants disséminés dans le maquis. Dans l’un d’eux, un groupe de trois hommes en train de casser la croûte nous hèle. Après avoir refusé de partager leurs chips, nous échangeons. La grande question est de savoir d’où nous venons. Ceux qui ne comprennent pas « Where are you from? » ne doivent pas être bien ! La réponse est « Fransa ». Parfois, les interlocuteurs cherchent à avoir des précisions, mais c’est difficile de répondre quand déjà une proportion importante de Français ne savent pas où se situe notre ville d’origine. Dans ce cas, nous essayons « Montpellier » et, si ce nom n’est pas connu, l’ultime recours est « Akdeniz », nom turc de la Méditerranée. À deux reprises, cela a provoqué la question « Marseille? » ce à quoi nous avons fait comprendre que c’était approximatif. L’échange suivant concerne le métier. Je ne sais pas exprimer la retraite mais je sais me faire comprendre ce qui n’est que reculer pour mieux sauter. Et là de même. Les voilà donc fixés. Si je cherche à répondre correctement aux questions, je poursuis immédiatement avec la même question dans l’autre sens. Leur réponse surprend, ils seraient, dit l’un d’eux, policiers de site. La question suivante s’impose : « Policiers sans uniforme ? ». À quoi il se frotte la barbe. Je leur dis que c’est un métier formidable parce qu’il n’y a presque personne, que le site est champêtre et qu’ils prennent du bon temps à pique-niquer. Nous laissons les facétieux « policiers » à leur pique-nique et continuons notre visite. Le plus extraordinaire, de notre point de vue, sont les arcs voûtés du nymphée qui ont une hauteur et une portée peu communes.

De retour au parking, après le plein d’eau à sa fontaine, nous allons prendre place le long de la clôture du côté le plus éloigné de la route. Derrière la clôture, une orangeraie aux taches colorées appétissantes. Comme il est un peu tôt pour nous retirer, nous partons à pied par la route dans le village pour essayer de retrouver l’endroit où l’on chargeait un camion d’oranges. En vain, nous nous étions mal rendu compte des distances et du village lui-même. À part une mosquée et une mairie, nous ne trouvons que des cafés-marchands de jus, petits restaurants. En route, une voiture s’arrête à notre hauteur en klaxonnant, ce sont les « policiers » qui nous proposent de nous prendre. Retour. Peu après la fermeture du site, un camping-car allemand arrive. Ils visiteront demain et partiront dans la même direction que nous.


Mardi 8 mai

d’Aspendos à Karadona (photos)

Nous partons assez tôt pour profiter de la belle lumière et du peu de circulation du matin. Bien que nous n’ayons pas l’intention de traîner sur la grande route côtière, nous nous arrêtons à l’un des marchands d’agrumes installés au bord. Celui-ci est mieux équipé que d’autres qui n’ont qu’une simple voiture ou un petit kiosque puisqu’il a un restaurant, cela ne change rien. Nous sommes accueillis comme si nous étions attendus et repartons chargés de trois kilos d’oranges et de quatre pamplemousses qui nous feront regretter de ne pas en avoir pris plus. Tous ces fruits viennent des vergers que nous traversons et, une fois de plus, nous nous régalons de fruits cueillis à maturité, simples, pas calibrés, en un mot normaux. Quelle différence avec les produits achetés chez nous ! La route qui rentre à l’intérieur des terres en direction de Konya arrive vite. C’est encore une grande route qui prend rapidement de l’altitude, en quelques kilomètres. Au milieu de ces forêts de pins escarpées, les orangeraies ne sont plus qu’un souvenir. La route n’arrête pas de monter et de descendre, elle semble changer sans cesse de vallée. De ce fait, les paysages sont variés. À un carrefour un peu au nord d’Akseki, nous tombons sur des panneaux embarrassants. Konya est indiqué à droite alors que la route principale, selon les cartes, devrait continuer. Ce n’est pas le plus grave parce qu’au bout toutes deux mènent à Konya. Tout droit, Beyşehir, une étape avec un grand lac, oui, mais… un grand panneau rouge semble - nous n’en comprenons à peu près rien et il n’y a personne - parler de travaux sur certains tronçons. Après un arrêt de bien cinq minutes sur le rond-point, nous estimons prudent de suivre l’indication. Sur cette partie de trajet, le paysage est de plus en plus alpin, la neige se rapproche et la végétation se réduit à des sapins rabougris et clairsemés qui font penser à des forêts d’épinettes québécoises. Malgré la différence de température depuis ce matin sur la côte méditerranéenne et ici où la neige remplit tous les creux du bord de la route et, d’ailleurs, nous nous arrêtons souvent pour admirer le paysage. La descente est plus rapide que la montée. Pour être franc, nous ne redescendons pas au niveau de la mer mais sur un plateau à environ mille mètres d’altitude, un plateau plat, plat, plat sur lequel la végétation sort à peine de l’hiver. Après Seydişehir, nous retrouvons des stands de vente en bord de route, pas d’oranges bien sûr, mais de produits de l’apiculture. Arrêt à l’un d’eux, il faut bien goûter aux produits régionaux. Même accueil, explications à la demande, achat et en route !

Finalement, sans la visite de Beyşehir, nous arrivons assez tôt à Konya. C’est une grande ville d’Anatolie, plus d’un million d’habitants. L’entrée en ville est longue mais facile. À un carrefour, nous apercevons une boulangerie, pas un simple dépôt de pain, d’ailleurs on est en train de charger un petit camion. Nous en repartons avec deux pains encore tièdes et croustillants. Plus loin, à un carrefour, je perds la direction du centre, je le perçois immédiatement et, au carrefour suivant, nous le demandons à un groupe d’hommes fort bien vêtus. Disons en passant que c’est le premier pays visité en voiture dans lequel centre ne se dit pas center, centrum, Zentrum, centro ou autres kentron, alors il vaut mieux savoir ! C’est on ne peut plus simple en trois gestes : un pour le demi-tour, un pour le feu tricolore (ici, le vert clignote avant de passer à l’orange) et un pour tourner à gauche, là où j’aurais dû tourner à droite. Comme d’habitude, nous repérons les lieux avant de chercher ou de prendre une place. Le centre comprend une petite colline de verdure toute ronde, il suffit de tourner autour pour le repérage et pour constater qu’il n’y a aucun stationnement. Après plusieurs tentatives dans des rues qui y viennent, nous nous résolvons à aller chercher ailleurs, près de notre second centre d’intérêt, le tekke de Mevlana. Impossible de se tromper, vu le nombre de cars de tourisme ! Une place dans un parking à deux pas, nous voilà au tekke, « haut lieu du mysticisme soufi » lit-on. On se presse ici, touristes de toutes nationalités dont beaucoup de Turcs et parmi eux de bruyants groupes scolaires. L’agitation dans la cour de ce couvent de l’ordre des derviches tourneurs est intense. À gauche, on se bouscule presque pour prendre les deux sacs plastiques à élastique destinés à recouvrir les chaussures avant de pénétrer par la porte de droite. La première partie comporte un large couloir qui longe les cénotaphes. Les premiers, ceux de disciples de Mevlana, sont couverts de toile finement brodée et surmontés d’une coiffe entourée d’un turban. Vient ensuite celui de Mevlana, plus imposant que les autres, seul dans la partie séparée qui lui est réservée, sous un dôme repérable de l’extérieur à ses cannelures et ses faïences vertes. Plusieurs personnes sont plongées dans des réflexions qu’on imagine religieuses ou récitent des prières. Les autres parties de l’intérieur ressemblent plus à des pièces d’un musée par les objets de valeur qui sont exposés qu’à des lieux de prière ou de pratique religieuse. S’il n’y avait pas tant de monde, la petite cour serait un lieu agréable par la fraîcheur de sa verdure ainsi que par les bâtiments et monuments qui l’entourent. Des côtés ouest et nord, toute une série de petits dômes chapeautent les chambres des disciples ; elles sont maintenant autant de pièces d’un grand musée, on y a reconstitué des intérieurs avec des personnages de cire en costume, des objets liés au soufisme comme des livres anciens, des instruments de musique, des chapelets… Chaque pièce est petite et, pour certaines qui ont plus d’attraits, il faut un peu jouer des coudes pour y entrer. Dans la cuisine, tout un décor en trois parties a été mis en place, destiné à montrer l’importance qu’elle revêtait. Le parc extérieur a le calme qui convient entre la foule qui se presse à l’intérieur et l’agitation des rues. Comme tout est bien pensé, la sortie se fait par une ruelle piétonnière consacrée aux souvenirs.

Mais n’en restons pas là. En remontant l’avenue qui rejoint la colline Allâedin Tepesi, nous trouvons la foule normale des centres-villes, leur circulation aussi et leurs commerces en tous genres. Sur l’un des flancs de la colline, la grande mosquée, remarquable par ses nombreux piliers et son minaret. La façade de son portail est en travaux, nous n’apercevons les entrelacs noirs et blancs qui le surmontent que depuis le bord de la place. Visite ensuite de la médersa Büyük Karatay où le plus frappant est sa grande salle dont toute la partie supérieure et la coupole sont tapissées de faïences émaillées dans les tons bleus. Pour le reste, il s’agit du Musée des céramiques qui ne déçoit pas non plus. Il nous faut avouer que nous ne faisons que passer devant la médersa Ince Minare et admirer à la fois son portail et son minaret sculptés pour passer plus de temps à choisir des gâteaux dans une pâtisserie voisine plus qu’appétissante ! Le retour se fait par des ruelles du bazar, tantôt tout droit, tantôt à droite, tantôt à gauche sans autre but que la direction globale vers l’est, mais sans boussole bien sûr ! Il y a de tout, nous y faisons trois pauses. La première chez un marchand de fruits secs au départ non pour acheter mais pour le regarder griller des pois chiches, mais comment résister à ces belles pistaches environ trois fois moins chères qu’à İstanbul ? Le magasin est petit mais nous regardons tout. La deuxième pour acheter des fraises bien rouges à un marchand ambulant arrêté dirait-on pour nous à un croisement de ruelles. Troisième pause : des abricots séchés tellement alléchants que nous ne résistons pas même lorsque la vendeuse en met sept cents grammes pour le demi-kilo demandé. Retour au camping-car, les touristes se font déjà rares et le parking s’est vidé.

Il semble que l’avenue sur laquelle nous nous trouvons ait la bonne orientation, un petit arrêt pour demander à deux chauffeurs de bus qui bavardent en donne confirmation, c’est bien la route d’Aksaray, du moins après tri entre plusieurs avenues, voies rapides et carrefours, il suffit de suivre les panneaux. Vers l’est, le paysage devient rapidement aride. Les reliefs traversés sont presque déserts. La route est large, la plupart du temps à deux fois deux voies, droite, désespérément droite. Où allons-nous passer la nuit ? Des emplacements sont ménagés de temps à autre, mais, outre le fait que leur environnement immédiat évoque plus la décharge que la nature, ils sont près de la route, trop près à notre goût. Il se trouve en effet que le revêtement utilisé dans la majorité des cas est très rugueux, fait avec de gros gravillons et rend le roulage bruyant. Il s’agit de trouver quelque chose à l’écart. Les kilomètres passent, pas de route, pas de village. Et puis tout à coup, en redescendant d’un col, une route à droite, des maisons à un ou deux kilomètres et des indications pour d’autres lieux plus éloignés. La route est étroite, mais droite et la vue porte loin puisqu’aucun obstacle ne la gêne. Nous allons jusqu’aux maisons. Elles ne sont pas plus d’une demi-douzaine et largement éparpillées. Le terrain est tout plat, c’est parfait. L’installation est rapide. On ne voit âme qui vive. Deux des maisons, plus grandes que les autres, sont manifestement inoccupées, nous finissons par apercevoir une dame dans le jardin d’une autre. Tout à coup, venu on ne sait d’où, arrive un gamin. Il n’a pas la langue dans sa poche, mais tout en turc, ce qui nous laisse pantois, et cela dure… Nous ne savons que faire. Voilà que tout aussi soudainement qu’il est arrivé, il part. Nous en profitons pour passer au salon pour nos occupations habituelles. Nous aurions bien fait le tour du village si n’y croisaient pas trois de ces énormes et redoutables chiens turcs. Nous restons donc tranquillement chez nous jusqu’à ce que le même gamin reparaisse accompagné cette fois de deux autres enfants et d’une mère de famille. Nous les voyons approcher avec pour seule crainte l’absence d’échange. Ils ne font finalement que passer ; il y a tout lieu de penser que ce passage était guidé par la curiosité puisqu’une fois de l’autre côté nous les voyons hésiter ! Ce n’est que plus tard, après avoir fait semblant de s’occuper d’un troupeau de moutons qui traversait et retraversait la route sans berger ni but et l’avoir laissé continuer, que le gamin revient avec une fillette un peu plus âgée. Ils parlent mais nous ne les comprenons toujours pas si ce n’est qu’au bout d’un moment nous nous rendons compte que la fillette dit quelques mots en anglais. Ça y est ! La clé est trouvée ! Nous avons droit à l’échange habituel, nom-pays. Tout contents, ils repartent chez eux. Soirée et nuit d’un calme inoubliable.


Mercredi 9 mai

de Karadona à Yaprakhisar (photos)

Le temps est toujours aussi beau, l’air plus pur encore le matin que le soir. Personne ne bouge dans le village, les enfants doivent se préparer pour l’école. Nous partons tôt, vers 7 h 1/4, pour profiter de la fraîcheur matinale et avoir le temps d’aller assez loin en Cappadoce. À cette heure-là, le trafic est nul et laisse tout le loisir de contempler le désert sous un éclairage bas. Le relief s’efface petit à petit, nous approchons de la vaste étendue plane du lac Tuz, au nord de Sultanhanı. Le lac qui n’est pas visible de la route apporte l’humidité suffisante au développement de quelques plantes. Sultanhanı est un village en deux parties, l’une d’elles est limitée au caravansérail et l’autre comprend tout le reste. La rue qui mène au caravansérail est recouverte de tapis mouillés posés à l’envers. Le caravansérail, bien restauré, est une forteresse rectangulaire, ses murs extérieurs sont hauts et renforcés, sa majestueuse porte finement sculptée. Au milieu de la grande cour intérieure une mosquée repose sur quatre énormes piliers. Sur les côtés se trouvent les pièces réservées aux voyageurs ou à l’administration ainsi que des entrepôts et au fond une vaste étable à cinq nefs voûtées. Nous sommes seuls au début, avant l’arrivée des premiers groupes. À l’extérieur, la place devant le caravansérail et un établissement sur la gauche font partie du périmètre touristique, la grande place sert au stationnement des bus, trois distributeurs d’argent attendent les touristes sur le trottoir d’en face.

Le reste du village est turc et ressemble aux autres villages. Nous décidons d’aller y faire un tour. Le plus simple est de tourner autour du caravansérail. Vers l’arrière, à droite, le groupe scolaire vers lequel se dirigent les élèves en uniforme. Certains veulent être pris en photo. À l’arrière, nous voyons de petits ateliers et des tapis. Nous regardons au travers des vitres, c’est suffisant pour être invités à entrer. Ce sont des ateliers de réparation de tapis. Ils ont de la laine de toutes les couleurs, des pigments liquides et tous les outils nécessaires. Là on remplace des fils manquants, ici on recolore des parties délavées, plus loin on recoud un bord… C’est un travail d’hommes alors qu’on entend partout dire que ce sont des femmes qui font les tapis. Selon le travail, ils sont debout ou assis au milieu de tapis. Les ateliers se suivent en file. On répare, mais on ne vend pas ce qui signifie que les tapis sont apportés par leur propriétaire à cet effet et qu’ils seront repris. Sur le côté gauche du caravansérail, les ateliers se transforment en magasins. Les plus éloignés de la place sont les plus sommaires, sans exposition extérieure, sans grand souci de présentation, avec des tapis de toutes qualités tandis que vers l’avant l’aspect commercial est plus développé. Nous passons un long moment dans un des derniers vers l’arrière. On nous sert le thé, on discute, on nous présente des tapis. Presque tous sont de la région d’Aksaray, c’est-à-dire locaux. Nous finissons par en prendre un et demandons une reprise sur un côté. Le plus amusant est la question de l’âge des tapis. Le nôtre aurait cinquante ans, nous ne posons pas la question de savoir le temps nécessaire d’exposition et d’écrasement par les voitures sur la route cela nécessite ! La réparation donne le temps de partir à la découverte du reste du centre. En s’éloignant du caravansérail, la vie normale reprend le dessus, c’est vraiment comme si deux mondes se côtoyaient. Ici, le village du monde rural a son bazar adapté, ses maisons de thé, ses petites épiceries, son coiffeur, son vétérinaire… Nous avons beau être à moins de cinq cents mètres d’un lieu très fréquenté par les touristes, notre présence ici surprend. Nous achetons de l’eau et du yaourt. Au retour, le travail est terminé, on nous porte le tapis à la voiture et nous repartons.

Le paysage est toujours aussi désertique et dans les teintes ocres bien que, vers le sud, le massif enneigé de Hasan Dağı commence à se dessiner. Un des guides dit que la ville d’Aksaray compte plus de 150 000 habitants. Notre question en arrivant par cette route bordée de désert est de savoir de quoi ils peuvent bien vivre et la réponse est apportée par notre passage devant une grande usine, c’est ici que l’on fabrique les camions Mercedes ! Les immeubles sont beaux, récents et peints de couleurs vives comme souvent. Nous traversons la ville sans nous arrêter parce qu’elle marque la limite ouest de la Cappadoce et que nous aimerions bien avoir le temps de faire une randonnée. Le relief reprend dès la sortie est de la ville. Ce ne sont pourtant que des collines, une montée sur un plateau coupé de vallées verdoyantes. Nous prenons de petites routes et passons dans des petits villages blottis dans leur vallée où nous voyons les premiers rochers coniques qui ont fait la renommée de la région. Le village de Selime marque l’entrée dans la zone des habitations rupestres. Nous nous arrêtons à la sortie, non loin de la cathédrale de Selime, sur le parking du cimetière où se trouve la tombe d’Ali Paşa. Le but du jour est atteint peu après puisque c’est de Yaprakhisar que nous comptons randonner dans la vallée de Peristrema.

Un grand terrain herbu est parfait pour le stationnement, nous pouvons même choisir une place à l’ombre de saules au bord de la rivière Melendiz Suyu. Nous partons vite parce que la distance à parcourir dans la vallée est importante et qu’il faut compter double avec le retour. C’est un parc, il faut payer. La marche le long de la rivière est agréable, il fait beau, la vallée est étroite et se termine en falaise en haut de chaque côté. Le chemin traverse tout d’abord des champs, de tout petits champs. Les terrains d’alluvions sablonneux doivent être propices à la culture des légumes, pommes de terre, oignons, haricots… tant ils sont nombreux. Chaque parcelle est limitée par des haies d’arbres, des peupliers ou des saules, tout est organisé pour l’irrigation. Nous ne rencontrons personne. Les pâturages prennent ensuite la place des champs et, la vallée se resserrant un peu, nous commençons à voir des aménagements et des sculptures rupestres. Le soleil se cache de temps en temps et de plus en plus souvent derrière des nuages, de beaux nuages aux contours bien découpés sur le fond de ciel bleu, pas de quoi s’inquiéter, juste à surveiller. La première partie du trajet, entre le pont sur la rivière à l’entrée dans le site jusqu’au village de Belisırma, est de la promenade simple, les quelques habitations rupestres sont difficiles d’accès et ne présentent guère d’intérêt. Le village marque un changement, la seconde partie étant de plus riche en églises anciennes excavées dans la roche. Ce village offre une bonne illustration des deux mondes qui se côtoient, celui des touristes et celui des paysans. Le village est un peu à l’écart de la rivière où se trouvent les kiosques à souvenirs et les restaurants avec leurs tables installées jusqu’au milieu de la rivière. De l’autre côté, on cultive des petits champs et on amène ses bêtes paître à l’écart. Pressons le pas, la seconde partie est plus longue, les nuages avancent et le temps passe. Il faudrait au minimum aller visiter quelques églises. Malchance, l’accès à celles de Belisırma est fermé parce qu’elles sont devenues dangereuses. Le guide en indique huit avant Ihlara. Visiter une église signifie quitter le chemin au bord de l’eau et monter dans les éboulis jusqu’au pied de la falaise. Heureusement, des aménagements ont été réalisés pour les montées. Malgré les dommages, les peintures restent intéressantes. Cette partie de la vallée qui donne l’accès le plus rapide aux églises est manifestement plus parcourue que la première. Ne pouvant pas voir toutes les églises, nous nous contentons des plus significatives selon les guides et rebroussons chemin. La descente douce de la vallée contribue à augmenter notre vitesse. Peu avant le retour au parking, nous traversons le vieux pont puisque nous sommes garés sur la rive gauche. Un chemin semble suivre la rivière, nous le prenons. Il se perd un peu, nous longeons des champs et arrivons à quelque chose d’inattendu : un canal d’irrigation nous sépare du terrain du camping-car. Un homme qui était en train de cultiver une parcelle vient nous expliquer qu’il suffit de passer sur l’écluse, une plaque verticale en fer, en se tenant à la barre au-dessus. Ce n’est ni très large ni profond, mais cela ne me tente pas du tout. Il fait signe que nous pouvons aussi continuer de ce côté et rejoindre la route. Il n’y a pas de chemin, mais ce n’est pas loin, nous voyons la route. À mi-chemin, les chiens de la maison proche se rendent compte de notre approche et comme on ne plaisante pas avec les chiens ici, un demi-tour rapide s’impose. Le passage de l’écluse ne pose plus de problème ! Nous sommes sur le bon terrain et rentrons. Quelques gouttes nous accompagnent et un peu d’orage gronde en soirée. Cette nuit, le bruit de la rivière a l’effet d’une berceuse.


Suite du voyage de 2012

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