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Voyage de 2012

Semaine 7, Turquie

Jeudi 17 mai

de Şanlıurfa à Nemrut Dağı (photos)

Même soleil, même lumière claire que les autres jours. Ce matin, nous rebroussons presque chemin et commençons par un tronçon de la route vers l’est avant de prendre vers le nord puis vers le nord-ouest en direction du barrage Atatürk. La route court tranquillement dans un paysage ondulé dont tous les terrains à l’exception des plus hauts sont pris par des plantations de pistachiers de tous âges. À part cette verdure, tout est ocre. Avant d’arriver à la vallée de l’Euphrate (Fırat), de grands travaux de construction d’un canal croisent la route. La construction des grands barrages en Anatolie centrale a permis le développement de l’agriculture dans toute cette partie du pays. Un canal supplémentaire permettra d’accroître encore les surfaces irriguées. Les pays en aval, Syrie et Irak, ne sont guère (sans jeu de mot) en état de se plaindre de cette nouvelle ponction.

Au point le plus bas du trajet se trouve le pont sur le fleuve. À cet endroit, il s’échappe d’une faille dans la montagne. Une petite route puis un escalier mènent à une maison de thé installée dans le jardin du belvédère. L’énorme barrage en terre a été construit à l’entrée de la gorge dont on voit l’autre extrémité depuis le pont. C’est l’un des plus grands du monde dans cette catégorie. Le lac est extrêmement ramifié, il allonge ses bras tentaculaires dans toutes les anciennes vallées affluentes. Pour cette raison, le regard ne peut porter que sur une partie réduite de sa superficie, dans l’axe de la vallée principale. À notre arrivée, il n’y avait personne, aucune voiture ce qui nous a fait hésiter sur notre droit à venir là. Au bout d’un moment un groupe de touristes locaux est arrivé. À notre départ, ils n’avaient pas fini de prendre leur thé.

Après le barrage, la route suit la direction de l’une des vallées inondées. Les couleurs ont changé du tout au tout, finis les ocres, ici le vert des champs de céréales en pleine croissance se partage le paysage avec le bleu des eaux du lac et du ciel. Chaque vue sur le lac donne une impression de grandeur. Avant Adıyaman, cap à l’est, nous tournons autour du lac, une sorte de tour de cinquante kilomètres de diamètre. En entrant en ville, nous voyons un homme en train de nettoyer la cour d’une entreprise avec un gros tuyau. Nous lui demandons à faire le plein, pas de problème. Avec ce débit, l’opération n’est pas longue, juste assez pour que d’autres viennent voir. Après le plein d’eau, le plein à la station qui partage la même cour et nous voilà équipés pour un moment. Quelques achats de provisions dans un petit magasin en quittant la ville et nous continuons…

Kâhta est en dehors de la route, nous n’y allons pas, préférant profiter du beau temps pour monter dans les montagnes. Nous nous arrêtons à Karakus Tepesi. Une petite éminence est surmontée d’un tumulus de pierres concassées. Des grosses colonnes qui supportent des statues l’encadrent. D’un côté, la vue porte sur d’autres bras du lac, d’un autre, vers le nord, une vallée entre des collines toutes vertes parsemées de quelques arbres précède de vraies montagnes dont le sommet est le fameux Nemrut Dağı. Vers l’ouest, commencent des champs de pois chiches bons à récolter. Un petit vent frais nous fait oublier la chaleur d’hier. Le tenancier de la maison de thé-restaurant nous invite à rester pour la nuit.

Il est bien trop tôt pour nous arrêter, mais il faut reconnaître que l’emplacement est agréable. Nous restons un bon moment. Étape suivante : Cendere Köprüsü à une dizaine de kilomètres, dans la vallée que nous voyions d’en haut. La route est petite, mauvaise et la descente est forte. La vallée qui est complètement ravinée contraste fortement avec les collines vertes. La rivière sort d’une gorge aux parois verticales avant de passer sous un grand pont romain. Vu d’en face, il semble barrer la gorge. Bien restauré, c’est un beau pont en dos d’âne. Deux colonnes se dressent à l’une de ses extrémités, une à l’autre. Ici aussi, l’endroit est tranquille et conviendrait bien pour la nuit. Nous reprenons la route, cette fois en direction d’Arsameia. Elle n’est pas meilleure. Une moto qui vient à notre rencontre nous fait signe. Le motocycliste nous demande si c’est nous qui lui avons téléphoné pour une question de camping. Comment aurions-nous pu le faire ? Nous ne le connaissons même pas. Il dit ne pas avoir pu entendre le message correctement… les nouvelles vont vite, ce doit être un appel du patron du restaurant de Karakus Tepesi. Justement, il a un camping avec des douches à Arsameia… Il nous précède pour nous montrer, sans engagement, bien sûr. Le site d’Arsameia se trouve dans le Parc national de Nemrut dağı, nous devons payer un droit d’entrée. Sur place, il nous fait voir son camping de loin, nous verrons après la visite si nous restons ici ou si nous continuons. Un chemin monte vers le site. En haut, il ne reste pas grand-chose : une belle stèle, un escalier souterrain vers un lieu de culte de Mithra, une inscription et des ruines qui ressemblent à des tas de cailloux. La vue d’en haut est très belle, en particulier vers l’ouest avec un village, un château fort sur une épine rocheuse et une vallée escarpée. Des orchidées fleurissent dans l’herbe épaisse.

Coup d’œil vers la montagne : deux routes mènent au sommet, la plus courte part d’ici, mais on dit qu’elle est mauvaise et les pentes fortes, et une autre, beaucoup plus longue oblige à ressortir du parc et à y entrer à nouveau mais elle est correcte et les pentes sont normales. De notre belvédère, nous voyons le début de la première, elle ne semble pas goudronnée et les lacets commencent dès le fond de la vallée. Si nous prenons la première, nous arriverons en haut plus tôt. Nous nous lançons. Effectivement, elle n’est pas asphaltée, à peine empierrée, en travaux ; elle semble être du jour, comme si une de ces grosses machines était passée et avait grossièrement aplani le terrain. Les premières épingles sont redoutables, pente inimaginable, petits et gros cailloux roulent sous les roues qui ont du mal à tirer le camping-car. J’essaie de passer en seconde entre les épingles, mais la pente est si forte qu’elle a du mal à tenir. Je redoute un croisement et nous avons la chance de ne croiser personne. D’ailleurs, c’en est presque inquiétant : personne devant, personne derrière, personne, pas un berger. Il fait beau, le ciel est resté du même bleu pur depuis ce matin. Le terrain est parfaitement sec, au moins, nous ne glisserons pas ! Nous nous demandons quand arrivera la fin. La fin est un carrefour avec l’autre route. Mais elle n’est pas là, à cette vitesse, les kilomètres ne passent pas vite. La route traverse un village dans lequel elle devient si petite que nous nous demandons si elle ne s’arrête pas là. Nous demandons, elle continue encore sur quatre kilomètres, mais ce n’est pas mieux après. Un grand ouf lorsque nous parvenons enfin au carrefour. L’autre route n’est pas goudronnée mais large et recouverte de pavés de ciment. Peu importe, le roues avant qui dérapent sur des cailloux, c’est fini. La pente est moins forte, nous marquons un temps d’arrêt puis reprenons pour découvrir qu’un peu plus loin, la pente redevient impressionnante. Nous prenons de l’élan, plein gaz, pas un dérapage et nous arrivons en haut. Pour nous arrêter, nous montons jusqu’en haut où la pente semble moins forte. Aussitôt plusieurs personnes viennent déplacer leur minibus afin de nous ménager de la place, il ne faut pas exagérer, nous retournons dans la pente et nous garons, penchés sur le côté. Le sommet n’est pas loin, dans les cinq cents mètres, à faire à pied.

À 2 150 m d’altitude, il reste de la neige un peu partout, nous nous équipons. Le sommet du Nemrut dağı est étonnant, son image est devenue un symbole pour les services officiels turcs de tourisme. Un immense tumulus le recouvre, comme l’autre, en pierres concassées. Deux terrasses principales, à l’est et à l’ouest, de grandes statues dont les têtes sont tombées à terre. Maintenant fichées sur le sol, elles attendent et fixent les visiteurs. Vers l’est, l’ombre a gagné presque toute la plate-forme. À l’ouest, le soleil bas donne beaucoup de relief aux têtes. Cinq ou six autres touristes sont là qui bougent peu, ils attendent le coucher de soleil. Ils en ont encore pour un moment. Vers le sud, nous avons, devant nous, l’immensité du lac du barrage Atatürk, avec le découpage de tous ses bras, une vue grandiose. Nous ne restons pas pour le coucher de soleil parce que nous n’avons pas d’emplacement et que de telles pentes se prêtent peu au camping. En redescendant, nous croisons groupe sur groupe, pas mal d’Asiatiques dont certains, pas du tout équipés pour rester dans le vent à cette altitude, ne tarderont pas à geler. Sur le parking, en face de nous, s’est garé un couple de Barcelonais en camionnette aménagée avec lequel nous bavardons un moment. Ensuite, descente en camping-car à toute petite vitesse. Nous croisons plein de minibus à l’assaut du sommet, les derniers devront courir pour voir le soleil ! Nous passons deux emplacements qui pourraient convenir s’ils n’étaient pas aussi haut et isolés. Petit à petit, nous arrivons à la barrière du parc. Je vais au guichet pour demander, mais personne ne parle anglais, une femme turque de passage pour le péage traduit. C’est d’accord. Le fait que ce soit un peu plus compliqué que d’habitude est dû au parc et à ses règlements. Nous nous installons presque en face de la barrière. Aucune voiture entre la dernière qui descend du coucher du soleil à la première qui monte pour son lever.


Vendredi 18 mai

de Nemrut Dağı à Diyarbakır (photos)

Même ciel pur ce matin. À partir de la barrière, la descente est bien moins forte. La route traverse quelques villages où les enfants en uniforme se préparent à partir à l’école. Le bas de la montagne est consacré à l’élevage. Une fois le dernier col passé, le terrain est plus sec, des petits champs de céréales remplacent les prairies. Les villages, peu nombreux, font pauvres.

Mais la grande route est là et nous la reprenons vers l’est. Le passage de l’Euphrate (Fırat) se fait par ferry. La route s’arrête dans l’eau. Plusieurs petites maisons de thé sont établies là. Hormis le clapotis de l’eau, il n’y a pas un bruit. De l’autre côté de l’anse, de gigantesques travaux laissent présager la construction d’une route puis d’un pont, les travaux sont moins avancés sur l’autre rive. Le pont sera construit à un endroit resserré à la sortie de la gorge par laquelle arrive le fleuve. Il semblerait que rien ne les arrête dans les grands travaux. Vus d’ici, les camions sont petits et la montagne immense. À cet endroit, nous sommes encore sur les eaux du barrage Atatürk, à vol d’oiseau à quatre-vingts kilomètres. Au bout d’un moment, nous voyons le ferry venir. On monte en marche arrière, deux autres voitures partent avec nous. Après dix-huit minutes de traversée, nous retrouvons la route. De nouveau, le paysage change complètement. De part et d’autre, des prairies vertes parsemées de blocs de basalte plus ou moins gros donnent une impression de chaos. Des bergers transhumants, leurs familles installées dans des tentes coniques blanches, font paître de grands troupeaux dans cet espace. Cet aspect champêtre pénètre la ville de Siverek : les premiers immeubles sont bâtis dans le même paysage et des habitants mènent de petits troupeaux le long du contournement. La circulation étant pratiquement nulle, nous avançons bien et, comme nous le souhaitions, nous arrivons tôt à Diyarbakır.

Ce matin n’est pas ordinaire. Depuis hier midi, j’ai mal à une dent, l’aspirine m’a toutefois permis de dormir presque normalement. Je ne sais pas encore ce que nous pourrons faire mais il faut faire quelque chose, nous sommes loin de la maison, trop loin pour attendre. Selon l’un de nos guides, l’office local du tourisme est hébergé dans une des tours des remparts. Nous trouvons sans problème les remparts puis cette tour. Je trouve une place le long du trottoir d’en face. J’y vais seul parce que le stationnement et l’arrêt sont interdits. Un premier tour de la tour, rien, un deuxième, rien. Aucun des chauffeurs de taxis garés devant ne parle anglais. Je retourne à la voiture. Nous sommes arrêtés devant une rangée de pharmacies, un pharmacien doit pouvoir m’aider. On ne parle pas anglais, mais c’est facile à expliquer par gestes. Pourquoi le pharmacien prend-il un air embarrassé ? Je ne le connais pas mais essaie le mot « doktor », tant il y a de langues dans lesquelles il est utilisé. Son air est encore plus embarrassé. J’en conclus qu’il n’en connaît pas et qu’à son niveau, la médecine doit fonctionner autrement. Un éclair de génie, cela se voit sur son visage, il dit « hospital », preuve qu’il connaît au moins un mot en anglais. Pourquoi pas, c’est peut-être le moyen habituel de recevoir des soins. Il m’explique que c’est juste à côté, deuxième rue à gauche.

Nous voilà partis pour l’hôpital. Comme il n’est pas question de laisser le camping-car en plein carrefour à un endroit interdit, nous cherchons un parking à côté de l’hôpital. La cour d’un bâtiment officiel que nous n’arrivons pas à identifier fera. Diyarbakır est une grosse ville à majorité kurde, elle compte plus de huit cent mille habitants, autant dire que l’hôpital n’est pas petit. Plusieurs bâtiments occupent le domaine. Nous nous dirigeons vers celui qui semble concentrer le plus de mouvements. À l’accueil, on ne parle pas anglais ce qui n’empêche pas d’expliquer, comme avec le pharmacien, et d’avoir une réponse que nous ne comprenons pas. L’hôtesse prend son téléphone pour appeler quelqu’un qui parle anglais et qui explique que ce n’est pas ici. Je ne comprends pas où il faut aller, il nous amène à un autre bâtiment. C’est un immeuble assez long à quatre étages. L’entrée est une petite porte en bout de bâtiment et en demi sous-sol. Un long couloir, des portes, du monde mais moins qu’à l’extérieur. Raisonnablement, l’accueil doit se trouver à la première porte, effectivement. Deux personnes attendent devant moi. Le préposé ne parle pas anglais non plus. J’explique, il me demande quelque chose, je lui tends ma carte d’identité, c’était cela ! Et maintenant, il se débrouille comme il peut pour remplir les cases du formulaire sur son ordinateur. Je le vois bien tourner la carte dans tous les sens, il ne comprend rien et tant qu’il n’a pas renseigné tous les champs voulus par sa machine, il ne pourra pas continuer. C’est plus long qu’avec les Turcs ! Il finit par y arriver. La machine délivre un petit autocollant qu’il place sur un carnet, mon document d’admission. Il comporte mon nom, un numéro d’ordre et un numéro de cabinet. Je lui tends un petit papier pour qu’il écrive le lieu et l’heure du rendez-vous.

Ce sera 13 h, ce que je comprends, mais dans un lieu que je ne comprends pas. Je lui demande par gestes de l’écrire sur un papier de façon à pouvoir le montrer et me faire guider, ce sera dans la « poliklinik » n° 7, ici, à l’étage. Il est midi. Retour au camping-car. Ayant remarqué qu’il y avait de la place dans la cour de l’hôpital, nous y venons en voiture. En plus, nous avons une place à l’ombre d’un grand arbre. Nous mangeons rapidement là et, un quart d’heure à l’avance, nous partons pour le rendez-vous. Là, surprise : à l’étage, le couloir est plein, les chaises sont toutes occupées et ne suffisent pas. Tous les regards se tournent vers nous. Le couloir donne sur les « poliklinikler ». Deux par deux, elles ont une salle d’attente, aussi pleine que le couloir, et un secrétariat. Manifestement, tout le monde est convoqué à la même heure. Vingt-cinq à trente personnes attendent. Vers 1 h, 1 h 5, à l’arrivée des secrétaires, comme tous les patients, je vais donner mon document d’admission et attends. C’est amusant, cette salle d’attente, on y croise toutes sortes de gens, de tous âges. Les femmes, plus nombreuses, sont habillées soit de vêtements à la mode avec ou sans foulard, plus souvent en manteau long et quelques unes sont complètement recouvertes d’un niqab noir. On va, on vient, ce qui libère des places assises. On se déplace pour nous laisser deux places ensemble. Tous se demandent, non pas ce que nous faisons là, c’est évident, mais d’où nous venons, la curiosité se lit sur les visages, mais personne ne demande. Cela finit par se savoir, je me suis équipé de mon dictionnaire de poche dont la page de couverture ne fait pas mystère de la langue ! Les médecins arrivent petit à petit. Des patients entrent dans le cabinet, là aussi, on va et on vient, c’est difficile à comprendre, les portes n’arrêtent pas de laisser passer des personnes, des infirmiers, des aides, des patients, des personnes qui accompagnent des patients ? Les secrétaires appellent les gens. Je tends l’oreille parce que Dieu seul sait comment elles diront mon nom. En parallèle, les noms s’affichent sur un écran bleu, avec d’autres renseignements dont un numéro, l’appel doit doubler cet affichage pour les personnes qui ne sauraient pas lire. Cela a commencé au n° 40 et j’ai le 49. À un moment, je vois mon nom apparaître sur l’écran et une secrétaire me fait signe, c’est mon tour. Une jeune doctoresse me reçoit, elle parle très bien anglais, à son niveau d’études, je m’y attendais. Je dois payer pour recevoir des soins, bien sûr. Accompagné d’un infirmier, je suis conduit à la caisse. C’est très bon marché. Retour dans la salle de soins, elle regarde ma dent, le diagnostic tombe, un problème à la racine, puis le remède : il faut l’arracher. Je le craignais un peu, voyant que la plupart des gens qui étaient entrés avant moi ressortaient rapidement en se tenant la mâchoire. L’intervention doit être en deux étapes : une anesthésie locale, le patient ressort, il y retourne au rappel de son nom et il se fait arracher la dent. Je lui demande s’il n’y a pas d’autre moyen. Elle propose un antibiotique et un analgésique, d’accord ! Elle me demande ensuite si je veux une radio. Je lui réponds que c’est elle le médecin. Pour la radio, il faut repayer, même démarche. On m’accompagne ensuite à la salle de radio dentaire. Le résultat arrive directement sur l’ordinateur de la doctoresse. Je ne le vois pas, rien ne change ni au diagnostic ni au remède. Elle rédige une ordonnance et me dit qu’elle ne sera pas de service lundi mais que je peux revenir mardi matin pour arracher la dent quand j’aurai mal et la figure déformée. À chaque étape, je fais une pause dans la salle d’attente qui ne désemplit pas et où les nouveaux se posent toujours la même question à notre endroit. Je repars avec mon carnet d’admission.

Il est encore assez tôt pour aller visiter la ville. Nous laissons le camping-car à l’hôpital, le parking est bien situé et n’est pas saturé, loin de là. Nous entrons en ville par la porte à côté de la tour où j’ai cherché l’office du tourisme. La rue principale est pleine de vie. Comme les guides indiquent des constructions anciennes sur la gauche, nous y allons. La rue est paisible, on s’y promène, on y boit du thé, non, des hommes boivent du thé, des enfants jouent, des jeunes gens s’y donnent rendez-vous… Nouvelle surprise après l’entrée dans l’enceinte du château, une enceinte à l’intérieur de celle de la ville, l’office du tourisme ! Aucun panneau ne l’indiquait. Nous y allons, ici non plus, on n’est pas surmené. Les employés qui avaient mis un DVD dans l’un des ordinateurs et regardaient le film ne se rendent même pas compte de notre présence. Pause, ils sont à nous. On nous donne tous les documents possibles, on nous explique ce qu’il ne faut pas manquer, etc. Très bien, quel dommage de ne pas les avoir trouvés ce matin ! Nous continuons la visite de ce quartier, eux retournent à leur film. En fait, la plupart des constructions sont endommagées, des travaux de restauration sont en cours sur les remparts. Nous y allons pour le point de vue. Autant l’Euphrate (Fırat) est puissant et majestueux, autant le Tigre (Dicle) est décevant. Vu d’en haut, on dirait une petite rivière perdue au milieu d’une belle vallée verte.

À la fois lieu de passage et bazar, la rue principale est très animée. La grande mosquée s’y trouve, de belles et anciennes halles reconverties en magasins ou restaurants y donnent. Nous allons aussi voir la mosquée Şeyh Mutahhar pour son minaret, construit au milieu de la rue et perché sur quatre piliers. Un jeune et sympathique patron de maison de thé vient parler avec nous, nous prenons un thé chez lui, à côté du minaret. Trois jeunes Turques armées d’appareils viennent alors vers nous pour nous prendre en photo et échanger. Elles font des portraits de personnes rencontrées dans la rue et nous en montrent, ils sont superbes. Elles demandent à voir ce que nous prenons, c’est moins bien, plus varié parce que j’essaie de rapporter des souvenirs de tout ce que nous voyons ; la tâche leur est plus facile dans la mesure où elles peuvent parler avec les gens et leur demander de se prêter aux poses alors que nous ne pouvons que profiter de situations. Nous les retrouvons un quart d’heure plus tard en train de se photographier dans l’église chaldéenne (Keldani Kilisesi). La langue d’affichage est le syriaque, c’est joli mais on ne comprend rien. Poursuivant l’exploration de la rue principale, nous découvrons une halle aux fromages, on ne vend que cela. La plupart sont frais et dans des bains de saumure. Ils ont toutes sortes de formes, en fils, tressés, plats… Nous avançons ainsi jusqu’à la porte de Mardin, à l’autre extrémité de la rue. Cette porte est une sorte de bastion qui s’intègre dans les remparts. De l’extérieur, la vue donne de nouveau sur la vallée du Tigre et ses jardins tout verts. Il est maintenant temps de retourner. Un arrêt dans une pharmacie pour acheter les médicaments prescrits et un bain de bouche et nous regagnons la cour de l’hôpital, déserte à cette heure-là un vendredi, puis nous partons.

La sortie de la ville est pénible. Nous voulons prendre la route de Mardin, mais où est-elle ? Raisonnablement, elle devrait se trouver au sud, dans la direction de Mardin, peut-être du côté de la porte de Mardin. Nous n’y arrivons pas. Arrêt à une station-service, personne ne parle anglais ce qui n’est pas grave puisque les explications sont simples. Ce que nous en retenons, c’est qu’il faut retourner et prendre une autre direction. C’est ce que nous faisons si ce n’est qu’à cette heure, la circulation est difficile et nous laisse peu de temps pour les décisions. Je finis par tendre le bras à notre voisin de gauche à un feu rouge. Il me propose de le suivre. Facile à dire, il a la conduite un peu leste et change de file plus facilement que moi, je finis par le perdre, mais j’ai compris. Demi-tour près du Tigre, maintenant c’est bon et nous finissons par trouver une indication, la première, bien loin du centre. En quittant l’agglomération, nous repérons un grand parking vide, celui d’une station-service et d’un restaurant fermés. Nous allons jusqu’au bâtiment de gauche, le gardien se déplace. Pas de problème pour passer la nuit ici, il prépare le thé ! Pour évacuer la chaleur de la journée, nous ouvrons en grand. C’est au moment de fermer que nous nous rendons compte que nous avons fait le plein de moustiques ! Vers le sud-est, notre direction, le ciel est trouble et jaunâtre, vent de sable.


Samedi 19 mai

de Diyarbakır à Mardin (photos)

Le beau temps est fidèle au rendez-vous mais le nuage de sable au sud-est ne s’est pas dissipé. La ville de Mardin n’est pas loin. La route traverse une plaine fertile aux grands champs couverts de céréales. En avançant, le pays est plus vallonné et de plus en plus sec. Avant Mardin, les collines sont dépourvues de végétation.

La ville est entièrement couverte par le vent de sable. Comme il ne tombe pas, la visibilité reste bonne. L’horizon a disparu, le sol se confondant au loin avec le ciel jaunâtre et trouble. Le soleil est atténué voire absent. La vieille ville ne peut qu’être sur la colline rocheuse, nous y montons. Une fois en haut, il faut rapidement trouver un parking, une vieille ville n’est pas un endroit adapté au déplacement d’un camping-car. La rue principale est parcourue par les autobus de la ville, s’ils passent, nous passerons. Vers le milieu se trouve un parking. Des drapeaux turcs entourent la place. Le préposé ne veut pas du camping-car, je n’insiste pas, le 19 mai est le jour de la Fête de la jeunesse et des sports, la place est peut-être réservée pour des activités ou au stationnement de bus pour cette manifestation. Le retour par la même rue est plus problématique. La rue fait deux voies de large, trois en se serrant très fort, et l’une d’elles est occupée par le stationnement. Nous avons la chance de ne croiser que des voitures. Au bout, je vois un parking, j’y vais. C’est le parking des minibus de la ville, on nous autorise à y prendre place. Balade en ville, nous nous laissons un peu guider par les rues, les ruelles, les escaliers et les belles constructions qui s’y trouvent. Leur réseau est inextricable. Les travaux en tous genres dont des réhabilitations sont nombreux. L’architecture est belle, de belles demeures en pierres taillées ou sculptées, de beaux linteaux, de belles fenêtres, de beaux tours de porte ainsi que de belles mosquées et des minarets qui ne déparent pas. La couleur dominante est celle du ciel, les pierres de constructions doivent être du même matériau que celui qui plane. Le temps vire du jaunâtre au gris-jaune. Nous visitons le musée. Installé dans une belle demeure, il nous plaît beaucoup. Ce qui est moins plaisant est la pluie qui a profité de notre passage à l’intérieur pour s’installer. Impossible de savoir s’il y en a pour longtemps, nous ne voyons toujours pas le ciel, il pleut, mais pas assez pour lessiver le ciel de son sable. N’ayant rien pris pour nous abriter, nous patientons un peu, ce qu’il faut pour qu’elle diminue. Nos pas nous amènent petit à petit au bazar qui présente l’avantage d’être couvert. Les artisans sont plus nombreux qu’ailleurs, une partie du transport se fait à dos de mulet, ce que nous n’avions pas observé jusqu’ici, un indice du niveau de vie. Le bazar débouche vers la grande mosquée, une très belle cour dans les mêmes tons que les autres constructions anciennes. La rue continue, nous la suivons jusqu’à ce qu’il soit raisonnable de retourner. L’après-midi, nous explorons un peu plus le bazar.

Pour la nuit, nous nous garons sur le parking juste au-dessus, comment avions-nous fait pour ne pas le remarquer ? Ce grand parking au bord d’une falaise domine des parties basses de la ville. Des camions y stationnent, des magasins d’outillage et de bricolage le bordent de l’autre côté. En fin d’après-midi, nous recevons la visite du chauffeur du camion voisin. Il est le propriétaire de deux gros camions de transport. Il en conduit un et son père conduit l’autre. Son père a soixante-quinze ans et ils partent tous deux pour İstanbul dans la nuit (mille trois cents kilomètres) ! Il parle très bien anglais, nous passons un bon moment sur la carte. Il est un peu réservé sur l’Irak où nous devons passer sous peu disant qu’il n’y a pas vraiment de loi, pas vraiment de police… même pour le Kurdistan irakien. Moi qui commençait à m’interroger sur cette partie de voyage, voici un avis négatif qui compte. Il a beau être contraire à tout ce que l’on lit sur internet concernant le Kurdistan, émanant d’un presque voisin, il faut en tenir compte. Le soir, c’est au tour du gardien du parking de venir, pour un cadeau, une sucrerie à base de pâte d’abricot et de noix comme en font les Arméniens. Il repart aussitôt sans rien demander ! Pas un bruit la nuit.


Dimanche 20 mai

de Mardin à Savur (photos)

Le ciel est au beau, le soleil brille. La pluie d’hier a en partie nettoyé le sable. La couleur du ciel est passée de jaunâtre à bleu trouble. C’est mieux pour le programme du jour : visites au sud de Mardin. En partant, nous cherchons les vues sur la ville. Comme elle est construite sur le versant sud d’une arête rocheuse, en s’éloignant un peu vers le sud, même sans sortir de l’agglomération, nous devrions pouvoir trouver des points de vue. Ce n’est pas facile. La meilleure semble être le parking d’un grand hôtel moderne et luxueux. Il faudrait être un peu plus loin, mais plus loin signifie plus bas et les vues d’en bas écrasent le relief. Nous essaierons depuis la plaine. En attendant, nous partons à la recherche du pavillon d’Abdülkadir Paşa. La description donnée par un des guides n’étant pas suffisante, nous demandons, en vain, même les policiers et malgré les efforts qu’ils déploient en téléphonant ne trouvent pas. Cet épisode aura au moins permis la découverte d’une superbe maison avec de grands arbres que son occupant nous autorise à admirer et à photographier du jardin.

L’étape prévue à la suite est la visite du monastère de Deyrul Zafaran. La route qui y mène se détache de la route principale à la sortie de Mardin et traverse un tout petit village, Eskikale, que nous ne remarquerions pas s’il n’y avait autant de voitures et autant de monde. Plus loin, le monastère est établi sur le versant sud d’une colline et domine la plaine vers la Syrie. Fondé au Ve siècle, le monastère continue à recevoir des fidèles et des étudiants. Aujourd’hui, dimanche, les visiteurs sont nombreux. Les bâtiments sont beaux, dans les mêmes tons et les mêmes pierres que Mardin, le jardin étagé qui y mène est agréable et la vue donne un aperçu de la campagne. Comme toujours quand il y a du monde, ici, essentiellement des touristes turcs, on visite tout et on photographie tout, un magasin de souvenirs et un restaurant dans le site ne désemplissent pas et des gens de la région viennent vendre quelques souvenirs à l’extérieur. Un très bel ensemble qui deviendra vite un beau souvenir.

Au retour, l’animation qui règne à Eskikale nous intrigue tout autant qu’à l’aller. Maintenant, des jeunes dansent sur la place principale, au-dessus de la route. Nous ralentissons et nous arrêtons, pour voir. Évidemment, nous ne sommes pas passés inaperçus et l’on vient nous chercher. Pas de problème pour la voiture, nous pouvons tranquillement la laisser là. On nous conduit sur l’esplanade, une seule chaise est libre mais bien vite quelqu’un se lève et tout le monde se décale pour nous installer au milieu. Personne ne parle anglais, nous ne savons même pas quelle langue on parle ici, le turc sûrement, c’est la langue officielle, nous ne serions pas surpris que ce soit le kurmandji ou une autre langue kurde. Par geste, on nous fait comprendre que c’est un mariage. La mariée n’est pas visible, mais le marié est là à deux ou trois chaises. Au son d’instruments traditionnels, en une ligne, les jeunes dansent en se tenant par la main ou par les auriculaires, hommes et femmes, les hommes à un bout et les femmes à l’autre en une chaîne ininterrompue. Une caméra suit, je demande si je peux photographier, oui bien sûr. Le fait de m’avancer fait fuir deux danseuses, je retourne à ma place, le téléobjectif palliera sans gêner. Nous sommes invités à danser, mais il ne faut pas exagérer. En l’absence de communication, nous sommes réduits à des interrogations et des hypothèses. Durée de la cérémonie ? Rencontre des époux ? Organisation de la fête ? Nous félicitons le marié qui ne comprend rien à notre discours mais en perçoit le sens et nous remercie, puis nous partons.

Troisième étape du jour : Dara, au sud, tout près de la frontière. La route rejoint la plaine. Si les paysans cherchent à construire des terrasses sur les collines et planter quelques arbres, en plaine, aussi loin que porte le regard, aucun arbre n’est visible. La couleur oscille entre l’ocre des terrains secs et le jaune des champs de céréales. Le soleil darde le sol de tous ses rayons, la couche de sable aérienne n’est plus assez épaisse pour les arrêter, il fait chaud, très chaud, heureusement l’air est sec. La route d’accès au village de Dara est bordée de champs de céréales à droite et de parcours d’herbes sèches à gauche, la campagne est parfaitement plane à droite et présente, à gauche, un léger relief dans lesquels des marches semblent taillées. Le village est réputé pour sa nécropole aux nombreux hypogées et sa citerne. Des voitures garées prouvent la présence de visiteurs, tous turcs. Sans être vraiment gênés, nous sommes accueillis par des enfants, guides improvisés de ce village déshérité. Quelques entrées de tombes sont sculptées. Des barrières empêchent d’approcher. Le tour ne prend pas beaucoup de temps. Quant à la citerne, un peu plus loin à l’entrée du village, elle est dans un piteux état. Taillée dans la roche et couverte de voûtes en grande partie effondrées, elle devait avoir une capacité énorme, ce que l’aridité ambiante rend compréhensible.

Nous préférons nous arrêter en pleine campagne plutôt qu’ici où nous aurions du mal à ne pas avoir des enfants sur le dos. Il faut juste faire attention aux jolis chardons aux fleurs jaunes dont les épines sont si dures et si longues qu’on craindrait pour les pneus. Nous sommes comme en plein désert, céréales à gauche, parcours à droite. Un peu plus loin, une aire de battage a été abandonnée aux heures les plus chaudes. Et pourtant, des voitures passent, peu de voitures, mais que vont-ils faire au loin derrière les petites collines en herbe ? Est-ce le traditionnel rendez-vous de grillades du dimanche ? Point de feu, d’ailleurs l’herbe brûlerait si vite que rien n’arrêterait le feu. Grillades ? On grille déjà sous le soleil. C’est curieux. Certains s’arrêtent, surpris de nous trouver là et, curieux, viennent poser les questions habituelles. Je suis allé voir ces collines entaillées, je n’en ai aucune interprétation. On y trouve des murs verticaux, d’autres en escalier, parfois des séries de trous à la verticale, comme un escalier. À d’autres endroits, des petites gorges ont été creusées. C’est original.

Retour vers Mardin et la question quotidienne, où aller pour la nuit ? Il est tôt, après des courses au petit supermarché Mesopotamia, nous dépassons la ville et nous partons en direction de Midyat par la route de Savur. Route pittoresque signale la carte, et c’est vrai. Elle suit une vallée au fond plat tout en verdure, les collines autour ont la couleur ocre qui nous suit depuis un moment. C’est très joli, c’est d’autant plus joli que la culture principale est celle de peupliers, ajoutant un axe vertical au paysage. Que font-ils de tant de peupliers ? Il s’agit bien de culture parce qu’il y en a beaucoup, des haies ne donneraient pas cet effet, et de tous âges dont de tout petits plantés en lignes droites parallèles. De nouveau, nous sommes réduits à des hypothèses. Ce bois n’a pas de réputation en menuiserie. Des allumettes peut-être ? Nous trouvons un élément de réponse en traversant les villages. À Pınardere, les troncs blancs écorcés sont rangés verticalement par taille et par diamètre, prêts à être chargés sur des camions. Ils sont donc destinés à être utilisés tels quels, des mâts, des échafaudages ? Les touristes ne doivent pas venir souvent par ici. Au moindre arrêt photo, on nous fait signe, on vient voir. Beaucoup de femmes ont un foulard violet. Au fur et à mesure de la progression sur cette route, nous sommes frappés par le nombre d’animaux de bât ou de trait. L’éclairage varie en fonction des tournants dans cette vallée qui serpente. C’est un agréable parcours jusqu’à Savur.

La petite ville est construite un peu à la manière de Mardin, sur un versant d’une épine rocheuse allongée, le cadre est différent, pas de plaine mais d’autres collines rocheuses. Nous montons par la route d’accès. Une épingle en ville, la largeur de la rue diminue, il faut trouver une place, un parking arrive au moment où il faut. Il reste une place, c’est bon. Il n’en reste plus mais il n’y a quasiment pas de voitures. Le gardien nous conseille d’aller visiter une maison en haut. Pour la trouver, il demande à un enfant de nous conduire. Nous voilà donc à suivre des enfants par des escaliers entre les étages de la rue. En haut, une belle maison dont le plan nous échappe en raison du relief et de l’impossibilité d’en voir tous les côtés. Elle n’est pas seule, mais les enfants s’arrêtent là et appellent quelqu’un à l’intérieur. On vient nous chercher et, après nous être déchaussés, nous avons droit à une visite complète, réfrigérateur compris. C’est très surprenant, nous ne savons rien de ces gens, tous sympathiques et accueillants, ils ne savent pas grand chose de nous et, pourtant, ils nous montrent leur maison et en parlent avec le cœur, c’est leur maison de famille. D’après ce que nous comprenons, ils prennent des hôtes, bien qu’il n’en soit nullement question avec nous, ils nous reçoivent, proposent des spécialités et de l’eau fraîche. Au retour, les enfants sont partis et nous redescendons à notre rythme, en regardant de tous côtés. Le site et le relief de la ville sont jolis, les constructions et les aménagements en rues et escaliers, comme à Mardin, sont faits en conséquence. Nous regretterons juste le vent de sable qui jaunit toujours le ciel et trouble les lointains. Inutile de dire que nous ne passons pas inaperçus dans la rue principale. Cela commence avec une voiture pleines de jeunes supporters d’une équipe de football locale. Le chauffeur parle très bien français et nous invite à venir voir le match. Plus loin ce sont les hommes confortablement installés devant leur thé qui interrompent leurs échanges pour nous interpeller et il n’y a pas qu’une maison de thé ! Le gardien du parking nous propose de passer la nuit ici, mais c’est un peu serré et en pente, nous devrions trouver mieux.

Nous retournons donc à la route et dès la sortie de la ville, nous voyons une grande station-service. Personne ne parle anglais mais ils sont d’accord pour que nous occupions un morceau de leur pelouse sauvage. Le thé est rapidement prêt. C’est une famille kurde spécialisée dans l’apiculture, nous les voyons d’ailleurs s’occuper de leurs ruches. La station ne leur prend pas trop de temps. Lorsqu’un client est là, il reste garé près des pompes longtemps après avoir été servi, le temps de bavarder et de prendre le thé.


Lundi 21 mai

de Savur à Silopi (photos)

Ce matin, le sable a déserté le ciel ce qui lui a redonné sa couleur bleu pur. Petit à petit, la route remonte la vallée et la culture des peupliers s’efface au profit de celle de céréales et de vigne elles-mêmes remplacées plus loin par l’élevage. La route traverse de très beaux petits villages à l’architecture typée. Le paysage s’aplanit avant de revenir à la route principale, avant Midyat.

En ville, le centre n’est pas indiqué, je fais un essai vers la gauche puis nous demandons, la vieille ville était de l’autre côté. Nous partons à la découverte de la ville à pied. La plupart des maisons sont construites en pierres taillées et sculptées. Les rues sont larges, bordées de hauts murs.

Certaines sont désertes, dans d’autres de nombreux enfants jouent ce qui pose, une fois encore, la question de leur scolarisation, il est vrai que la plupart sont de jeunes enfants. Nous allons au hasard des rues dont peu sont rectilignes et qui cachent des recoins. Les maisons sont belles, il est dommage de ne pas en voir plus, les cours sont fermées. La vieille ville est construite sur une colline basse au relief insuffisant pour voir par dessus les murs. À un moment, nous entendons des enfants, pas des enfants qui jouent dans la rue, c’est plutôt le bruit d’une récréation. Nous y allons pour faire une photo. C’est bien la récréation. L’école est un bâtiment récent de trois étages. Nous nous approchons. Trois professeurs fument à l’extérieur à l’ombre de l’arbre. La discussion commence, ils nous invitent à venir dans la salle des professeurs. D’accord ! Parmi tous ceux qui sont là, trois sont des professeurs d’anglais, la question de la langue n’entrave pas les échanges. On nous offre le thé, on nous prend en photo avec eux… La fin de la pause marque l’arrêt des conversations et notre retour à l’extérieur. Nous notons que reprise ne rime pas avec bousculade. Nous retournons flâner dans les rues. Au détour de l’une d’elles, nous tombons sur une maison du tourisme ouverte à la visite. Des pierres finement sculptées encadrent les fenêtres, d’autres soutiennent balcons et terrasses… De la terrasse la plus élevée qui domine la plupart des terrasses des autres maisons, les clochers d’église se détachent sur le ciel. Une petite cour intérieure complète ce magnifique ensemble. De là, nous redescendons en ville par le bazar avec ses larges rues. Les prix sont moins élevés que dans bien d’autres villes. La spécialité est le travail de l’argent.

Les monastères anciens sont à chercher dans les villages vers l’est. Une route neuve pour Dargeçit conduit à la route de campagne d’Ortaca et Anıtlı. La première traverse des zones arides peu cultivées et la seconde est bordée de petits champs ceints de murs en pierre où croissent des céréales et des cultures vivrières. Les arbres sont rares et les collines pelées. Le premier monastère Meryemana se trouve à l’entrée d’Anıtlı. Personne, la porte est ouverte, nous y entrons. C’est un petit monastère ancien, son clocher semble refait tandis que son dôme est recouvert d’un parement en pierres cubiques qui semble très vieux. Au bout d’un moment, un homme chargé d’un sac de foin frais arrive et nous guide. Le clocher a été reconstruit parce qu’il avait été foudroyé. Il nous fait entrer dans la jolie petite église avec de belles sculptures. L’ensemble est très agréable. Notre guide a disparu, nous ne saurons pas où s’arrêtent les bâtiments du monastère et où commencent les habitations.

La visite suivante étant celle de Mar Gabriel, plus au sud, il ne devrait pas être nécessaire de retourner à Midyat. À Ortaca, nous demandons si l’autre route mène à Midyat et si la chaussée est bonne, bonne signifiant comme celle-ci, sans trop de trous. La réponse est positive, mais nous sommes-nous bien fait comprendre ? Toujours est-il que nous partons sur des petites routes de campagne en espérant n’avoir personne à croiser. De ce côté, la campagne est encore plus désolée, peu de champs, des parcours brûlés par le soleil et quelques troupeaux. Premier village : Altıntaş. La route monte dans le village et semble se terminer sur un camp militaire. La seule personne visible est un berger qui nous fait signe de retourner. Redescente, nous poursuivons la petite route. Hésitations au premier carrefour, la direction est plus à gauche que notre petite route, nous partons à gauche. La largeur de la route et la surface asphaltée diminuent. La route tourne autour d’une colline et nous nous retrouvons sur la place d’Adaklı où la route - peut-on encore l’appeler route ? - s’arrête. Demi-tour et retour à la petite route, unique espoir. Elle traverse Narlı puis Bağlarbaşı ; ici, les passagers de deux minibus, dont de nombreux écoliers, descendent. Je redemande Midyat, un chauffeur me fait signe de continuer, démarche et réponse inutiles, il n’y a qu’un route ! Nous voyons bien que la direction n’est pas bonne, mais que faire ? Au pire, elle rejoint la grande route, et c’est exactement ce qui arrive. Il ne reste plus qu’à repartir pour Midyat et de là prendre la route principale vers le sud est. Cette escapade dans la campagne s’appuyait sur le plan d’un des guides, il est manifestement erroné à moins qu’il n’y ait quelques pistes. Elle nous aura permis de découvrir un peu plus profondément cette zone, de constater que ses habitants ne vivent pas dans le luxe, que les terres ne doivent pas produire grand-chose, qu’il n’y a que peu d’arbres et que l’activité principale doit être l’élevage.

La route vers le sud traverse des paysages un tout petit peu plus vallonnés avec un peu plus d’arbres. Le monastère de Mar Gabriel se trouve au bout d’une route sur la gauche. Les pistachiers du monastère sont couverts de grosses pistaches pas encore mûres. Ici, la visite est guidée. Nous sommes avec un groupe de quatre jeunes Turcs qui, lorsque nous leur demandons, traduisent les explications du guide. Trop rapide et trop partielle, la visite est décevante, pourtant l’ensemble, avec ses deux églises, est grand. À part les mosaïques de la voûte du chœur de l’une, presque tout semble récent, la restauration est trop prononcée.

Retour à la route principale. La seule ville sur le trajet est İdil, une ville au milieu de rien, de l’herbe et de gros blocs de pierre. Plus nous descendons vers la vallée du Tigre (Dicle), plus l’agriculture est développée. L’arrivée sur la vallée, en haut d’une forte pente, offre une vue sur Cizre, le fleuve et un morceau de Syrie. L’arrivée en ville est sale, une longue suite de camions et d’ateliers de réparation, et la chaussée est mauvaise. La frontière n’est qu’à deux cents mètres, juste à côté du pont sur le fleuve. Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, nous allons à la frontière avec l’Irak. Nous avons petit à petit renoncé à y passer en camping-car pour trois raisons : ce que nous en a dit le chauffeur de camion rencontré à Mardin, le fait que nous soyons déjà le 21 mai à plus de six semaines de voyage et qu’il reste encore un bon bout et le fait que nous n’ayons aucune assurance pour le camping-car. Nous avons donc pris la décision de chercher un endroit sûr à la frontière où le laisser et d’aller passer une journée en taxi à Zakho.

Après Cizre, la route, une deux fois deux voies, commence par longer le Tigre qui marque la frontière avant de s’élever sur un plateau. La circulation est intense, beaucoup de camions, et la route, mauvaise, nous oblige à louvoyer entre les nids de poule. Peu après être arrivés sur le plateau, les camions sont arrêtés. Nous sommes à vingt-cinq kilomètres de Silopi et à quarante de la frontière. Il est hors de question de rester bloqués ou de mettre des heures pour les parcourir. Dans l’impossibilité de faire demi-tour sur une route à chaussées séparées, la seule solution consiste à avancer tant que nous le pouvons entre les camions arrêtés, plus nombreux sur la voie de gauche que sur celle de droite, jusqu’à trouver un passage dans le terre-plein central, un fossé, et repartir dans l’autre sens. Les camions doivent avoir l’habitude d’être arrêtés, ils ne poussent pas pour s’avancer et laissent les quelques voitures se faufiler. Tout se passe comme nous le pensions, nous trouvons un passage sur le terre-plein central et nous apprêtons à faire demi-tour. Nous demandons par geste ce que nous pouvons faire à des chauffeurs de camion arrêtés ici, ils nous font signe de continuer à contresens, sur la voie d’en face. La décision est vite prise, nous avons deux voitures derrière ! Et nous voilà partis à contresens sur une route rapide, conscients du danger, nous ne sommes pas fiers d’autant plus qu’il n’y a aucune échappatoire, le fossé est dissuasif. Une voiture semble avoir fait le même choix que nous, loin devant et quelques unes suivent. En face, personne n’a l’idée de doubler, ouf ! C’est donc à vitesse réduite puis à quatre-vingt kilomètres à l’heure et en plein phares que nous parcourons les vingt kilomètres qui restent jusqu’à l’entrée de Silopi. Là, les camions sont bloqués et nous pouvons enfin repasser à droite. Les autorités arrêtent les camions à cet endroit pour éviter que la double file d’attente à la frontière ne paralyse la ville. Ville infernale, température, circulation, commerces, stationnement, piétons dont des centaines d’écoliers… Le découragement n’est pas loin. Impossible de s’arrêter, que faire ? Il s’agit de savoir si c’est comme cela jusqu’à la frontière, quinze kilomètres plus loin, et s’il y a un parking sûr. Un grand hôtel moderne sur la gauche, nous allons aux renseignements. Personne ne parle de langues occidentales, on nous propose par contre le turc, une des langues kurdes, le rromani, l’arabe et quelques autres. Ajoutées aux premières raisons, la difficulté du parcours et le manque d’information nous font définitivement renoncer. On ne nous autorise pas à rester sur le parking de l’hôtel pour la nuit, nous allons demander à une grande station-service à la limite nord de la ville, déjà un peu sur le retour. Aucun problème, de plus le parking est clos par des murs, c’est très bien. L’enclos est la station de lavage des voitures, nous rafraîchissons l’allure du camping-car, un peu de détente après ces émotions. Nuit sans problème, le calme est à peine troublé par les camions autorisés à reprendre la route vers le milieu de la nuit.


Mardi 22 mai

de Silopi à Siirt (photos)

Beau temps, mais le vent de sable a repris. Le retour à Cizre est plus reposant que la route d’hier : peu de circulation, aucun camion, tous sont partis. À Cizre, je rate la route de Siirt et nous nous retrouvons en ville. Elle est beaucoup plus propre et agréable que la voie de contournement pour camions prise hier. Nous en profitons pour faire quelques achats dans une petite boutique. C’est en nous arrêtant que nous voyons, de l’autre côté de la rue, un petit marché aux bestiaux, ovins et caprins. Pas une femme, nombreux sont les hommes qui portent le keffieh. Ils se prêtent volontiers à la photo.

De retour sur l’autre rive du Tigre (Dicle), nous quittons la zone de frontières avec la Syrie et avec l’Irak. La route commence par suivre le Tigre puis remonte une petite vallée pleine de lauriers roses en fleur. Des militaires nous arrêtent dans un village pour un contrôle et l’officier demande où nous allons. La présence militaire est forte, chaque petit sommet ou colline est un poste d’observation. Leur préoccupation ici est la question kurde et ses bases arrières en Irak, nous entrons dans une zone à forte dominante kurde et où la guerre a fait rage entre 1984 et 2004. Ces postes doivent servir à chercher les mouvements suspects. Aucun souci sur une route avec un véhicule qui ne passe pas inaperçu. La route de Şırnak est plus petite que les routes principales habituelles. Cette ville neuve construite sur le versant sud de la montagne est précédée de toute une activité autour du charbon : gros tas de charbon, chargement de camions, mises en sacs… Il doit y avoir des mines.

Au-delà de Şırnak, la route de Siirt se transforme vite en petite route de montagne. La présence militaire reste forte. Nous montons et redescendons sans arrêt tandis qu’un orage se prépare à l’ouest sur la Şeyhömer dağı. Le contraste entre le ciel noir et des terrains escarpés rouges entrecoupés d’herbe verte est saisissant, les couleurs saturées donnent une impression d’artifice. La route descend dans une gorge et remonte vers un col. Un village traversé laisse penser que ses habitants ne doivent pas être riches, pas de voiture, pas de tracteur, des maisons basses, des étables en pisé, des haies de branchages et de nombreux enfants dans des rues en terre battue… L’altitude du col est élevée. L’orage qui y est installé restreint la portée de la vue, c’est bien dommage, les paysages sont très beaux. À la descente, la pluie commence à tomber au moment où nous arrivons aux travaux. On pourrait compter les voitures sur les doigts d’une main. Plus bas, nous dépassons l’orage et retrouvons des arbres dans une vallée majestueuse, des pistachiers qui donnent abondamment, nous approchons de Siirt, aussi renommée pour ses pistaches. La route suit de belles et grosses rivières dont les eaux vertes coulent dans des roches aux tons rouges et ocres.

À l’arrivée à Siirt, un embranchement pour le centre nous détache de la route principale. L’avenue est rectiligne, bordée de hauts trottoirs en ciment. Du ciel à la chaussée en passant par des terrains où rien ne pousse, tout est gris. Pas de maison, pas d’immeuble, des petites entreprises, des entrepôts. Ce n’est pas beau. Nous montons, il commence à y avoir des maisons, grises, puis, la rue n’allant pas en s’élargissant, nous faisons demi-tour. Nous avons vu quatre mini-magasins et peu d’habitants si l’on excepte près d’une école. Qu’est-ce que c’est que cette ville sans couleur, presque sans habitants et surtout sans l’animation habituelle autour d’un bazar ? En attendant d’avoir une réponse, nous nous arrêtons à la station-service pour demander à stationner pour la nuit, nous avons vu de la place derrière et sur le côté. Il n’y a bien sûr pas de problème, au contraire, on nous accompagne, on nous place, puis nous expliquons que nous allons à pied en ville. Avant même d’être prêts arrive une délégation de quatre personnes, des hommes, de la maison voisine, liée semble-t-il à la station-service, pour nous demander si nous voulons du thé. Comme souvent, nous refusons, comme d’habitude, ils insistent et, comme cela arrive, nous acceptons. Nous leur disons que nous allons en ville à pied et que le thé serait mieux après, mais, avec les langues étrangères, plus qu’avec sa langue maternelle, on se trompe et, au lieu de dire après, je dis maintenant. Ils partent. Persuadé de m’être exprimé correctement, nous nous préparons, chaussures et coupe-vent parce que le vent d’orage de la montagne n’est pas chaud. Nous sommes prêts au moment où l’un d’eux arrive avec deux verres de thé et du sucre ! Trop tard pour reculer, nous buvons le thé avant d’aller en ville. Nous leur remettons les verres, en les remerciant de notre mieux, on dit spas en kurmandji, le dialecte kurde parlé dans cette région, mais l’habituel teşekkür ederim turc convient aussi.

Dans la rue, que voit-on en face ? Une sorte d’entrepôt de fruits et légumes, et si nous allions voir ? Demande au portier pour entrer voir, pas de problème, voulons-nous du thé ? Non merci. Le tour des lieux : de petits grossistes, comme des magasins, côte à côte, chez lesquels on vient s’approvisionner, sans doute des revendeurs. Il y a là quelques dolmus, ces minibus qui sillonnent le pays et en desservent tous les coins, dont l’un des passagers fait embarquer des caisses de tomates… À cette heure de la journée, l’offre n’est pas fantastique, des pastèques, des pommes, des tomates, des pommes de terre, des oignons et des prunes vertes principalement. Nous repartons, remontant la rue comme nous l’avons fait en voiture, nous arrêtant à une meunerie et, surtout, tournant à gauche à l’endroit où elle rétrécit. Bien nous prend, il y a plus d’animation, beaucoup d’enfants qui jouent ou qui passent en uniforme scolaire. Plus nous avançons et plus l’activité est intense et les magasins prennent de l’importance. Nous débouchons enfin sur une rue conforme au modèle courant : échoppes tout le long, une sur trois ou quatre est une maison de thé devant laquelle des hommes assis discutent ou jouent, marchands ambulants et même ici marchands sur le trottoir. On nous regarde arriver, parlant entre soi, et lorsque les regards interrogateurs sont persistants, nous saluons d’un franc merhaba (bonjour en turc) auquel tous répondent avant de nous interpeller et de nous parler. L’ennui est qu’ici, personne ou presque ne parle de langues connues de nous bien qu’ils en parlent parfois plusieurs autres que le turc et le kurmandji. La grande question demeure de savoir d’où nous venons et c’est facile de les renseigner. Si nous ne comprenons rien à ce qui suit, nous en retenons toutefois qu’on nous invite à prendre le thé ce que nous déclinons presque systématiquement et qu’ils sont nombreux à parler de notre maintenant ancien président en faisant un geste d’adieu ravi. À plusieurs reprises, on nous demande des photos, nous posons. Le poissonnier prend un gros poisson dans chaque main et pose à son tour ; le marchand de légumes, content, nous offre un concombre chacun et, comme on sait, marcher avec un concombre à la main est d’une élégance et d’un raffinement rares. Autant dire que nous n’avançons pas vite. Notre intérêt va aussi aux pistaches, spécialité de la région, et nous avons la même surprise qu’à Gaziantep, les pistaches locales sont plus chères ici que les mêmes dans d’autres villes. Elles sont pourtant belles et grosses. De plus, comment cacher qu’entrer dans une échoppe, c’est aussi être invité à goûter ! En continuant à monter, errant toujours sans but et choisissant les ruelles en fonction de l’attrait qu’elles présentent ou les curiosités pas encore rencontrées qu’elles semblent déceler, nous arrivons à des boucheries. Une cuvette remplie des têtes de chèvre tranchées dans la journée traîne là, les yeux dirigés vers les passants. Des moitiés de chèvres dépecées sont accrochées en attente de clients, les bouchers tournent autour pour nous inviter à acheter. De la belle viande fraîche, vraiment. Aucun de nos guides ne parle de cette ville, il n’empêche, il y a bien une mosquée par là. Quand il y a beaucoup de monde, c’est un moyen de s’écarter de la foule que de demander la grande mosquée. Évidemment, tous s’en mêlent et y vont de leurs explications dont nous ne retenons que le geste qui donne la direction. Et nous voilà repartis, ruelles, passages, beaucoup de gens surpris et quelques uns qui, comme par hasard, vont dans la même direction ! On nous voit passer, on nous hèle, on insiste pour que nous venions prendre le thé et tout cela en anglais correct, cela devient si rare ! Nous avons beau expliquer que nous allons à la mosquée et que nous nous arrêterons en revenant, rien n’y fait. La mosquée est fermée et sera encore là après nous est-il rétorqué. Avec de tels arguments, inutile de continuer à refuser. Retour quelques pas en arrière. Notre interlocuteur nous introduit dans le bureau du directeur d’une entreprise d’huisseries en PVC. Ce sont deux jeunes frères kurdes très avides ou curieux, dans le sens positif, de nous connaître, de bavarder avec deux étrangers, d’échanger, tout simplement, autour d’un thé. Ils nous invitent même à venir le soir chez eux ce que nous ne faisons pas. Très sympathiques, nous repartons avec leurs adresses mail. Quelques minutes plus tard, nous sommes devant la grille de la mosquée qui est bien fermée, ce qu’avaient oublié de nous dire les bouchers. Elle est en cours de restauration. Le minaret, terminé, est superbe avec ses beaux décors géométriques en carreaux bleus vernissés.

Finalement, à force d’avancer à petits pas, le temps passe, il faut songer à rentrer. Au passage, nous voyons qu’un boulanger est en train de sortir une fournée, nouvel arrêt. Nous avons aussi du mal à résister à l’attrait du pain frais, nous avons encore plus de mal à faire accepter au boulanger de le payer. Le temps s’est éclairci, de grands pans de ciel bleu pur sont apparus, tout comme le soleil. Retour chez nous pour une soirée calme.


Mercredi 23 mai

de Siirt à Tatvan (photos)

Ayant trouvé la partie vivante de la ville hier, nous y allons en voiture. Un peu plus loin, nous trouvons de belles avenues et un parc qui, avec le beau ciel bleu, nous font déjà oublier la grisaille d’hier. Nous achetons des fruits secs et des baklavas. La sortie de la ville est beaucoup plus belle que l’entrée sud, la route est aussi plus belle et plus large. Elle suit plus ou moins une belle rivière, le paysage est vallonné et le fond de la vallée cultivé. À quelques kilomètres de là, nous tombons sur toute une équipe de militaires occupés au déminage des bas côtés. C’est surprenant, peu inquiétant, il doit s’agir d’un exercice. Cela ne suffit en tous cas pas à nous empêcher de nous arrêter et d’aller admirer le paysage où bon nous semble comme les autres jours.

Le premier gros bourg est Baykan, tout en longueur. L’artère principale est le bazar dont nous parcourons une partie à pied. Il est orienté vers l’agriculture. Vient ensuite Bitlis, une ville plus importante décrite dans les guides. À cet endroit, la vallée est très encaissée. Accrochées les unes au-dessus des autres et toutes au-dessus de la rivière ou de la route, les maisons qui semblent vétustes sont laides, voire sales. La rue principale fait penser à un capharnaüm de magasins-bazar avec des véhicules dont de gros camions en mouvement ou stationnés en désordre sur une ou deux files, des piétons partout et dans tous les sens. Nous avançons péniblement sans voir la moindre place. Vers la fin, on prépare une manifestation. Nous nous arrêtons vers la dernière maison et je vais demander si nous pouvons rester là, oui, bien sûr, est-ce que nous voulons du thé ? La question devient rituelle. Nous partons à pied. La visite débute avec la manifestation. Les préparatifs sont presque terminés, les banderoles déployées. Avec leurs instruments traditionnels aux sonorités orientales les musiciens sont entrés en action et quelques personnes se sont mises à danser. La plupart sont des jeunes, hommes et femmes. Je vais aux renseignements parce qu’il s’agit de ne pas être pris dans une manifestation qui dégénère. À l’autre bout de la ville, le camion butoir de la police équipé d’un canon à eau ne nous a pas échappé. Non, nous ne risquons rien à aller en ville, nous pouvons même les suivre puisqu’ils y vont. Et comme nous sommes là et que quelques uns se sont mis à danser, ils nous entraînent. On se tient par l’auriculaire et nous faisons des pas. La télé ne manque pas la scène. Par contre, je refuse tout net de tenir la moindre banderole, restant strictement neutre et ne connaissant pas le caractère et les motivations de leur manifestation. C’est une manifestation contre le gouvernement qui n’alloue pas assez de moyens. Est-ce aussi une manifestation kurde contre les autorités turques ? ou contre la politique à l’égard de la minorité kurde ? Nous ne pouvons savoir. Nous les laissons là et continuons vers le centre. Comme la vallée est resserrée, le relief y est marqué. Un vieux château domine la ville, nous allons voir, il ne se visite pas. Nous cherchons dans tous les sens les points d’intérêt. Rien n’est facile à trouver, même la grande mosquée se dérobe, cachée derrière des tôles en raison de travaux de restauration. Nous ne trouvons pas grand-chose d’autre. La manifestation finit par arriver en ville et se disperse, ils avaient raison. Nous cherchons principalement la médersa İhlasiye. Personne ne semble savoir. Retour vers le château, un cybercafé, des jeunes, on doit parler un peu anglais par ici. De fait, mais… c’est compliqué, du coup l’un d’eux nous y amène. Il fallait monter deux escaliers, contourner le lycée et traverser une place.

C’est un beau bâtiment ancien, il aurait été dommage de ne pas le trouver. Nous approchons et demandons à la gardienne du service de sécurité si nous pouvons voir. Sans être franche, la réponse n’est pas négative, nous y allons. Soit dit en passant, qu’est-ce qui peut bien s’y cacher pour qu’il y ait un gardiennage ? Nous approchons, une jeune femme vient à notre rencontre et nous propose de visiter, c’est parfait. Sans avoir les décors extérieurs, la répartition des espaces intérieurs est intéressante. Ce sont des bureaux et plus d’un employé casse la croûte directement sur son bureau. En ressortant, nous trouvons quatre Français qui viennent d’arriver et qui ont trouvé sans difficulté, par la route. Ils ont loué une voiture et font une traversée sud-nord de l’Anatolie orientale, d’Adana à Trabzon.

Retour au camping-car et départ. Plus loin, la vallée s’élargit, la partie neuve de la ville s’allonge sur des kilomètres d’immeubles de construction récente et se termine sur un plateau. Après la ville, sur la droite, le caravansérail El-Aman semble attendre les visiteurs. Restauré il y a peu, il est fermé. Jusqu’au lac de Van, la distance est courte. Au début de la descente, tout à coup, la vue domine la partie sud du lac, une grosse tache bleu turquoise dans un paysage alpin, très beau spectacle. Des orages en préparation sur les montagnes, c’est-à-dire tout autour, renforcent le contraste avec les névés. Le lac est à 1 646 m d’altitude, les montagnes sont hautes, au nord le deuxième plus haut sommet du pays, le Süphan Dağı à 4 058 m d’altitude, domine les autres tandis qu’au sud toute une chaîne à plus de 3 000 m barre l’horizon.

Nous prenons la route qui longe le lac vers le nord-ouest, en direction d’Ahlat. Arrêts fréquents le long du lac, pour le paysage et pour profiter du soleil avant que les nuages ne le voilent. À l’arrivée à Ahlat, c’est chose faite. Nous trouvons sans peine l’Ulu Kümbeti, un tombeau du XIIe siècle en bon état. Nous sommes rapidement entourés d’un groupe d’enfants qui demandent sans empressement des stylos ou de l’argent. Nous ne traînons pas trop, nous avons vu l’un d’eux ramasser des cailloux. Demi-tour, un minibus passe, nous en profitons pour passer aussi ce qui n’empêche pas un jet de pierre. Au bout de la rue, de retour sur la route, en face, le musée et le cimetière seldjoukide. Nous demandons et redemandons aux deux personnes présentes s’il n’y a aucun problème à se garer là. Leur réponse pourtant sans ambiguïté ne nous rassure pas pleinement. Nous allons dans le cimetière sans nous éloigner. Les milliers de stèles évoquent pour nous le cimetière de Noratous (Նորատուս) en Arménie. Le temps gris et un peu d’inquiétude nous retiennent et nous empêchent d’en profiter. L’interdiction de photographier est incompréhensible d’autant plus qu’elle est incontrôlable. Nous n’allons pas visiter le musée de façon à ne pas perdre le camping-car de vue et nous repartons vers le sud. Cent mètres plus loin, à la station-service, une voiture de police. Je m’arrête pour mettre le policier au courant de ce qui s’est passé. J’arrive à l’exprimer mais suis aidé par le patron de la station qui parle un peu anglais et traduit. Sa réaction n’est pas celle que l’on attendrait. Il m’adresse des excuses, c’est très aimable, mais est-ce excusable ? Il dit ensuite que cela arrive aussi à des Turcs… L’essentiel est qu’il soit au courant.

Au retour vers Tatvan, sans entrer en ville, nous cherchons le départ de la route de Nemrut dağı pour demain matin. Le soleil revenu, nous cherchons un endroit où passer la nuit. Le parking d’une grande station-service sur la route de Bitlis est parfait. Un marchand de produits surgelés venu s’installer à côté, attend des clients, il n’en vient pas et il nous offre deux crèmes glacées ! Nous prenons aussi de l’eau au petit magasin de la station, le patron est content de faire un peu de conversation avec des étrangers. Nuit calme et fraîche, un peu de tonnerre et de pluie.

Suite du voyage de 2012

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