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Voyage de 2012

Semaine 9, Turquie

Jeudi 31 mai

d’Eynesil à Zara (photos)

Le temps gris en encore présent. Avant de partir, nous faisons quelques pas dans le petit parc qui nous sépare de la mer. La municipalité y a installé un grand nombre d’appareils de gymnastique multicolores en libre accès.

En route, le paysage est exactement le même qu’hier. La quantité de noisetiers est étonnante. Comment font-ils pour récolter les noisettes à la saison ? Cela doit nécessiter beaucoup de main d’œuvre, aucune machine ne pourrait circuler sur les pentes. Quelques petits ports agrémentent un peu le trajet et le bord de mer.

Aujourd’hui, nous repartons vers le centre du pays. La route choisie remonte le petit fleuve Aksu Çayı. Comme la vallée que nous avons descendue hier et avant-hier, celle-ci est profonde. Le cours d’eau est un gros torrent fougueux qui doit tout emporter sur son passage lorsqu’il se fâche et dont des habitants sont bien contents de pouvoir dire que sa mise en canalisation partielle pour l’exploitation de son courant l’a calmé et les a rassurés. La montée en forêt offre de beaux points de vue sur cette profonde vallée. En une soixantaine de kilomètres, la route atteint les 2 230 m d’altitude, traversant rapidement différents étages de végétation, passant ainsi des noisetiers à des forêts de feuillus pour terminer avec des prairies d’altitude. L’atmosphère a bien changé aussi, la lourdeur est oubliée au profit d’une certaine fraîcheur. Le ciel lui-même est de la partie, les derniers nuages atteignent le col mais ne le dépassent pas. Le versant sud du col est manifestement plus sec. Il faut redescendre loin pour trouver les premiers arbres.

Şebinkarahisar, seule ville du trajet, est traversée par la route ; ses commerces donnent un bon aperçu de l’activité de la région : des tracteurs, des clôtures, de la quincaillerie, de l’outillage… D’ailleurs on vient y faire ses achats en voiture aussi bien qu’en tracteur. Un piton rocheux sur lequel trône un vieux château domine la ville. Après la côte, nous nous sentons dans un autre monde, celui de la campagne et de l’élevage. Nous faisons la pause de la mi-journée quelques kilomètres plus loin, stationnés sur de la terre étalée pour l’élargissement de la route. Des camions descendent leur chargement de terre plus bas et remontent à vide. Tandis que nous déjeunons, les deux occupants d’une voiture qui vient de s’arrêter s’approchent, nous saluent - la porte est ouverte - et entrent ! Pas du tout gênés par le fait de nous trouver en plein repas, ils viennent pour proposer leur aide si nous avons un problème, mais n’en restent pas là. Tous deux sont turcs et parlent turc. Ils commentent ce que nous mangeons ! Les grains de maïs qui colorent notre mélange salade-tomates les étonnent. Outre les questions habituelles, ils veulent savoir par où nous sommes passés et où nous allons. Je leur montre le trajet, la liste des villes traversées dans le sud-est et dans l’est est ponctuée de l’interjection PKK, c’est dire leur estime et leur méconnaissance de cette partie de leur pays qui ne saurait se résumer à ce sigle. L’un d’eux sort un paquet de cigarettes, je lui demande de bien vouloir se mettre à l’extérieur pour fumer. Ils poursuivent leur tour de la situation avec la visite du camping-car… et, tout à coup, ils repartent. Ce sont un employé-chauffeur et un dirigeant de l’entreprise de travaux routiers. Nous aurions dû leur offrir le thé, mais nous n’avions rien de prêt pour cela.

Le paysage est varié, beaucoup de prairies, mais aussi des champs et des terrains rocailleux colorés. Au travers de petites collines, la route descend vers le lac du barrage Çamlıgöze où nous retrouvons la route 100 et ses lourds camions iraniens. Un vent violent oblige à plus d’attention. À Suşehri, après l’avoir demandée, nous prenons l’une des routes de Zara. Les travaux en occupent toute la largeur qui est aussi celle de la vallée. Un bruit de roulement à l’avant gauche commence à être suffisamment préoccupant pour prévoir un arrêt dans le garage Fiat de Sivas demain matin. Tous ces travaux ne doivent rien arranger.

Nous arrivons à Zara en fin de journée et trouvons une place à la station-service à sa sortie. Il n’est toutefois pas trop tard pour aller faire un tour dans cette petite ville à vocation agricole si l’on en croit les longues séries de tracteurs neufs à vendre. Rien à faire, nous ne passons pas inaperçus. Ce sont tout d’abord des enfants qui jouent au pied de leur immeuble et nous accueillent assez bruyamment pour éveiller l’attention d’adultes aux étages. Plus loin ce sont quelques familles installées sur les marches de leur maison. Un peu plus loin, nous sommes rattrapés par deux jeunes femmes, étudiantes dans le domaine bancaire à l’université de la ville, et qui nous proposent de nous accompagner jusqu’en ville. C’est une surprise d’apprendre qu’il puisse y avoir une université dans une si petite ville. Elle s’y rendent, nous montrant au passage où se trouvent les parties intéressantes de la ville, puis nous quittent rapidement parce que l’heure où elles doivent y être approche. Aucun de nos guides ne mentionne Zara, ce n’est pas surprenant, mais l’arrêt ici nous aura donné l’occasion de faire un tour dans une ville de la taille de la nôtre.

Vendredi 1er juin

de Zara à Sivas (photos)

Ayant décidé d’arriver de bonne heure au garage, nous partons tôt pour faire les soixante-dix kilomètres qui nous séparent de Sivas. Le temps est mitigé, du soleil et déjà pas mal de nuages. La route est rectiligne, plane et excellente. Le paysage est verdoyant, ce sont d’abord de petites montagnes, puis des collines et enfin de petites collines dont les hauts sont rocheux. Quelques creux recueillent l’eau.

Toute ceci nous amène, vers 8 h et demie, au garage que nous trouvons sans peine le long de la route principale. Stationnement à l’extérieur et nous nous lançons. Des bureaux à gauche. Qui parle anglais ? Personne parmi les employés. Mais on n’est jamais sans ressource ici. Un client tout à fait sympathique parle un peu anglais, en fait plus qu’un peu, cela lui revient petit à petit. Tout va très vite. Il y a du bruit, ce n’est pas le moteur puisque le bruit continue même si on l’arrête. Un ouvrier doit faire un essai. C’est parti, mais c’est moi qui conduit parce que je sais exactement à quelle vitesse le bruit est au maximum. D’ailleurs le diagnostic ne se fait pas attendre, nous ne faisons pas plus de deux cents mètres et revenons. Ce qui est moins immédiat est de nous communiquer le diagnostic et ses conséquences. Cela dépasse le vocabulaire du client mais il y a internet et Google donne le mot roulement, ce qui, à franchement parler, n’est pas une surprise. Étape suivante, ils cherchent le prix, nous le communiquent avec celui de la pose. Je ne réussis pas à savoir s’ils ont la pièce. En attendant, le thé a bien évidemment été servi, il semble que ce soit le service d’une employée en blouse blanche, elle passe, retire les verres vides, repasse en proposer d’autre… Le temps passe, nous en profitons pour bavarder, non pas avec le personnel, mais avec l’autre client en attente pour une réparation. Il est professeur de musique, violon et harmonie pour être précis, et enseigne à l’université à Sivas. En tant que professeur d’université, son travail, quarante heures par semaine, se partage entre enseignement, recherche et publications. Il est spécialisé en musique qu’on a l’habitude de qualifier de classique et il convient ici de lui ajouter occidentale, il s’intéresse à toutes les musiques et les apprécie. Ses travaux l’ont amené à voyager et même à donner un cours pendant deux mois à l’université de Tampa en Floride. Nous échangeons nos adresses internet et il ne part pas sans nous dire que si nous avons un souci ou un besoin quelconque au cours de notre séjour, nous pouvons compter sur lui. Entre temps, lui et nous avons reçu un cadeau de la part de Fiat, un sac et deux grandes serviettes de bain, sans réussir à savoir ce qui nous vaut cela, une date ? un montant de dépense ?… Entre temps aussi, nous avons appris que la réparation pourrait prendre un certain temps parce que l’emboutissement du roulement doit être fait dans une autre entreprise et aussi que le démontage avait révélé une usure excessive des plaquettes de frein. Ce n’est pas une surprise non plus, le relief accentué de nombreuses routes et la conduite en ville obligent à freiner plus souvent et plus fort que chez nous. Pour le principe, je demande à voir, tout en sachant parfaitement que je serai incapable de mesurer l’usure et que j’accepterai. C’est juste pour montrer que je ne suis pas disposé à accepter une réparation qui ne serait pas indispensable.

Fixés sur le montant total mais peu sur la durée de l’intervention, nous décidons de nous dégourdir les jambes dans les rues du quartier. La route principale est à deux fois deux voies séparées avec bas-côtés et deux contre-allées de deux voies chacune. Tout à fait rectiligne avec quelques stations-service, quelques entreprises et de l’espace, elle ne présente pas le moindre intérêt. À l’arrière, du côté du garage, des maisons basses ordinaires avec terrain, peu d’intérêt et aucun intérêt touristique, mais nous n’allons tout de même pas rester devant un écran de télévision où nous ne comprenons rien. Alors allons-y, le parapluie nous accompagne parce que le ciel est bien noir. Nous sommes en banlieue de Sivas, une grande ville. Juste en-dessous du garage, des poules et un coq qui picorent dans l’herbe dressent le tableau, nous sommes en ville mais à la limite. D’ailleurs l’herbe envahit tous les espaces et places libres, à tel point qu’un peu plus loin c’est un petit troupeau de moutons que son propriétaire vient d’amener. Peu de monde, mais un franc bonjour de chacun. Un minuscule magasin. C’est toute une vie qui est organisée là. Bien sûr, deux touristes à cet endroit, cela éveille de la curiosité mais avec beaucoup de réserve. Presque au bout de la rue se dressent les deux bâtiments d’une école primaire dont les élèves sont en récréation, une nouvelle occasion de faire une photo d’écoliers en uniforme. Il faut être rapide, quelques uns approchent déjà, posant les questions habituelles, et, comme une traînée de poudre, on avance, on court, on se précipite, on monte sur la barrière et on saute sur le trottoir. Passé le coin de la rue et de la barrière de l’école nous arrivons au portail d’entrée. C’est maintenant au tour d’enseignants de venir à notre rencontre et de contenir les élèves. Un professeur d’anglais s’adresse à nous, nous souhaite la bienvenue et, à plusieurs, ils nous invitent à prendre le thé à l’intérieur. La salle des professeurs est pleine, nous sommes invités à prendre place et le thé suit immédiatement. Conversation difficile tant chacun souhaite y participer. L’un d’eux parle un peu français mais cherche ses mots, le temps pour d’autres d’intervenir en anglais ou avec quelques mots d’allemand, ils sont plusieurs à ne pas s’exprimer ou à demander l’aide d’un intermédiaire parce que nous ne parlons pas turc. De cette cacophonie, il ne sort hélas pas grand-chose de notre connaissance réciproque ou du système éducatif primaire turc. Elle mesure, et c’est déjà beaucoup, l’avidité de connaissance de l’étranger et l’accueil qui lui est réservé. Au cours de ces échanges, un des enseignants propose de nous inviter chez lui le midi, échanges du regard, nous acceptons, il nous presse d’ailleurs de le faire de façon à pouvoir téléphoner à sa femme pour lui demander de préparer. Préparer quoi ? nous demande-t-il. Aurions-nous un plat préféré, une attente ? Non, certainement pas. Rendez-vous après les cours de la seconde partie de la matinée, vers midi moins dix. Je demande si nous ne dérangeons pas ou si notre présence ne retarde pas la reprise, mais non et la préposée à la sonnerie - je dis sonnerie, par habitude française, ici, ce sont des airs de musique qui rythment le temps scolaire - n’a pas encore officié.

Tout a cependant une fin et, à la reprise, l’un des professeurs d’anglais, celui qui nous a gentiment accueillis à l’extérieur, nous propose de venir en classe avec lui. Ses élèves ont quatre heures d’anglais par mois et il déplore que le niveau de langue en fin de scolarité soit si médiocre. Nous en sommes les témoins : bien que nous soyons dans une partie de pays où le taux de scolarisation doit être élevé, impossible de trouver quelqu’un qui parle anglais dans les milieux que nous sommes amenés à rencontrer. D’autres, voyageant autrement, logeant à l’hôtel… auraient peut-être un avis différent. Revenons à notre leçon d’anglais. La classe ne sera pas complète en raison d’une autre intervention, notre rôle consistera à échanger avec les élèves, sorte de pratique en direct. En montant l’escalier, nous ne distinguons pas de groupe-classe. Dans la salle de classe, pas d’élève, nous sommes placés à la première table, mais n’est-ce pas la place de deux d’entre eux ? Des élèves arrivent. Deux filles sont affectées au service tout en participant. On entre et on sort comme dans un moulin, est-ce habituel ? Finalement ce sont une douzaine d’élèves, aux mouvements près, qui sont là. Pas de cahier, pas de stylo, la séance est à l’oral comme on est en droit de s’y attendre. Nous ressentons chez les élèves la même envie de rencontre de l’étranger que chez les enseignants mais ils sont gênés par leur connaissance insuffisante de l’anglais pour communiquer. Après les mots de bienvenue, nous parvenons à échanger un peu avec eux. Dans le groupe, des élèves sont plus à l’aise en anglais que d’autres. Tous, ces derniers avec l’aide du professeur ou des autres, parviennent toutefois à s’exprimer un peu. Il est dommage que l’avidité dont il a été question plus haut conduise à un certain désordre. Espérons que notre présence aura contribué à leur donner envie d’apprendre une langue étrangère. Au cours des allées et venues sont entrées deux filles en costume traditionnel. Complètement abandonné dans la vie courante, il reprend du service dans les occasions particulières comme des événements liés à la vie de l’école, les fêtes, les mariages… Il est très coloré et tellement mieux porté « pour de vrai » qu’exposé dans un musée ! À notre demande, elles dansent un danse traditionnelle qui se termine par des applaudissements. À un moment, elles sont au moins une dizaine à avoir revêtu le costume. Le moins que l’on puisse dire est que l’atmosphère est détendue. Après un certain temps, ne souhaitant pas prolonger la perturbation que nous représentons, nous décidons de prendre congé. Il y a des élèves un peu partout dans les escaliers et les couloirs et, au rez-de-chaussée, une grande salle est pleine. En sortant, nous croisons une « autorité » identifiable au costume-cravate et à la voiture avec chauffeur. Les costumes traditionnels n’étaient pas que pour nous ! Sans nous attarder, nous quittons l’établissement pour aller au garage avec un souci : nous sommes invités et nous n’avons absolument rien à offrir.

Arrêt dans le minuscule magasin du quartier pour voir si nous n’y trouverions pas une boîte de chocolats, mais non, il est beaucoup trop petit et nous en ressortons bredouilles, le maître des lieux content d’avoir pu montrer son univers. Retour au garage pour arranger notre tenue et vite un tour à la station-service à trois cents mètres au bord de la voie rapide. Son magasin est plus grand mais ne s’y trouve que ce que consomment le voyageur turc moyen et sa monture. De loin, rien d’autre n’est visible, interrogé, l’un des pompistes dit qu’il y a un magasin de l’autre côté de la voie rapide. Nous la traversons à la turque, c’est-à-dire non pas par la passerelle qui l’enjambe en toute sécurité, mais en diagonale, c’est plus rapide. Effectivement, un petit supermarché se trouve là, trop petit pour espérer y dénicher un cadeau. Tant pis, retour à l’école, il va bientôt être l’heure. Et comme toujours en faisant vite, nous sommes en avance. Les cours ne sont pas terminés et pourtant quelques élèves sont dehors, avec d’autres qui eux ne vont pas à l’école. Nous attendons à un endroit d’où on peut nous voir depuis les salles de classe. Un enseignant nous rejoint qui, pour avoir fait un séjour en Australie, s’exprime bien en anglais. Si nous en croyons ses propos, son service hebdomadaire est de vingt et une heures et les horaires sont 8 h-12 h, 13 h 30-15 h 30. Dans tout le pays, à la prochaine rentrée scolaire, le système scolaire va prendre un virage à 180° avec un investissement de huit milliards de livres (près de quatre milliards d’euros) pour le passage intégral à l’ère numérique. Une action politique qui pousse cet enseignant à adresser des louanges au gouvernement actuel. Nous en restons là, les élèves commencent à sortir. Adieu à l’enseignant d’anglais qui nous a reçus dans sa classe et à d’autres, nous suivons notre hôte.

Une de nos questions relatives à cette invitation était de savoir s’il parlait une autre langue que le turc. La confusion des échanges était telle dans la salle des professeurs que nous avions des doutes, les uns reprenaient la parole des autres, certains recouraient au truchement d’un professeur d’anglais… Maintenant, nous sommes fixés, il parle turc et pas autre chose ! Il connaît bien son chemin, nous sommes rapidement rendus sur place. En sortant du passage sous la voie rapide, il nous montre un immeuble, le premier, sur la terrasse d’un appartement tout en haut, des signes, c’est là. Pas d’ascenseur, un escalier un peu étroit pour un immeuble, des chaussures devant chaque porte et, tout en haut, au quatrième, la porte s’ouvre. La femme et la fille de notre hôte attendaient. La première ne parle que turc mais s’amuse beaucoup à répéter sinekiou (merci en anglais) et la seconde qui a appris l’anglais à l’école et poursuit a un peu de mal à faire des phrases. Elles ont fait appel à la voisine de palier qui se débrouille un peu mieux. Nous sommes reçus au salon. La conversation tourne autour de la famille, ils ont quatre enfants, les trois premiers, plus âgés, sont à Ankara. Je sais dire la nôtre en turc mais ne connais pas les noms turcs de leur métier. Les dictionnaires sont de bonnes béquilles, le petit dictionnaire de poche que nous avons apporté et le petit dictionnaire anglais que leur fille est allée chercher entrent en action et permettent d’avancer. Il est aussi question de la France, de la ville d’où nous venons et, là, c’est au tour de la carte d’Europe que nous avons prise d’intervenir. Ils s’intéressent aussi à notre parcours en Turquie, oui, c’est parfait, nous pouvons leur dire, leur montrer les villes et le trajet effectué, il est bien possible que nous en ayons vu plus qu’eux, et leur dire aussi ce que nous avons particulièrement apprécié comme la ville de Şanlıurfa… Puis vient l’heure de passer à table, table qui est dressée dans la pièce d’à côté, la chambre d’hôte, meublée comme un salon, la table en plus. Surprise. Nous sommes six et il n’y a que quatre couverts, le fille et la voisine nous regardent manger et, bien sûr, participent à la conversation. Non seulement le couvert est mis, mais les plats sont aussi sur la table que personne ne quitte, ne serait-ce qu’un instant pour aller chercher un complément ou emporter un plat vide. Chacun a une fourchette, une cuiller, une assiette, un verre d’eau et une serviette en papier et, à côté ou devant, là où il y a de la place, une assiette de salade composée, un petit bol de riz concassé au lait-yaourt et une grande assiette de riz pilaf. Le plat principal, une préparation aux épinards, est déjà servi dans les assiettes. Partout ailleurs, du pain coupé en tranches épaisses. Bon appétit (afiyet olsun), merci. Nous hésitons, le temps de voir comment ils s’y prennent et nous nous lançons à notre tour. Tout est très bon, ils mangent beaucoup de pain comme nous. Tout se passe très bien.

À la fin, on empile les différentes assiettes et nous retournons au salon. Nous avons le choix entre trois tailles de tasses de thé. Küçük (prononcer cutchuque), les petites suffiront. Deux petites tables sont disposées, le temps de montrer quelques photos de la famille et de notre ville et le thé arrive, accompagné de petits gâteaux. Le temps presse un peu à cause de la reprise à l’école, à une heure et demie. Au revoir (allahaısmarladık qui se prononce comme c’est écrit, il suffit de lire eu pour ı) et merci (teşekkür ederim). Adieux depuis la rue et nous prenons congé de notre hôte après avoir traversé la grande route et l’avoir chaleureusement remercié aussi. Il part travailler, nous regagnons le garage.

Le camping-car est dans la rue, un bon signe. Autre surprise à la réception : une entreprise livre des repas et ils nous en proposent ! Impossible d’accepter, nous sortons de table ce que nous leur faisons comprendre en les remerciant. Le paiement de la note est rapide, nous nous étions assurés le matin de pouvoir le faire avec la carte de crédit. Il n’en va pas de même de l’établissement de la facture, on nous fait attendre pour une question de repas qui nous échappe malgré la traduction de Google et qui est pourtant toute simple : la secrétaire est partie manger. Quand tout est terminé, on vient nous serrer la main.

Nous allons maintenant découvrir le centre-ville. Au second passage, nous trouvons un parking où ils déplacent deux voitures pour nous laisser une belle place. Le ciel s’est bien assombri, mieux vaut partir avec le parapluie. Comme nous avions trouvé le centre en cherchant une place, nous savons où aller. La place où se trouvent bon nombre de bâtiments et vestiges anciens est large et agréable, l’aménagement les met bien en valeur. La médersa Bürüciye a une belle façade travaillée que l’on domine d’un escalier en amphithéâtre dont l’autre extrémité mène à la mosquée Kale. La façade de la médersa cache une cour transformée en café dont les tables sont principalement occupées par des jeunes. À gauche, en entrant, nous découvrons l’office du tourisme. C’est décidément difficile de savoir où ils se cachent quand ils existent, jamais fléchés ni indiqués ni là où ils sont marqués dans les guides. La deuxième médersa, Şifaiye, est fermée. Nous nous contentons de l’extérieur, plus simple mais très beau. De la troisième, Çifte Minare, il ne reste que la façade et les deux minarets qui lui donnent son nom et en font un objet architectural original. De là, direction la Grande mosquée (Ulu Camii) que nous demandons malgré le plan remis à l’office du tourisme. Elle surprend, à l’extérieur, par son minaret penché et par sa taille et, à l’intérieur, par ses piliers massifs. Elle est très ancienne. Un peu plus loin, la médersa Bleue (Gök Medrese) est fermée pour travaux, des travaux qui doivent être durablement installés et qui n’empêchent pas d’avoir un aperçu et surtout d’admirer les deux minarets. Comme le soleil luit à nouveau, nous décidons de retourner à la place centrale pour en profiter. Nous y revenons chargés à la suite d’un arrêt chez un marchand de fruits et légumes, tous frais et bon marché, encore de bons fruits de saison qui ont poussé dans de la terre… et, en plus, on goûte avant d’acheter, nous sommes bien chargés ! Il suffit d’aller plus doucement. De là, nous rentrons chez nous par des rues du bazar avec un arrêt au caravansérail Behram Paşa, en mauvais état. Chaque bazar a sa physionomie propre, sa répartition des biens et denrées offerts à la vente. Il en est de même de chaque partie de bazar. Allant sans autre but précis que de terminer au parking où nous avons laissé le camping-car, nous voyons un peu de tout. Les objets que l’on voit ici et que nous n’avions pas encore rencontrés sont des instruments de musique, perdus entre des magasins de vêtements ou d’outillage. Avec une journée aussi remplie, on a tôt fait d’être au soir. Le temps de quitter le centre-ville et de chercher un emplacement.

La sortie de la ville pose un peu problème, il ressort des réponses d’une personne interrogée que nous sommes dans la bonne direction mais qu’elle n’est pas indiquée. Pas de souci ensuite, les stations-service sont légion aux abords des villes, il suffit de choisir son parking. Ce soir, notre choix se porte sur celle qui est établie à côté d’une boulangerie. Je prends place entre les deux, avant le parking arrière au-dessus duquel ont été aménagées une fontaine et des tonnelles pour pique-niquer. Tout semble neuf et nous sommes suffisamment à l’écart de la route pour ne pas être gênés. Seul bémol, à la station- service où je demande si nous pouvons passer la nuit ici, on me répond que non, que nous devrions aller de l’autre côté de la boulangerie. Je n’aurais jamais osé, il n’y a qu’une voie, si nous y prenons place, personne ne pourra plus passer. Cela n’émeut pas le boulanger. Ce soir, nous avons la musique qu’écoutent les boulangers pendant le pétrissage.


Samedi 2 juin

de Sivas à Amasya (photos)

Nous partons tôt pour faire la route et ne pas arriver tard à Tokat. Le temps est de nouveau superbe. La rue principale y descend, nous la parcourons une fois et demie avant de tourner à droite et d’arriver à la place de la mosquée où le parking est libre et une place libre. La belle lumière matinale rend tout agréable. La ville comprend plusieurs lieux dignes d’intérêt. La médersa Bleue (Gök Medrese) est hélas fermée mais son portail sculpté est visible de la rue et en plein soleil. La belle cour fermée du Caravansérail de pierre (Taş Hanı) est occupée par des cafés et des magasins de souvenirs qui vendent des tissus imprimés, spécialité de la ville. La montée à la citadelle est raide et la chaleur commence à se faire sentir, mais la vue que l’on a sur la ville mérite l’effort. Nous redescendons en ville par des rues dont plusieurs maisons anciennes ont du caractère. Nous montons ensuite l’avenue Sulusokak (Sulusokak caddesi) qui longe plusieurs monuments, un tombeau et, surtout, plus loin, un ancien marché couvert (Bedesten) qui abrite maintenant le musée de la ville, un beau musée à recommander, la mosquée Takkeciler avec ses neuf dômes et la médersa Yağdasan en pleine restauration. Plus loin, elle se sépare en petites rues qui, bordées de belles maisons anciennes, partent à l’assaut de la montagne. De retour, la traversée d’un petit marché de quartier nous arrête avant de poursuivre avec d’autres arrêts à la traversée du bazar. Nous avons finalement passé pas mal de temps à marcher dans la partie ancienne de cette jolie ville.

En partant en direction d’Amasya, la route en traverse des extensions plus récentes. La route suit des vallées peu marquées couvertes d’arbres fruitiers avec de plus en plus de cerisiers. Les kiosques de vente se multiplient à l’approche d’Amasya. Nous n’avions pas l’intention d’y arriver ce soir, mais, après avoir hésité et avoir renoncé à nous arrêter en route en raison de son revêtement bruyant au passage des voitures, nous y sommes. Arrêt à une station-service à l’entrée de la ville.


Dimanche 3 juin

d’Amasya à Yekbas (photos)

Le temps clair est fidèle au rendez-vous. Comme les autres dimanches, le stationnement ne pose aucun problème, nous sommes en face du parc au milieu duquel est construite la mosquée Sultan Bezayıt II qui en devient notre premier objet de visite, une belle mosquée dans un jardin agréable. La traversée du jardin conduit tout droit à la rive droite du fleuve Yeşilırmak. Là, se dessinent les deux parties de la ville : elle s’est plus largement établie sur l’ubac, moins pentu, tandis que sur l’adret, surmonté d’une falaise couronnée d’une citadelle et creusée de monumentaux tombeaux rupestres, elle est réduite à une bande de maisons ottomanes dont les plus proches du fleuve sont construites en surplomb. La rive droite est une promenade aménagée avec des fleurs, des bancs au-dessus du fleuve, des bustes en bronze des sultans et des kiosques de vente de livres installés par la mairie. Nous allons jusqu’au pont suivant pour passer sur la rive gauche et monter aux tombeaux. Des groupes d’Asiatiques sont déjà sur les lieux, mais comme souvent avec les groupes, il suffit d’attendre un peu pour les voir repartir. Jour de congé, on y monte en famille. Les ouvertures dans la falaise sont hautes, les tombeaux en eux-mêmes, vieux de plus de deux mille ans, ont beau être hauts, ils ne présentent pas un grand intérêt, par contre, la vue sur le site de la ville vaut le déplacement. Nous restons sur la rive nord pour descendre jusqu’au pont suivant et visiter un peu ce quartier de maisons ottomanes dont beaucoup sont transformées en hôtel ou restaurant. Au bout de la rue, juste avant le pont, un kiosque abrite l’office du tourisme, bien placé pour ceux qui arrivent par là, comme les groupes que les autocars déposent non loin. C’est un policier anglophone qui nous explique et nous montre quoi visiter et par où passer. Nous allons vers la mosquée Mehmet Paşa, fermée, avant de remonter sur le boulevard Atatürk. Bien que la plupart des magasins soient fermés, nous le remontons jusqu’à la médersa Bleue (Gök Medrese) qui ouvre dans une demi-heure et où nous nous contentons de l’extérieur et de celui du mausolée Torumtay. Comme la promenade au bord de l’eau est agréable, nous y repassons pour rentrer et quitter la ville.

La direction générale est celle d’Ankara. Nous n’avons pas acheté de cerises au bord de la route hier alors qu’il s’en vendait partout parce qu’il nous en restait assez et parce que la route part dans cette zone-là. Manque de chance, le carrefour de la route de la capitale quitte celle de Tokat avant les cerisaies et ensuite elle ne fait que traverser des plaines sans arbre consacrées à la culture de céréales. Cette première route rejoint un grand axe au nord de Çorum. C’est à peine si nous nous rendons compte de la traversée de la ville puisqu’il en contourne le centre par une voie rapide récente qui passe sous les carrefours. Régulièrement, au bord, de récents immeubles de trois étages en brique attirent notre attention : grand parking, grands panneaux publicitaires, jarres sur les marches, magasin au rez-de-chaussée. Qu’est-ce que c’est ? Un mot revient, leblebi, qui ne nous est pas étranger mais que nous ne nous remémorons pas sur-le-champ. Comme la route a au moins six voies de large, la traversée va vite et, pourtant, nous ne savons pas où nous devrons quitter cette route. Un petit arrêt pour regarder la carte, les parkings ne manquent pas, autant en profiter, les bandes d’arrêt d’urgence à la campagne sont moins sûres. C’est dans vingt kilomètres, en direction d’Acala, nous avons le temps. Et si nous profitions de cet arrêt pour aller voir ce qu’on vend. Et voilà, la clé est retrouvée, leblebi signifie pois chiche grillé ! Et nous pénétrons dans l’un des temples du pois chiche dont Çorum est en quelque sorte la capitale. L’offre est fantastique : des sacs de pois chiches de toutes les couleurs et dans tous leurs états côtoient des préparations à base de pois chiches, des paquets cadeaux, des pyramides… Les propriétaires n’ont pas oublié non plus les autres productions du pays comme les fruits secs, les graines et les loukoums. Nous ne ressortons pas les mains vides !

Et nous reprenons la route. Le carrefour cherché est facile à trouver et bien indiqué. Belle route de campagne que nous quittons pour la petite route d’Alacahöyük. Ce tout petit village est bâti en marge d’un site hittite. Laissant le musée pour l’instant, nous allons voir les ruines. La porte d’entrée dans l’enceinte est flanquée de deux sphinx. Comme, hormis au niveau de l’entrée, les restes sont presque partout réduits à des bases de murs, vieux de plus de trois mille ans, ces deux sphinx impressionnent. Plus loin, des tombes ont été reconstituées. À cette saison, un peu partout, l’herbe envahit le sentier et les ruines que nous aurions parfois du mal à voir s’il n’y avait pas de petits monticules. Le musée est fermé, mais, nous voyant là, un gardien se précipite pour l’ouvrir. Il n’est pas le premier musée de site que nous visitons et que nous trouvons intéressant, il n’est pas grand, et peut-être même en est-ce la raison, on a tout le temps de découvrir de belles pièces. En ressortant, j’essaie de savoir à quelle heure ferment les sites suivants, Hattuşaş et Yazılıkaya, ils ne savent pas exactement et de toute façon parlent bien peu anglais. Malgré un parking agréable, nous tentons notre chance puisqu’ils sont à environ vingt-cinq kilomètres.

Dès l’arrivée, le tourisme est perceptible. Boğazkale n’est qu’un petit village, mais les hôtels, pensions, restaurants et campings montrent qu’il ne se consacre pas qu’à l’agriculture ou l’élevage. On ne tarde d’ailleurs pas à nous faire signe et une voiture nous suit jusqu’au guichet d’entrée au premier site pour nous proposer toutes sortes de prestations, guide, camping… dont nous n’avons pas besoin. Fermeture à 19 h, ce qui laisse assez de temps pour le parcourir. Nous pensions en faire les cinq kilomètres à pied, mais on nous dit d’y aller en voiture. Il est vrai que nous pourrons ainsi passer plus de temps aux points de visite. La première est au sommet pour bénéficier de quelques rayons de soleil et dominer le reste du site. Ce premier sommet est une porte, la Porte des Lions (Aslanlı Kapısı), dans un morceau de rempart. Plus loin et un peu plus haut, second sommet, celui de la Porte des Sphinx (Sfenksli Kapısı) où le rempart reconstitué en donne l’importance et laisse le passage à un étroit souterrain vers l’extérieur. Du haut du rempart, le relief permet de bien appréhender l’importance de la ville et sa distribution. Bien que le site ait été occupé dès le VIe millénaire av. J.-C., la ville eut son heure de gloire vers le XIVe siècle av. J.-C. Comme dans le site précédent, à quelques exceptions notoires près, il ne reste que des bases de murs, mais ici le plan que dessinent les bases et les fondations est bien lisible. Dernière porte, la Porte du Roi (Kral Kapısı). Contrairement aux deux autres où les lions et les sphinx perpétuaient leur mission de garde, à cette porte, seul un moulage de guerrier demeure. Un peu plus bas, nous cherchons et trouvons les hiéroglyphes signalés dans les guides. Plus bas encore commence le Grand Château (Büyükkale) dont les restes étaient mieux visibles de haut qu’une fois sur place. Le tour se termine avec la visite du Grand Temple avec ses espaces pavés et son plan complexe. Nous passons le reste du temps jusqu’à la fermeture avec le gardien qui était en train de laver sa voiture et dont nous empruntons le tuyau pour faire notre plein d’eau.

À la sortie, nous partons repérer le second site local, de façon à ne pas chercher demain matin. Il est en train de fermer. En redescendant, plusieurs propriétaires d’hôtel-restaurant-camping attendent d’hypothétiques clients au bord de la route. Nous nous arrêtons auprès du premier qui demande vingt livres pour le stationnement et les douches, c’est incompréhensible, non pas que ce soit une fortune, environ neuf euros, mais c’est exorbitant eu égard au coût de la vie ici et exagéré pour qui n’a aucun client et cherche à en attirer. Nous ne savons pas encore où nous irons ce soir, mais ce sera ailleurs ! Sur la route de sortie, une station-service toute simple, pas même goudronnée mais avec de la place nous reçoit sans problème et avec le thé ! Le pompiste est seul, le client rare, il doit s’ennuyer pas mal. En plus, la station domine la vallée à l’arrière, un point de vue agréable sur de la verdure pour les derniers rayons de soleil.


Lundi 4 juin

de Yekbas à Yenikent (photos)

Comme les autres jours, temps superbe. Nous allons directement à Yazılıkaya. Le site est petit, petit mais fascinant. En deux parties, l’une de ruines basses et fondations, comme hier, ne nous retient pas. L’autre, par contre, de hauts rochers sculptés, forme comme des pièces. Le soleil est encore un peu bas pour atteindre toutes les sculptures, il n’empêche. Voilà des sculptures qui veillent depuis plus de trois mille ans, celles de divinités taillées à même le roc, dont douze en procession, si semblables les unes aux autres qu’on les dirait obtenues par copier-coller, trente-deux siècles avant l’invention de l’ordinateur. La visite terminée, nous partons.

Aujourd’hui, le point de mire est Ankara. La route principale n’est pas loin et ensuite, la grande route va vite. Les nuages montent vite. La circulation est dense dès l’arrivée en ville. Il ne va pas être facile de trouver ce que nous cherchons puisque les panneaux indiquent des noms de quartiers et que nous n’en connaissons pas un ! Ankara est une ville plus petite qu’İstanbul et son intérêt touristique est moindre. Un incontournable de cette ville est le fameux Musée des civilisations anatoliennes (Anadolu Medeniyetleri Müzesi), il est proche de la citadelle et une citadelle, cela trône sur une éminence et doit se voir. Le soleil est caché, c’est dommage, je m’en sers beaucoup pour m’orienter. Il reste à suivre des artères qui semblent aller dans la bonne direction. Au bout d’un moment, nous devons avoir confirmation. Arrêt à une station-service pour demander. Nous sommes très bien et pas trop loin. En continuant, nous apercevons enfin la citadelle, il reste à s’en approcher. Nous n’avançons maintenant plus qu’au pas. Le relief est plus marqué, la citadelle sur la droite. Un premier parking, en milieu de journée, cela risque de ne pas être simple et puis, toutes ces voitures, elles doivent bien chercher une place aussi. Complet, sortie en marche arrière dans le flot ! Un peu plus bas, second parking, nous entrons, il reste une place. Le prix est le même que nous restions une heure ou une journée, cela laissera le temps de nous décider. Le parking est en fait un espace où des maisons de peu de valeur ont été abattues et où une partie des décombres a été aplanie. Le terrain est poussiéreux, plein de détritus de toutes sortes, pierres, bois… ce n’est pas engageant. Comme souvent, nous sortons avec notre sac à ordures pour le déposer dans la première poubelle rencontrée, le gardien le prend et le lance plus haut sur le tas de gravats !

Nous nous hâtons de monter au musée. La partie de bazar traversée est spécialisée dans l’électronique, nous n’en avions pas encore vu. Le musée se trouve presque en haut de la colline. À l’entrée, la caissière signale la fermeture de quelques sections. En plaisantant, je lui demande si le prix est réduit en conséquence. Les pièces que nous voyons sont de toute beauté, en particulier, les objets inventés à Alacahöyük. La fermeture partielle annoncée limite la visite à une petite moitié de l’exposition habituelle, finalement ma plaisanterie au goût douteux prend du sens. Nous montons ensuite au château. On vient s’y promener, les enfants jouent au cerf-volant en sautant sur le haut des remparts sans rambarde. Nous retournons au musée demander si le Mémorial à Atatürk (Anıtkabir) est ouvert le lundi. Ils se posent la question les uns aux autres, la posent à un chauffeur de taxi… ils sont tous d’accord pour dire que oui.

Sans être loin, ce n’est pas près et pas direct, il nous faudrait chercher, demander. Si nous voulons y être avant qu’il ne soit trop tard, il faut y aller vite, la solution est le taxi. La circulation est dense, il avance tout doucement par endroit, mais il connaît la ville et fait les détours qu’il faut pour avancer. Il nous dépose à l’entrée sud, nous entrons, on nous rattrape vite, il faut passer le contrôle et laisser les sacs à dos ! Le mémorial est grandiose. Impassibles, les soldats qui le gardent semblent sortis d’un musée de cire et leur arme neuve, tout juste sortie de son emballage. Les bâtiments en pierre ocre sont impeccables, tirés au cordeau. On sent un certain recueillement ou au moins du respect. Ici aussi, on vient se promener, les terrasses, les musées, les jardins s’y prêtent bien. Au sud, le ciel, devenu parfaitement noir, contraste fortement avec les édifices et la cour encore sous le soleil. Il est temps de rentrer si nous ne voulons pas arriver tard, d’autant plus que nous marchons au jugé. Cette marche rapide en plus d’être un peu éprouvante est frustrante dans la mesure où nous traversons vite et sans nous arrêter des quartiers divers dont une partie commerçante animée où nous aimerions traîner.

Retour au parking et décision rapide : il n’est pas question de passer la nuit dans ce tas d’ordures, nous avons vu ce qu’il « faut voir » ici, chercher un parking à cette heure est sans doute mission impossible et il est bien d’avancer par rapport à notre planning de retour, nous partons. Paradoxalement, sortir en direction d’une des villes les plus importantes du pays n’est pas simple et nous renforçons la difficulté en évitant l’autoroute. Nous partons vers l’ouest, mais ce n’est pas la bonne route. Nous nous enfonçons petit à petit dans des quartiers denses de petits immeubles d’habitation au pied desquels un véritable bazar est organisé. Si nous le pouvions, nous nous arrêterions là pour visiter, mais pas une place n’est libre et le soleil se couche. Cela dure, nous tournons à gauche faute de pouvoir continuer, même vie foisonnante. À un feu rouge, nous demandons au voisin, il se propose de nous guider, à nous de le suivre. Nous n’y serions pas arrivés. Il nous met sur la bonne route, mais c’est l’heure où tout ceux qui travaillent en ville la quittent pour rentrer chez eux, en banlieue. Des travaux nous détournent de la route et des possibilités de stationnement nocturne qu’elle offrirait. Ce n’est que plus loin - la ville a été remplacée par des champs - que nous repérons deux parkings puis une station-service où l’on accepte notre présence pour la nuit.


Mardi 5 juin

de Yenikent à Karacasu (photos)

La nuit a balayé tous les nuages d’hier. La route choisie est une belle route de campagne comme nombre d’entre elles, deux voies et deux bandes d’arrêt d’urgence transformées selon le paysage en bandes d’arrêt photo. Après le premier col (Aysanti Geçidi), de petites montagnes dénudées séparent des plaines plates occupées par des cultures maraîchères, salades, tomates… où une nombreuse main d’œuvre participe à des ramassages. Cette route pittoresque conduit à Beypazarı où nous devons prendre la direction nord.

Mais la ville est construite sur plusieurs collines, les maisons que l’on voit du carrefour sont belles, bien que, de nouveau, aucun de nos guides ne la mentionne, nous pourrions aller y faire un tour. Une rue monte vers le centre, elle est bordée de commerces ressemblant plus à ceux de nos villes qu’à ceux de bazars comme d’habitude. Nous la prenons à pied, elle débouche sur une place au centre de laquelle est érigé un monument à la carotte, sans doute une production locale importante. Nous continuons vers la gauche, la rue monte. Les commerces disparaissent un à un et font place à des maisons et des administrations. Une fois en haut, nous voyons une colline d’où la vue sur la ville pourrait valoir le déplacement, mais comment s’y rendre ? Des ruelles pentues et sinueuses partent dans cette direction, y arrivent-elles ? Un policier passe, il doit savoir, je lui demande. Manifestement, il ne sait pas puisqu’il demande à son tour à des passants et des habitants ! Ces derniers nous montrent la ruelle à suivre, plus haut, on nous indique un raccourci et nous débouchons sur le haut de la pente. Un restaurant est installé en haut. Des jeunes y sont installés en petits groupes. La vue sur la ville et ses alentours est belle, mais elle serait meilleure en avançant un peu vers elle parce que la colline est allongée. Sur la gauche, on restaure un caravansérail (Suluhan) qui sera un beau monument. De belles maisons montent à l’assaut des collines. Après les terrasses, ce sont de petits sentiers. Trois gamins, dix-treize ans sont là, encore des enfants non scolarisés qui traînent. Nous nous saluons et ils se mettent à demander de l’argent, para, para… Bien sûr, nous ne donnons rien et passons notre chemin. Ils commencent à nous jeter des petits objets qu’ils avaient dans leurs poches, de toutes petites fiches électriques. Nous n’en faisons pas cas et continuons. Eux aussi, mais à épuisement de leur réserve, ils passent à des graviers puis, nous sommes plus loin, des petits cailloux, nous avançons, la première maison est proche. Pas assez toutefois pour ne pas prendre un caillou sur la tête. Je porte la main à la tête et tombe, intentionnellement, je me retourne et les vois détaler dans la direction opposée. Je me relève. Évidemment, le sang s’est mis à couler, la casquette qui m’a un peu protégé en est maculée et un mouchoir vient à la rescousse. À ce moment, deux jeunes montent pour rejoindre ceux qui sont attablés en haut, je leur explique ce qui vient de se produire et ils se mettent à courir mais il est peu probable qu’ils rattrapent les fautifs. À la première maison, un femme âgée arrange ses fleurs, mêmes propos, non pas pour qu’elle se mette à courir mais pour qu’elle sache et que l’on sache ce qui peut se passer au-dessus de chez elle. Les escaliers et ruelles de ce côté de la colline arrivent au bazar. Je demande la police, toujours pour informer. On nous envoie sur la place principale où nous n’en voyons pas. Nous remontons par la rue que nous avons montée tout à l’heure parce que nous y avions vu des administrations. Inutile de monter haut, une voiture de police descend. Je leur fais signe, ils s’arrêtent et je leur explique ce qui vient de se produire. Une nouvelle fois, je ne comprends pas ce qu’ils disent mais je pense qu’il s’agit d’excuses. Ils poursuivent en me conseillant d’aller à l’hôpital ce que je comprends. Ils expliquent de plus où il se trouve et comment y aller. Nous n’en sommes pas loin, mais ce n’est pas direct, il faut changer de rues plusieurs fois ce qui m’oblige à redemander.

L’hôpital est à la mesure des trente-six mille habitants de Beypazarı. À l’entrée principale, on me renvoie à une autre. L’admission est moins compliquée qu’à Diyarbakır, le passage obligé est la présentation d’une pièce d’identité et le transfert des données sur l’ordinateur. Personne ne parle anglais, la secrétaire se débrouille comme elle peut, elle m’a désigné une chaise dans la salle et je ne vois pas les renseignements qu’elle prend en note ! Pas de document d’admission. Après qu’elle m’a rendu mes papiers, j’attends, attente de courte durée. On me fait entrer dans une salle de soin, ici aussi le personnel est nombreux. On prépare un pansement et on attend le médecin, un jeune homme qui parle un peu anglais et passe de salle en salle. C’est bon pour les soins, ensuite une radio. Comme la première fois, chaque étape nécessite son paiement préalable accompagné. Je ressors, attends, suis à nouveau invité à entrer, reçois les soins, ressors, entre, revois le médecin qui parle aussi un peu allemand… tout cela dure un peu, mais tout se passe bien et je sors de l’hôpital avec un pansement sur le crâne.

Ainsi déguisé, nous partons visiter le bazar que nous avons rapidement traversé et voir quelques belles maisons de plus près. Cette visite montre que la ville est touristique, elle ne doit recevoir que des touristes turcs. Au bazar, les étals de fabrication de jus sont fréquents, en particulier pour du jus de carottes. Les pâtisseries à baklavas sont nombreuses aussi. Le travail du métal et l’outillage y occupent de la place. Vu ce qui vient de nous arriver, nous nous éloignons peu ! Les plus belles maisons sont plus haut, nous n’y allons pas. La mosquée est fermée. Le beau temps et l’animation des lieux rend la promenade agréable.

Il nous faut cependant repartir. Nous avons décidé de prendre une route vers le nord marquée comme pittoresque sur la carte. Sans être mauvaise, elle a suffisamment de nid de poules pour ne pas relâcher l’attention. Elle commence par la remontée d’une vallée verte prise entre deux plateaux dénudés. À la fin de la vallée, la montée offre de beaux points de vue. Au début, aucun village. Par la suite, entre les vallées, des villages déshérités aux maisons de bois qui tombent en ruine, presque pas d’habitants, pas de voiture. La campagne donne pourtant l’impression d’être propice à l’élevage. Plus au nord, les forêts de résineux dominent. Cette belle route se termine par une descente en forêt avant d’arriver à Bolu où nous retrouvons la route 100.

La circulation nous fait faire le tour du centre-ville à la recherche d’un parking à toute petite vitesse. Nous n’en trouvons pas et reprenons la route d’arrivée où nous en avions vu. Voici encore une ville dans laquelle les touristes doivent être rares. Non citée par les guides, nous allons au hasard, en fonction de ce que nous avons repéré en voiture. En hauteur, elle possède un petit caravansérail fermé à la forme curieuse et à deux étages spécialisé dans la vente de livres, religieux semble-t-il. Notre retour commençant à se préciser, nous consultons internet pour la route et la météo. Encore quelques courses et nous repartons vers Karacasu, juste avant la montée, où nous avons vu un endroit où passer la nuit.


Mercredi 6 juin

de Karacasu à Ömerli (photos)

Je vais chercher du lait dans le minuscule magasin voisin. Heureusement, je connais le mot turc parce que je n’en vois pas. C’est comme souvent, la masse d’articles est telle qu’on ne trouve pas ce que l’on cherche, mais le vieil homme en a ! Nouvel arrêt à Bolu pour compléter les achats, dans un ou deux jours, nous serons à İstanbul où nous n’avons pas l’intention de chercher des produits de consommation courante.

De Bolu à Düzce, la route principale a un parcours forestier vallonné. Elle est bordée de façon presque ininterrompue de restaurants et de magasins divers. On y vend toutes sortes d’objets, exposés de façon à être bien visibles en passant, surtout des objets en bois et du pain, le « pain de Trabzon » (Trabzon ekmek ou Trabzon ekmeği selon les enseignes) est une référence. À Düzce, nous bifurquons vers Akçakoca, au nord sur la Mer Noire. Arrêt à un marché de village pour prendre des fruits frais. La culture des noisetiers reprend rapidement le dessus, le temps gris couvert aussi. La petite route côtière n’est pas bien bonne et la pluie l’a rendue glissante. Elle ne cesse de monter et descendre entre des rangées de noisetiers. La mer, grande absente, n’arrive que dans la seconde partie. Les villes côtières sont bizarres, elles semblent vides ou à demi-abandonnées, peu entretenues, le sable gris des plages envahit les rues. Elles doivent retrouver vie en saison. À Karasu, nous prenons en direction d’Adapazarı, vers l’intérieur, et, là, vers Kandıra, Ağva et la mer. Nous avons ce parcours en zigzag pour suivre des routes pittoresques et dans l’espoir de voir revenir un ciel plus clément. En ce qui concerne le pittoresque, il faut aimer les noisetiers plus que de mesure, et pour le temps, il finit par se dégager à un moment où nous sommes comme perdus dans une forêt sans fin dans laquelle, près de leur campements, des tsiganes préparent des foyers pour faire du charbon de bois.

Nous trouvons ce que nous cherchions depuis longtemps à Şile : un beau site avec du beau temps en bord de mer. Contrairement aux villes et villages maritimes perdus traversés jusqu’ici, Şile est une ville vivante qui doit drainer pas mal de Stambouliotes. Son site, indépendamment du beau temps retrouvé, est attrayant. N’y trouvons-nous pas deux camping-cars français ? Des monticules rocheux en ville comme en mer lui donnent du relief. En ville, ils sont la cause des montées et descentes, en bord de mer, ils constituent des points de vue appréciables sur les lieux et, en mer, ils délimitent de petites criques bleues où l’on se baigne et supportent les ruines d’un vieux château fort. Un petit port complète le tableau. Le tout n’est pas grand et se prête bien à la promenade. C’est la première fois - et sans doute la dernière pour ce voyage - que nous avons beau temps sur la Mer Noire, bleue pour l’occasion !

Nous ne pouvons hélas pas y rester longtemps parce que nous souhaitons arriver demain matin tôt à İstanbul dont nous devons nous rapprocher. Nous quittons donc la Mer Noire et repartons dans les noisetiers. La question les concernant est de savoir la longueur du « champ », mille kilomètres ? Étonnant. Le dernier parking de la partie asiatique du voyage n’est pas facile à trouver. Ce sera une petite place tout près d’un pont à bascule de pesage des camions où le bruit nous aurait fait fuir s’il y avait eu une autre place.

Suite du voyage de 2012

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