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Voyage de 2014

Semaine 3, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Monténégro, Albanie et Grèce

Lundi 14 avril

Dubrovnik, Risan (photos)

Le trafic transfrontalier est important, l’hypothèse du développement de ce coin perdu et sec d’altitude en Bosnie-Herzégovine dû à des prix croates élevés se confirme un peu plus. Ni la taille du poste-frontière, ni celle de la route ensuite ne sont à la hauteur. De la route, la vue sur la côte et l’étroite bande d’arrière-pays est superbe. En peu de kilomètres, le niveau de la route côtière est atteint, puis c’est le tour de Dubrovnik. Contrairement à bien des endroits, nous savons où aller et comment y parvenir, le port pour son parking de longue durée. Il fait très beau et déjà chaud lorsque nous y arrivons. Les tarifs sont élevés au point que nous partons, en vain, à la recherche d’un improbable autre endroit. D’expérience, nous savons qu’il est très difficile de trouver de la place dans la rue, que c’est interdit aux camping-cars et, de toute façon, à durée trop limitée pour une visite complète. C’est donc sans surprise que nous revenons et prenons place. L’idée était de prendre un bus pour nous rendre dans la vieille ville, mais lequel ? Finalement, vu le beau temps, nous faisons les deux kilomètres et demi à pied. C’est ainsi que nous nous retrouvons en face de la Porte Pile comme il y a deux ans. Deux grandes différences liées : il fait beau et nous avons le temps. Nous décidons de commencer par le tour des remparts. Malheureusement, pour la plus grande partie du parcours sud, le ciel s’est voilé, enlevant du relief aux vues et du bleu à la mer. Côté est, au-dessus du vieux port, le chemin de ronde est coupé par le déplacement d’un essaim d’abeilles que nous n’osons pas franchir. Le gardien suggère de descendre et remonter un peu plus loin, il prévient son collègue par téléphone. Le grand soleil revenu, les vues sur le port et les quartiers anciens de la ville dans cette partie sont très belles. Côté nord, les remparts montent sur les premiers contreforts rocheux et l’on atteint graduellement la Tour Minčeta d’où la vue embrasse non seulement la partie intérieure aux fortifications, mais aussi le site et son horizon marin. Nous choisissons ensuite d’en voir le maximum sans nécessairement en visiter le maximum, autant dire que nous parcourons bien des ruelles dans tous les sens, les pas ramenant souvent sur l’artère principale, la Placa. Même constat que la dernière fois, nous ne nous lassons pas de nous balader entre des façades, des palais, des églises et des monastères anciens. Ce qui limite est de penser qu’après tout cela, visites comprises, il restera encore les deux kilomètres et demi du retour. Nous avons droit à un soleil de plomb pour ce retour, les thermomètres affichent 30° C pour la première fois cette année.

La suite est simple : route jusqu’à Risan au Monténégro. C’est agréable aussi par ce temps et tellement différent des pluies diluviennes et du ciel bas ! Nous attendions beaucoup du fjord de Kotor, surtout de la partie où la route qui suit la côte au ras de l’eau débouche sur la partie intérieure et d’où l’on découvre la vue sur Perast et ses deux îlots. C’est presque décevant. Autant le toit bleu turquoise de Notre-Dame des Rochers (R. K. C. Gospa od Škrpjela) faisait tache sur le fond noir de l’orage et des rideaux de pluie, autant il passerait inaperçu aujourd’hui si nous n’y prêtions pas attention. En cet après-midi avancé, les éclairages sont tout de même jolis et les arrêts fréquents. La plus grande déception, la seule même, vient de la source Sopot, juste avant Risan. Elle était tout simplement effrayante de fracas et de débit, il n’en sort pas une goutte aujourd’hui ! Risan, enfin. Arrêt au passage, pour acheter du pain, aller voir les mosaïques romaines et faire quelques courses au petit supermarché. Sans être joli, le bord de mer est agréable avec ses gros palmiers. Les mosaïques ne nécessitent pas un voyage exclusif, mais nous sommes là n’est-ce pas ? Tout ceci fait, nous partons un peu plus loin au-dessus de la petite baie du monastère où nous restons jusqu’au moment de se coucher. Nous ne pouvons en effet pas imaginer passer la nuit ailleurs que sous ces gros palmiers, les deux mêmes qui nous avaient apporté un brin de protection contre le vent et les rafales de pluie la dernière fois ! Toutes les places sont prises sauf la nôtre !

Mardi 15 avril

Kotor, pluie et grêle (photos)

Changement complet ce matin, le ciel est passé du bleu au gris menaçant. Dommage pour le paysage et pour Kotor où nous arrivons en même temps qu’une ondée. Kotor est un peu et en plus petit la Dubrovnik monténégrine. Moins connue, moins courue que sa grande sœur, c’est aussi une ville ancienne ceinte de remparts, parcourue par un réseau inextricable de ruelles étroites, coincée entre la mer et la montagne. Ici, sur un côté, le rempart s’attaque vivement à la montagne, sur les deux autres côtés qui n’étaient pas en bord de mer, ils sont bordés de douves larges comme des rivières. Le réseau des ruelles n’a pas le plan en damier simple d’hier, lorsque l’on prend l’une d’elles – certaines sont si étroites qu’on en effleure presque les murs des deux côtés – on ne sait où l’on arrivera. Comme à Dubrovnik, la plupart des rez-de-chaussée sont occupés par des magasins touchant au tourisme. L’autre grande différence tient dans la position de l’axe principal, de part en part dans la première, juste derrière une porte ici. Une dernière à la fois objective et personnelle, il faisait très beau et très chaud hier tandis que la visite d’aujourd’hui se fait sous le parapluie avec des attentes à l’abri aux moments les plus intenses et que la froideur est de retour. La conséquence en est que nous ne nous attardons pas autant. C’est dommage d’autant qu’il y a deux ans, les intempéries, encore pires, nous avaient interdit l’arrêt, que nous n’habitons pas tout près et que nous ne pouvons nous dire que nous reviendrons un jour plus faste. Nous profitons donc au mieux de la situation, en particulier, en ressortant par le petit marché où les produits frais sont bien appétissants, ces belles dorades qui devaient être dans l’eau il y a moins de deux heures par exemple.

La page de Kotor est en train de se tourner pour nous et la suite n’est pas claire. Nous comptions partir par la montagne, le parc de Lovćen, une route signalée comme pittoresque mais, un double mais, elle passe à plus de 1 000 m et, à cette altitude, vu la météo ici au niveau de la mer, il n’est pas certain que ce qui tombe plus haut soit aussi limpide. D’ailleurs les rares échappées sur les hauteurs les laissent entrevoir blanchies. Nous nous rabattons sur la route côtière en passant par le tunnel. Après Budva, nous n’y échapperons pas, il faut passer par la montagne pour rejoindre Cetinje. Nous nous lançons confiants puisque, d’une part, il n’y pas beaucoup de circulation ni à la montée ni à la descente et, d’autre part, une part non négligeable de celle-ci est constituée de poids lourds, très lourds qui ne passeraient pas si la neige recouvrait la route. Et puis, elle ne monte qu’à 876 m. Pour monter, elle monte. Il pleut. Tiens, la montagne, entre les nuages, est blanchâtre, ce ne doit être qu’une illusion due à des lambeaux de nuage, non, non. Elle monte, monte encore et il pleut toujours. Tiens, sur les bords de la route, ce ne serait pas un peu blanc ? Ah oui, mais rien sur la route. Elle monte encore et toujours, le blanc des bords a bien épaissi et commence à gagner la chaussée. Le nuage qui enveloppe le décor et le rend mystérieux n’est pas épais et laisse vagabonder le regard près, où il est maintenant certain que le blanc qui recouvre tout est de la grêle, plus loin où la végétation a un aspect hivernal et au loin, où les montagnes sont parfaitement blanches. Pour rouler, nous sommes soulagés que ce soit de la grêle plutôt que de la neige et qu’il pleuve un peu, au moins cela ne se tassera pas sur la chaussée et l’atmosphère doit se réchauffer un peu. La couche est maintenant d’une dizaine de centimètres, il a donc bien grêlé et, de plus en plus, la circulation se fait sur deux rails, les traces laissées par les véhicules précédents. Si la situation n’est pas périlleuse du tout, elle n’en est pas agréable pour autant et nous aimerions bien arriver à la descente. Là, contrairement à toute attente, sans empirer, cela ne s’arrange pas sauf sur la chaussée qui, petit à petit, reprend son aspect normal.

Un carrefour, à droite Podgorica, la capitale, tout droit Cetinje où nous avons l’intention de passer la nuit. Aucun doute, il a grêlé ici aussi. Les accumulations restent visibles sur les toits, les parterres, les voitures… la fonte est juste un peu plus avancée, les précipitations ont dû arriver par ici et les nuages, bloqués par la montagne, ont déversé leur contenu sur ce versant. La ville est juste au dessous du nuage, il pleut et tout est gris sombre. Curieuse ville, aucun panneau n’en indique le centre ni aucune sortie. Nous continuons par ce qui pourrait être une voie plus importante. Les maisons sont basses, la plupart ont un jardinet tout aussi gris que l’environnement. Nous nous dirigeons selon l’activité pour le moins réduite par le peu d’envies que les circonstances peuvent provoquer. Au hasard des rues entrevues, le plan ressemble à un quadrillage. À des endroits, les maisons ont un étage. Nous trouvons un stationnement, les places ne manquent pas, à la limite de ce qui semble être un parc, suite à deux ou trois bâtiments plus importants et récents, de couleur ocre, qui pourraient être des bâtiments officiels. Ni la pluie, ni la température affichée, 4° C, n’incitent à une découverte pédestre que nous remettons à demain. Nous nous installons donc. Les lampadaires s’allument tôt. Malgré la pluie, la grêle ne continue pas à fondre. Le soir, calfeutrés chez nous, nous constatons avec satisfaction que le bruit de la pluie sur le toit s’atténue. Coup d’œil à l’extérieur, les précipitations n’ont pas diminué, cela se voit très bien à la lueur de l’éclairage public. C’est donc que la neige est en train de se substituer à la pluie. Nous attendons un quart d’heure, puis une demi-heure, le bruit de la pluie a complètement cessé, il neige. Ce ne serait pas grave si elle ne commençait pas à tenir sur les voitures, puis dans l’herbe… La route que nous souhaitons prendre demain sans réellement passer un col, remonte un peu. Si vers 20 h, la neige tient dans l’herbe, elle tiendra sur la route pendant la nuit. Plus aucune hésitation n’est permise, nous devons partir tout de suite. Il est hors de question de rouler sur une route enneigée.

Direction Podgorica. Route sans problème, la neige ne tient pas encore sur la chaussée, puis, perdant de l’altitude, elle est vite remplacée par de la pluie tandis que le vent fait son apparition. Rouler de nuit n’est déjà pas intéressant en voyage, chercher un emplacement pour la nuit sans pouvoir s’assurer des alentours n’est pas une partie de plaisir. Nous optons pour le parking démesuré d’une station-service-restaurant ouverte sans interruption.

Mercredi 16 avril

de Podgorica à Tiranë (photos)

Nous ne saurons jamais si Cetinje s’est réveillée sur un manteau blanc. Ici, moins haut, il ne pleut pas bien que le plafond nuageux soit bas. Nous ne venons pas à Podgorica avec l’espoir de grandes découvertes, juste pour voir, un peu de curiosité en passant. Des immeubles bas, de larges avenues très vertes sont ce que nous en retiendrons. Tout semble bien rangé, bien propre, nous ne parcourons que le centre et il n’est pas dit que l’ensemble soit isotrope. Comme souvent, il reste à trouver la sortie, celle que nous prenons, qui n’est pas nécessairement la plus grande. D’après la carte, c’est de l’autre côté de la voie ferrée, mais où ? À un des essais, nous arrivons dans la cour de la gare, une voie sans issue. La solution est vite trouvée : je m’arrête n’importe comment et vais voir le chauffeur du dernier taxi de la file, celui qui a le plus de temps devant lui. C’est bien pensé, il y a pensé aussi ! En train de prendre son petit déjeuner, un gros petit déjeuner ou un repas, à son menu, des byreks, il a les mains tellement grasses qu’il me fait signe de lui ouvrir la porte de l’extérieur ! Il sort alors avec précipitation. La question est : « Tuzi? » Tuzi est le dernier village, le seul peut-être avant la frontière albanaise. Il est très content de pouvoir nous aider. Les explications, un mélange de monténégrins, d’italien et d’anglais, sont compréhensibles, claires même. Tandis qu’il retourne à son copieux en-cas disposé n’importe comment dans sa voiture, nous faisons un demi-tour peu respectueux de l’ordre et trouvons, du premier coup, la route indiquée.

Finies les grandes avenues, c’est une petite route rectiligne qui s’enfonce dans une campagne sans attrait. À Tuzi, on sent déjà l’Albanie toute proche, on vient sans doute chercher du travail. Nous faisons le plein parce que la monnaie est l’euro, puis, nous partons pour la dernière partie de Monténégro, quelques kilomètres au bord du grand lac de Shkodër.

La frontière arrive tout d’un coup. Du côté monténégrin, comme à l’entrée, nos papiers et ceux du véhicule. La généralisation des ordinateurs dans les postes de douane a augmenté la durée de passage parce, bien sûr, partout, on se croit ou on est obligé d’y entrer toutes les données et de numériser les documents. Il suffit d’attendre, ce n’est tout de même pas bien long et cela reste incomparable avec les frontières de l’ancien bloc de l’est – j’avais l’habitude d’y emporter du travail, c’est dire ! Ici, quelques camions attendent le dédouanement de leurs marchandises et ne gênent pas la circulation des voitures bien que la route ne soit pas large. Entre les deux postes, peu distants, le revêtement de la route n’est plus qu’un souvenir. De l’autre côté, on recommence, aucun contrôle des biens, et c’est fini.

La route de Shkodër, belle et large, suit le lac à quelques kilomètres en traversant une plaine cultivée. C’est donc par le nord que nous entrons en ville. Quelle différence avec le souvenir que nous en avons gardé ! Des voitures partout, une circulation à la limite du bouchon permanent. Au centre où nous avions trouvé place immédiatement, aujourd’hui, on ne garerait pas un vélo. Une telle évolution en deux ans est-elle imaginable ? La police veille aux stationnements en double file. Nous avons peu à faire, mais il est indispensable d’effectuer un retrait et, cela devient une habitude, pas à n’importe quel distributeur, à celui d’un établissement bancaire ouvert. Un tour, puis un autre, un troisième, des avenues différentes sans nous aventurer dans certaines rues encombrées ou aux arbres un peu bas, un quatrième… rien jusqu’à ce que nous remarquions plusieurs places consécutives vides et restant vides – ce qui est suspect, mais autant s’en servir. Arrêt. Je vais au carrefour tout proche, au milieu, voir le policier et lui poser la question « Parking? » en montrant le camping-car. Je m’attendais bien à une réponse négative, mais il enchaîne en disant « 5 minutes ». C’est bon. Il reste à trouver une agence bancaire ce qui n’est pas plus difficile que chez nous vu leur abondance. Les banques allemandes sont bien représentées. Retrait sans problème, nous avions pensé à l’équivalent d’une centaine d’euros, on propose 15 000 leks, c’est bon. Par contre, trois billets de 5 000 ne font pas l’affaire. Je vais donc faire la queue au guichet pour faire de la monnaie. C’est long. On ne parle qu’albanais mais j’arrive à mes fins. Les 5 minutes sont passées à 20, nul ne s’en soucie. Nous repartons à la recherche d’un arrêt plus correct. L’heure a tourné, la circulation, puis le stationnement, deviennent moins critiques et notre tour arrive. Petit circuit en ville ensuite pour chercher du pain et dont nous revenons avec des produits frais, de vrais légumes de jardin et non de la nourriture aux forme, couleur et goût calibrés de nos circuits internationaux. La halte à Shkodër n’est cependant pas longue puisque nous y avons passé du temps il y a deux ans. Nous repassons au pied de la citadelle Rozafa puis bifurquons à gauche pour Tiranë.

Les petits kiosques de boucheries ont presque tous disparu ou sont devenus de petites échoppes, il faut dire que le gabarit de la route a augmenté en passant à l’autoroutier, bon, une autoroute avec des routes qui débouchent à droite et à gauche et qui fait alterner les deux fois deux voies séparées avec de la route, n’est pas une vraie autoroute mais elle raccourcit la durée du trajet jusqu’à la capitale. L’entrée en banlieue est méconnaissable, les espèces d’ateliers, vieux et miteux, ont laissé la place à des immeubles commerciaux neufs principalement dans le secteur de l’ameublement. L’arrivée en ville est un délicieux bazar automobile assez dense pour aller au ralenti. Il ne faut pas s’en faire pour autant et continuer en visant systématiquement le centre ce qui amène immanquablement à la place centrale, la place Skanderbeg, du nom du héros national du XVe siècle qui trône sur un fier destrier du même métal que son cavalier au milieu de la place. On ne stationne pas sur la place, même pas un peu. Nous en redescendons et, 200 m plus loin, des places sont libres le long du parc Rinia. Le soupçon de marquage bleu sur le sol laisse penser qu’elles sont payantes. Je pars seul, à pied, à la recherche d’un emplacement vespéral et nocturne le moins loin possible. Premier constat, c’est bien payant, il y a un panneau, mais pas de trace de M. Parcmètre. Autour de la place Skanderbeg sont établis le Musée national historique, l’opéra, la vieille mosquée Et’hem Bey et des bâtiments officiels rangés comme des militaires. Entre ces derniers, des voitures sont garées. Je vais voir. Le préposé, couvert d’un képi aux couleurs assorties à celles de son costume, y règne. Il parle albanais. Il en faut plus pour empêcher de demander. « Parking? », mouvement affirmatif. Combien ? Je ne sais pas le dire mais le geste du pouce frotté contre l’index ne trompe pas et, pour toute réponse, il sort un billet de 100. C’est parfait et comme si c’était déjà fait. Le reste du parcours est juste destiné à m’assurer qu’il n’y a pas mieux ailleurs, mais non. Retour au camping-car où le préposé est déjà venu plusieurs fois, nous partons pour notre emplacement. Le gardien marque un peu d’étonnement à la taille du véhicule mais ne dit rien. Le stationnement est en épi, nous tenons sur une place à condition de laisser le porte-à-faux arrière largement dépasser sur le trottoir. Nous prenons nos quartiers et je retourne voir le gardien avec la pièce demandée et lui pose, toujours par gestes, la question de dormir ici. OK mais sans arriver à savoir jusqu’à quelle heure nous pourrons rester demain matin, il y a bien un moment où les mots ont leur utilité ! Difficile d’imaginer un emplacement plus central, coincés entre deux ministères et une église orthodoxe monumentale. De la fenêtre du salon, nous voyons une partie de la place Skanderbeg, c’est dire. Inutile de cacher que nous en percevons bien les bruits dont nous espérons qu’ils diminueront un peu la nuit. Le soir, illuminations en direct. En soirée, le parking est très convoité et refuse du monde – le gardien est là qui continue à empocher ses pourboires ! – en raison d’une affluence à l’église, une église résolument moderne, d’un blanc immaculé et dont les pointes des quatre clochers sont des sortes de bulbes géants opalescents alternativement éclairés en blanc et en rouge par l’intérieur. Au moment où commencent les illuminations de la place, la nuit n’est pas encore noire, un petit tour s’impose.

Jeudi 17 avril

Tiranë, Durrës (photos)

5 h 45, on frappe et cela nous réveille. 5 h 50, on frappe à nouveau. Je me lève et regarde autour, personne. Deux minutes plus tard, on frappe. J’entrouvre le rideau avant et vois le gardien d’hier. Il désigne sa montre, fait 6 avec ses doigts en faisant un geste au-dessus de sa tête pour représenter le képi qu’il n’a pas encore mis et termine en faisant le geste de partir. Nous le craignions un peu mais il faut de rendre à l’évidence, le travail commence tôt. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons trouvé cette place tôt hier après-midi, s’il commence tôt, il finit tôt. Bref, en moins de cinq minutes, nous sommes en route à la recherche d’une autre place. Il n’en manque pas. À cette heure matinale, très peu de circulation, nous en profitons pour nous aventurer dans des rues que nous n’oserions pas essayer à d’autres moments plus « agités » comme la zone du marché. L’alignement dans certaines rues bien orientées ouvre la vue sur des montagnes enneigées peu éloignées. Nous tournons un peu, regardant attentivement les panneaux de stationnement avant de nous décider. C’est le long de la rivière, tout près du parc Rinia, que nous élisons provisoirement domicile.

Là, nous attendons 8 h et constatons que le trafic augmente et que les emplacements comme celui que nous occupons sont fort convoités. 8 h précises, nous partons pour le marché, le point le plus éloigné de nos buts de visite qui n’est cependant pas à plus d’un quart d’heure à pied, c’est dire si nous sommes bien placés. Le marché n’est pas grand. Nous y arrivons par le quartier des marchands de tabac occupés à développer leur marchandise, de gros boudins marron qui doivent faire dans les deux kilos et qui étaient soigneusement emmaillotés dans du papier. On vend aussi des légumes tout frais, des fruits bien appétissants, nos premières fraises par exemple, on dirait tout cela cueilli ou ramassé du matin dans des jardins proches. À d’autres endroits, des boutiques proposent des laitages, fromages secs ou frais, crème, yaourts… ou de la viande découpée sur place. Nous rentrons au camping-car chargés. Deuxième sortie : le Musée national d’histoire, celui qui trône en haut de la place Skanderbeg, au fronton orné d’une large mosaïque colorée glorifiant le progrès, les progrès du régime précédent s’entend, étendard rouge en tête. Atmosphère fiévreuse devant le musée, du monde, des voitures de télévision, des panneaux. De même à l’entrée. À l’intérieur, on tient absolument à nous remettre un bracelet et le hall est plein, des gens bien habillés, des jeunes, des cameramen, des micros. Sommes-nous à la bonne place ? Nous risquons un timide « Muze? » et on nous désigne un guichet, un peu plus loin à l’écart. On me demande aussi de déposer mon sac à dos dans un casier. Gratuit, il ferme à clé, mais mon hésitation est si perceptible que l’employée me dit en anglais que c’est parfaitement sûr. Ensuite, le musée. Passée la première porte, nous sommes quasiment seuls. Il retrace l’histoire de l’Albanie depuis la préhistoire. Les explications sont écrites en albanais et en anglais. Il est intéressant avec des périodes particulièrement développées comme celle de Skanderbeg ou la résistance contre les Italiens pendant la dernière guerre mondiale. À un moment, alors que nous sommes à l’étage, tonnerre d’applaudissements en bas. Un grand balcon au-dessus du hall est le bienvenu pour les curieux que nous sommes de savoir ce qui se passe. On est en train de faire un discours en anglais, une interprète traduit. Qui est-ce ? Quelle est cette cérémonie ? Nous poursuivons notre visite en essayant de ne rien oublier et en jetant un œil de temps à autre au-dessus de notre balustrade. D’ailleurs, on est maintenant passé à l’appel individuel de jeunes, à tour de rôle, et à la remise de récompenses ce qui ne nous éclaire pas non plus. Une fois la visite terminée, nous descendons l’escalier qui mène directement au hall avec une halte aux toilettes où un groupe de Japonais que nous n’avons pas vus à l’intérieur s’est organisé pour faire la queue. Du côté homme, on avance plus vite ce qui donne ensuite le temps d’échanger avec un habitant d’Osaka venu une petite semaine visiter l’Albanie. Il est étonné que nous soyons en route si longtemps. Nous les retrouvons ensuite quelques mètres plus loin de nouveau en train de faire la queue, ils doivent passer leur temps à cela ! Ici, c’est pour un buffet servi à tous les participants de la cérémonie qui vient de se terminer. Notre bracelet nous y donne droit, nous y allons donc et nous nous mettons ensuite à l’écart vers l’entrée du musée où ont été disposés des gros fauteuils pour ce déjeuner inattendu. Ce n’est qu’ensuite que le but de cette manifestation s’éclaircit un peu, il s’agit de la phase finale d’une opération parrainée par l’ambassade des États-Unis, un concours dont le thème était la corruption, la modalité un dessin et le public des lycéens de tout le pays. Les œuvres sont exposées tout autour. La majorité a retenu trois éléments de base, la police, l’argent et les politiciens – le graphisme utilise des symboles dont la reconnaissance est universelle et les quelques mots de-ci de-là sont si proches des nôtres qu’ils ne posent pas de problème de lecture (korruption, polis…). Nous trouvons le fait de représenter l’argent par le signe $ du dollar ou par un chapeau haut-de-forme étoilé cocasse pour un concours à parrainage états-unien. Nous ne savons pas lesquels ont été primés. Lorsque nous ressortons, la manifestation est largement dispersée et les caméras déjà parties.

À deux pas de là, nous allons à la mosquée Et’hem Bey. À l’extérieur pour commencer, en admirant les peintures figuratives du haut de ses façades. Elle est petite, on s’empresse pour nous inviter à y entrer. Alors que nous commençons à nous déchausser à l’extérieur, on nous invite à monter l’escalier en haut duquel on nous montre des casiers. L’intérieur est en deux parties, la première, tournée vers l’extérieur, avec ses baies vitrées et l’autre, fermée, la salle de prière proprement dite. Dans les deux, nous retrouvons l’atmosphère commune des mosquées, en bavardages tranquilles, repos, prières, recueillement ou méditation, lecture. Un homme nous accompagne pour nous montrer ce qui est à voir et faire photographier ce qui le mérite. Une question le taraude : sommes-nous musulmans ? La réponse ne l’étonne pas, il s’en doutait ! En ressortant, grands gestes d’adieu.

Juste à côté, c’est de nouveau la tour-horloge. En deux parties, un minuscule musée et la tour. Tout est gratuit et on y est fort bien reçu par une jeune femme qui explique ce que représente chaque pièce exposée, surtout des vêtements luxueux et des éléments de trousseau de mariage d’une époque révolue. Petit, mais intéressant. Elle demande ensuite si nous voulons monter à la tour. Bien sûr ! Deux cents marches d’un escalier étroit en fer, terrasse à l’espace si réduit par l’éclairage qu’il est impossible de faire demi-tour et qu’on en ressort à reculons ! La tour n’est pas bien haute, mais placée comme elle l’est, la vue est intéressante pour la mosquée et la place Skanderbeg. Nous éteignons l’escalier en sortant, saluons la jeune gardienne et partons à la Galerie d’art qui est juste de l’autre côté des quartiers généraux de la police que nous traversons pour la troisième fois aujourd’hui.

Les œuvres exposées ne sont pas exceptionnelles mais il est si peu fréquent de pouvoir admirer de la peinture albanaise que nous en profitons. Il n’arrive pas souvent non plus de se trouver dans un lieu possédant tant de tableaux du réalisme socialiste. Ces toiles pourraient faire sourire si elles ne masquaient pas la très dure réalité des conditions de vie à l’époque. Leur intérêt réside dans leur composition et dans des portraits de figurants au travers desquels les artistes pouvaient s’exprimer plus librement. Du temps bien occupé pour nous. Retour au camping-car. Le stationnement est complet depuis ce matin, les voitures ont pris place pour la journée, nous avons toujours la même devant et la même derrière. J’avais des craintes pour le stationnement en double file, mais la police veille, ils ne sont pas nombreux et ne nous gêneront pas. Je suis aidé à la manœuvre par celui qui attend la place et, au début, nous partons par la même route que celle d’hier.

Cette fois-ci, direction Durrës, la ville portuaire proche. Une autoroute, encore. Comme à l’arrivée, elle est bordée de magasins neufs de deux ou trois étages et le mobilier y occupe aussi une place prépondérante. Globalement, l’ensemble n’est pas beau. Curieuse autoroute de nouveau, la vitesse y est réduite à chaque carrefour et on y entre ou on en sort partout. À un moment, la vitesse est limitée à 20 km/h mais personne ne respecte les panneaux, tant et si bien que nous arrivons vite à destination. À l’entrée en ville, de jolis petits immeubles d’habitation neufs et bien colorés font bonne impression. Le centre n’est pas loin, le stationnement est facile. Première partie de l’après-midi, la ville est morte. Nous sommes venus voir, pas pour des visites, il y a peu à faire dans ce domaine ici, un reste de forum romain, un reste de muraille… Nous partons donc flâner dans la rue principale, celle qui descend vers la mer, une petite avenue bordée d’arbres derrière lesquels s’alignent des magasins. C’est agréable malgré le manque d’activité. En bas, une sorte de large plage de sable noir longe le boulevard en bord de mer. L’endroit qui n’est pas des plus propres est largement occupé par des activités de bord de mer, jeux pour enfants et bistrots. L’autre côté est bâti d’immeubles qui se voulaient résolument modernes au moment de leur construction, c’est dire. Rien qui donne envie de s’éterniser ici. Cela tombe bien, nous pensions aller plus loin.

Là, cela se complique. Il s’agit de partir vers le sud, en direction de Kavajë, Lushnjë ou Vlorë mais est-il possible d’éviter cette grande route rapide à voies séparées indiquée sur la carte ? Notre recherche nous amène non sans mal sur l’ancienne route de Tiranë dont nous sentions que ce n’était pas la bonne puisqu’elle ne longe pas la mer, ce que confirme un passant. Retour vers la ville. La bonne route est bien l’innommable piste boueuse vue à un rond-point en construction. Nous en avons fait la moitié à l’aller là où un quart aurait suffi et là où nous devons maintenant en faire les trois quarts. La chaussée est complètement défoncée par les travaux, impossible de voir les trous ou les bosses, le sol est recouvert, selon les endroits, de 10 à 25 cm d’eau boueuse. Les piétons sont plus à plaindre que nous parce que l’eau occupe 100 % de la largeur du carrefour. Vu la vitesse, nous avons le temps de faire des photos ! Ensuite, nous rejoignons bien la voie rapide, dommage, mais nous notons au passage qu’il ne doit pas être possible de faire autrement puisque, la plupart du temps, sur les quelques kilomètres que dure le passage près de la mer, entre elle et la route, ce ne sont qu’hôtels, appartements, résidences… Après, c’est la campagne et le règne de l’agriculture. De grands ronds-points marquent les carrefours. À force d’avancer, il ne faudrait pas rater celle qui mène à Ardenicë. Nous essayons d’évaluer notre avance par rapport aux noms indiqués, craignant que le monastère ne soit pas indiqué. Arrêt à un rond-point où la police est en train de verbaliser. J’attends que l’un d’eux soit libre et vais poser la question « Ardenica? » à laquelle un grand geste accompagné d’un large sourire indique tout droit et des virages en montée. Il était temps de demander ! Vigilance sur la petite route, il s’agit de repérer si un espace ne conviendrait pas pour la nuit. C’est tout droit jusqu’au village de Kolonjë après lequel la montée en lacets indiquée est plus que raide. Le monastère est perché au sommet de la colline. Les bâtiments sont rassemblés dans une enceinte et la photo est hélas interdite à l’intérieur. Un office y est célébré, nous bougeons peu pour ne pas déranger, juste ce qu’il faut pour admirer les peintures. Tout est peinture, des peintures anciennes qui gagneraient à être un peu rafraîchies. Sans cet office, nous nous serions attardés. Ni le haut de la colline, ni la partie en plaine de la route n’ayant révélé d’emplacement pour la nuit, nous reprenons la route rapide et nous arrêtons à la première station-service. Le parking du restaurant est immense, à l’écart, ce sera très bien.

Vendredi 18 avril

Fier, Vlorë (photos)

Hier soir, beau temps, ce matin, ciel gris. Nous sommes rapidement à Fier où nous cherchons la direction d’Apollonia, indiquée de temps en temps. Les quartiers traversés et l’aspect du ciel n’incitent pas à la visite, ce n’est pas grave, nous verrons au retour puisque d’ici au site archéologique, c’est un aller-retour. En sortant de la ville, passage à niveau, mauvais au possible. Sur les voies et empiétant un peu sur la chaussée, un débordement d’activités : du monde partout, des voitures en tous sens et dans tous les espaces, arrêtées ou non, un marché aux volailles. À ne pas rater. Je trouve une place, aussi mauvaise que les autres, en biais en double file devant l’entrée d’une entreprise et hop ! Il s’agit de volailles vivantes, parquées là où il y a de la place, dans de petites cages, entre les rails les pattes attachées, dans les coffres de voiture… L’offre est variée puisqu’à côté d’une majorité de poules et de coqs, des canards, des oies, des pintades offrent un spectacle coloré. Les vendeurs vantent leur marchandise, hèlent les acheteurs, on discute… on repart avec des poules attachées à son vélo… Une chance d’être passé là à ce moment ! La route se poursuit, rectiligne entre deux rangées de maisons espacées et de jardins. Les seules questions, pour nous, sont de savoir où il faudra bifurquer à gauche et si ce sera indiqué. Eh bien, oui. La route, maintenant assez mauvaise, passe en plein champ avant de monter sur une petite colline, le site.

Aujourd’hui, c’est gratuit, nous en ignorons la raison. Les restes de cette cité romaine, dispersés sur un large périmètre, ne sont guère impressionnants. Sa situation, par contre, offre de belles vues sur les campagnes autour.

Le retour à la route principale reprend le même trajet qu’à l’aller jusqu’à Fier. Nous prenons la direction du centre. La ville est à peine mentionnée dans notre guide. Elle grouille pourtant comme l’entrée d’une ruche. Il ne reste plus qu’à trouver une place, ce à quoi nous parvenons au second passage en traversant une grande esplanade en diagonale pour aller prendre la place aperçue. On vient immédiatement nous annoncer que le stationnement est payant et qu’il faut payer faute de quoi le véhicule est immobilisé par un sabot, le tout en albanais et par gestes. Le préposé est au nombre des intervenants. Nous lui payons une heure et tous réitèrent, montre à l’appui, que nous devons être là à l’heure. Sont-ils donc si sévères ? Nous partons donc sans tarder vers le marché. L’affluence est grande. Le marché ne l’est pas, lui, mais il draine du monde. Il occupe un modeste bâtiment à deux étages spécialisés, en bas, la viande, en haut, les fruits et les légumes. La viande, toute fraîche et appétissante, fait envie bien qu’à notre goût, elle soit un peu blanche, comme trop saignée. Notre défaut est de ne rien comprendre au point de ne pas savoir si les morceaux à l’étal sont du mouton, du bœuf ou de la chèvre. Ce n’est pas de la faute des bouchers, tous fort sympathiques et prêts à expliquer tout ce qu’on voudrait, nos imitations de cris d’animaux ne suffisent pas. Il est curieux de constater qu’ils vendent à peu près tous la même chose, ont peu de marchandise chacun, sont vraiment les uns à côté des autres et en concurrence, mais que tout se passe calmement en s’interpellant. Nous ne prenons finalement rien alors que si les prix pratiqués ici étaient les mêmes chez nous, nous en prendrions des kilos ! Sans lumière, l’étage est plus sombre. La fraîcheur, la diversité et l’abondance sont remarquables. Impossible de se retenir. À l’extérieur, deux poissonniers ont placés leur camionnette devant la porte et, ici encore, les produits semblent juste sortis de l’eau. Tout autour sont installés d’autres marchands, plantes, volailles… Nous rentrons doucement, l’heure va approcher et la rue commence à se vider un peu. Nous y voyons une voiture grecque immobilisée comme on nous l’a décrit. Au jardin, malgré les premières gouttes, des hommes continuent à jouer aux dominos.

La pluie arrive. Contrairement à toute attente, après tous ces kilomètres de routes à deux fois deux voies larges pour arriver en ville, la sortie est sinueuse et étroite. L’essentiel est qu’elle mène à Vlorë. Ici, la pluie est passée mais quelques parapluies restent visibles. Après avoir pris place au bas de la rue principale, nous la remontons loin et redescendons par l’autre trottoir. Très large, bordée de beaux palmiers, elle offre une promenade agréable, dommage que le soleil ne soit pas de la partie. Les immeubles sont récents ou neufs ou en construction, les magasins, restaurants et cafés se succèdent d’un bout à l’autre. Tout en bas, nous arrivons au port, un port fermé par de hauts grillages derrière lesquels les chauffeurs de poids-lourds attendent leur tour. Deux d’entre eux nous demandent à être pris en photo. Nouveau départ, même direction sud. Il faut aller plus loin, avant le col, avant la montée de préférence. La route du bord de mer n’a rien d’extraordinaire tant que la mer est visible. Ensuite, des constructions qui occupent tout le rivage et en épousent le relief et la forme ne permettent même pas de la voir. Ce soir, ce sera une station-service, neuve elle aussi, les extérieurs en cours d’aménagement laissent augurer un beau jardin. Il fait sombre, il pleut par moments, espérons que ce sera mieux demain.

Samedi 19 avril

côte adriatique du sud albanais (photos)

Les espoirs d’amélioration météorologique d’hier soir se sont révélés vains. Il ne pleut pas, mais la pluie contenue dans les nuages noirs qui, comme un couvercle, ferment ce coin de bord de mer et de plaine enserrée dans de hautes montagnes est si présente qu’elle en est presque perceptible. Les montagnes barrent en effet le fond de la vallée et la baie profonde au sud de Vlorë. Lorsque des nuages ouvrent une lucarne, c’est le blanc de la neige qui apparaît. Mauvais augure, pourvu que la route n’en soit pas revêtue aussi, le col de Llogarasë est à plus de 1 000 m. Il sépare le rivage albanais en deux parties bien distinctes. Au nord, des plaines côtières, au sud, du relief jusqu’à la mer. C’est donc sous un morne ciel chargé que nous commençons la journée. La plaine s’incline progressivement jusqu’à ce que la route s’attaque réellement au massif. À partir de là, la chaussée est effondrée à espaces réguliers avec des raccords aux portions en place, le versant est instable. Heureusement, des bus font le trajet, ce qui suffit à assurer le passage du camping-car. Au début, la route s’élève au-dessus d’une vallée dont la partie que le ciel veut bien laisser entrevoir fait regretter de ne pas pouvoir tout admirer, un village accroché en plusieurs parties, une mosquée… Plus loin, des lacets font monter dans une forêt, chaque virage, c’est-à-dire tout le long, est occupé par un restaurant, un hôtel, un centre équestre, un hébergement pour randonneur… à se demander comment un tel nombre d’établissements font pour vivre. Aujourd’hui, ni le gris environnant, ni le nuage qui nous enveloppe n’incitent à l’arrêt. Étrange atmosphère que celle de cette montée dans une épaisse et sombre forêt de conifères dont seuls les premiers émergent de la ouate généralisée, tout y est noir et flou. Le caractère sombre s’estompe en haut où les arbres se font rares. Le flou demeure jusqu’à ce que des trouées apparaissent vers le bas du versant sud dévoilant une pente rocheuse et abrupte au pied de laquelle viennent s’écraser les vagues. Ce beau paysage qui semble ensoleillé n’est livré que par toutes petites touches fugaces. Après la frustration de la montée, elles suffisent pour marquer un arrêt d’attente. Attente bien inutile, de nouveaux nuages accourent dès que l’un d’eux libère un espace. À défaut de pouvoir profiter du point de vue, au moins est-il possible de se pencher sur le tapis de belles petites fleurs que nous avons sous les pieds.

Ce n’est qu’après avoir entamé la descente que nous passons sous les nuages et découvrons enfin ce que nous espérions voir d’en haut, la côte sud, une véritable bande de montagnes qui descendent jusqu’à la mer. La pente est forte et aucun espace n’a été aménagé pour le stationnement. La pente de la montagne est telle que rien n’arrête les pierres qui s’en détachent. Nos arrêts sont limités ! Il suffit de descendre à vitesse réduite pour jouir du spectacle. À deux reprises, nous croisons des cyclotouristes un peu chargés, le premier groupe sur leur monture, le second en partie ; ce sont des Allemands qui peinent et auxquels nous ne disons pas que la pente reste forte jusqu’au sommet et qu’ils n’en sont pas tout près.

Le premier village est Dhërmi. Le ciel est évidemment couvert, par les nuages qui bouchent la vue au col, mais la mer est bien dégagée. Cela fait du bien de faire un petit tour. De menus achats dans les petits magasins qui fleurissent au détour des rues et nous reprenons la route. Comme dans la partie que nous connaissons, au sud de Himarë et jusqu’à Sarandë, elle ne cesse de monter haut pour redescendre aussitôt et, avec la même rapidité, au niveau de la mer faisant passer le voyageur des oliveraies à des garrigues dénudées propres à l’élevage d’ovins et de caprins et offrant de multiples points de vue sur des baies et des criques à moins que ce ne soit sur des villages accrochés aux reliefs. Nous en avions parcouru une bonne moitié sans nous presser pour mieux profiter de tous ses attraits. Aujourd’hui, c’est tout le trajet que nous faisons ainsi avec pour seul regret un soleil presque partout masqué. De très loin déjà, l’île de Corfou (Κέρκυρα) se dessine vers le sud, une apparition qui sonne déjà un peu la fin de la partie albanaise du voyage. À Sarandë, le soleil inonde la baie. Nous y avons nos habitudes, stationnement, promenade sur le front de mer, magasins - nous retrouvons « notre » boulangère anglophone. Il est à noter que les travaux qui affectaient les limites du centre jusqu’aux extérieurs ont progressé vers le centre, front de mer compris, ce qui montre l’engouement pour la riviera albanaise. Après une longue balade, nous ne nous éternisons pas, il s’agit d’être aux premières heures lundi matin au garage Fiat de Ioannina (Ιωάννινα), en Grèce, pour une question de frein et nous souhaitons faire la route tranquillement demain. Avant de partir, nous faisons les pleins de gazole et d’eau à une minuscule station-service coincée entre les deux rues principales en terrasse à l’entrée sud du centre. Elle est tellement exiguë que l’arrière du camping-car empiète largement sur la chaussée de la rue du haut que les voitures empruntent à vive allure, l’obstacle ainsi créé étant suffisamment volumineux pour qu’ils y prêtent attention. Le plein d’eau, le plus long des deux, nécessite, à chaque remplissage de notre gros arrosoir, d’ouvrir la vanne qui amène l’eau au robinet et qui fuit autant que ce que délivre le robinet. Pendant ce temps, quelques achats, deux tomates, trois carottes… pour épuiser les dernières pièces de monnaie. Une question au moment du départ : toilettes ? Non, bien sûr, mais le voisin du pompiste est venu faire un brin de causette, surtout avec le pompiste malgré ses quelques mots d’anglais. Il prend son téléphone, appelle sa femme, elle tient le magasin de meubles à 50 m sur l’autre trottoir - façon de parler, il n’y en a pas - et les toilettes sont trouvées. Sa femme, sortie du magasin, fait quelques signes. Beau magasin, bien propre, soit dit en passant. Belle marque d’hospitalité qu’on aurait peine à imaginer chez nous.

Cette fois, c’est bon, nous partons. La chaîne de montagne à traverser sépare la côte de la plaine au bord de laquelle s’étage la ville de Gjirokastër. Ayant encore en mémoire la traversée que nous en fîmes la dernière fois, nos remarques, en route, portent plus sur des différences. La première porte sur la taille du camp de Roms installé à la sortie de Sarandë, considérablement réduite. La deuxième a trait au beau temps dont nous profitons et qui donne une bien meilleure image que les pluies diluviennes d’il y a deux ans. Le reste en découle : c’est un plaisir de monter dans cette petite montagne par cette petite route sinueuse, d’admirer de belles orchidées et de découvrir des villages de pierres grises, comme celles des maisons de Gjirokastër, que nous n’avions pas vus parce que tout avait cette couleur ! Arrivés sur la route de la plaine, il ne reste plus qu’à chercher un emplacement pour la nuit et, pour ne pas changer, nous choisissons le parking d’une station-service dans la direction de Gjirokastër.

Dimanche 20 avril

passage en Grèce (photos)

Nous ne continuons pas vers la ville proche de Gjirokastër mais repartons vers le sud pour passer la frontière. La route est tranquille, il ne fait ni beau ni mauvais. Petit arrêt à une des dernières stations-service albanaises pour bénéficier une dernière fois de prix plus avantageux que ceux qui nous attendent. Par ici, tout est vert, d’autant plus que l’importance de la forêt augmente en avançant.

La frontière n’est pas loin, nous y voici déjà. Nous ne sommes pas seuls, des Albanais se rendent en Grèce, trois voitures, environ une quinzaine de personnes. Aucun problème à la sortie du pays, pas non plus à l’entrée en Grèce, mais nous sommes dans une file, celle des passagers des voitures. Chacun tend son passeport, les sceaux grecs y remplissent des pages et des pages, des habitués donc, peut-être travaillent-ils ou vivent-ils en Grèce ? D’ailleurs la présence féminine est réduite. Ils sont venus passer des vacances ou le week-end en famille et s’en retournent. À un moment, le policier grec apercevant nos cartes d’identité au travers de la vitre nous demande d’avancer, il les regarde rapidement et c’est bon. Sans le vouloir, nous avons dépassé pas mal de personnes. La route jusqu’à Ioannina (Ιωάννινα) est tranquille. Elle commence par suivre une vallée boisée le long de laquelle ont pris place quelques marchands de fruits avant de déboucher sur la plaine et sur le lac au bord duquel la ville a été construite. Comme elle nous refait passer devant l’aéroport, nous n’avons aucune peine à nous orienter et à retrouver le centre puis le bord du lac. Si la circulation a été modérée jusqu’ici, en ville, nous sommes quasiment seuls. Où sont donc passés toutes les personnes qui la rendaient si vivante la dernière fois ? Même au bord du lac puis, plus loin, là où nous avions eu du mal à passer, tant il y avait de voitures dans la rue et de monde aux cafés, au point que les débordements sur la chaussée se succédaient sans discontinuité, c’est le désert. Nous prenons donc place sans difficulté au bord du lac et partons nous promener sur le parcours le long du rivage. Il fait une température agréable et le soleil n’est pas violent puisque le ciel est largement couvert. Après la rive, n’ayant pas l’intention de revisiter les sites que nous connaissons, nous parcourons quelques rues, mais, rien à faire, presque tout est fermé et la population a déserté les lieux. Ce n’est que peu à peu que nous saisissons que c’est aujourd’hui dimanche, ce qui n’est pas une explication suffisante, la dernière fois aussi, mais surtout un dimanche pas ordinaire, celui de la Pâque orthodoxe. D’ailleurs, de derrière des murs sourd de temps à autre une odeur de viande grillée. Nous en sommes donc réduits à errer dans des rues désertées. Comme ce n’est guère plaisant, nous ne tardons pas à prendre la route d’Athènes, histoire de passer devant le garage pour demain matin, pour s’assurer qu’il n’a pas changé de place. Il est bien là. Cet arrêt est dû à un léger bruit de frottement à l’avant lors du freinage, il ne faudrait pas que l’usure d’une plaquette soit trop importante et provoque une détérioration d’un disque. Pour l’instant, le frottement est peu prononcé mais mieux vaut partir avec des plaquettes et des disques fiables. Il ne reste plus qu’à trouver une place pour nous installer. La route au-delà du garage, passe devant un centre commercial, dont un magasin d’une grande firme suédoise omniprésente d’une taille rarement atteinte, puis monte en forêt sans offrir la moindre place agréable pour le reste de la journée. Nous décidons de faire demi-tour et de prendre la route de Dodone (Δωδώνη). La route est une autoroute, nous ne dépassons aucun véhicule, n’en croisons aucun et aucun ne nous double. Le site de Dodone établi entre deux chaînes de montagnes est manifestement fermé et son parking est vide. Nous y prenons place bien qu’un panneau prévienne de l’interdiction d’y passer la nuit. De l’après-midi, nous ne voyons que quelques voitures qui viennent constater la fermeture et repartent tandis que d’autres viennent sur un vaste espace, cela ressemble à un vaste parking, où l’herbe reprend ses droits, juste en face, pour s’entraîner à la conduite. La nuit promet d’être calme ! La montagne d’en face n’arrive pas à se dégager. De temps en temps, des nuages se déplacent et laissent paraître des bancs de neige. La tendance n’est toutefois pas à l’éclaircie, au contraire, la pluie commence à la tombée de la nuit. C’est calme, mais ce sera frais et humide.

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