Retour aux récits

Voyage de 2014

Semaine 7, Turquie, Irak et Iran

Lundi 12 mai

entrée en Irak (photos)

Il s’agit d’être avant 8 h au garage, pas de temps à perdre. Le temps superbe d’hier a laissé place à de la grisaille, aucune importance pour le programme de la journée. La route est exactement celle de l’arrivée, en sens inverse. Le garage est vite trouvé, par contre, les voies sont si bien séparées que le demi-tour ne peut pas se faire avant 5 km, juste à l’entrée dans Kızıltepe. Je n’arrive pas toujours pas à me faire à l’idée de rouler à contre sens, même pour seulement 500 m. Cela ne fait rien, nous sommes largement en avance, 8 h moins 20 devant la porte de l’atelier. Curieusement, elle est ouverte mais on ne décèle aucun mouvement à l’intérieur si ce n’est qu’après 5 min, quelqu’un vient. Il faut se garer le long du bâtiment et nous pouvons entrer. L’homme, petit et assez jeune, en train de faire le sol, nous installe dans le salon pour la clientèle malgré la gêne que nous introduisons dans son travail. De petites tables, des fauteuils, un poste de télévision, écran grand format, sont à disposition. Peu de temps après arrivent deux verres de thé. Son travail, en plus du ménage, consiste donc à préparer le thé pour l’entreprise et les clients. Il est 8 h, nous sommes bien installés, le thé est bon, mais le personnel n’arrive pas. C’est vers 8 h 10 que cela commence, preuve que l’heure d’ouverture n’est pas 8 h ! Ils sont plusieurs à passer par le thé avant de rejoindre leur poste. Au passage, sur notre deuxième verre de thé que nous avons décidé de boire à toutes petites gorgées pour ne pas en voir un troisième arriver, l’un des employés nous fait cadeau de deux de ses petits pains au lait, sucrés, croustillants et encore tièdes, un régal, nous ne savons pas comment le remercier, il a l’air de trouver cela tellement normal ! Avant 8 h 1/2, on est déjà venu nous demander ce qui nous a amenés ici. Au turc, utilisé et parlé par tous, s’ajoutent le kurmandji et plus partiellement l’arabe, l’anglais est plus que timide, la plupart de connaissant que OK et bonjour. Ce n’est pas grave, le mot contrôle est presque universel et mes quelques mots de turc me permettent d’ajouter que nous partons pour un long voyage en Iran et que Fiat n’y est pas représenté. Cela suffit pour la prise en charge, juste quelques craintes à l’entrée de l’atelier en raison de la hauteur, mais le camping-car passe. Est-il besoin de préciser que l’on s’occupe de notre cas sans tarder et sans que nous sachions si cela a retardé l’activité pour d’autres véhicules déjà sur place ? La suite est simple : après avoir arrêté le flot de thé à la fin du troisième verre, nous avons les informations télévisées (intervention du premier ministre sur un sujet qui nous échappe, atterrissage en catastrophe en Iran, obésité, Ukraine… que nous suivons d’un œil distrait parce que l’oreille ne suit pas et pour lesquelles nous demandons de temps en temps à d’autres clients où cela se passe) et quelques demandes du chef d’atelier qui ne connaît pas un mot d’anglais mais me conduit à un autre pour traduction. C’est ainsi que je rencontre dans un bureau à part un jeune employé, employé à une tâche que je ne parviens pas à cerner, sympathique ingénieur avec lequel nous pouvons échanger. Une autre personne, plus âgée, à l’autre bout de l’atelier, une sorte de sur-chef d’atelier, semble incontournable, dommage qu’à la panoplie des langues qu’il parle n’en figure aucune que je comprenne réellement. Il connaît l’Iran et l’Irak, j’essaie de glaner quelques renseignements, c’est difficile, dommage, lui aussi est très sympathique. Au final, ils aimeraient bien faire les vidanges, mais je les retiens, nous nous réservons pour le retour et elles ont été faites juste avant le départ. Par contre, nous acceptons d’acheter des filtres - air, gazole et huile, surtout le deuxième, le gazole iranien n’ayant pas bonne réputation - pour les avoir en cas de besoin. Il reste une ampoule à changer et c’est bon à condition d’avoir payé, bien sûr. Le prix des filtres nous avait été donné et le montant demandé est exactement celui-là plus l’ampoule, il manque le travail de contrôle et, à moi, le mot travail en turc. C’est souvent au moment où il est nécessaire qu’un mot ne revient pas. Ils comprennent que je veux avoir une facture, je n’y avais pas pensé, mais, au moins avec une facture, je verrai le détail. Surprise, ils ont arrondi la facture à la baisse et toujours nulle trace du temps passé, une situation que l’intervention du jeune ingénieur anglophone n’arrive pas à rendre intelligible. Nous quittons l’établissement dans ces conditions, non sans interrogations.

Retour à Mardin pour quelques achats, du pain et des légumes frais qui nous amènent jusqu’au bazar. Nous sommes bien en retard sur l’horaire imaginé, l’heure du départ a sonné depuis longtemps, en route ! Nous partons par l’autre route, celle qui traverse la vieille ville, décidément bien belle, même par ciel gris avec quelques gouttes de pluie. C’est la route qui nous avait conduits à Deyrul Zafaran et à Dara il y a deux ans, elle est nettement moins bonne que celle de Kızıltepe. Le paysage, lui, est immuable, tout est déjà jaune et les moissons sont bien avancées. Ensuite, la route rejoint la route principale, celle d’hier, le long de la frontière syrienne. Par endroits, autour de Nusaybin, la frontière est si proche que le no man’s land barbelé commence au bord de la bande d’arrêt d’urgence. Au-delà, de l’herbe jaunie au bout de laquelle une route de terre relie les postes d’observation que sont les éminences naturelles ou les tumuli aménagés et au sommet desquels est stationné un véhicule blindé ou construit un mirador. Après, la voie de chemin de fer, beaucoup de barbelés, puis la Syrie. La ville de Nusaybin touche à sa sœur syrienne. La curiosité que les militaires auraient peut-être trouvée incongrue ne nous a pas poussés jusque-là. Vues de la route, les deux villes semblent séparées par un mur. Après Nusaybin, la frontière s’éloigne un peu mais reste souvent visible. La route, bonne et rectiligne, fonce vers l’est sous un ciel mitigé ; seuls la pluie et des travaux lui donnent un peu de variété, c’est dire si l’autre côté, le gauche, le turc non frontalier, est uniforme, un vaste champ plat dont les différentes cultures n’arrivent pas à rompre la monotonie. Vers la fin, les montagnes qui enserrent la vallée du Tigre à la fois apportent un changement et marquent l’approche du but. L’entrée de Cizre nous paraît moins sale de ses ateliers de réparation de poids lourds qu’il y a deux ans, nous n’irons pas jusqu’à dire que c’est joli, et c’est dommage parce que les quelques petits vallons qui précèdent le pont et la frontière syrienne, à nouveau à portée de voix pourrait-on dire, mériteraient mieux. En aval du pont, la rive gauche est turque et la droite syrienne. Nous retrouvons la mauvaise route à deux fois deux voies qui mène à Silopi et à la frontière suivante. Les camions y étant beaucoup moins nombreux, il est possible de louvoyer entre les bosses et les creux. Plus loin, la chaussée a dû être refaite et, surtout, aucune file de camions ne bloque la circulation et ne nous oblige à rouler à contre sens de l’autre côté comme nous l’avions fait. Nous parvenons sans stress à Silopi, dernière ville turque. Traversée sans encombre au milieu d’une pagaille innommable. Nous découvrons maintenant la sortie sud de la ville, elle est d’une laideur indicible, partout et en tous sens, les bâtiments bas qui la bordent sont autant d’ateliers pour les camions, impressionnant ! Malgré le beau ciel bleu et la chaleur revenus, nous ne parvenons pas à faire abstraction du sol dont la poussière ne demande qu’à s’envoler.

Cela ne dure heureusement qu’une dizaine de kilomètres au bout desquels les quatre voies sont séparées par un muret en béton. Au début de la séparation, un panneau indique tout droit pour les camions et à gauche pour les voitures. Je prends donc la file de gauche des voies de droite et avance en espérant trouver l’ouverture à gauche indiquée. En vain. Nous rattrapons les camions arrêtés sur deux files et le geste de demi-tour des chauffeurs ne laisse aucun doute quant à la suite. Au bout de la séparation des sens, nous prenons la voie des voitures, celle qui est indiquée et qui n’est rien d’autre qu’un contresens sur les voies d’en face. C’est décidément la région où je roule à contresens ! Heureusement, ce n’est pas bien long, tout au plus deux kilomètres, et le trafic est assez faible pour que les camions rencontrés puissent se mettre sur leur droite pour nous laisser passer. Au bout, ne sachant que faire – nous sommes seuls – je continue tout droit et nous nous retrouvons sur un espace plus large complètement borné par de hautes barrières dissuasives. Tout est sale, des ordures jonchent le sol partout. Nous nous arrêtons, évidemment, puisqu’il est impossible d’aller plus loin. Des enfants viennent vers nous, des aides pour passer la frontière. Ils tendent des listes vierges sur lesquelles nous devrions porter nos noms et je ne sais quoi d’autre, nous n’y prêtons pas attention tant il est manifeste qu’un nouveau demi-tour s’impose et qu’ils ne sont là que pour grappiller un peu d’argent. Nous les laissons à leur triste sort et trouvons, sur la gauche, un petit passage non indiqué, la sortie de la Turquie. Premier contrôle au-delà duquel ne restent que les personnes qui passent la frontière et celles qui sont autorisées, finies les aides improvisées donc. Le numéro d’immatriculation du camping-car suffit à nous trouver sur l’ordinateur, comme à l’entrée. Ensuite, il suffit de suivre la voie et les indications. Mais… eh oui, il y a un mais ! Nous sommes entrés en Turquie avec les cartes d’identité et, ici, cela ne suffit pas, ils doivent s’assurer que nous avons les documents nécessaires pour le pays suivant, c’est-à-dire des passeports. Bien sûr, nous en avons si ce n’est qu’ils ne comportent pas le tampon de sortie indispensable. Arrêt. Il faut retourner au poste de police pour obtenir le précieux sésame. J’y vais seul, à pied. Aucune difficulté, cela fait même sourire les trois jeunes policiers de service.

Nous sommes enfin autorisés à continuer ce qui signifie à quitter la Turquie dont la douane ne contrôle rien et à entrer en Irak. Nous savons, grâce à internet et ses forums de voyage, que l’entrée ne pose pas de problème, ni pour nous ni pour le véhicule, le souci vient plutôt de l’absence d’assurance pendant le séjour, un manque qui incitera à la plus grande prudence. Pour l’heure, malgré les premiers tours de roue en Irak pour rejoindre les guichets, nous n’en sommes pas encore là. Première étape, les visas d’entrée. Un grand bâtiment moderne plaqué de marbre, un grand parking, c’est là, sur la droite. J’y vais seul. Vaste hall un peu sombre autour duquel se trouvent des guichets clairement identifiés pour des arabophones, peu importe, on a vite fait de savoir où est le bon, c’est celui où il y a quelqu’un derrière et la queue devant. Curieuse expression que faire la queue ou se mettre en file ou file d’attente ; ici, on devrait dire paquet, celui dont le bras est le plus long ayant plus de chance de passer rapidement. Derrière la vitre, les policiers ne plaisantent pas, peu leur importe la file, la queue ou le paquet, la personne dont c’est le tour doit se tenir droite, pas à côté ni de travers, face à la caméra qui la prend en photo. Inutile de continuer à attendre dans ces conditions, la photo exige la présence de la personne concernée. C’est donc à deux que nous revenons. La forme du paquet - en fait, un paquet ne peut avoir de forme propre - sa forme donc est aussi informe qu’avant, seuls quelques éléments ont été remplacés. Une présence féminine modifie les comportements, on laisse un peu de place, non pas que l’on soit galant, mais tout simplement parce qu’on ne se serre pas contre une femme en public. Les choses vont donc plus vite et nous « grillons » plusieurs Turcs costaux qui attendent leur n­‑ième visa d’entrée. La démarche n’est pas plus compliquée que cela ni bien longue au final, moins d’un quart d’heure et deux sceaux sont venus prendre un peu de place dans les passeports. L’un stipule que nous devons nous présenter aux autorités policières dans les quinze jours ce qui ne sera pas nécessaire.

Le plus simple est fait, il reste le camping-car. C’est un peu plus loin et, pour y aller, il faut sortir du parking. Au moment de la construction, ils n’ont pas envisagé le cas des camping-cars : le sas de sortie en fait la largeur, ce qui empêchera de tourner à 90° à droite en sortant, mais la hauteur du passage ne doit pas dépasser les 2 m 50. Bref, une seule issue, l’entrée où le policier de service bloque l’avance de quelques voitures pour notre sortie inhabituelle. Nouvel arrêt au poste suivant, j’avais commencé à dépasser les voitures arrêtées et on me fait signe de me mettre en épi entre les autres garés en long. Les quatre voitures devant sont immatriculées aux Pays-Bas mais il ne fait aucun doute que leurs occupants sont originaires de par ici. Les autres sont turques. Quoiqu’il en soit, les démarches vont commencer. Je pars avec la carte grise et les passeports vers le bâtiment devant nous à gauche. Mis à part que ce n’est pas un grand hall, l’intérieur rappelle le premier bâtiment : des guichets, des personnes qui attendent à certains mais le problème est le même puisque, pour qui ne sait pas lire les caractères arabes, rien ne permet de savoir où aller ou que faire. Je ressors en me disant que cela allait sans doute être délicat. Dehors, ce n’est guère mieux, la plupart des gens semblent être dans une attente sans fin. La distinction entre les caractères officiel ou officieux des personnes qui gravitent dans les parages n’est pas simple à faire non plus : pas d’uniforme sauf pour les quelques soldats bien armés qui font les cent pas, quelques badges tandis que la plupart ne portent aucun signe mais semblent faire fonction de quelque chose. Au bout d’un moment, un douanier vient à nous, il est jeune et s’exprime bien en anglais, il n’a pas d’uniforme, seulement une carte en pendentif autour du cou. Il nous prend en main. À partir de cet instant, tout avance. C’est une course, presque au sens physique à plusieurs reprises, malgré un soleil de plomb et l’asphalte noir surchauffé. L’essentiel se passe dans un grand bâtiment plus loin sur la droite. Dans celui-ci, au rez-de-chaussée, un seul guichet. Il absorbe la moitié environ des documents, l’autre moitié est traitée à la porte, sur la droite du guichet ou directement à l’intérieur pour ceux qui sont autorisés à entrer, comme « mon » douanier. La difficulté pour les employés est l’inverse de la mienne, ils doivent en effet trouver où sont portés le numéro d’immatriculation, celui du châssis et celui du moteur sur la carte grise. Je leur montre, ils notent mais ce n’est pas suffisant, ils doivent aussi vérifier, un employé est affecté à cette tâche technique. Il connaît son affaire sauf pour le moteur, je leur dis que je ne sais pas non plus où se trouve le numéro, il ne vérifie donc pas celui que je leur donne, celui du carnet de passage en douane. Retour dans les bureaux. Les documents, pour des raisons administratives qui m’échappent complètement, doivent être visés par différentes autorités qui ne sont bien sûr pas dans les mêmes bâtiments et imposent des va-et-vient incessants. Plus les autorités sont importantes, plus les bureaux et les salons sont spacieux, mieux sont armés les gardes, plus nombreuse est la cour qui les précède. Dans les bureaux où nous nous rendons, on me désigne une place au salon et le reste se fait sans moi, ce qui est très bien ainsi, quelle aide pourrais-je apporter, ne sachant dire que merci en soranî ? Au cours d’un des nombreux déplacements, je demande quel est son rôle à « mon » douanier et si sa carte a une signification officielle. Ce n’est en fait qu’à ce moment que je prends connaissance de cette fonction. Il tient à préciser que ce qu’il fait pour nous est absolument gratuit et ne nécessite aucune rétribution, ce que j’apprécie d’autant que mon inquiétude à ce propos augmentait avec le temps passé. L’ensemble des démarches, jusqu’au moment où il a dit que c’était bon, qu’il ne me restait plus qu’à aller au bureau pour faire viser la liasse de documents et à reprendre les deux exemplaires qu’on me remettrait, a pris environ une heure et demie. Au bureau, fort de l’expérience acquise, j’ai tendu ma liasse au-dessus des autres jusqu’à ce qu’une main l’attrape et tout s’est déroulé comme prévu. Retour au camping-car, content. Le douanier est là, les papiers sont à nouveau visés, on me rend mon exemplaire et je pense que nous allons enfin sortir, mais non, pas tout à fait puisqu’il reste le vrai travail de douanier, un travail rapide, pour la forme, et, enfin, après de chaleureux remerciements et des vœux pour qu’il trouve une aide aussi efficace que la sienne s’il vient un jour en France, nous partons. À la sortie, dernier contrôle, un employé et trois sympathiques militaires dont l’un parle un peu français. Et patatras, nous sommes bloqués, ils se sont trompés dans la transcription du numéro d’immatriculation, écrivant un U à la place d’un 4. Je dois retourner au bureau pour faire valider la modification, je peux laisser le camping-car ici. 500 m en arrière, je retrouve le bâtiment visité un nombre incalculable de fois. Là, je ne m’adjoins pas au groupe agglutiné devant le guichet mais attend à la porte vitrée, les papiers - leur document et la carte verte, inutile ici mais où le numéro est bien lisible - à la main de façon bien visible pour quelqu’un de placé à l’intérieur. On n’est pas long à venir, pas un mot, juste le doigt pointé alternativement sur leur transcription et sur le bon numéro. Ils comprennent immédiatement, font la correction, un coup de tampon et je repars. Au poste, le préposé est au téléphone et cela dure assez pour que la conversation avec les militaires puisse s’engager. Il est question de France, de Paris et de bien d’autres choses encore. La conversation téléphonique achevée, nous pouvons enfin partir. De bout en bout, nous avons passé deux heures et demie ici, tout s’est très bien déroulé parce que j’étais accompagné mais combien de temps serions-nous restés sans aide ? Un petit arrêt, retour aux militaires pour deux questions : l’heure, c’est bien la même qu’en Turquie, et la sécurité, sans aucun problème. C’est parfait. Une petite hésitation en sortant, ce doit être à gauche, mais mieux vaut s’en assurer. « Zakho? » À gauche.

Il fait beau, la circulation est réduite, il nous faut chercher un emplacement pour la nuit. Les stations-service et les parkings ne tardent pas à se succéder, impressionnants par leur taille et leur taux de remplissage. Des milliers et des milliers de camions, la frontière passée ou en attente, font halte ici. Impensable pour nous, nous avançons en espérant ne pas arriver immédiatement en ville et trouver avant. Un grand carrefour, il faut décider sur le champ quelle route prendre, elles sont trois, celle de droite est à exclure a priori parce qu’il n’est pas question de s’approcher de « l’autre Irak », nous prenons celle du milieu, elle correspond mieux à l’image satellite d’internet et il doit s’agir de celle qui va au vieux pont, le lieu touristique de Zakho. Heureux changement que le choix de cette direction, il marque la fin des accumulations de camions. Première station-service, nous nous arrêtons pour faire le plein et, ensuite, stationner si possible. Le bâtiment occupe le centre de la place et les pompes sont également réparties entre l’avant et l’arrière. Aucune idée de la façon de dire gazole, j’essaie diesel, sans succès. Les pompistes ont la solution, elle consiste à renifler notre bouchon et à comparer avec l’odeur des produits délivrés aux pompes ce pour quoi ils n’hésitent pas à faire le plein de leur main ! La pompe est d’origine turque puisqu’on y lit motorin le mot turc pour gazole, le prix en livres… mais mis à part le volume en litres, aucune idée de la signification du reste. Le prix du litre est 0,68, soit, mais 0,68 quoi ? Pas des dinars, je n’ai pas l’impression que le dinar, unité assez petite, soit subdivisé, mais alors quoi ? Le mystère se dévoile au moment de payer où l’on me demande avec quoi je veux payer. Les pompistes parlent à eux tous assez anglais pour s’entendre, c’est pourtant bien la première fois qu’on me pose pareille question pour un paiement en liquide. La question est vite suivie de « dollars? » Voici enfin la clé. Le prix affiché est exprimé en dollar ce qui correspond à peu près à 50 centimes d’euro, moins de 40 % du coût actuel en France ! Une affaire en quelque sorte, une affaire qui ne nous était pas tout à fait inconnue, merci internet, et qui nous avait fait remettre à plus tard, ici, le plein que nous aurions pu faire en Turquie. Non, pas dollars, dinars. Le montant indiqué par le pompiste passe dans la calculatrice et il en ressort ce que j’ai à payer, première utilisation des dinars du change de la frontière. La question suivante est celle du parking. Pas de problème, nous nous y attendions, et on nous montre où, au point le plus éloigné de la rue principale, parfait. Encore quelques échanges, limités pour des raisons de langue des deux côtés, une visite du magasin – ils ont tout ce qu’il faut pour la route de boissons, sucreries, en-cas salés et savons –, l’assurance qu’il y a des toilettes et nous allons nous installer.

Devant, un mur au haut duquel trônent de petits immeubles proprets et neufs à deux étages, à droite, une haie et partout ailleurs, la vaste cour de la station. C’est parfaitement calme, même l’appel à la prière, discret, ne dure pas. La nuit tombe déjà lorsque nous recevons la visite d’un homme que nous n’avons pas encore vu dans la station et qui semble venir nous inviter. Il se dit Turc mais ses connaissances en turc ne dépassent guère les miennes. Ne comprenant rien aux événements, je vais voir, seul, ce qui évite d’emporter l’indispensable et de fermer. Sur le côté du bâtiment se trouve une cuisine avec des chaises hautes et une table murale haute à la manière d’un comptoir de bar. Sur la cuisinière mijotent du poulet et du riz accommodé. Au réfrigérateur attendent des salades… j’ai droit à une visite complète et suis invité à prendre ce que je veux. Ce seront deux morceaux de poulet en sauce et du riz. Par contre, impossible de payer. C’est très aimable, mais que de questions en suspens : qui est-il ? Quel est son rôle à la station ? Pourquoi est-ce gratuit alors que, bien sûr, quelqu’un a acheté les poulets, le riz, les légumes et tout le reste ? Nous voici avec un menu inattendu. Le riz, long au possible, mêlé à des vermicelles comme on en trouve en Turquie, bien préparé, et la sauce sont excellents, le poulet vient tout droit d’une batterie… Rien n’y fait, nous ne comprenons pas. Plus tard dans la soirée, nous jouons, comme souvent. Une voiture s’arrête à côté sans que nous y prêtions attention, nous sommes tout de même sur un parking public, seuls, mais sur un parking et nous n’avons pas l’habitude, dans ce cas, de regarder les voisins. Mais voici qu’en plus on frappe à la porte. C’est notre homme, une demi pastèque à la main, un cadeau de plus, ce qui n’est pas de nature à éclaircir la situation. Nous sommes très ennuyés. Il s’installe et regarde les jeux. Si nous pouvons certes échanger un peu avec lui grâce au turc, cela ne suffit pas pour tout expliquer. Nous apprenons qu’il est de Mossoul, pas très loin vers le sud, il doit donc être Turc de Mossoul ce qui expliquerait ses connaissances réduites de la langue. Il parle de la situation catastrophique sur le plan de la sécurité de sa ville alliant le geste à la parole pour des attentats qui ont touché des enfants. Il a trois enfants de huit, cinq et trois ans, il doit avoir une quarantaine d’années. Il est sympathique et ne semble pas heureux. Nous n’arrivons pas à savoir si sa famille est restée à Mossoul ou non. Au moment de son départ, nous insistons à nouveau pour qu’il reprenne sa demi pastèque, nous n’en sommes pas amateurs, et nous lui donnons une tablette de chocolat. Il est temps de ranger les jeux. Nous sommes perplexes.

Mardi 13 mai

Amêdî… (photos)

Hier, nous avons repéré des tuyaux d’eau près du magasin, le moment est venu d’aller voir si l’eau est potable et, si oui, s’il est possible d’en prendre. Sans surprise, le bilan est entièrement positif. Ils vont même jusqu’à extraire le tuyau de leur machine distributrice d’eau de la station pour nous faciliter le remplissage. Le débit laisse bien du temps pour bavarder tant bien que mal avec l’équipe, l’occasion d’apprendre à dire eau en soranî ce qui manquait à ma panoplie concernant ce mot dans nombre de langues. Lorsque tout est bien plein et que nous sommes prêts à partir, voilà notre cuisinier « turc » qui arrive et, bien entendu, pas de dérobade possible. Le second petit déjeuner est d’ailleurs plus copieux que le premier. Au menu, thé sucré, œuf brouillé, pain encore chaud, fromage blanc. Nous sommes installés dans le local, en même temps que la plupart des personnels de la station-service. Ils ne paient pas, nous non plus, même en insistant lourdement. Finalement, il doit être le cuisinier de la station, c’est ce qui correspond le mieux à nos observations mais ne dépasse pas les supputations. Adieu à tous, nous prenons la route.

Le beau temps d’hier après-midi s’est mué en un ciel triste et gris qui prépare la pluie, pas de chance. Comme nous le pensions, la route conduit tout droit au vieux pont. Il est bien trop tôt pour que l’activité ait déjà repris, il serait plus juste de dire, vu nos piètres connaissances des usages locaux, que l’activité doit commencer nettement plus tard. La rue, une voie sans issue qui s’arrête au pied du vieux pont, est déserte. Des kiosques la meublent de chaque côté et, toutes sortes de restes de pique-nique la jonchent, le nettoyage n’a pas encore été fait. Très voûté, le pont n’a qu’une arche, haute au-dessus de la petite rivière qui descend vivement entre les rochers. En travaux, il est interdit même aux piétons ce qui n’empêche pas quelques franchissements, c’est hors de question pour nous qui ne devons nous exposer à aucun incident. Pour se rendre de l’autre côté, il suffit de faire demi-tour, d’aller passer le grand pont tout neuf 500 m en aval et de remonter la rive droite. Ici, c’est une petite place circulaire avec des petits kiosques, des tables, un petit jardin au milieu et tout autour. Quant au pont, on en a une autre vue qui ne fait hélas pas venir le soleil. Dès cette heure matinale, quelques voitures ont pris place dont les occupants bavardent ou content fleurette, nous ne saurons, tandis que d’autres font des exercices physiques. Dommage aussi que le nettoyage n’ait pas été fait, les lieux doivent voir du monde en soirée. Il est temps de reprendre la route, mais, bien que l’activité soit au point mort, nous parcourons en voiture les rues qui bordent le bazar. Si sortir d’une ville, même de taille modeste, n’est jamais bien facile, choisir de prendre une petite route n’arrange rien. Nous avons cependant la chance de trouver des policiers à un carrefour et, après avoir demandé « Amêdî? », de précisément nous trouver dans la bonne rue. Amêdî est le nom kurde d’une petite ville que nous comptons visiter en route, son nom arabe est un peu plus long et ici tout le monde parle soranî, la principale langue kurde du sud. Nous pensions bien être dans la bonne direction pour une simple question d’orientation mais mieux valait s’en assurer, cette fonction des panneaux indicateurs aux belles écritures arabes ou kurde ne nous étant pas accessible.

La route s’élève au milieu d’ondulations plus ou moins prononcées. Le temps rend floues les montagnes qui se dessinent dans le fond. Des petits champs occupent des terrasses et des creux, ce qui domine est plutôt une lande herbue parsemée de petits arbres isolés. Dans ce décor, un troupeau fait son apparition de temps à autre dans un repli de terrain. C’est joli et la route est déserte. La chaussée, plutôt bonne, réserve ses surprises, la vigilance est de mise. Nous devons avancer à cause de nos visas iraniens et le temps qui tourne aux averses n’incite pas à traîner. Aucune difficulté, nous montons et descendons sans arrêt, plus ou moins près d’une grande vallée, pour changer de colline ou pour passer un vallon ; le paysage change peu si ce n’est que le fond montagneux se rapproche un peu. À un carrefour, nous avons un doute, l’orientation naturelle ne suffit plus lorsqu’on ne cesse de tourner et de contourner des reliefs sous un ciel gris. Une chance, deux voitures arrivent en face, l’une prend la route de droite, l’autre vient vers nous. Je lui fais un signe, il s’arrête. « Amêdî? », il fait signe tout droit et repart. Après plusieurs kilomètres, il apparaît que la direction générale n’est plus l’est mais le nord, nous arrivons près d’une ville. Arrêt et attente d’une autre voiture pour renseignements. C’est un taxi. Même question et réponse sans ambiguïté, demi-tour, un geste facile à comprendre et un peu d’anglais. Il tient absolument à m’emmener et je finis par me laisser convaincre, destination inconnue, camping-car et épouse abandonnés sur le bas-côté ! Ce n’est pas loin, 500 m ou un kilomètre, au point le plus haut de la route d’où l’on domine un vaste territoire. Je retiens de ses explications qu’Amêdî est par là-bas et qu’il faut passer une montagne. Il me ramène au point de départ et repart vers cette petite ville dont je n’ai pas réussi à saisir le nom (les recherches ultérieures ont donné Batîfa). La suite ressemble en tous points au début à ceci près que la pluie a cessé et qu’après l’apparition d’un peu de bleu derrière les nuages, la tendance est à l’éclaircie. Ces petits arbres à la répartition discrète sur toutes les pentes sont du plus bel effet et le relief renouvelle sans cesse les formes et agencements de paysage. C’est vraiment joli, on aimerait se poser là et partir par monts et par vaux. Cette route traverse très peu de villages, la région semble presque inhabitée, parcourue par les troupeaux que nous voyons ou dont les traces révèlent le passage. La conduite est facile parce qu’il n’y a personne mais elle est peu respectueuse des règles. On double par exemple quand on rattrape un véhicule quelle que soit la taille des deux véhicules et peu importe si cela se passe au détour d’une paroi rocheuse avec un précipice de l’autre côté. Ici, le risque est limité puisque la circulation est faible, nous verrons plus loin ! Un autre fait remarquable est l’abondance des ralentisseurs aux approches et à l’intérieur du moindre village. Leur hauteur est telle que tout passage en vitesse relèverait de la tentative de suicide, il arrive à plusieurs reprises que le camping-car racle un peu le haut de la bosse.

Nous finissons par atteindre Amêdî. Le soleil nous a heureusement précédés. Après une courte hésitation, nous nous engageons sur la route qui y monte en lacets sur le flanc est de la paroi rocheuse. La fin est une voie unique où les trous entre les parapets laissent entrevoir un fond lointain et un rebord fuyant. En haut, un rond-point plein de drapeaux, nous prenons à gauche, au hasard et nous arrêtons au premier emplacement disponible, un arrêt de bus mais nous n’en avons vu aucun, nous ne gênons donc pas. Amêdî est un bourg presque entièrement construit sur le haut d’un piton rocheux aux parois verticales. L’arrivée par la route de l’ouest, celle que nous venons de prendre, est spectaculaire et laisse planer le doute sur l’existence d’une route pour parvenir à l’intérieur. Notre plus grande surprise une fois sur place est de constater que ce haut de rocher n’est pas plat du tout, il ressemble plus à un plan mal dégrossi penchant fortement vers l’ouest. Quoi qu’il en soit, nous partons explorer les lieux. Impossible de faire plus de cinquante pas sans qu’on nous demande d’où nous venons – France –, ce que nous cherchons – rien, voir, c’est plus difficile à comprendre – et si on peut nous aider. Ces questions sont posées par toutes sortes de personnes, celles qui s’expriment mieux en anglais cherchant à profiter de leur avantage pour poursuivre la conversation. Il s’en trouve aussi une qui parle très bien allemand pour avoir longtemps travaillé à Zürich mais dont le bégaiement ralentit le débit de façon tellement pénible qu’on peine à le suivre. Nous marchons dans la rue principale, empruntons des ruelles et des passages, rien n’y fait, tout est propre, c’est vrai, par contre, ni l’habitat, ni les bâtiments officiels ne présentent d’intérêt même si ces derniers, nombreux, arborent les couleurs régionales et parfois nationales en grand format et sont peints de couleurs vives. Les commerces de la grande rue n’ont rien d’exceptionnel non plus. L’intérêt de la cité réside bien dans son site et il serait injuste d’omettre le contact avec ses habitants, hommes, femmes et enfants. Les femmes vont et viennent dans des tenues proches de celles qu’on observe chez nous. Les enfants auraient pu passer inaperçus si, au détour d’une rue, nous n’étions pas tombés sur une sortie d’école où les « Hello! » ont fusé de toutes parts.

Il est temps de repartir. La route suit à la fois une chaîne de sommets, les premiers de ceux qui montent jusqu’à la frontière turque, et une rivière aux eaux cristallines et pures, un paysage préalpin à la végétation près puisque nous continuons au milieu de coteaux à l’herbe printanière bien verte et fournie parsemée d’arbres courts isolés, la suite de ce que nous avions sous le temps gris, en plus vert et avec plus de relief. Nous nous arrêtons souvent pour admirer le paysage, partagés que nous sommes entre l’envie de traîner et la nécessité d’avancer à cause des visas iraniens. La nécessité prend le pas sur le plaisir et nous passons au pied de la grotte de Shanidar sans nous arrêter. Nous ne saurons donc pas si cet habitat néandertalien mérite les trois ou quatre kilomètres de détour, à moins de revenir. L’éclairage de l’après-midi renforce le relief, la vallée est maintenant bordée de deux chaînes de montagnes bien découpées. Sur la droite, en avant des montagnes du fond, se dresse une sorte de scie rocheuse : une bonne demi-douzaine de dents rocheuses, toutes ont la même inclinaison, elles ont plusieurs centaines de mètres de hauteur, deux à trois kilomètres de longueur et sont espacées d’un petit kilomètre. Elles sont vraiment impressionnantes. De temps à autre, un tout petit village de bergers borde la route. Le temps de prendre une photo suffit pour être salués, voire invités. Une fois, c’est même un campement qui apparaît au détour d’un virage dans une montée. Les grandes tentes marron ne sont qu’à 200 m, trop loin par rapport à la nécessité d’avancer, toujours avancer. Quel dommage, des femmes semblaient occupées à tisser ! Voilà que tout à coup, après la traversée de la vallée et de la rivière qui coule au fond, la route monte entre deux dents de la scie rocheuse et s’élève jusqu’en haut de la montagne.

Le passage en altitude s’accompagne d’une raréfaction de la végétation que l’autre versant, tout baigné de soleil, renforce. Il marque le début des étendues désertiques de cette région de l’Irak. Ce n’est pas encore le désert, mais la végétation est pauvre et ce qu’on voit de la vaste plaine qui s’étend au loin ne laisse aucun doute. Le soleil, déjà bas, de ses rayons rasants, renforce cette impression en colorant tout en jaune beige. Un peu plus loin, notre petite route de montagne se termine en venant buter sur un des principaux axes du Kurdistan, la route de la capitale, Hewlêr (en transcription du soranî, Arbil ou Erbil en transcription de l’arabe) à l’Iran et aux stations de repos et d’altitude des habitants de la capitale écrasée de soleil. Le changement est perceptible avant même d’y arriver puisque la faible circulation de notre petite route laisse la place à un intense trafic de camions et voitures tandis que des stations-service, commerces en tous genres et commerçants ambulants bordent le grand axe. Nous passons de la tranquillité à une route de fourmis fort fréquentée. Peu de maisons au total, presque toutes regroupées autour du carrefour. Par contre, les marchands ambulants ont envahi une partie de la chaussée jusqu’au début de la descente. La règle de conduite n’a pas changé, on passe au mépris de toute considération de sécurité et d’égards pour les autres. Nous en sommes peu affectés, préférant rouler doucement vers la droite pour observer et nous arrêter à notre guise. Une grande descente en lacets aux marquages non respectés. On se double sur toute la largeur au besoin. À part les camions, on roule ici dans de belles berlines blanches ou dans de gros pick-up aux vitres teintées, tous de grosse cylindrée et tous issus d’usines japonaises ou coréennes. La course est parfois impressionnante et, pourtant, la pente est forte. En bas, la température n’est plus celle des montagnes, fini l’air frais. Premier carrefour, long arrêt pour observer les panneaux et essayer de comparer les noms écrits en caractères arabes et latins avec ceux relevés sur internet avant le départ – nous n’avons pas de carte – puis nous continuons sur la route principale jusqu’au carrefour suivant où la situation est compliquée par des travaux autoroutiers et où toutes les issues semblent ramener à Hewlêr. Je franchis le terre-plein central et vais tout droit vers quelques petits magasins et marchands installés là. Nous devons quitter la route de la capitale et prendre celle de Silêmanî. La question est donc toute simple : « Silêmanî? » et l’homme venu à notre rencontre désigne la petite route qui part à l’écart derrière les magasins.

Heureusement que nous pouvons demander, jamais nous n’aurions imaginé une telle différence de gabarit entre la route de Hewlêr et celle de la deuxième ville du pays. C’est un certain soulagement de retrouver une route comme celle-ci, non pas tant pour sa largeur, normale, sans accotements, que pour son trafic réduit ce qui diminue d’autant l’anarchie qui régnait sur l’autre. Elle présente un autre avantage, celui de retourner à des paysages plus verdoyants qui rappellent ceux de la première route. De nouveau, chaque haut-de-côte, chaque virage est l’occasion de découvertes, c’est très joli. Une seule ville sur le trajet, Harir, où la route traverse le bazar, particulièrement vivant en cette fin d’après-midi. Après Harir et avant de revenir à des paysages analogues, s’ouvre une grande plaine toute jaune de céréales presque mûres. Ensuite, il va falloir commencer à chercher un emplacement pour la nuit. Déjà nous sentons qu’il serait vain d’attendre un parking de station-service. Notre connaissance du pays est insuffisante pour décider de s’arrêter sur un chemin de campagne quelconque et, pourtant, ni les occasions ni l’envie ne manquent. Allons voir si un peu plus loin… mais rien, rien ne vient jusqu’à ce que nous arrivions à un village. La route passe juste à la limite, assez près pour voir que plusieurs rues ont l’air bien tranquille et pourraient faire l’affaire. À l’arrivée, contrôle policier. Ils sont très fréquents et si peu contraignants qu’on les oublierait presque. La plupart du temps, les policiers sont ravis de rencontrer des étrangers et font des efforts pour rassembler quelques connaissances d’anglais, il s’agit de savoir d’où nous venons, si leur pays est beau… Parfois, ils demandent les passeports et mieux vaut alors préparer les pages à consulter, celle de son identité et celle du visa, parce qu’un passeport occidental n’est pas évident à feuilleter pour un arabophone ou par une personne habituée à lire et écrire de droite à gauche, il est tout simplement à l’envers. Ici, c’est un jeune policier seul, pas drôle, qui ne dit pas un mot et qui vérifie, cherche tout dans les passeports et nous les rend sans un sourire. Un kurde moins avenant que la moyenne ! Le barrage passé, la route tourne à droite et tombe sur une voie nettement plus importante, il suffit de prendre à droite et d’aller chercher l’une des rues entrevues. En fait, à droite, c’est le poste de police et son parking. Bien que tentants, ils ne nous arrêtent pas parce que juste à côté, les constructions étant largement séparées de la rue, un grand espace devant un bâtiment officiel – un drapeau kurde flotte – devrait faire l’affaire. Au milieu du mur, un grand portail entrouvert derrière lequel quelqu’un balaie et nettoie. Je vais voir, aucun problème pour rester ici, le bâtiment est une école et mon interlocuteur, l’un des enseignants, parle un peu anglais. Le temps d’essayer d’échanger un peu et voici le directeur, un jeune directeur, qui s’exprime mieux en anglais que son collègue. Lui est enseignant en économie, sans plus de précision, et son collègue professeur de kurde. Ils sont un peu ennuyés, ils aimeraient faire quelque chose pour nous mais nous n’avons besoin de rien. Merci quand même. Un peu plus tard, le directeur rentre sa voiture et son collègue part. Aucun bruit.

Mercredi 14 mai

Silêmanî, Helebje (photos)

Le matin est aussi calme que la soirée, c’est à peine si quelques camions sont passés. La lumière est superbe, à l’image de la pureté du ciel. Nous ne voyons personne à l’école et, déjà, la route nous happe. Il faut dire que le programme est chargé. Il s’agit non seulement de rejoindre la ville de Silêmanî mais aussi d’y visiter deux musées dont nous n’avons pas la localisation puis d’aller jusqu’à Helebçe, presque tout au sud avant de nous positionner quelque part pas trop loin de la frontière. La route d’abord. Elle est à la fois le prolongement de celle d’hier pour les montagnes et les paysages qu’elle fait traverser, tout au moins au début, et présente des différences notoires, son trafic n’a plus rien à voir et, sur bien des tronçons, les grands travaux d’agrandissement devraient la mettre au niveau autoroutier. Nos arrêts sont donc moins fréquents. À un moment, une descente s’amorce, vers la ville de Dukan, au pied d’un barrage dont le réservoir étend des ramifications dans toutes les directions et que nous aurions aimé voir mais qui reste caché derrière les montagnes de premier plan et que le programme de la journée ne permet pas d’aller voir. À Dukan, nous ne prenons tout de même pas le contournement, les arbres et la verdure occupent beaucoup d’espace. Plus au sud, le paysage s’aplatit presque complètement et la végétation, hors des terrains cultivés, c’est-à-dire irrigués, se fait plus discrète. Peu avant Silêmanî, notre route arrive sur l’axe Kirkuk-Silêmanî, Kirkuk n’est qu’à 120 kilomètres. Attention à prendre à gauche. Contrôle de police – passeports, bienvenue et bavardage – et nous commençons déjà à entrer dans les faubourgs de la ville. L’autoroute, qui est aussi celle de l’aéroport international, est luxueusement aménagée. Les indications ne manquent pas, elles ne sont cependant pas d’une grande aide puisqu’elles ne portent que sur des noms de boulevards et d’avenues. Les avenues en question sont de type autoroutier mais, au contraire de la campagne, le trafic est urbain, parfois serré et toujours rapide, le moindre interstice ou vide dans les files de voitures est vite comblé. De plus, sans vouloir être trop critique, s’il est des pays dans lesquels on peut acheter une voiture lorsqu’on a le permis, ici, tout se passe comme si on avait le permis parce qu’on a une voiture. Le seul avantage de la situation est de pouvoir entreprendre des manœuvres qui seraient inimaginables chez nous.

De ce que j’avais observé sur les vues satellite sur internet avant de partir, j’ai retenu que le premier musée est proche d’un parc et plutôt au nord-ouest du centre. C’est peu et rapidement insuffisant. Nous demandons, et ce n’est pas évident dans l’ignorance de la désignation locale du musée, et le mot musée ou les mots approchant semblent ne rien évoquer à nos interlocuteurs. Il n’en reste pas moins qu’on est au Kurdistan et que les habitants se plieraient en quatre pour aider. Les aides se font de proche en proche, un chauffeur de taxi qui aurait pu dire « suivez-moi » et faire payer la course prend le temps d’expliquer de façon précise les grandes lignes du trajet, un commerçant nous remet sur la bonne voie, etc. jusque devant la porte où je demande confirmation au garde et où le stationnement est facile puisque seules les places à l’ombre sont occupées. Le musée en question, Amna Suraka (sécurité rouge), est plus un lieu de mémoire qu’un musée au sens usuel. Installé dans les locaux de l’ancien quartier général des forces irakiennes au Kurdistan, il est consacré aux Kurdes et, pour sa plus grande, part aux exactions commises par l’armée de Saddam Hussein au Kurdistan. Les lieux et locaux sont restés inchangés. Les nombreux impacts de balle sur les murs extérieurs témoignent des combats lors de la chute de la ville en 1991. Dans la cour, les chars, les camions militaires et les canons n’ont pas bougé depuis. Au bureau d’entrée, pas de ticket, c’est gratuit, et on nous demande de prendre place en attendant le guide. Celui-ci, un jeune homme s’exprimant clairement et posément en anglais, confirme la gratuité, et des lieux et de la visite guidée. Nous sommes deux, nous deux, emmenés vers le premier bâtiment. Sans fenêtre, c’est une suite de couloirs tortueux dont les raisons qui en ont guidé la conception sont inconnues. Sans fenêtre, il est éclairé de 4 500 petites lampes suspendues au plafond, une par village martyrisé, qui se reflètent dans 182 000 morceaux de miroirs, un par victime des crimes. Pas un bruit, rien à faire, rien à dire, juste à s’interroger sur la cruauté humaine. Changement de bâtiment pour aller du côté des cellules pour hommes puis celles pour femmes et enfants. Plusieurs types de cellules, des cellules de groupes où la densité devait être redoutable malgré le réconfort de la proximité des compagnons d’infortune et des cellules d’isolement, tout ceci en plus d’autres conditions comme d’avoir une main menottée à une rampe suffisamment haute pour interdire toute position de repos… Les toilettes où les prisonniers avaient le droit de se rendre deux fois par jour à des moments fixés par les geôliers le temps de compter 1, 2, 3, pas plus. Côté femme, ce n’est pas mieux, enfants en plus. Viennent ensuite des salles de torture dont toute description est inutile. L’une d’elles est isolée de façon à ce que les cris ne puissent pas être entendus. Toutes les salles sont restées en l’état, couvertures à terre dans les cellules, un peu de matériel pour la torture, taches de sang noircies recouvrant presque tout le sol. Rien n’est épargné au visiteur mais rien ne l’était aux prisonniers qui, eux, subissaient. La suite se scinde en deux parties, l’une a trait aux exactions dans les villages et l’exode dans les montagnes et l’autre à des aspects culturels kurdes. Des exactions, on retient en particulier le gazage systématique qui a tué sur place la population et les animaux et dont les seuls survivants ont été ceux qui étaient absents au moment fatidique. Les photos sont terribles aussi, la plupart se trouvent sur internet. L’exode en montagne à la fin de l’hiver a été très dur aussi. Alors que du côté turc, la frontière était hermétiquement fermée et que les réfugiés s’agglutinaient contre des barbelés maintenus en place par des soldats, les Iraniens ont ouvert les portes. L’exode fut de courte durée mais sa rapidité et les conditions de vie précaires à cette saison en altitude affectèrent beaucoup les populations. Notre jeune guide, enfant à l’époque, raconte que, la nuit, sa mère appelait ses enfants faute de pouvoir les voir et de peur de les perdre. La dernière partie, consacrée à l’ethnologie locale, elle, raconte la vie, un style de vie presque complètement révolu avec ses objets, ses rites, ses métiers… Nous terminons par la visite du café du musée en compagnie du sympathique Iranien qui a fait plus de la moitié de la visite en notre compagnie. C’est lui qui nous situe approximativement le musée suivant, vers le bas, puis à gauche, sans plus de précision parce qu’il a fait le trajet en taxi pour venir et qu’il s’est laissé guider. Nous apprenons de plus le nom de l’avenue à chercher et que ce n’est pas loin.

Comme on le voit, des précisions d’une imprécision telle que nous partons à la recherche en voiture. En bas de la rue, obligation de tourner à droite donc d’aller faire demi-tour au premier rond-point ou à la première ouverture dans le terre-plein central, comme des dizaines d’autres. Ensuite, nous remontons aussi lentement que le flot de voitures le permet mais ne repérons rien qui évoque un musée. À un moment, la moitié du flot s’engouffre dans le passage sous une autre avenue tandis que l’autre moitié monte à droite du pont. À l’endroit où nous nous trouvons, la prudence exige que nous passions dessous. On peut supposer que la même avenue se poursuit avec le même nom après le pont, rien ne l’indique mais ce serait raisonnable. Et puis, si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qu’un demi-tour de plus ? De l’autre côté du pont, pas plus de trace de musée qu’avant. Au bout de la rue, demi-tour interdit et obligation de tourner, nous prenons à gauche où la possibilité de demi-tour tarde mais finit par venir. Retour dans l’avenue à une allure réduite et arrêts fréquents pour observer, ausculter presque, les édifices. Arrêt à un hôtel pour demander, réception vide ! J’interroge un passant qui ne comprend pas le mot musée et demande à une passante qui ne connaît pas le musée. La quête s’annonce difficile. À force d’avancer, même par petites touches, nous finissons par nous retrouver au bout de l’avenue, à l’endroit de notre premier demi-tour. C’est reparti pour un tour ! Allure encore plus réduite et arrêts encore plus fréquents. À l’un d’eux, nous sommes rejoints par un jeune homme qui nous demande, en français, ce que nous cherchons. Est-il nécessaire de dire que les explications s’en trouvent bien simplifiées. « Garés » en double-file, nous sommes bien placés pour engager la conversation. C’est un jeune Kurde qui a, pour une large part, appris le français à force de tentatives et refoulements pour traverser la Manche à Calais, un de ces jeunes étrangers que l’on voit errer sur les bords de route et les digues près de l’embarquement pour l’Angleterre. Il dit avoir une amie à Calais, une bénévole qui vient en aide à ces pauvres hères qui, en mille péripéties, parcourent une partie de la planète dans l’espoir de pouvoir franchir les trente derniers kilomètres et atteindre leur but. Lui est revenu au pays, nous ne posons aucune question, cela pourrait retourner le couteau dans la plaie. Il ne semble pas malheureux, il circule en voiture d’un modèle ni récent ni luxueux sans pour autant être une épave rafistolée. Il est plaisant, a de l’humour. Nous pensons qu’au-delà du fait d’aider qui semble si naturel ici, il prend plaisir à parler français. Est-il aussi nécessaire de préciser que c’est lui qui va aux renseignements et que son efficacité est parfaite ? Dès qu’il sait, il nous invite à le suivre. Nous avions tout bien parcouru et observé sauf la bretelle qui monte sur le pont, pas de chance, c’était là ! Un petit terrain vague où il reste une place grande comme le camping-car dans la rue adjacente, et nous sommes au musée. Un grand merci et il repart en nous faisant de grands signes.

Surprise, ce musée est aussi gratuit. Ce musée d’histoire est le second d’Irak après celui de Bagdad. Que reste-t-il d’ailleurs de ce dernier ? De taille modeste, il présente de belles pièces historiques irakiennes. L’histoire remonte ici à la Mésopotamie dont les civilisations ont laissé de nombreux éléments de culture matérielle. Ces deux musées nous laissent une forte impression. Il s’agit maintenant d’aller au bazar dans l’espoir un peu fou d’y trouver une carte régionale, fût-elle écrite en caractères arabes. Je dis un peu fou parce qu’une telle découverte nécessite d’y trouver une place, en milieu de journée, cela va être rude mais nous nous lançons. Contrairement aux déplacements précédents, nous savons parfaitement par où passer, ayant pris la précaution de demander. Une rue traverse le bazar, le stationnement y est bien entendu interdit, aussi est-il limité à une file continue et dense qui enlève tout espoir d’y trouver un interstice. C’est dommage car nous y voyons plusieurs librairies et parce que les lieux sont vivants, la foule grouille. De plus, vu la vitesse à laquelle nous avançons dans cette longue rue, nous avons le temps d’en profiter. Au-delà, ce n’est plus le bazar bien qu’il continue à y avoir des magasins, mais en ce qui concerne le stationnement, ce n’est pas mieux. Ce n’est qu’environ deux kilomètres plus loin que cela s’arrange, trop loin, il faudrait avoir une demi-journée devant nous. Un regret, bien sûr, pas tant pour la carte – nous continuerons à demander – que pour l’activité qui règne. Pour l’instant, nous avançons toujours dans l’impossibilité de nous arrêter, et cela nous amène à un grand boulevard périphérique que nous empruntons dans la bonne direction, l’absence de nuage depuis ce matin facilitant l’orientation générale. Ce boulevard débouche sur une voie rapide très large, une dizaine de voies sans compter les voies latérales, très large et vraiment très rapide, trop rapide pour avoir le temps de se repérer. Nous y faisons plusieurs kilomètres et, plus nous avançons, plus nous avons l’impression de faire fausse route, encore une fois, merci au soleil. Impensable de s’arrêter, pas de piéton… il faut sortir et demander. « Helebje? », « Arbat? ». C’est bien ce que nous pensions, il nous faut trouver à tourner et repartir en sens inverse. À l’endroit où nous sommes arrivés sur cette voie, des panneaux indicateurs, qui ne sont hélas pas visibles pour qui arrive comme nous tout à l’heure, mais très bien maintenant. C’est bon. Encore deux kilomètres, contrôle de police, un grand poste couvert barre l’autoroute, comme à l’entrée. On nous fait mettre sur le côté. Passeports et on nous envoie aux bureaux, porte 3 pour les hommes, 4 pour les femmes. De mon côté, quelques mots d’anglais, un peu d’aide pour trouver les pages cherchées et c’est fini. De l’autre côté, aucune langue commune, les policières ne s’en sortent pas et finissent par abandonner le contrôle. En route.

À Arbat, la route principale, bien plus large, nous aspire mais j’ai un doute parce que je sais que nous aurions dû prendre à gauche. Aussi nous arrêtons-nous à la première station-service. Là, nouvelle surprise, puisqu’un homme plus âgé, le patron ou le gérant, nous demande en français où se trouve notre département, un numéro qu’il ne connaît pas ! Il a été 59, du Nord donc, pendant trente ans et est rentré au pays. La station est neuve, tout brille, nous bavardons un bon moment, il est heureux de son retour, ses enfants autour de lui et sa longue absence ne lui ont pas fait perdre le goût du pays. Pourtant, ici, le pays est moins joli, c’est une vaste plaine couverte de céréales bientôt prêtes pour la moisson, pas d’arbre, les montagnes sont lointaines mais c’est son pays. Quant à notre destination, Helebje, il nous embrouille un peu, disant qu’il y en a deux, un tout près pour lequel nous sommes sur la bonne route et un autre pour lequel nous devrions être à l’autre bout de la plaine, vers le pied des montagnes. Nous poursuivons jusqu’au village suivant, Zarayan, et, pour être plus précis, jusqu’au carrefour de cette route et d’une autre, bien droite, qui file au travers des blés vers la montagne, et demandons. Réponse sans ambiguïté, nous devons tourner. Une belle lumière inonde les blés jaunis et les montagnes ocre qui les dominent. De nouveau, c’est très joli. De fait, cette route rejoint la bonne route au pied de ces montagnes aussi dénudées que la plaine est riche, à l’entrée de Saraw. La route pour Helebje se révèle longue, la traversée des villages n’en finit pas, les demandes aux carrefours nous ralentissent et nous n’atteignons le but qu’en fin d’après-midi.

Le mémorial du génocide kurde est facile à trouver, à l’entrée dans la petite ville, un grand monument à l’architecture avant-gardiste et symbolique le coiffe. Le thème est un peu redondant par rapport au musée de ce matin. Tout aussi émouvant, il fait oublier les kilomètres parcourus. Nous demandons où se trouve le cimetière, un cimetière spécial pour les gazés du village, ce que l’on écrit pour nous en caractères arabes sur une feuille de papier de façon à pouvoir le montrer. C’est en haut du village et, pour l’atteindre, la traversée du bazar est incontournable, elle se fait à la vitesse d’un escargot. Ici encore, le stationnement, interdit, est limité à une file continue dans chaque sens et laisse la place pour le passage de deux voitures au milieu, deux voitures, mais pas partout pour un camping-car et une voiture. Nous avons tout le loisir de constater qu’il y a plusieurs librairies donc de nous dire que s’il se trouve une place quelque part… Eh oui, juste à la fin. Je file seul à la plus proche. Le maître des lieux est absent mais les voisins ont tôt fait de lui faire savoir qu’il a de la visite. La suite est moins simple car il ne comprend le mot carte ni en français-anglais-allemand ni en turc. J’en reviens au langage universel, celui des gestes pour expliquer le mot carte, un casse-tête. Je fais une sorte de contour et pointe à l’intérieur des points en disant des noms de villes kurdes. C’est bon, il a compris et sort des cartes. Elles ne conviennent pas parce qu’elles sont murales et couvrent tout l’Irak mais il m’indique un concurrent un peu plus loin. Là, les choses sont plus faciles, je n’ai en effet pas encore oublié le mot kurde pour dire carte ! Et il en a. L’une d’elles est très jolie avec ses écritures arabes et sa pochette. Elle arrive un peu tard, le dernier soir, mais le plaisir ne se mesure pas. Donc maintenant, nous n’avons plus qu’à trouver le cimetière. Nous allons jusqu’en haut de la ville, là où elle s’arrête, et demandons à des enfants qui jouent au ballon. Il faut redescendre un peu et tourner à droite avant le bazar. De ce côté, les rues rétrécissent au point de nous faire abandonner l’idée de poursuivre la recherche.

Il faut rebrousser chemin et chercher un emplacement pour dormir. La route n’est pas plus courte qu’à l’aller, pendant lequel nous n’avons pas vu grand-chose. Un arrêt pour rien dans une station-service en construction, le gérant n’est pas sur place, il fait des travaux avec une pelleteuse loin sur le terrain. Nous repassons Said Sadq, arrivons à Saraw et il devient déraisonnable de continuer, la nuit tombe. À la sortie du village, quelques petits hangars, comme des garages avec leur rideau de fer, et un magasin. Nous nous arrêtons et demandons au magasin. Nous pouvons nous mettre en long, sur le côté du magasin. À l’arrière, se trouve une maison d’habitation. Ce n’est pas bien beau, mais à la fin de la discussion, il fait déjà nuit, nous n’aurons pas le loisir de regarder le paysage. Un peu plus tard, je retourne au magasin, juste pour voir si nous pouvons acheter un ou deux des articles proposés, mais j’ai beau faire le tour deux fois, rien ne nous convient, ils n’ont que des denrées que nous ne consommons pas, des sucreries solides et liquides, des chips et autres nourritures salées à grignoter. Je ne prends rien. Le jeune qui tient le magasin n’a pas vingt ans et, alors que je m’apprête à sortir, arrive son frère, un peu plus âgé et enveloppé. Après les salutations, c’est au moment où il me demande pourquoi je ne suis pas musulman que je me dis que j’aurais dû moins traîner. Curieuse question. Quant à sa réponse, elle resterait à trouver si elle m’intéressait, et puis, une telle discussion dans deux anglais incertains, mieux vaut couper court.

Jeudi 15 mai (Panjshanbeh 25 Ordibehesht 1393) (پنجشنبه ۲۵ اردیبهشت ۱۳۹۳)

passage en Iran (photos)

Aujourd’hui, il faut faire vite, c’est jeudi et, à midi, le week-end commence de l’autre côté de la frontière. Le temps est superbe. Lorsque nous sommes prêts, nous ouvrons et constatons que nous sommes attendus. Plusieurs hommes sont là et l’un d’eux s’avance : nous sommes invités au petit déjeuner. Je fais signe que nous avons mangé et que nous sommes rassasiés, il repart. C’était notre voisin d’une nuit, celui de la maison proche où des enfants jouaient hier soir. Nous partons, le soleil est resplendissant, le ciel parfaitement bleu. Nous prendrions bien un peu de gazole avant la frontière histoire de ne pas avoir à courir ensuite à la recherche d’argent puis du précieux liquide, et bien qu’il soit réputé moins cher là-bas. Nous partons donc en sens inverse, vers la station-service près du carrefour par lequel nous sommes arrivés hier, pas de gazole ! Retour parce que nous avons dépassé la route de Penjwin. Nous traversons la ville de Said Sadq pour la troisième fois sans trouver un vrai carrefour, c’est-à-dire autre que des rues qui débouchent, la plupart dans la partie bazar. Il faut demander, une fois encore. Effectivement, nous sommes allés trop loin, c’est sur la droite vers le milieu du bazar, là où se trouve le maximum d’activité et de trafic, heureusement encore réduits à cette heure matinale. Pas la moindre indication et nous sommes enfin sur la bonne route.

De ce côté, l’agglomération s’effiloche sans fin en une multitude de petits garages pour gros camions, aisément identifiables à la couleur noire des établissements, du sol et des alentours, restes d’échappements et d’huiles qui enduisent tout ce qu’ils touchent. Les lieux sont partagés avec d’autres établissements devant lesquels s’alignent des bidons métalliques qui seraient la face visible d’un trafic de gazole avec les voisins que je n’en serais pas surpris : il est presque dix fois moins cher à quelques kilomètres et cela expliquerait la pénurie dans toutes les stations-service du trajet. Nous verrons, nous en avons assez pour atteindre la frontière et aller au moins jusqu’à la première ville. Pour l’heure, nous retrouvons de très beaux paysages sauvages aux arbres dispersés. Les montagnes sur lesquelles ils s’étagent sont tout aussi variées, c’est très beau. La route est excellente et, pour un paysage aussi sauvage et un habitat aussi réduit, le trafic est soutenu. À ce propos, nous avons la chance d’assister à un dépassement sans visibilité avec un camion en sens inverse : la route monte – nous devons passer assez haut parce que les pentes sont fortes et longues – un camion devant, presqu’en haut, à un endroit où la route tourne un peu à droite, ce qui réduit encore la visibilité, une voiture arrive derrière à vive allure et double, sans la moindre visibilité, mais l’usage veut que l’on dépasse, un camion d’un gabarit dissuasif arrive en face, aucun des trois véhicules ne ralentit, celui qui avait entrepris le dépassement prend le bas-côté gauche et ressort derrière le camion qui arrivait. L’événement, sans doute tout à fait banal, n’a pris que quelques secondes et tout est rentré dans l’ordre ! Il doit bien se présenter des cas plus délicats et des accidents doivent bien se produire bien que nous n’en ayons pas vu. Par exemple ici, que se serait-il passé si deux ou trois camions s’étaient suivis en face ? À part ces anecdotes automobiles, rien ne serait à signaler, nous ménageons notre temps entre l’admiration des paysages qui défilent et l’avancée indispensable pour une arrivée pas trop tardive, avant midi, au poste frontière iranien, d’autant plus qu’il est une heure et demie de plus de l’autre côté. À force de monter, chacun sait qu’on finit par arriver en haut. Ici, le haut est un plateau dont les arbres ont disparu. Peu après apparaît le village de Penjwin. La route se sépare en deux, un contournement pour les camions et une deux fois deux voies fleuries pour les autres en direction du village, un tout petit village où se sont regroupés les arbres absents avant. Le village est structuré comme les autres, les maisons s’alignent le long de la rue principale et des quelques rues secondaires que nous apercevons, le bazar est à la proportion de la taille. La traversée est donc rapide, nous nous retrouvons à l’autre bout et, là, plus de trace de route de sortie. Nous demandons « Iran? », nous avons raté la bonne rue. Ce village n’est manifestement pas tourné vers le pays voisin, la sortie dans cette direction est en effet une petite rue.

Plus loin, nous ne tardons pas à retrouver la voie des poids lourds, un vaste champ dans lequel stationnent, dans un ordre que nous ne parvenons pas à décrypter, une multitude de camions entre lesquels ont été bâties, à la hâte semble-t-il, bon nombre de toutes petites échoppes de restauration ou de ventes variées. Nous allons vers l’une de celles qui sont à demi masquées par de gros bidons comme ceux que nous avons vus en bas, sans arriver à savoir si c’est bien du gazole qu’on vend. Dans une autre, nous faisons fondre un peu notre pécule en dinars sans l’épuiser en achetant des bouteilles d’eau et des bricoles qui serviront toujours, tant pis, il faut aller à la frontière. La route, si bonne ailleurs, a vu passer trop de camions chargés pour conserver intact son revêtement, des trous se sont formés. Elle serpente maintenant entre des petites collines boisées. Nous pensions être parvenus au bout à Penjwin, mais il restait plusieurs kilomètres.

Sur place, les Irakiens nous font garer et nous demandent de nous rendre dans un grand bâtiment en arrière pour le visa de sortie, un simple coup de tampon apposé dans les passeports. Aucun document concernant le camping-car, alors que cela avait pris deux heures pour entrer. Nous pouvons avancer, c’est-à-dire passer les barrières, hautes et imposantes, et entrer en Iran. Le passage de la frontière est marqué par deux grands portraits, placés de part et d’autre, dont celui d’un imam célèbre. Alors que l’on roule à droite dans les deux pays, le passage se fait sur la gauche, si le trafic était dense, ce serait une belle pagaille. Tout le poste iranien est d’ailleurs organisé en fonction de cette disposition qui fait perdre des repères usuels. Où s’arrêter ? À droite ou à gauche du bâtiment ? Ce sera à droite où un espace ressemble à un petit parking entre deux voitures alors que des autocars et des voitures sont sur la gauche. La question est ensuite de savoir où aller et que faire. Heureusement, ici aussi, se trouve quelqu’un qui sait ou qui aide ou qui a l’autorité. C’est un homme sans uniforme qui a déjà une liasse de documents en main et est apparemment en train de s’occuper d’un des autocars. Le problème est que, passées les salutations, on nous signifie que nous ne pouvons pas passer en Iran. Je lui montre les visas, ils sont corrects et valides, le carnet de passage en douane pour l’Iran, qui est tout aussi correct et valide. Rien n’y fait, nous ne pouvons pas passer en Iran par ce poste. Je lui dis que j’avais longuement téléphoné à l’Automobile Club de la République Islamique d’Iran à Téhéran pour lequel il ne faisait aucun doute que des Français, avec des documents en règle, voyageant dans un véhicule immatriculé en France et possédant un carnet de passage en douane à jour, pouvaient entrer en Iran par ce poste frontière. Il maintient que nous ne pouvons passer ici et que nous devons rebrousser chemin pour aller à un passage à partir de la Turquie. C’est mal parti ! Retourner en Turquie pour aller en Iran obligerait à refaire en sens inverse le trajet en Irak, à nous rendre dans la région de Van puis à la frontière. Sans carte, j’estime la distance à au moins 800 kilomètres sans compter qu’ensuite cela nous ferait arriver beaucoup plus au nord en Iran et rajouterait une belle distance au parcours iranien vers le sud. De plus, nos visas expirent le 29 mai et, au cas où ils ne seraient pas renouvelés sur place, on ne sait jamais, le temps passé en Iran deviendrait si réduit qu’il n’en vaudrait peut-être pas la peine. Bref, nous sommes ici, venus par ici parce que c’est la voie la plus rapide pour y parvenir, et sommes décidés à insister un peu. Un peu plus tard, nous sommes conviés à entrer dans le poste et conduits au bureau de ce responsable. S’y trouvent déjà deux employés dont l’un en uniforme. Réception tout à fait chaleureuse au cours de laquelle nous développons tous les arguments ci-dessus. On nous répond de ne pas nous inquiéter, que cela va s’arranger… On cherche une chaîne de télévision susceptible de nous intéresser, ou que nous puissions comprendre, ce sont des informations bosniennes en bosnien pour le moins inattendues ici. Nous restons là, confortablement installés sur un canapé en face des bureaux et du poste de télévision tandis que les uns et les autres vaquent à des occupations hermétiques. À un moment, l’homme le plus âgé revient avec une pleine boîte de petits gâteaux iraniens bien crémeux et nous invite à nous servir. Le temps passe, le thé arrive. Nos papiers sont examinés avec soin et on nous informe que tout est en règle, ce dont nous ne doutions pas. Par contre, rien de nouveau ne vient quant à notre entrée en Iran, pour laquelle eux et nous restons sur les mêmes positions. Plus tard, c’est au tour d’un policier de venir pour nous rappeler de respecter certaines règles de la République Islamique et, quand je dis nous, ce n’est pas pour moi, il s’agit des règles vestimentaires féminines ce que nous avions anticipé par quelques achats à Istanbul. Dès à présent, pas de pantalon court, pas d’épaule dénudée et un foulard couvrant au moins les deux tiers des cheveux et le cou. Nous savions tout cela, mais le foulard manquant a peut-être amené à cette intervention. Nous le rassurons, nous sommes sortis un peu vite de la voiture et irons en chercher un dès que possible. Si les activités des personnes restent incompréhensibles, elles ne les empêchent pas, si elles ne les contraignent pas, à passer beaucoup de temps sur leur téléphone portable. Plus tard, le jeune policier en uniforme du bureau est remplacé par une jeune policière très souriante, ce qui ne change hélas rien à notre situation. Au cours de l’un de nos déplacements au camping-car, nous revenons avec le fameux foulard obligatoire. Compliments et félicitations de la policière. Tout semble figé bien que, périodiquement, il vienne quelqu’un disant de ne pas nous inquiéter. Les va-et-vient sont incessants, nous restons bien calés dans notre fauteuil, les émissions de télévision se succèdent au rythme des passages, chacun y allant de son choix, c’est maintenant le tour de combats à l’issue desquels un Iranien bat un Azéri, à la grande satisfaction du bureau où cela a attiré du monde. Peu parlent anglais ou pensent pouvoir parler, dire quelques mots en anglais, si bien que nous sommes un peu seuls même lors de présences. Que faire ? Ils cherchent en permanence à nous rassurer, disant qu’on trouvera une solution. Espérons-le, ne dit-on pas qu’en Iran, il n’y a pas de problème qui n’ait de solution ? Rien ne permet d’en entrevoir jusqu’à ce qu’un homme nous demande de le suivre pour aller voir un chef. C’est de l’autre côté de la route, dans un autre grand bâtiment. Heureusement que nous sommes accompagnés, nous n’aurions jamais trouvé seuls. Ce n’est pas à l’un des nombreux guichets clairement identifiés pour qui lit le persan, un chef n’est pas à un guichet, non, il a un bureau. Comme en Irak, les armes en moins, un bureau contient un bureau ainsi qu’un salon, en moins luxueux toutefois, et, comme en Irak, un tas de personnes sont là, à des occupations mystérieuses, soit avec le chef, soit à deux ou trois, soit au téléphone. Comme ailleurs, notre rôle consiste à saluer et à attendre puisque nous ne comprenons rien. En ressortant, pas de commentaire des accompagnateurs, ils sont en effet plusieurs ici, des renforts trouvés sur place, nous passons dans le bureau suivant, un chef de chef ? Ici, on ne nous propose pas de nous asseoir et, d’ailleurs, cela ne dure pas. Le chef sort avec notre groupe et vient nous expliquer à l’extérieur que l’Iran a des lois et que chacun doit les appliquer, ce qui signifie que nous ne pouvons pas entrer dans le pays et qu’eux ne peuvent nous laisser passer. Un peu de lassitude – cela fait bientôt trois heures que nous sommes ici et cela n’avance pas. Une fois le chef parti, tous cherchent à nous rassurer, cela va s’arranger, le leitmotiv. On nous propose du thé, des petits gâteaux, c’est non, nous n’en avons pas le goût et faisons un geste sur l’estomac en disant « problème ». Un des nouveaux accompagnateurs est venu et nous assure qu’on trouvera une solution. En attendant, rien ne permet de dire que cette solution n’est pas le retour en Irak. Bien sûr, plusieurs semblent s’occuper de notre cas, le nombre d’appels téléphoniques passés est impressionnant, mais s’agit-il de nous, d’autres affaires, de conversations avec des proches, avec des collègues ? Il est certain que tous ne sont pas liés à notre cas, même s’il s’en trouve, il n’est que de voir les expressions de visage, d’entendre le ton de la voix pour se rendre compte que les interlocuteurs sont variés. Ici comme ailleurs, le portable est devenu une prothèse indispensable qui doit servir comme le reste du corps et elle sert, à tout. Le seul point positif à notre égard est le fait de ne pas avoir été mis dehors avec retour en Irak, c’est maigre mais c’est une lueur d’espoir à laquelle nous nous accrochons. Voilà bientôt quatre heures que nous sommes là lorsque, tout à coup, on nous annonce que l’accord a été trouvé et qu’il vient de Téhéran. Dès lors, tout va vite, ils doivent en avoir assez, le week-end a commencé. Le carnet de passage en douane sert enfin à quelque chose, tout son contenu est consigné dans l’ordinateur, on nous demande juste la signification des mots en français de sa description. C’est aussi à ce moment qu’intervient un autre employé sans uniforme et à l’anglais si réduit qu’il abandonne. Lorsque c’en est fini avec le carnet, ils passent à nos visas pour lesquels les démarches d’entrée font courir d’un bureau à un autre pour qu’au final les passeports reçoivent les coups de tampon indispensables à la poursuite du voyage. Tiens, voilà que réapparaît l’employé de tout à l’heure. Sans chercher à parler anglais, il m’entraîne dans un bureau vide et me tend une petite feuille de papier qu’il a préparée et sur laquelle il a écrit quatre questions dans un français compréhensible bien qu’approximatif, tout droit sorties d’une fonction de traduction de son portable. Je réponds. Il cherche à savoir si nous avons des contacts en Iran, où nous irons… bref, c’est pour le service des renseignements. Il me remercie et c’est bon. Et voilà, tout est bien qui finit bien, nous avons tous les documents. Nous remercions chaleureusement ceux qui ont participé et qui sont encore là, il ne reste plus qu’une démarche, la douane. La visite du camping-car est expédiée. Nous nous retrouvons enfin seuls, non qu’ils aient été ennuyeux, au contraire, mais ils étaient les instruments des difficultés qui entravaient le déroulement que nous avions souhaité. En sortant du bâtiment, nous avons la surprise de voir arriver d’Irak une délégation iranienne d’accompagnement d’un dignitaire religieux ou politique, sans doute les deux, à laquelle tous les employés et officiels des bureaux viennent se joindre. Le personnage est descendu de voiture et le cortège entre dans le bâtiment que nous venons de quitter, sans doute juste pour le traverser parce que cela ne dure guère. Et si nous devions le dénouement de notre entrée à l’arrivée de ce dignitaire ? Nous aurions pu être gênants. Tous devaient être pressés d’en finir avec nous et de se libérer pour participer à l’accueil. Nous n’en saurons jamais rien, mais nous voyons dans le cortège bon nombre de ceux qui sont intervenus auprès de nous pendant ces quatre heures. Nous attendons que tout soit fini pour partir et en profitons pour échanger nos derniers dinars contre des rials. D’ailleurs, par où partir ? À droite ou à gauche du bâtiment ? Vu que la logique de la circulation a été inversée, la question se pose. Essai à droite, eh bien non, c’est tout à gauche.

Dès avant la sortie du poste, la route n’est plus que fondrières. Contrôle des passeports à la sortie et nous sommes en Iran pour de bon. La route entre immédiatement dans une espèce de village qui doit sans doute son existence à la frontière, qui est entièrement dédié au commerce d’articles de route, de restauration et de mécanique et dont la laideur poussiéreuse est indicible. La circulation, heureusement séparée en son milieu, est à l’image de la chaussée, chaotique. Par chance, le village n’est pas long. Sur une bonne distance, des sortes de parkings improvisés, tous abondamment décorés d’une multitude multicolore d’ordures variées, le prolongent hélas. Autour, ce sont des forêts qui, sans cela, seraient agréables. Ajouté quatre heures et demie de démarche, le décalage horaire entre les deux pays nous amène à six heures et demie de plus qu’en entrant. Nous aimerions nous arrêter, mais pas dans un paysage de décharges improvisées, aussi avançons-nous. La forêt laisse place à l’agriculture, de petits champs bien organisés et propres bordent bientôt la route de part et d’autre jusqu’aux reliefs qui se sont éloignés. C’est ainsi que nous finissons par arriver aux bords du lac de Marivān, un lieu de loisirs et de sorties fort prisé dans la région si l’on en croit les guides. Le week-end a beau être commencé, les sorties n’ont pas débuté, elles. Par ici, la rive du lac est plutôt marécageuse et couverte de hauts roseaux liserant le lac en vert. Nous réussissons enfin à nous arrêter pour souffler, la pureté du ciel rend la vue encore plus belle. Nous devons ensuite avancer un peu, ne serait-ce que pour atteindre la ville, y changer un peu d’argent et faire le plein.

Les abords de Marivān sont quelconques. Au centre, des arbres le long des avenues leur donnent de l’allure. Trouver une place ne pose pas de problème, il semble que les règles de stationnement soient assez lâches. Je me gare en marge du premier rond-point du centre, un stationnement pas vraiment parallèle au bord mais qui satisfait tout à fait le marchand de légumes installé là, moitié dans la rue, moitié sur le trottoir. La question est ensuite de trouver une banque. Interrogé, un chauffeur de taxi propose immédiatement de nous prendre en charge. Nous faisons bien de refuser parce que les quelques centaines de mètres parcourus dans l’artère principale montrent que le week-end a réellement commencé, nous sommes jeudi en milieu d’après-midi, et que nous ne trouverons pas de guichet ouvert si toutefois nous en trouvons. Au retour au rond-point, nous sommes abordés par des hommes qui proposent du change au noir, exactement ce qu’il faut pour pouvoir nous lancer dans des achats. Je marchande un peu le taux qui paraît pourtant correct, il est amélioré. Nous ne changeons cependant pas une somme importante pour voir si ailleurs ce taux ne serait pas encore plus intéressant. Les achats sont modestes, un kilogramme de tomates et la même quantité de concombres reviennent à trente-quatre mille rials, bien moins d’un euro. Ici, tout achat nécessite de grandes sommes de rials. Depuis le change de tout à l’heure, je marche avec plus de deux millions en poche ! Tous cherchent à savoir d’où nous venons. Sur un échantillon encore réduit et, espérons-le peu représentatif, les langues étrangères usuelles pour nous semblent peu pratiquées, ce qui ne facilite pas les échanges.

Retour au camping-car et départ en direction de Sanandaj à la recherche de gazole puis d’un parking pour la nuit. En ce qui concerne le gazole, internet regorge d’informations pas toutes concordantes. La première est l’obligation de posséder une carte sans laquelle un achat est impossible, la deuxième, que cette carte est délivrée à la frontière lorsque les autorités demandent si l’on roule au gazole, la troisième, qu’il faut répondre à l’essence même si c’est au gazole parce qu’en prenant la carte à la frontière, le coût du litre est bien trop élevé, on parle de soixante centimes d’euro alors que sans carte dans une station, le pompiste ou un chauffeur prête la sienne et que le prix tombe à six centimes d’euro le litre, la quatrième que les postes distribuant du gazole sont situés hors des villes, la cinquième qu’ils sont finalement assez peu nombreux et parfois en rupture de stock, la sixième qu’il faut en prendre lorsqu’on en trouve et ne pas attendre d’en avoir besoin, etc. Il y a certainement du vrai dans tout cela, nous verrons. Ces informations prouvent qu’il convient d’y faire attention. Pour nous, aucune question à la frontière, nous n’avons donc pas de carte. Je m’arrête à une station. Elle est spécialisée en essence et GPL. On propose toutefois du gazole tiré d’un bidon, le prix n’est pas clair alors ne parlons pas de l’origine du contenu, nous poursuivons. Sur cette route, il se confirme que les stations ne sont pas fréquentes et celles pour le gazole encore moins, nous commençons à faire la différence sans en avoir vu une seule du second type. Aux premières, que des voitures, parfois une file, pas un véhicule de plus fort gabarit, il aurait du mal à y entrer. Pour les secondes, il va falloir trouver une file de camions ou au moins des camions ou des espaces assez larges pour leurs manœuvres. Nous finissons par en repérer une, quelques camions en attente. Nous prenons place à la suite avant de nous rendre compte que l’ordre de passage est une fonction compliquée de l’ordre de la ou des files. Les véhicules moins volumineux, les camionnettes, se faufilent dans les interstices laissés libres entre les camions et viennent se mettre à une pompe face à un camion en train de faire le plein. Cette organisation permet de faire le plein de plusieurs camionnettes pendant qu’un camion prend les centaines de litres qu’il lui faut. C’est astucieux, mais quelle pagaille ! De plus, les camionnettes ressortent en marche arrière et les camions en marche avant. Nous y parvenons. Notre immatriculation et notre véhicule exotiques suscitent bien des questions, dont nous ne cernons que celle de notre origine. Je fais signe que je n’ai pas de carte, c’est effectivement indispensable, on en trouve une, celle du pompiste et il suffit de dire « full » pour lancer le remplissage. Le débit, bien adapté aux immenses réservoirs des camions, est tel que le plein arrive très vite et il s’ensuit une grosse giclée de retour sur le bras du pompiste, que cela n’émeut guère. Paiement, c’est le double de ce qui est affiché, je ne bronche pas, la responsable doit être l’absence de carte et puis, avouons-le, le double de six centimes ne fait que douze centimes le litre, moins de dix fois moins que chez nous ! Marche arrière délicate pour ressortir et reprendre la route.

Recherche suivante : un emplacement pour la nuit. Ce ne sera pas cette station-service exiguë aux relents de gazole et aux bruits de manœuvres. Suivant des petites vallées ou oscillant entre des petites collines, la route est plaisante. En descendant la rue principale de Sarvābād, nous trouvons une place près d’une maison sur le large trottoir non asphalté qui la borde. Nous y prenons place et je vais voir un des trois hommes qui travaillent sur l’arrière. Mon explication-demande est parfaitement claire puisqu’ils sont d’accord et nous proposent de nous serrer plus contre la maison. Nous restons à l’intérieur pendant longtemps. Cette ville n’est pas bien active, peu de mouvements, quelques enfants qui jouent. Même la contre-allée, un peu plus bas, est déserte, des magasins sont fermés. Les constructions alentour ne sont pas jolies, des empilements de briques sur des structures métalliques, et beaucoup sont inachevées. Peu de caractère. Avant le coucher du soleil, nous décidons d’aller faire un tour, pour voir. La contre-allée, du côté des habitations, est bordée de petits magasins, tous fermés à l’exception de deux petites épiceries. Au bout de cette contre-allée, nous traversons la rue, une deux fois deux voies bordée d’arbres, parce que l’autre côté est plus vivant, bien qu’il n’y ait aucune habitation, sauf en bas où se trouvent plusieurs magasins, un coiffeur et des passants certes peu nombreux, mais qui bavardent tranquillement. Chercher à passer inaperçus serait vain. Nous venons, regardons et observons tout. La question qui démange toutes les têtes ne tarde pas et chacun sait alors que nous sommes Français et bien plus parce qu’à pied, nous nous intéressons à ce qui est vendu et à ce qui se fait, on prend son temps de part et d’autre, faisant ainsi revenir des connaissances en anglais d’ordinaire peu utiles. Il n’y avait pas grand monde, mais en ajoutant toutes les personnes présentes, les gérants de magasin qui ont rapidement laissé leur boutique, un cercle se forme. On ne tarde pas non plus à nous inviter pour le dîner et l’un d’eux, professeur, va plus loin en nous proposant un hébergement et le couvert. Nous déclinons toutes offres de bienvenue et continuons à échanger en achetant d’autres légumes tout en photographiant sous tous les angles. C’est très sympathique, pas du tout intrusif, bien respectueux et cela ne nous empêche pas de continuer sur le trottoir. Ceux qui n’avaient pas encore repéré le camping-car l’ont fait, certains sont même allés voir à moto. Au retour, nous visitons l’une des épiceries, par curiosité. Certaines denrées nous sont évidemment inconnues et ce ne sont ni les jolies écritures ni les explications du vendeur qui viendront nous éclairer. Nous prenons un pot de 500 g de yaourt au hasard. Retour au camping-car, à force de traîner et de « bavarder », le temps a passé et le soleil se couche. Nous y retrouvons un jeune couple à moto rencontré en bas. C’est à leur tour de nous inviter ce que nous n’acceptons pas non plus. Nous terminons lentement l’entretien – ils parlent un peu plus l’anglais que les autres – par un trajet sur la carte d’Iran et par des photos devant le camping-car. La jeune femme a évidemment un foulard sur la tête mais, pour le reste, elle porte une tenue colorée qui ne déparerait pas dans une de nos villes. Nous n’avons pas vu beaucoup de l’Iran au cours de cette première journée, longue journée, mais les tenues féminines vues sont plus dans cette gamme que dans celle des tchadors et autres hijabs. Il est vrai que nous sommes en pays kurde et que les Kurdes ont la réputation d’être assez ouverts dans ce domaine. Le passage du Kurdistan irakien largement ouvert sur le monde occidental à l’Iran est perceptible mais ne constitue pas une fracture de ce point de vue.

Vendredi 16 mai (Jomeh 26 Ordibehesht 1393) (جمعه ۲۶ اردیبهشت ۱۳۹۳)

des démarches (photos)

Ce vendredi va être notre second dimanche cette semaine. Nous avons bien fait de déplacer le camping-car hier en fin d’après-midi comme l’avait suggéré notre interlocuteur, un gros camion est en effet arrivé ce matin très tôt pour une livraison, nous l’aurions gêné dans ses manœuvres et aurions sans doute dû le faire à une heure où nous n’en aurions pas eu envie. Il fait très beau, pas une tache nuageuse sur le fond bleu du ciel, pas un voile de brume sur le fond de relief. À part le camion ce matin, et encore cela a-t-il été rapide et assez silencieux, peu de mouvements, pratiquement pas de voitures. C’est donc assez tranquillement que nous prenons la route. Elle poursuit sa descente de la vallée abordée hier, une vallée encaissée, toute verte, en partie boisée, les noyers y sont nombreux. Une rivière à l’eau claire coule en contrebas. Renforcés par un bel éclairage, les paysages sont beaux. Coincés dans un détour de la vallée ou installés sur un flanc de montagne, les villages sont peu fréquents. Peu dense, la circulation est réduite à quelques voitures qui nous dépassent, les camions, rares, sont assez lents pour être doublés facilement. Nous faisons petit à petit connaissance avec la signalisation iranienne. Les panneaux indicateurs ou prescriptifs sont écrits en caractères arabes et en caractère latins, les autres sont exclusivement en persan. C’est ainsi que nous découvrons que la vitesse est limitée à 75 km/h (۷۵) la nuit (بش) et 85 (۸۵) le jour (زور), bien soulagés que ce soit aussi écrit en chiffres arabes, les nôtres, et en anglais, bien qu’aucun automobiliste ne semble s’en soucier. Comme prévu sur la carte, nous arrivons à un carrefour. Nous y prenons le temps nécessaire à la lecture des panneaux, à la comparaison des noms avec ceux de la carte, et à réfléchir puis bifurquons vers l’est pour commencer à remonter une autre vallée où les arbres se raréfient petit à petit. Le haut des montagnes se dénude et vire à l’ocre clair, le paysage colle au relief. L’agriculture est peu développée, les champs sont petits et parfois pentus, tentant de s’accrocher au bas des reliefs. Si les céréales sont encore vertes, la fenaison a débuté, laissant sur place de petits tas de foin frais. Aujourd’hui, personne ne travaille dans les champs ou il est encore trop tôt pour cela. Ce que l’on en voit laisse penser qu’une part importante, sinon la totalité, est travaillée à la main. Plus loin, sur le haut, la végétation est réduite et la vallée prend fin. La route, bonne dans son ensemble, présente des irrégularités pas assez nombreuses pour être gênantes. Elle recommence à descendre, nous devons approcher de Sanandaj. Nouveau carrefour, long arrêt, toutes les voitures partent à droite alors que la route principale continue tout droit et que la ville n’est pas marquée à droite.

Nous finissons par nous décider à continuer tout droit. À la réflexion, l’arrivée en ville devait être plus rapide à droite puisque nous tombons, quelques kilomètres plus loin, sur une route, au gabarit d’une autoroute et au terre-plein planté d’arbres, que nous devons prendre à droite. Peu importe, l’essentiel est d’y arriver. Les premiers bâtiments visibles sont des immeubles de taille moyenne de belle facture. La ville neuve part à l’assaut de la pente. On peine à imaginer que la ville abrite plusieurs centaines de milliers de personnes et qu’elle est la capitale du Kordestān. C’est donc plus bas que nous irons chercher son centre plus ancien. Nouvel arrêt pour essayer de savoir par quel côté nous entrons en ville sur le plan simplifié du centre que donne le guide. Aucun indice ne permet de conclure, nous nous lançons. Les rues du cœur de la ville sont à sens unique. En ce jour de congé, l’activité du bazar est assez réduite pour que la circulation en camping-car ne soit pas un problème. Nous avançons, à l’affût de tout indice qui permettrait de savoir où nous sommes et de faire le lien avec le plan. Au bout de la rue, impossible de continuer tout droit, il faut décider de prendre à droite ou à gauche sur-le-champ, sans indication. C’est à gauche, sans plus de raison que si nous avions choisi d’aller de l’autre côté. Quelques magasins sont ouverts. Nous avons besoin de pain et nous en voyons. Qu’à cela ne tienne, nous nous arrêtons et allons voir. Ce n’est pas une boulangerie mais une sorte de tout petit magasin général. Une jeune femme y vend aussi du pain. Elle en a de trois variétés différentes et nous sommes assez curieux pour essayer les trois. Tous les pains sont emballés dans des sacs plastiques. Les premiers, en sacs de trois, sont des petits pains qui ressemblent à des petits pains au lait qu’on trouverait en France, les deuxièmes, en sacs de trois aussi, des sortes de galettes dures et peu épaisses d’une quinzaine de centimètres de diamètre et les troisièmes, des sortes de crêpes très fines, repliées sur elles-mêmes en rectangle, si fines qu’il n’est pas possible de savoir combien elles sont. Tout ceci pour 40 000 rials (un peu moins d’un euro). La vendeuse semble ravie d’avoir servi des étrangers. Nous lui demandons où se trouve la mosquée, au lieu de tourner à gauche, nous aurions dû prendre à droite ! Quelques curieux sont venus voir, pas dans le magasin, il est trop petit, non, à l’extérieur.

Nous repartons. En bas, à gauche, plus loin, encore à gauche puis encore une fois à gauche et nous nous retrouvons dans cette rue où il faudra prendre à droite. C’est parfait, nous passons presque immédiatement devant le musée que nous souhaitons visiter puis devant la mosquée. Il ne reste plus qu’à trouver une place. 100 m plus loin, sous de grands arbres. La mosquée est petite mais très belle. Les dômes sont soutenus par des colonnes qui émergent des beaux tapis étalés sur le sol de la salle de prière. La cour intérieure est un petit jardin dominé par les deux minarets et les murs couverts de faïences, un ensemble agréable. Nous ne nous y attardons cependant pas trop dans la mesure où nous souhaitons aussi visiter le musée voisin et où on commence à venir à la mosquée pour une prière. Le musée est installé dans la maison Asef, une belle demeure restaurée dont le jardin de la cour intérieure est plus grand que celui de la mosquée. Il y a foule, que se passe-t-il ? Des haut-parleurs sont empilés, quelques hommes en costume kurde bavardent ensemble… visiblement, il va se passer quelque chose, mais quoi ? Un fait est certain, le musée ne va pas fermer à midi, donc pas d’urgence et, pour savoir ce qui se trame et que nous ne pouvons demander, il suffit d’attendre. Malgré ou à cause de l’altitude – nous sommes à 1 500 m – le soleil est vif et l’ombre attire. Le musée, momentanément fermé, rouvrira plus tard, nous avons le temps de faire le tour du jardin, de profiter du bassin et de l’ombre des arbres plusieurs fois avant que l’on commence à se rassembler non loin des haut-parleurs. À peu d’exceptions près, les femmes sont en habits de couleurs vives, un foulard sur les cheveux comme il se doit. Le nombre d’appareils photo de tous types est à peine inférieur à celui des spectateurs à tel point qu’il n’est pas facile de les éviter au cadrage ! Deux jeunes Kurdes en costume ont commencé un récital de musique avec une sorte de flûte nasillarde et une de tambour, nous ne connaissons aucun des deux instruments. La foule est à la fois attentive et prise dans un délire d’immortalisation du spectacle. Il faut bien reconnaître aussi que les deux étrangers que nous sommes sont une cible peu commune, nous ne comptons pas le nombre de fois où nous sommes pris en photo. On nous demande de poser avec la famille, on nous vise en biais… Après le récital, une pause qui dure. Quelqu’un nous fait comprendre que le musée rouvrira à la fin des festivités. Un peu plus tard, c’est au tour d’un groupe de huit jeunes hommes en costume d’entrer en scène. En une rangée serrée, ils dansent au rythme de la musique, rythme suivi par les foulards tenus aux deux extrémités. De nouveau, le champ visuel est gêné par la quantité d’appareils photo tenus en avant pour filmer. Les danseurs et les musiciens rejoignent ensuite leur famille et la foule s’éparpille dans le jardin et la maison de thé. Le musée ouvre. À caractère ethnographique kurde, dans ses différentes salles, les objets sont présentés au travers de reconstitutions de scène de vie ou de travail : chasse, tissage, école… Une partie de la foule, heureusement pas trop importante, a profité de l’ouverture pour faire la visite. Ici aussi, on nous demande de poser pour des photos et cela continue lors de notre visite de la maison de thé ! Nous avons finalement passé un bon moment dans cette maison. Ayant l’intention de continuer vers le sud, nous retournons au camping-car. Surprise en repassant devant la mosquée : un militaire en arme fait les cent pas et un autre a pris place sur le toit au-dessus de la rue. Pourquoi ? Sans goût particulier pour les situations à risque ni pour les armes, nous passons. Un magasin de matériel technique a ouvert à côté du camping-car, nous demandons comment sortir de la ville. Réponse sans ambiguïté, le demi-tour s’impose, nous allons le faire un peu plus haut dès que nous trouvons un espace suffisant pour cela. Par contre, nous évitons de repasser devant la mosquée.

Aucune difficulté, une large vallée mène la route vers le sud. Des champs et des arbres en occupent le fond. Un peu partout, on pique-nique. De-ci de-là de petits abris en branchage ont été installés par des marchands de fraises. Des points d’eau courante, sans doute directement captée dans la montagne au-dessus, forment des jets au débit abondant et continu. Après avoir demandé, par gestes bien sûr, si elle est potable, nous faisons le plein du camping-car à l’un d’eux, un arrêt suffisant pour être invités par une famille qui pique-nique en contrebas à l’ombre. Nous déclinons l’invitation et repartons. La question, maintenant, est de savoir comment nous rendre à Hawrāmān, un village absent de notre carte et dont l’accès est mal indiqué dans le guide. Nous savons juste que la route part sur la droite en direction du nord-ouest, c’est si maigre que cela nous amène à demander plusieurs fois de suite. Il semble que nous devions aller jusqu’à Kermanshāh, mais juste avant, en ville ou juste après ? À force de demander, nous partons sur une route qu’on nous confirme comme étant la bonne. Au bout d’une quinzaine de kilomètres, nous nous rendons compte que cette visite nous obligerait à faire un aller-retour bien long, trop long, nous renonçons d’autant plus facilement que la journée commence à avancer et que nous aimerions aller jusqu’à Bisotun, y passer la nuit et faire la visite demain matin. Au retour sur la route principale, Bisotun n’est plus qu’à une cinquantaine de kilomètres. Après avoir suivi une large vallée riante, la route contourne le centre de Kermanshāh et, au loin, commence à apparaître la falaise qui domine le site. Il faut dépasser le carrefour de la route de Khorramābād pour s’y rendre, nous devrons donc rebrousser chemin demain matin pour y revenir. Près de là, un grand terrain libre et une vaste station-service nous tendent les bras pour l’arrêt. Au lieu de rester sur le terrain, nous allons à l’écart dans la station, un emplacement face à un mur exposé en plein soleil, il ne fait pas froid ! Les pompistes veulent un petit pourboire que je marchande, nous verrons demain matin. À l’écart de la circulation et des mouvements de la station, mise à part la température, nous allons être bien.

Samedi 17 mai (Shanbeh 27 Ordibehesht 1393) (شنبه ۲۷ اردیبهشت ۱۳۹۳)

route vers le sud (photos)

Comme il faisait très chaud hier soir, nous décidons de commencer la journée tôt pour profiter de la fraîcheur relative des premières heures de la journée. Malgré cela, un pompiste, tout emmailloté dans plusieurs vestes, il a dû passer la nuit à la pompe, attend déjà et réclame le pourboire. Il a beau être assez dérisoire pour nous, cela doit représenter une somme pour lui et pour les deux autres présents hier soir et avec lesquels il va devoir le partager. Nous avançons jusqu’à l’entrée du site. Des deux côtés de la route, de grands champs de céréales encore verts. Sur la gauche, en retrait, la falaise, monstre vertical réputé pour attirer les alpinistes, et, peu avant d’arriver, une jolie vue sur un grand caravansérail. À l’entrée du parc, un vaste parking, un parc, des tables, des arbres, des toilettes, bref, tout ce qu’on souhaite pour la halte nocturne, nous aurions dû venir voir ici avant de nous décider. Les derniers replient la tente, d’autres prennent un petit-déjeuner en pique-nique et des équipes nettoient les lieux. Une fois passée l’entrée du parc historique, un peu chère, nous nous dirigeons vers le pied de la falaise pour aller voir les bas-reliefs qui font la renommée du site. Le site est plaisant, surtout à cette heure matinale. Légèrement en hauteur au pied de la falaise, nous dominons en effet les grands arbres du parc et la vallée où les cultures s’étendent sur plusieurs kilomètres, à la limite du contraste entre l’ocre et le vert, entre la verticale et l’horizontale. On vient ici pour marcher, balade ou marche rapide, seul ou en petits groupes, beaucoup de femmes en tenue de jogging noire dont le haut est recouvert d’une tunique noire courte, sans omettre le foulard réglementaire bien sûr. Vieux de 2 500 ans, les bas-reliefs ont été sculptés au bas du mur de la falaise, la plupart sont masqués par des échafaudages certes moins vieux mais déjà bien rouillés, c’est un peu décevant. Nous continuons la balade jusqu’au caravansérail. Entièrement restauré, il n’est ni utilisé ni ouvert à la visite, il a de plus le mauvais goût d’être gardé par des chiens que nous devons menacer pour les faire taire et les éloigner. Dommage parce que, avec son grand portail, son dôme et sa tour, la construction en pierres est non seulement tout aussi attractive vue de près que de la route mais encore d’une taille respectable.

Nous en sommes réduits à reprendre la route, tout d’abord en sens inverse jusqu’au carrefour passé hier en fin d’après-midi, puis vers le sud-est en direction de Khorramābād. Sur cette large route au trafic moins important, nous comptons entrer dans quelques villes jusqu’à trouver une carte SIM pour le téléphone portable. La route suit les ondulations d’un terrain à l’horizon fermé par de hautes collines. Les champs de céréales bien vertes sous un ciel tout bleu et la pureté de l’air rendent le parcours agréable. Les villages et les villes sont peu fréquents. Harsin, la première ville, étant contournée, nous restons au milieu de champs qui commencent à jaunir et décidons d’entrer dans la suivante, Nurābād. Sa laideur en serait-elle sa seule caractéristique ? Pour ce que nous en voyons, nous devons répondre par l’affirmative : constructions en ciment ou en assemblage souvent inachevé de grosses briques jaunâtres dans une structure métallique apparente, rues sales, terrains vagues, ateliers techniques… rien ne vient relever le tableau. Nous circulons dans son centre à toute petite vitesse sans trouver quelque magasin que ce soit qui semble destiné à la vente de ce type d’articles. N’ayant aucune envie de traîner ici, la ville n’est peut-être pas assez importante, nous en sortons par une autre avenue qui ne nous fait pas changer d’avis. Ce devrait être à la fois plus facile et plus complexe dans la capitale du Lorestan, Khorramābād, plus facile parce que nous sommes certains de trouver, l’équipement en portables n’a rien à envier au nôtre, et plus délicat en raison du trafic et de l’abondance de magasins, nous verrons. En route, les grosses collines se sont rapprochées, les champs dessinent un patchwork de rectangles allongés et inclinés à leur base. Plus importante, l’altitude n’a pas encore permis la croissance des céréales ou des pois chiches sur tous les terrains, ils ont de ce fait toutes sortes de couleurs, du brun foncé de la terre au vert tendre des jeunes pousses. Les hauteurs, jusqu’à la base des rochers, sont couvertes d’herbe vers laquelle des troupeaux de moutons se rendent en courant.

Khorramābād est nettement moins élevée, nous en jugeons par la température qui n’a cessé de monter tout au long de la descente. Notre première recherche est celle d’une banque. Le change d’hier était un essai pour ne pas être dépourvus et pour avoir une première idée du taux, nous devons maintenant trouver un endroit où changer une somme plus importante pour être tranquilles. Évidemment, arriver en fin de matinée dans le bazar d’une ville de cette importance, près de 400 000 habitants, ne va pas être de tout repos. Pas d’affolement, nous scrutons les enseignes tranquillement – nous ne savons pas en lire beaucoup – jusqu’à repérer les quatre lettres attendues B, A, N et K, et peu importe le reste ! Seconde étape, trouver une place de stationnement et là, un vrai coup de chance, il s’en trouve une, juste une, cinquante mètres plus loin, il n’est pas sûr qu’il y en ait eu deux dans toute la ville. Nous sommes sur une sorte de carrefour aussi vais-je demander si l’emplacement est correct au magasin devant lequel nous sommes. Pas de problème, je m’en doutais. Direction la banque, nous y entrons, saluons (« Salam »), on vient à nous sans tarder, et demandons « Change? ». Notre interlocuteur principal est rapidement le jeune garde armé des lieux qui, contrairement aux autres, parle anglais. « Pas ici », ce n’est pas un problème, « où ? ». Une autre banque qu’ils nous indiquent. Le garde se propose de nous montrer, il faut y aller en taxi. « Combien pour le taxi, aller, attente et retour ? » approximativement. Le prix de 30 000 rials qu’il donne sera sans doute la moitié de ce qu’on nous demandera. Au moins deux sortes de taxis circulent ici, les jaunes omniprésents en ville et, dans une moindre mesure, à l’extérieur, et d’autres. À côté du camping-car se trouve précisément un bureau de location d’une autre catégorie. Tout se passe sans que nous ayons un mot à dire et, en un sens, ce n’est pas plus mal, le jeune garde armé s’occupe de tout. Il repart à la banque et nous embarquons. Le chauffeur ne parle pas anglais et ne répond pas à ma demande de prix. J’insiste un peu, propose 30 000, il répond 50 et ceci plusieurs fois de suite. Ils avaient parlé de 10 minutes à pied, c’est compliqué et pas si près que cela, la circulation n’aide pas. Le taxi stoppe devant un grand établissement bancaire, le chauffeur montre où il attendra. Une fois à l’intérieur, même scénario que dans le précédent. On vient vers nous, nous posons la même question au gardien. C’est à l’étage, le gardien nous précède, c’est bizarre ces gardiens qui se déplacent, que gardent-ils au juste ? Très sympathique lui aussi, il nous conduit à deux hommes dans la quarantaine qui, s’ils étaient occupés, laissent leurs affaires pour s’occuper de nous. Ils semblent embêtés. Nous n’avons rien compris de ce qui s’est dit et il n’a pas été nécessaire d’expliquer le but de notre présence, le gardien a dû s’en charger. Cette situation inconfortable parce que nous ne savons pas ce qui la motive, dure quelques minutes, puis les deux hommes sortent un long listing de leur ordinateur, celui des taux de change, toute la planète doit s’y trouver. Ils nous montrent la ligne du taux de l’euro qui ne nous paraît pas bien intéressant et qui est inférieur à celui d’hier dans la rue, mais que dire d’un taux tout droit sorti des entrailles d’un réseau d’ordinateurs de banque ? Cela ne leur rend pas le sourire. Ils parlementent. Une décision en sort que nous livre le gardien dans son anglais plus hésitant que celui du premier : le taux n’est pas intéressant, mieux vaut changer dans un bureau de change ou en privé. Extraordinaire ! Ce sont des employés de banque qui se chargent de détourner des clients. Les gardiens sont décidément bien libres puisque celui-ci, non armé, nous accompagne. Deux petits immeubles plus loin, un hall, des bijouteries d’une pièce chacune sur deux étages. Il va droit vers l’une d’elles, à l’étage. Deux hommes sont assis derrière un bureau, leur taux est 14 % plus avantageux, mieux que la rue hier, l’opération est rondement menée. Le gardien nous ramène au taxi qui n’était d’ailleurs pas là où il avait dit. Très satisfait de l’aide qu’il vient d’apporter, il tient absolument à pouvoir nous aider en cas de besoin et nous donne, à cet effet, son numéro de téléphone ainsi que celui de sa femme. Il aimerait nous inviter aussi, mais c’est trop compliqué parce que nous ne sommes pas libres, le taxi attend, que nous avons une autre démarche à faire et que nous ne souhaitons pas rester dans cette ville sans attrait pour en gagner une autre dans la journée. Merci, adieu et nous voici repartis en taxi. J’insiste un peu pour le prix. Il maintient ses 50 000 rials et moi 30 000. Il finit par téléphoner à une connaissance qu’il me passe et qui me dit en français que le prix est de 50 ! Inutile de continuer à marchander, il a gagné. Nous retournons à la première banque, pour rien, juste afin de les remercier pour leur aide, le jeune garde surtout. Il se propose de nous aider, au besoin.

Il n’en fallait pas plus pour que nous lui posions la question de l’achat d’une carte SIM puis de forfait pour notre portable. Miracle ! Le marchand de cartes SIM du voisinage est là et il en a une ! Affaire conclue immédiatement, le prix est dérisoire, moins de 1,50 euros. Pour l’activer, il faut se rendre à un bureau de la compagnie. Le garde se propose maintenant de nous accompagner, avec l’accord de ses chefs. C’est plus loin, nous traversons l’avenue et la remontons sur 500 m. Si nous entendons ce qui se dit autour à notre passage, seul le garde comprend : il doit s’agir de personnes importantes pour se déplacer en ville avec un garde armé (la mitraillette fait partie de l’uniforme). En fait, il fait son service militaire dans ce poste. Il est d’Ahvāz, nettement plus au sud, nettement plus chaud, ici, nous n’avons pas encore complètement quitté les montagnes. Au bureau, deux jeunes femmes en noir mais au visage découvert sont vite mises au courant de notre demande. C’est finalement pratique et cela accélère bien les démarches que d’être ainsi accompagnés, mais nous avons un peu honte. Eux ont l’air de trouver cela parfaitement naturel. La démarche est longue. Elle nécessite de compléter un formulaire ce que je suis incapable de faire, tout est en persan. Elles s’en chargent me demandant de temps à autre un renseignement, un nom, une signature… Cela dure tant que notre garde doit nous laisser pour rentrer à la banque avant sa fermeture. Merci à tant de dévouement désintéressé. Nous restons. Il faut une photocopie de certaines pages du passeport, le nom de mon père, tous renseignements que j’écris en caractères latins, incapable que je suis de les transcrire dans l’alphabet arabe. Le tout est faxé une première fois sans succès puis une seconde. Il reste à attendre d’une heure à un jour pour que la démarche permette l’activation. Nous achetons des unités sans arriver à savoir combien de temps nous pourrons échanger avec la France pour le montant choisi. Ces deux jeunes femmes, peu loquaces, mais leur anglais est bien réduit, sont restées pour nous alors que l’heure de fermeture est largement dépassée, encore de l’aide bénévole.

Lorsque nous retournons au camping-car, les magasins ont fermé et la rue est déserte, quel contraste ! La situation présente toutefois un avantage, celui de sortir facilement de la ville. Après le centre, la direction sud emprunte une large avenue de deux fois cinq ou six voies dont le terre-plein central comporte des allées de promenade au milieu d’une pelouse. Comme ailleurs, le stationnement et la circulation sont anarchiques. D’ailleurs, on stationne en long, en épi ou en biais vers le trottoir ou vers l’avenue, à sa guise et des marchands de légumes ont installé leur camionnette ou leur triporteur un peu partout sur la chaussée sur les trois premières voies. Beau spectacle. Nous louvoyons entre eux et les véhicules en déplacement, en quête des meilleures vues pour des photos, nous arrêtant absolument n’importe où avec pour seul souci l’angle de vue. Les uns vendent des tomates, d’autres des melons, des pastèques, toutes sortes de produits frais directement arrivés des champs. C’est non seulement joli mais aussi très appétissant. À l’un des arrêts, le marchand, si content d’être pris en photo, vient vite nous faire cadeau d’un melon. Son voisin, marchand de tomates, ne voulant pas être en reste, se précipite avec quelques tomates ! Bien que le spectacle en vaille la peine, nous partons. Peu après la ville, une fois l’aéroport passé, un choix se présente : ou l’autoroute ou la route. Pour aller plus vite parce que la route fait un long détour et par curiosité, nous essayons le premier. Un péage se présente bientôt, c’est 90 000 rials, montant impressionnant qui dépasse à peine les deux euros, montant suffisant pour détourner l’essentiel de la circulation par la route. Seuls quelques camions et de rares voitures passent ici. Nous serons donc seuls pour admirer les paysages. En ce qui concerne la circulation, peu de changement avec les routes ordinaires : on roule vite, on s’arrête de préférence dans les parkings, mais n’importe quel autre endroit convient aussi, on pique-nique sous un arbre, on entre et on sort de l’autoroute pour se rendre dans de petits villages sur des routes de terre… l’autoroute n’est pas grillagée. La principale différence réside dans l’abondance des contrôles radar. Elle a été construite sur un terrain au relief plutôt tourmenté et sec, l’herbe n’est pas assez dense et les arbres, là où il y en a, pas assez serrés pour altérer la couleur de roche des collines et des montagnes. C’est très beau et nous aimerions nous arrêter tous les 500 m pour contempler ces paysages si variés. Plus loin, l’autoroute amorce la descente, la pente est forte, elle se mesure ici aussi à l’élévation de la température extérieure. Nous sommes en train de quitter la partie montagneuse pour rejoindre la plaine. Les tunnels se succèdent à un rythme effréné et les reliefs escarpés tendent à se désertifier. L’aspect minéral du paysage surprend et conquiert. Selon des couches bien marquées, ses couleurs passent de gris à l’ocre, de l’ocre au rouge avec toutes les nuances intermédiaires. Il était déjà superbe avant, il est encore plus beau ici, tout déchiqueté qu’il est. Si nous avons pu nous arrêter de temps à autre dans la première partie pour admirer le paysage ou pour faire des photos, cela devient difficile de l’imaginer ici en raison de la pente que les quelques camions dévalent à vive allure. La fin de la portion autoroutière est plane, dans une large vallée, tout à fait désertique. C’est l’endroit où a été installé le second péage. Comme au premier, les tarifs sont indiqués sur un panneau devant le poste et, comme au premier, nous ne savons pas de quelle catégorie nous relevons. Le préposé doit savoir. Ce n’est pas nécessaire, il s’agit juste d’un contrôle et il suffit de lui tendre le ticket d’entrée pour fournir la preuve que nous avons déjà payé. Il est vrai qu’on peut entrer sur l’autoroute un peu partout et que certains ne doivent pas avoir de ticket. Cette nouvelle expérience montre que le ticket doit être conservé pendant tout le trajet. À la sortie, nous retrouvons la route et, un peu plus loin, la verdure, la plaine facilitant la distribution de l’eau et autorisant l’irrigation à grande échelle. Les grands arbres qui bordent la route et nous séparent des champs apportent un peu d’ombre sinon une réelle fraîcheur.

Nous poursuivons jusqu’à Shush, la cité connue dans l’antiquité sous le nom de Suse. La verdure continue à l’entrée de cette petite ville. Le centre se trouve sans difficulté, la ville n’est pas grande malgré son grand âge – plus de quatre millénaires. Nous passons devant le site et trouvons une place un peu plus loin à l’ombre. C’est trempé comme si j’étais tombé dans l’eau que je vais aux renseignements au pied du château. Le site n’est pas encore fermé mais le sera dans moins d’une heure. Nous décidons de remettre la visite à demain pour la fraîcheur matinale et pour ne pas nous presser et, d’ici là, d’aller voir la tombe de Daniel, l’autre centre d’intérêt. Nous traversons la rivière et découvrons de l’autre côté, celui où nous nous trouvions, le fameux mausolée. Comme une passerelle permet d’y retourner et que des places sont libres, nous restons là et franchissons la passerelle à pied. De l’extérieur, construit sur un des côtés d’une cour fermée, le mausolée est coiffé d’un haute tour conique en escalier. Allons voir. De la rue, un escalier conduit à la cour. On y répand de l’eau pour la rafraîchir. En petits groupes, des gens bavardent tranquillement à l’ombre. Le mausolée est ouvert à la visite, un côté pour les hommes, un pour les femmes. Le tombeau est entouré d’une grille dorée aux mailles larges, dommage que les photos soient interdites. De façon plus précise, trois côtés sont ouverts du côté hommes, un seul du côté femmes. Les femmes doivent revêtir un costume long que l’on prête à l’entrée où l’on est prêt à aider pour le mettre. On ne pénètre pas à l’intérieur de la grille, on se contente de jeter des billets, le sol en est jonché, leur nombre est impressionnant. Nous avons la chance de faire cette visite en fin d’après-midi, le soleil est assez bas pour que les rayons viennent illuminer le tombeau. Bien que ce soit un lieu de pèlerinage, on ne s’y presse pas, nous ne le regrettons pas. Nous faisons ensuite une pause dans la cour, il suffit de s’asseoir sur une marche dans un coin pour que l’on vienne. Deux ou trois hommes se présentent, l’un d’eux parle anglais. Il se dit arabe, pas persan ce qui doit cacher une subtilité qui m’échappe et que je ne cherche pas à approfondir. Manifestement, ils ont l’habitude de voir des étrangers, il m’annonce en effet que des véhicules comme le nôtre viennent régulièrement, des Allemands, ce qui n’est pas une réelle surprise, et qu’ils ont l’habitude de passer la nuit sur la place du commissariat, juste en dessous, le long de la rivière. Voilà donc que sans le demander et sans avoir à chercher, nous avons trouvé où passer la nuit, c’est parfait. Au détour d’une conversation décousue, il déclare tout à coup que Daniel nous appartient, qu’il n’est pas à eux, le « nous » et le « eux » mettant des religions en opposition. Je le rassure, lui disant que je ne revendiquais rien ni personne et qu’il pouvait rester ici ! Après cette visite, nous repassons la rivière. L’endroit est plaisant, la rivière, qui ressemble à un gros canal, est calme et bordée de promenades arborées. Nous faisons quelques courses avant de reprendre le camping-car. Les ombres se sont bien allongées et, pourtant, la chaleur est encore étouffante. Bien que l’entrée du parking du commissariat soit compliquée, tortueuse et étroite, nous finissons par y parvenir. Aussitôt, un policier arrive et nous guide. Il voudrait que je me mette en épi le long de la rivière, mais le camping-car est trop long, il barrerait la rue. Il n’y passe pas grand monde, mais des motos pétaradantes l’empruntent. En plein jour, ce n’est pas un problème, mais une fois la nuit venue, qu’en sera-t-il ? Finalement, il me demande de me garer en long. Sur la droite, la rivière et, sur la gauche, le mausolée de l’autre côté de cette petite rue, il était difficile d’imaginer que nous trouverions aussi bien. C’est en tous cas bien mieux que ce que nous avions vu en arrivant en ville. Un essai de téléphone pour constater qu’il ne fonctionne pas. Comme il fallait attendre de une heure à un jour, une attente forcée puisque nous n’avons pas d’alternative, nous n’avons pas dû attendre assez longtemps. Une fois la nuit venue, la fournaise est moindre, nous décidons d’aller faire un petit tour, de la passerelle au pont par l’autre rive et le retour par cette rive. Nous sommes seuls jusqu’au pont. Là, un autre couple est venu regarder les jets d’eau multicolores le long de la rivière. De l’autre côté, la première place est vide. À la seconde, quelques jeunes hommes nous demandent d’où nous venons, ce que nous cherchons et si nous avons besoin d’aide. Nous voici de retour au pied du château. Comme le mausolée, il est illuminé et je cherche d’où je pourrais éviter les arbres pour en prendre une photo, mais d’autres jeunes hommes nous posent à peu près les mêmes questions avant de nous proposer de nous inviter. Je n’ai pas le temps de faire une photo qu’arrive un policier en arme qui nous demande ce que nous faisons là. Des photos, c’est joli, et nous bavardons avec ces messieurs. Selon lui, nous ne pouvons pas rester là, nous devons rentrer « chez nous ». Aujourd’hui, nous aurons donc été accompagnés deux fois par un homme en arme et celui-ci est moins agréable que celui de midi. Nous retournons un peu plus vite que prévu, tant pis. Cet épisode nous interroge. Nous pensons que notre présence a dû être signalée et que les policiers ont eu peur pour nous. Si c’est le cas, disons qu’ils sont les seuls à avoir eu peur ! Nous en sommes réduits à rester « chez nous ». J’en profite pour écouter les messages de la carte SIM. L’un d’eux permet de choisir la langue par défaut. Il faut beaucoup d’attention pour repérer dans tout le discours en persan les quelques mots que je peux comprendre et suivre les instructions qui en découlent. Ces mots sont « persan », « anglais », « un » et « deux », le premier se dit farsi, le deuxième ressemble au français, les deux derniers ressemblent aux mots tadjiks correspondants et qui ne me sont pas encore sortis de la tête. Bref, si on veut écouter les instructions en persan, il faut taper 1 et si on les veut en anglais, il faut choisir 2. Le français n’est pas à l’appel. Cela fonctionne puisque nous recevons de jolis SMS, le choix de la langue n’a pas eu d’incidence sur celui des messages que je qualifie de jolis parce qu’ils sont en persan, et cela n’a pas non plus eu d’incidence sur le fonctionnement général de notre portable. Le soir, des motos continuent à passer, des personnes aussi de temps en temps. Plus tard, un petit autobus vient prendre une place sur le parking et son chauffeur monte installer son couchage sur son toit, juste devant le mausolée. Soirée sans aucun problème. Sous la protection conjointe des policiers et de Daniel, aurait-il pu en être autrement ?

Dimanche 18 mai (Yekshanbeh 28 Ordibehesht 1393) (یکشنبه ۲۸ اردیبهشت ۱۳۹۳)

des sites antiques au Golfe persique (photos)

La nuit a porté conseil : ce matin, nous ne visiterons pas le site de Shush dont le guide ne fait pas d’éloge particulier et partirons plutôt en direction d’autres sites en plein air car qui dit en plein air dit aussi en plein soleil. Le chauffeur de l’autocar dort encore sur le toit de son véhicule lorsque nous partons. Les autres sites sont proches, il suffit de revenir à la route principale, d’y faire quelques kilomètres et de prendre à gauche pour aller à Haft Tepe. Chogha Zanbil est un peu loin. La route à gauche est un peu plus difficile à trouver que sur la carte et, une fois trouvée, le terre-plein central oblige à aller faire demi-tour un bon kilomètre plus loin. C’est la première fois que nous prenons une petite route de campagne. Elle ressemble aux nôtres à deux voies. Des petits canaux d’eau vive la suivent. Grâce à l’irrigation sans laquelle les lieux seraient sans doute déserts, la culture de canne à sucre est développée à grande échelle. Le site de Haft Tepe qui borde la route un peu plus loin le prouve par la tache de terre nue de couleur ocre qu’il forme au milieu de cet océan de verdure. Le site n’est pas clos, nous pouvons aller visiter ce que nous voulons. Nous nous contentons des restes de tombes les plus proches de la route. Sans être assez prononcés pour voir au-dessus des arbres, les reliefs de la nécropole que forment les tombes permettent de découvrir un peu les alentours. Le site continue vers le sud, mais notre attention est vite attirée par un renard qui vient s’abreuver dans le petit canal entre la route et le site. Il ne nous a pas vus, nous avons tout le loisir pour l’observer. Ses grandes oreilles, son pelage sable clair et sa finesse le font plus ressembler à un fennec qu’à nos renards. Le spectacle dure jusqu’à ce qu’il se rende compte de notre présence, le déclencheur de l’appareil photo est pourtant peu bruyant, et s’en aille en courant se réfugier ou se cacher de l’autre côté de la route dans la verdure. Juste un tout petit peu après, nous arrivons au musée du site. Les grands arbres, la luxuriance de la végétation, les fleurs, l’ombre, l’eau qui bruisse, la fraîcheur relative et la pureté du ciel bleu, tout évoque une oasis. Il n’en fallait pas plus pour que les salles du musée soient un repère de moustiques tous plus avides de sang les uns que les autres et tous prêts à fondre sur le premier visiteur. Les pièces exposées – objets, décorations, sarcophage, jarres – et la maquette de Chogha Zanbil méritent pourtant le détour. À défaut de pouvoir les regarder avec sérénité, je prends le maximum de photos. Un homme attend les touristes, un guide. Il se dit prêt à accompagner et à guider les touristes qui le souhaitent dans les différents sites de la région. N’ayant besoin de personne, je le laisse parler en lui disant que nous continuerons seuls. À la sortie, il demande à être pris jusqu’à la route principale, pas de problème. Lorsque nous y sommes, il demande un cadeau, stylos ou autre, pas de problème non plus, nous avons ce qu’il faut. Il nous raconte que sa femme est soignée à l’hôpital à Téhéran (Tehrān). Est-ce vrai ? Cela ressemble tellement à ces discours universels tout faits destinés à attendrir les touristes.

La route de Chogha Zanbil prend aussi sur la gauche. Au lieu d’être rectiligne comme la première, elle oscille entre des collines. Bien que peu marqué, ce relief rend l’irrigation délicate et la verdure laisse une large place au sable parsemé de rares buissons épineux ou aux cultures de pastèques. Des camions venus au milieu des champs sont chargés de ces gros fruits qu’une nuée de personnes ramassent. Plus nous avançons, plus le paysage devient aride. À l’approche du site, hormis un petit bois, c’est le sable qui domine. Sans surprise, il est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, ce site est clos. Pas un centimètre d’ombre sur le parking, le camping-car sera chaud lorsque nous le reprendrons, ce n’est pas le moment d’oublier de mettre le réfrigérateur en marche ni de mettre la casquette. De grande taille, la ziggourat, un édifice religieux qui date d’environ 1250 avant J.-C., dépasse alors que nous ne la voyions pas depuis la route. En terre et en brique, la vaste pyramide à étages mesure plus de 100 m de côté à sa base et devait être haute. Les restaurations concernent les constructions en brique sur les flancs et le pourtour. La pureté de l’air renforce les contrastes et l’impression de relief de l’ensemble. Un petit groupe de touristes italiennes dont certaines recherchent l’ombre visite en même temps. Sans elles, nous serions seuls. Si ce n’était le soleil de plomb, nous y serions restés plus longtemps, nous allons toutefois jusqu’à l’ancienne réserve d’eau du site antique. Passage aux toilettes avant le départ, non que ce soit important, mais juste pour dire que l’air est si sec que les mains sèchent à une vitesse que nous n’avions jamais observée.

Nous prenons maintenant en direction de Shushtar, vers l’est. Selon l’irrigation, on passe du désert à la verdure, la culture dominante demeurant celle des pastèques. Un court arrêt avant d’arriver pour vérifier le fonctionnement du téléphone, il ne fonctionne toujours pas. En plus d’aller voir le système hydraulique qui fait la renommée touristique de la ville, il va falloir chercher un bureau de la compagnie ou un magasin de téléphone et, comme le bazar fermera, mieux vaut commencer par s’occuper du téléphone. En arrivant en ville, on traverse une rivière, que nous retraversons plus loin après avoir raté le centre. Il suffit de retourner et de bifurquer sur la place. Aucune difficulté pour trouver une place au premier passage, elle serait même à l’ombre si les ombres n’étaient pas si courtes. Nous n’avons hélas pas remarqué de magasin à l’enseigne de la compagnie de téléphone. Le mieux est donc de nous rendre dans un magasin de téléphones pour demander et le plus proche est le mieux, la température doit déjà avoisiner les 40° C. Nous y sommes reçus par un homme jeune qui, par chance pour nous, n’est pas occupé. Il ne parle pas anglais. Les documents d’hier aidant, le problème est vite exposé et la question posée : où se trouve le bureau de la compagnie ? Au lieu d’y répondre, il cherche à nous aider. Le nombre d’appels téléphoniques qu’il passe dépasse l’imaginable, certains de ses appels sont passés à de simples intermédiaires linguistiques entre lui et nous. Au bout d’un moment, il nous conduit dans une minuscule échoppe au fond du couloir qui jouxte son magasin. Un autre jeune homme nous reçoit, il est au courant de tout, il devait être l’un des interlocuteurs. Il a un ordinateur et probablement une connexion internet et le voilà parti à la recherche sur des réseaux pour résoudre notre problème. Rien n’y fait, tous deux restent penauds devant leur incapacité à aider. Notre inquiétude augmente, une heure s’est déjà écoulée et l’heure de fermeture du bazar doit approcher. Le premier des deux propose de nous amener au bureau de la compagnie, il y en avait donc bien un ! Au lieu de nous dire comment nous y rendre, il ferme son magasin et nous accompagne. Ce n’est pas loin. Ils sont trois, un jeune homme et deux jeunes femmes, le premier parle anglais, les deux autres ne s’occupent pas de nous, d’ailleurs que font-elles exactement ? Tout recommence, l’avantage est qu’il a accès à l’aide de la compagnie. Impuissants, nous assistons au spectacle. De plus, le magasin-bureau est si exigu que l’arrivée d’un autre client oblige l’un de nous deux à sortir alors que, dehors, la température commence à monter sérieusement. Les autres clients qui ne viennent en général que pour acheter des recharges pour leur forfait ne restent pas et nous pouvons reprendre place à l’intérieur. Lorsque c’est plus long, les gérants des magasins voisins ont pitié et, après avoir apporté une chaise reviennent avec de l’eau fraîche, bienvenue bien qu’un auvent donne un peu d’ombre. Bilan de la première partie : l’activation n’a pas réussi, il faut la recommencer. Les deux jeunes femmes partent, le jeune homme reste pour nous. La démarche est exactement la même qu’hier et je m’apprête à devoir donner des renseignements complémentaires à tout instant. Le seul qu’il me demande est de choisir un code d’accès. Mon choix se porte sur 1234 qu’il apprécie pour sa simplicité. Je le vois faxer les documents requis, il a donc dû inventer le nom de mon père et signer à ma place ! Entre temps, un homme entré dans le magasin avec un sac se met au travail sur son contenu : utiliser la machine du bureau pour compter la recette de son magasin, des piles de billets de 100 000 ! Sans interrompre son travail, il prépare du thé et nous en propose. Au-dessus des bureaux, un poster montre les systèmes hydrauliques que nous souhaitons aller voir. Ils disent que c’est tout près d’ici, à droite au bout de la rue, cela nous évitera de chercher. Une fois la démarche terminée – est-il nécessaire de préciser que c’est gratuit ? – nous sortons.

La rue est déserte, pas de voiture, personne. La température dans le camping-car n’est que de 38° C, nous allons voir les moulins, en voiture. Juste avant le pont sur un affluent de la Kārun, une place ronde à arcades sur laquelle sont installés des marchands de concombres, melons et pastèques en voiture. Un panneau limite la hauteur de passage sur le pont à 2 m, trop bas. Nous nous garons ici et y allons à pied. Le guide disait bien que la vue depuis le pont était au moins aussi intéressante que d’entrer pour descendre au niveau des installations. Cela semble si vrai que nous ne descendons même pas. Le pont domine les restes d’un ancien système de répartition de l’eau et de moulins en partie taillés dans la roche. La couleur bleu turquoise foncé de l’eau contraste avec l’environnement ocre des rochers et des constructions. Demi-tour, nous allons du côté du vieux pont sur la rivière principale, le Pol-e Shandravan, un long pont construit au IIIe siècle par les Romains. L’état de ses piles varie en fonction des travaux de restauration. Le pont neuf qui lui est presque parallèle en offre un beau point de vue. Mais ce n’est plus l’heure de se promener, le soleil est accablant. J’ai réussi à avancer le camping-car assez près sous un grand arbre pour être presque entièrement à l’ombre, autant en profiter pour la pause. En début d’après-midi, après la visite d’un ancien caravansérail restauré et transformé en restaurant, nous quittons Shushtar pour Ahvāz, direction facile à trouver en raison de l’importance de cette ville. Nous faisons le plein en sortant de la ville. Le débit de la pompe, adapté à la taille des réservoirs de camions, est tel que le débordement est inévitable. Le pompiste continue ensuite à faire déborder jusqu’à atteindre un compte rond. Le gazole coule sur la carrosserie et une roue avant, on patauge. Plus loin, avec la vitesse, il couvre le bas de la carrosserie jusqu’à l’arrière. Avec un peu de poussière, le tableau est d’une esthétique peu commune. La route est facile et chaude. Le paysage ressemble à celui de ce matin avant d’arriver en ville.

À Ahvāz, nous aimerions prendre l’autoroute qui descend à la mer. Le problème est qu’au lieu d’indiquer des villes extérieures, les panneaux donnent les noms des avenues. La seule exception est l’aéroport et, précisément, l’autoroute part de ce côté-là. Nous ne trouvons cependant pas et continuons. Il devient de plus en plus évident que nous sommes en train de sortir de la ville et que cette route mène à Ābādān, trop à l’ouest. Au final, un panneau donne bien Ābādān. Nous partons à l’aventure sur la gauche, si la direction est bien celle de l’autoroute, la banlieue se termine dans des espaces entre désert et champs. Demi-tour. Une autre route part vers le nord-est, nous nous y engageons, mais avant de quitter les habitations, je demande l’autoroute. C’est bon, cette route y ramène. C’est loin, si loin que je profite d’un contrôle radar pour m’arrêter et interroger des policiers qui confirment. De fait, au bout, elle débouche sur l’autoroute, nous avons dû faire une bonne trentaine de kilomètres en trop et il en reste une petite centaine pour atteindre la mer. L’autoroute commence par un péage et continue tout droit presque plein sud, bordée de part et d’autre par un désert uniformément plat et continu. La circulation est réduite, essentiellement des camions-citernes irakiens qui vont à la même vitesse que nous. Le vent d’ouest est si fort que son souffle nous brûle et nous oblige à fermer la fenêtre de ce côté. Le soleil est déjà bas lorsque nous atteignons l’extrémité sud. En ce qui concerne la circulation, rien à voir ici avec l’autoroute, la route à deux fois deux voies est un lent serpent de véhicules en tous genres. Des travaux ajoutent à la confusion et, en l’absence de toute indication, je prends à droite, à tort mais je n’ai pas eu l’impression d’avoir le choix. Nous faisons quelques kilomètres, entrons dans Sarbandar tout en nous disant que la direction n’est pas bonne et jusqu’à prendre la décision de faire demi-tour. Au rond-point à la sortie, je prends à droite pour aller me garer le long d’un petit bâtiment officiel et demander. Il faut reprendre vers l’autoroute. Pour ressortir de là, pas d’autre solution que de partir à contresens, cette route est aussi à voies séparées. Vu le bazar ambiant, une voiture de plus n’importe où ne dépare pas, c’est bon. La circulation est toujours au ralenti sur les deux files et le thermomètre marque 41° C.

La route vers l’est longe des marais salants avant d’entrer dans Bandar-e Māhshahr. Juste à l’entrée, une station-service, allons voir s’ils n’auraient pas une place pour la nuit. Nous nous mettons dans un coin, non loin de la maison, tant pis pour le bruit, il n’est plus temps de faire les difficiles. En peu de temps, tous les pompistes, une dizaine, ont quitté leur poste pour voir. À l’unanimité, ils sont d’accord pour que nous restions là, à condition d’avancer un petit peu. L’attroupement finit par faire venir le gérant ou propriétaire du magasin et de la station, un jeune d’une vingtaine d’années. Il n’a pas l’air content, il téléphone, pas question de passer la nuit ici, sans que nous sachions pourquoi. Le soleil est couché, la nuit arrive, nous ne sommes pas enchantés de la décision qui semble sans appel et qui reste sans appel puisque personne ne parle anglais ! Des pompistes retournent à leur travail et un jeune homme qui faisait le plein vient à nous. Il parle très bien anglais, demande ce qui se passe s’il ne le sait pas déjà, et nous propose ou bien de nous conduire au parking de la police ou bien de nous inviter chez lui. Nous hésitons, il insiste, disant que nous n’avons rien à craindre, ce à quoi nous lui répondons que nous n’avons aucune crainte, juste un peu de réserve. Il attend notre décision. D’accord pour aller chez lui. Nous le suivons.

Cela se termine devant une maison particulière dans une rue d’un quartier résidentiel. Il range sa voiture à l’abri, un abri trop bas pour le camping-car qu’il nous propose de stationner au milieu, le long du terre-plein central, un terre-plein d’un mètre de hauteur planté de pelouse et d’arbustes. Je n’aurais jamais osé. Il dit que c’est parfaitement sûr et qu’ainsi, nous pourrons le voir depuis le balcon. La nuit est là lorsque nous montons les marches après avoir embarqué à la hâte quelques affaires. On quitte ses chaussures en haut de l’escalier et il nous donne des sandales d’intérieur. Sa femme nous attend. En jogging et sans voile, elle est en habit d’intérieur, rien à voir avec les vêtements à porter à l’extérieur. Ils insistent pour que nous dormions chez eux, bien que cette installation les dérange, pour si peu à notre goût alors que « chez nous » tout est prêt. Pour nous mettre à l’aise, ils nous montrent l’installation de nuit : de fins matelas à étendre sur le sol, des draps fins, des oreillers, tout cela attend dans une pièce. Nous cédons. L’homme nous accompagne dehors pour aller chercher un peu plus d’affaires, sans le montrer, il est aussi un peu curieux de savoir comment ce petit espace est équipé. Nous le lui faisons découvrir. Nos hôtes nous proposent à boire et la douche. Ce ne sera pas de refus. Originaires du nord du pays, ils sont venus ici pour la facilité à trouver du travail avec le pétrole, les salaires et le soleil. En ce qui concerne les salaires, je ne sais pas, mais pour le soleil, ils sont plus que servis. La température dépasse les 50° C tous les étés et ils utilisent l’air conditionné huit mois par an. Ces deux jeunes sont à l’aise par rapport au niveau de vie du pays, ils ont voyagé dans la région mais pas jusqu’en Europe en raison des prix. Cette maison – propriété ou location, nous ne posons pas la question – est confortable, ils circulent en voiture. Nous leur montrons des photos de famille, nous bavardons autour de la carte de l’Iran… Ils disent être ravis de recevoir des étrangers, ils n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai, ayant une fois accueilli des Néerlandais. Sans but touristique proche, les étrangers de passage doivent être rares par ici. Après les photos de la rencontre, nous échangeons nos adresses mail et nos numéros de téléphone. C’est d’ailleurs le monsieur qui arrive à faire fonctionner notre carte SIM pour la première fois. Selon lui, il est peu probable que nous arrivions à communiquer à l’étranger par SMS et les communications téléphoniques avec l’étranger seront peut-être limitées aux zones d’urbanisation importante. Serions-nous sur écoute ? Les essais d’appel local ainsi que les SMS locaux ne posent ce soir aucun problème. À un moment, la femme nous demande ce que nous voulons manger. Question bien embarrassante, nous ne sommes là ni pour compliquer ni pour donner des ordres ! Elle propose des kebabs, d’accord. Pour le repas, pas de table. Un plastique est étendu à terre. Le couvert, les mets et les boissons y prennent place, puis vient le tour des quatre participants. Ils ont achetés deux poulets frits alors que des plats étaient déjà préparés, du riz aux légumes et du poulet cuit au four avec des légumes. Ils nous demandent de nous servir, nous leur suggérons qu’ils commencent pour voir comment on s’y prend. En fait, ils coupent un poulet en deux et nous donnent chacun une moitié ! Beaucoup trop, nous recoupons les moitiés en deux. Eux prennent des plats préparés. Finalement, nous aurions dû nous servir seuls, les plats préparés sont bien plus appétissants que les poulets du commerce. Nous goûtons cependant aussi les préparations. Le riz est absolument excellent, la sauce des légumes aussi. Les boissons sont de l’eau minérale, nous en faisons une consommation affolante, et une boisson au lait un peu aigre, du dough, qu’ils boivent tous les jours et qu’ils nous font goûter. C’est inhabituel. Pour la caractériser, ils proposent ni bonne ni mauvaise ce qui est judicieux et bien adapté. Elle n’est en effet pas mauvaise et arriverait à être bonne avec l’habitude ! Nous sommes assez surpris de constater qu’ils déposent les os directement sur le plastique. La raison en est simple : à la fin du repas, on débarrasse les assiettes, couverts, verres et plats, les bouteilles puis on attrape le plastique par les coins pour le replier en boule sur lui-même et jeter le tout à la poubelle. Curieusement, la salle à manger est séparée du salon par une cheminée, que peut-on faire d’une cheminée ? Le bois doit faire complètement défaut et, pour l’utiliser, il doit falloir pousser la climatisation à fond. La cuisine, quant à elle, n’est séparée de la salle à manger que par un plan de travail. À part ces pièces, la terrasse et l’entrée, la maison compte encore deux chambres et une grande salle d’eau. Sous la maison se trouvent un garage et un abri pour la voiture. Le tout donne un beau pavillon sans style mais fonctionnel et agréable. Leur départ le matin est à 7 h 10, nous comptons avec une marge pour le petit déjeuner. Pour la nuit, ils règlent la climatisation de la pièce au moins frais. Nous l’arrêtons peu après pour ne pas perdre l’habitude de la chaleur que nous retrouverons dès demain. La température se stabilise à 32° C et c’est très bien. Un coup d’œil sur le camping-car dans la rue, personne.

Semaine précédente

Suite du voyage de 2014

Les index