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Voyage de 2014

Semaine 8, Iran

Lundi 19 mai (Doshanbeh 29 Ordibehesht 1393) (دوشنبه ۲۹ اردیبهشت ۱۳۹۳)

au long du Golfe persique (photos)

Nous sommes prêts à l’heure et avons remis le climatiseur en marche. On nous prépare un petit déjeuner rapide : du thé, un verre de lait, du pain et des noix. Le monsieur a préparé un petit plan pour que nous rattrapions la route principale sans problème depuis l’endroit où nos routes se sépareront. La dame s’est vêtue en Iranienne qui sort, le voile noir est là, le reste ne manque pas non plus. Merci et adieux. Nous suivons leur voiture jusqu’à la première avenue, ils partent à gauche et nous à droite.

Le plan qu’ils nous ont donné nous ramène sans la moindre difficulté à la route principale. Le plein et nous partons dans le désert. La route a un gabarit autoroutier, nous n’y sommes pas seuls mais presque. Le paysage est parfaitement plat, le désert plus ou moins prononcé : les arbres sont rarissimes, les plantes, lorsqu’il en pousse, peu denses et le sol, toujours dans les tons ocre, est sablonneux ou caillouteux. Le paysage évolue lentement, il ne change pas. La construction de la route n’a pas dû poser de problème, la preuve en est qu’elle est rectiligne sur de longs trajets. Ce matin, pas un nuage, le soleil est bas, presque dans l’axe de la route, et l’air est encore relativement frais. Après une quarantaine de kilomètres vers l’est, la route pointe vers le sud, le long de la rivière Zohreh que nous savons être là mais que nous ne voyons pas. Elle a cependant un impact sur le paysage puisque des champs apparaissent. Ils ne modifient pas la couleur ambiante en profondeur ; déjà passée, la moisson apporte juste une touche dorée. Nous arrivons rapidement à Hendijān. Pour rompre avec les parcours rectilignes de désert, nous décidons de ne pas prendre le contournement et de passer par le centre. Un panneau d’interdiction aux camions prouve qu’en prenant tout droit, nous y allons. Le guide ne disant pas un mot des quelques villes de la région, nous ne nous attendons pas à des découvertes fantastiques, c’est vraiment pour rompre un peu, voir des maisons, des arbres… Nous pensons qu’en continuant tout droit, nous retrouverons la route principale à l’autre bout comme c’est souvent le cas. Eh bien non ! La large avenue se transforme en une rue qui rétrécit, d’autant plus que le stationnement n’est pas plus organisé ou respecté qu’ailleurs. Au bout, elle s’arrête et il faudra prendre à droite ou à gauche. Je m’arrête n’importe comment, comme les autres, et vais dans le premier magasin demander le pont, un bon point de repère puisque nous devons franchir le fleuve. Le jeune ne parle pas anglais, mais, une fois encore grâce au tadjik, je peux demander et il comprend. Il a vite compris aussi qu’il aurait été inutile de se lancer dans une explication ce qui ne l’empêche pas de demander tant bien que mal d’où nous sommes ! Réponse en tadjik, non pas en russe comme au Tadjikistan. Il hésite, je l’encourage, par gestes, à me montrer la direction. Il sort, ferme son magasin, va dans la rue, hèle une moto de passage et nous fait signe de les suivre. Encore une belle preuve du sens de l’hospitalité et de l’aide que les Iraniens sont disposés à apporter. Un grand geste de la main et ils repartent en sens inverse. Nous arrivons à un rond-point, je ralentis en voyant un petit kiosque où l’on vend de l’eau. Vu la température et la sécheresse de l’air, nous devons en acheter fréquemment. Je me range sur le bord et sors. C’est à ce moment qu’arrive une voiture, une 405 Peugeot, qui se gare devant nous. En sortent deux hommes qui viennent, saluent et demandent les passeports. J’ai dû prendre un air interrogatif parce qu’ils disent immédiatement « police ». Je répète « police ? » en faisant sentir le point d’interrogation. Ils sortent une carte avec leur photo. Je dis « OK » bien que je ne comprenne évidemment rien à ce qui est écrit sur cette carte qui pourrait tout aussi bien être une carte de supporter d’un club de football local et vais chercher les passeports. Tout étant en règle, ils ne disent rien, se contentant de demander où nous allons, « Shirāz », saluent et repartent. Nous sommes surpris, mais peu importe, la police n’est pas embêtante sur la route et l’achat d’eau n’aura été différé que de dix minutes.

Après Hendijān, le paysage ressemble au précédent, un désert plat, un horizon lointain, quelques champs moissonnés ! La chaleur augmentant, les premiers mirages apparaissent. Ce n’est que cinquante kilomètres plus loin que la route rejoint la mer, le Golfe Persique, tandis que sur la gauche, l’horizon est barré par des montagnes qui sont visibles, contrairement à la mer. Des rochers juste assez haut masquent en effet le rivage pourtant tout proche et nous avons beau scruter toutes les brèches, il ne se montre pas. Nous décidons donc d’entrer dans Bandar-e Deylam et d’aller jusqu’à la mer. La ville n’est pas belle, les mosquées ne sont pas bien jolies non plus. Une rue mène tout droit à la mer, nous y allons en nous orientant grâce au soleil. Au début c’est une grande avenue et, une fois passé le centre, elle devient plus petite avant de déboucher sur le rivage. Tout est aménagé, une jetée, un jardin tout vert, couleur incongrue ici, des kiosques, un parking. La plage de sable gris-jaune n’est pas large. La vue qui s’offre à cet instant dépasse tout ce que nous avons pu voir ailleurs. Mis à part au bord en raison de la faible profondeur, la mer a une couleur bleu turquoise extraordinaire, jusqu’à l’horizon. C’est vraiment superbe. Des hommes jeunes se baignent, tout habillés, nous ne voyons aucune femme. Des jeunes jouent. Nous marchons un peu dans le jardin pour profiter de la vue et, après un moment passé là à ne rien faire d’autre que d’admirer, nous partons du côté du port. Le long mur qui ferme les installations nous déçoit. Heureusement, au bout, la rue débouche sur une partie ouverte du port. Des canots et des rangées de boutres à moteur y sont stationnés. Les boutres sont de beaux bateaux en bois comme nous en avions vu en construction à Mandvi au Gujarat. La plupart des dunettes sont peintes en bleu clair et en blanc. Il y en a partout et, de nouveau, c’est superbe. Je m’arrête n’importe où pour admirer. Quelques jeunes militaires déambulent, je leur demande par gestes s’il est possible de faire des photos. Pas de problème, ils sont d’ailleurs plus intéressés par notre venue et notre pays d’origine que par ma question ou leur travail s’ils en ont un. Nous sommes entrés dans cette ville pour découvrir une mer que nous ne connaissions pas, sans regret. Quelques photos dans la rue principale, j’ai compris qu’il n’était pas nécessaire de s’occuper du stationnement pour s’arrêter, et nous repartons.

Après la ville, comme avant, impossible d’apercevoir la mer. Deux exceptions, une première dans une toute petite brèche et la seconde une vue sur une minuscule baie. Il est impensable de s’y rendre, les 200 m de désert sont parsemés d’épineux peu nombreux mais dissuasifs. La couleur de l’eau n’a pas changé, le changement est issu du contraste avec le paysage qui apporte ses tons ocre. Voilà un peu plus d’un mois et demi que nous sommes partis et nous ne nous sommes pas encore arrêtés, il serait temps de faire une petite pause. Ce sera au milieu du sable, le long d’un petite route qui mène à une station-service peu avant l’entrée dans Bandar-e Genāveh. Il n’est pas midi, il fait dans les 40, le ciel est toujours aussi pur, l’air presque immobile, pas une ombre, nous n’aurons pas froid ! En prenant place , je m’arrange pour qu’aucun rayon de soleil ne pénètre par les fenêtres. Repos. Au début de l’après-midi, il semblerait que des rayons de soleil passent par la fenêtre de la cuisine. Je tourne le camping-car sans parvenir à résoudre le problème, même au prix de plusieurs manœuvres. Il faut se rendre à l’évidence : le soleil est pratiquement à la verticale, d’ailleurs, en sortant, nous pouvons constater que nous n’avons que les pieds à l’ombre ! Repos donc, inutile de s’occuper du soleil, cela suffira quand il descendra.

En fin d’après-midi, nous décidons d’aller en ville, six ou sept kilomètres plus loin, juste par curiosité, nous n’avons besoin de rien, mais nous ferions bien un petit tour dans le bazar. Nous prenons place sur une vaste place ovale qui semble indiquer le centre. Je me gare en long et, contre toute attente vu le peu de contrainte ailleurs dans ce domaine, on me demande de me garer en épi. Le bazar n’est pas bien intéressant, ce qui l’est plus est l’activité qui s’y développe, complètement indépendante de tout souci touristique. Nous y regardons des vêtements sans la moindre contrainte jusqu’à ce que l’on pose une question ou qu’on demande de l’aide comme en Turquie. Ne trouvant pas la taille adéquate, nous n’achetons rien. Tiens, le ciel se voile, allons vite à la mer pour profiter une dernière fois de la vue. Ici, le bord de mer est une longue promenade au-dessus d’une large plage où l’on court, où l’on joue au ballon et où l’on se promène. Nous nous contentons de marcher sur le trottoir. Bien sûr, on vient régulièrement à nous pour savoir d’où nous venons. La vue est hélas bien moins belle : la mer a imité le ciel qui est devenu gris, illuminé d’un soleil couchant jaunâtre. Remisons l’extraordinaire couleur de ce matin dans un coin de notre mémoire et profitons du peu d’air qui monte de la mer pour la balade. Nous retournons près de « notre » station-service à la tombée de la nuit. Quelques camions viennent se garer ici pour la nuit, un bon signe car si les chauffeurs laissent leur camion, c’est qu’il ne se passe rien. Mais il ne se passe rien de fâcheux nulle part en Iran selon les forums de voyageurs. Le soir, la température baisse, une baisse sans doute accélérée par la couche brumeuse. Il ferait presque frais, tout est relatif.

Mardi 20 mai (Sehshanbeh 30 Ordibehesht 1393) (سهشنبه ۳۰ اردیبهشت ۱۳۹۳)

vers Shirāz (photos)

La nuit a été on ne peut plus calme. En fort contraste avec la journée, la fraîcheur nocturne du désert nous a contraints à nous couvrir. Au matin, deux surprises : le beau temps et le ciel pur sont de retour et l’espace est plein de camions. Nous n’en avons pas entendu un seul arriver ! Ils ont été discrets et ont tous fait attention à laisser un passage pour que nous puissions sortir. Nous partons tôt, avant la montée en température. C’est ici que nous quittons le rivage marin pour commencer à remonter vers le nord, remontée vers le nord à l’orientation un peu vers l’est au début, pour rejoindre Borazjān. Bien que toujours dans les mêmes couleurs, le paysage est moins désertique qu’hier et les villes et villages plus fréquents. À un moment dominante dans la traversée d’une grande palmeraie, la couleur verte réapparaît. Vides à cette saison, les nombreux abris montrent que l’activité et la vente doivent être intenses à celle de la récolte. La plaine s’étend jusqu’à Borazjān où nous retrouvons la montagne. Nous la retrouvons mais ne l’abordons pas, la route la suivant. À 29° 15’ 57’’ nord, le grand échangeur avant Borazjān doit marquer le point le plus méridional de notre périple. Sur le contournement de la ville, un kiosque de vente de dattes fonctionne. Les dattes sont conditionnées en cartons ou en boîtes plastique d’un kilogramme ainsi qu’en sceau de cinq kilogrammes. Sous l’abri grossièrement couvert de palmes séchées, les dattes sont à peu près à l’ombre mais, hermétiquement enfermées, la température restant voisine de 40° C, elles semblent suer ! Peu après Dalaki, une station-service, un arrêt de routine maintenant. Elle est placée en hauteur au-dessus de la route, nous y allons. Un petit plein, histoire d’être tranquilles. Pour la première fois, le gazole nous est vendu ici à son prix affiché, 2 500 rials, environ 6 centimes d’euro le litre. Quel dommage de ne pas pouvoir faire un double ou triple plein ! Juste devant, on est en train d’arroser les quatre ou cinq arbres qui mourraient sans cela. Nous demandons si l’eau est bonne et faisons le plein avec le tuyau. Le débit est suffisamment faible pour que nous ayons le temps de faire la connaissance et de bavarder avec un homme assez âgé qui se tient là et donne l’impression non seulement de ne rien avoir à faire mais aussi de rester à contempler le paysage. Montagne dans le dos, plaine désertique ou presque à perte de vue, la route entre les deux. Je triche parce qu’en fait, ici, la vue porte sur de vastes étendues plantées de palmiers-dattiers. Il parle un peu français, anglais et bien d’autres. À la retraite, il était maître d’hôtel sur des paquebots de croisière et a parcouru bien des mers du globe. La situation est originale : être des ondes lointaines, le voici rendu à son pays minéral et sec ouvert sur les vagues vertes qui surfent sur les palmeraies ! Nous serions restés à bavarder plus longuement si nous n’avions pas l’idée d’arriver à Shirāz à l’heure creuse du bazar et si nous en étions plus près.

Dalaki est aussi le nom du fleuve qui sort de la brèche qu’il s’est taillé pour s’extraire des montagnes. Ses eaux vertes et turquoise tranchent vivement avec les couleurs de montagnes. La route le remonte, tantôt sur une rive, tantôt sur l’autre. Le trafic s’est intensifié, cette route relie en effet Shirāz au port de Bandar-e Busher. Les habitations sont devenues rares, la végétation aussi. Nous passons quelques constructions anciennes qui ne sont pas mises en valeur avant que la route ne commence à s’élever. Les points de vue sur des vallons presque désertiques et au relief marqué incitent à s’arrêter, c’est très beau. De nouveau, lorsqu’elles sont visibles, les eaux du fleuve apportent leur touche d’une couleur qui serait absente du paysage si le ciel n’était pas dans les mêmes tonalités. La route monte en larges lacets. Des policiers utilisent le relief pour surveiller les automobilistes de haut et les verbaliser lorsqu’il le faut, les idées sont donc bien les mêmes partout ! L’altitude pourtant peu élevée a une incidence sur la température. En haut, la route débouche sur un vaste plateau. Des champs y sont tracés, les cultures cependant n’y sont pas très développées. Il faut reconnaître que l’ensemble donne une impression d’aridité que renforcent les montagnes alentour. À ce plateau succède une nouvelle montagne aux beaux paysages aussi variés que lors de la traversée de la première. Les difficultés du relief sont contournées par plusieurs tunnels. Après cette deuxième montagne, un autre plateau. Plus élevé, il est aussi plus vert et nous sommes très surpris de voir des champs de pommiers, de grenadiers et de bien d’autres essences d’arbres. Cette fois-ci, l’agriculture prend réellement le pas sur la nature, au moins sur les parties de terrains planes. Le ciel s’est un peu voilé lorsque nous entrons dans Kāzerun. Ce que nous voyons de cette ville est à peine plus joli que dans d’autres villes, les immeubles qui bordent la grande avenue de traversée sont un peu mieux faits et l’arrière-plan, vert des cultures et ocre gris des reliefs, fait le reste. Courte pause près d’un arrêt de bus pour observer les gens qui attendent, montent ou descendent. Et justement, à côté, un petit supermarché, le premier de notre périple iranien, c’est assez pour que nous allions y faire les curieux et y acheter des denrées dont nous n’avons guère besoin mais qui nous permettent d’en faire un tour complet. Il n’est intéressant ni pour les marchandises ni pour les prix, mais nous ne songeons pas à nous en plaindre dans la mesure où il répond à notre attente.

Nous repartons vers l’est. Le relief et la végétation masquent le lac et, ensuite, la route part franchement à l’assaut de la montagne suivante. Derrière, vers 1 250 m d’altitude, une longue vallée plus étroite au paysage surprenant, on dirait que quelque géant a planté des arbres, tous isolés, pour remplir montagnes et plaine de points verts partout sauf là où des espaces consacrés à la culture de céréales ont été ménagés. Les taches d’ombre bienvenue sont propices aux installations de pique-nique et aux siestes des voyageurs. La route s’y poursuit, presque droite, avant d’amorcer une nouvelle montée. Au bout de la vallée, demi-tour dans une ample courbe ascendante qui enserre le petit village ensoleillé de Burenjān. Le relief s’accentue, cinq tunnels se succèdent et la route monte jusqu’à 2 200 m. Un terrible spectacle attend les automobilistes à la sortie du premier tunnel, celui d’un gigantesque camion-grue installé au milieu de la chaussée et dont le crochet est en train de descendre, accompagné par un manutentionnaire, bien bas dans le ravin, pour remonter la camionnette qui a fini sa course sur de gros rochers. Tout l’éboulis est rouge des tomates écrasées perdues lors de la descente. Il ne fait guère de doute que le chauffeur et les passagers n’ont pas dû survivre à une telle chute. Les badauds sont nombreux et les téléphones portables chaufferaient presque à force d’immortaliser la scène. Au-delà de cette montagne, les teintes virent au brun. La végétation n’est pas absente, juste peu abondante. La route se poursuit tranquillement jusqu’à la grande ville attendue, Shirāz.

Heureusement, comme prévu, la circulation est calme en ce début d’après-midi. Nous avançons tout droit jusqu’à ce que la densité des habitations laisse supposer que nous approchons du centre. Aucune indication ne nous aide, elles donnent toutes des noms de boulevards qui nous sont inconnus et nous ne savons pas bien ce que nous cherchons. Cette situation nous conduit, c’est bien le cas de le dire, à passer, repasser et revenir encore sur les mêmes boulevards, il est clair que nous tournons en rond et qu’il faudrait trouver un moyen pour aller plus au nord. Ce n’est pas simple, nous sommes continuellement pris dans le flot, happés par des sens uniques et des déviations et ce n’est qu’au troisième passage que nous y parvenons. Cette fois semble la bonne puisque nous trouvons le boulevard de l’agence qui nous a aidé dans notre demande de visas. À partir d’ici, il ne reste plus qu’à trouver un parking assez large et pas trop éloigné. Au cours de la préparation du voyage, j’en avais repéré plusieurs sur les vues satellite trouvées sur internet. Aujourd’hui, ce sera deux blocs plus loin, à la limite ouest du bazar. Lassés par nos recherches, nous n’allons pas voir d’un autre côté. La rue qui longe le parking est passante et nous sommes en plein soleil, mais tant pis, le parking est en partie fermé, l’accueil excellent et le prix pour 24 h tout à fait correct. Malgré la température, les 35° C ne sont qu’à peine atténués par l’altitude (1 550 m), nous partons en exploration. La rue que nous remontons dans cette partie du bazar, encore largement inactive, est consacrée à l’électricité. Nous n’avons besoin de rien dans ce domaine, nous pourrons donc passer cette rue sans traîner à chaque fois ! Pour l’heure, direction l’agence pour la question de la prolongation des visas. Les nôtres arrivent en effet à expiration le 29, dans neuf jours. La sévérité des autorités en la matière étant bien décrite dans le guide et sur les forums de voyage, il n’est pas question de prendre le problème à la légère. Nous avons bien lu que les visas étaient en général renouvelés, mais s’il advenait que ce soit refusé, que ferions-nous ? Nous devons aussi le prévoir de façon à pouvoir entreprendre la route de retour au plus vite s’il le fallait. Nous sommes reçus cordialement ; le jeune homme explique que la démarche de renouvellement ne doit pas être entreprise à plus de trois jours de la date d’expiration, ce qui sera critique pour nous en cas de refus puisque trois jours suffiraient à grand peine pour atteindre la frontière turque. Nous avons de plus confirmation de l’adresse de la police touristique, c’est bien là, sur ce long boulevard que nous avons parcouru deux fois tout à l’heure. Dans l’immédiat, il n’y donc rien à faire. Allons à la découverte de Shirāz.

Il suffit de continuer sur cette avenue agréable pour trouver Arg-e Karim Khan, une sorte de château fort avec tours et remparts crénelés. L’aspect extérieur est réellement celui d’un château fort. Les briques de parement des tours sont joliment agencées pour former des motifs géométriques tandis que le reste est nu et sans ouverture. Une porte sur le flanc sud-est donne accès à l’intérieur. Le contraste est saisissant : extérieur sobre à l’extrême, intérieur riant de fraîcheur et de verdure. L’ensemble qui date de la fin du XVIIIe siècle est un lieu de promenade. Un long bassin le traverse près duquel on bavarde, lit ou se repose. De grandes baies en bois ouvragé donnent sur le jardin. L’intérieur est teinté de toutes les couleurs que laissent filtrer les vitraux illuminés du soleil qui décline. Un puits de lumière inonde la partie basse de la tour sud-est jadis réservée aux bains. Après la route de la journée, le lieu constitue une pause si agréable que nous y passons près d’une heure. L’espace entre cette citadelle et le bazar est réservé aux piétons. C’est là encore un endroit agréable à cette heure où les ombres se sont allongées. Il serait vain de tenter de décrire le bazar et, dans l’immédiat, il est vain de chercher à en faire une visite exhaustive, nous nous contentons de nous y aventurer et de décider, à chaque intersection, de la direction à prendre. Le hasard nous a menés à entrer par une ruelle de marchands de tapis. Nous y sommes évidemment interpellés, on nous en montre de beaux et il nous semble que les prix sont raisonnables. Nous ne sommes toutefois pas pressés et, même si nous en achetions un, ce ne serait pas juste en arrivant mais avec un tout petit peu plus de recul. Dans d’autres parties du bazar, les étalages d’épices, fruits secs et graines rivalisent entre eux. Cette partie est une belle construction constituée de longs couloirs couverts qui se coupent à angles droits. Nous orientons tant bien que mal le hasard de notre déambulation dans la direction du parking. Les premières lumières s’allument, tous les commerces sont en activité. Le camping-car n’est pas froid !

Mercredi 21 mai (Chaharshanbeh 31 Ordibehesht 1393) (چهارشنبه ۳۱ اردیبهشت ۱۳۹۳)

de Shirāz à Persepolis (photos)

Comme les autres jours, un beau ciel pur veille sur nous. Ayant l’intention d’aller visiter la mosquée Nasir āl-Molk, un peu plus éloignée, nous décidons de prendre un taxi, ce qui présente le double avantage de ne pas avoir à chercher à pied et de nous préserver pour une visite plus approfondie du bazar. Pour une raison de stratégie, nous allons en héler un de l’autre côté de la place, de façon à être dans la bonne direction. Premier essai, un jaune, nous montrons le nom de la mosquée écrit en persan dans le guide et demandons le prix, trop cher. Voyons-en un d’une autre catégorie, celle des vieilles voitures particulières. Celle à laquelle nous faisons signe, une vert-jaune pâle délavé, est énorme. Même technique, le prix est nettement moins élevé, nous le discutons un peu, pour la forme, et c’est bon. Nous n’avons aucune langue commune avec le chauffeur, il reste à espérer qu’il a bien lu et bien compris le nom de la mosquée. Je suis vaguement inquiet sur certaines directions prises, mais comprends vite qu’elles sont dictées par des sens uniques ou des considérations de circulation. Quant aux manœuvres en route, nous avons tout le loisir de les vivre de l’intérieur, c’est tout aussi surprenant voire stupéfiant que de les observer et d’y parer de l’extérieur, et c’est sans surprise que nous parvenons à destination dans un temps raisonnable. Il nous dépose au bout de la ruelle, la mosquée est au fond, elle se voit d’ici. Sa façade recouverte de carreaux vernissés à dominante bleue tranche avec les autres en brique ocre de ce quartier tranquille. L’entrée est payante. Des bâtiments entourent sa cour dallée et son bassin central, tout baignés de soleil matinal. Ses quatre côtés sont décorés de carreaux du même type et de la même dominante que l’extérieur. Parmi les visiteurs, peu nombreux, se trouve un couple de Français avec un enfant. La salle de prière, elle aussi, est presque déserte. Comme elle est située à l’ouest, le soleil illumine les dessins géométriques de ses vitraux multicolores qui éclairent à leur tour les tapis et les murs de vifs éclats polychromes. L’ensemble est très beau, l’atmosphère agréable et pas encore trop chaude, rien de tel pour traîner un peu. Au moment où nous ressortons, deux autocars viennent de déverser leurs lots de touristes, il était temps que nous partions.

Dans la rue qui rejoint la voie principale par laquelle nous comptons aller au bazar, nous sommes interpellés par un jeune homme qui nous invite à entrer dans une maison, nous disant qu’ils sont en train d’y faire des travaux de restauration. Pourquoi pas ? Les deux pièces dans lesquelles ont lieu les travaux donnent sur une cour intérieure encore plus calme que celle de la mosquée, une petite cour avec un bassin et un gros arbre, gros en proportion de la taille de la cour. On s’affaire dans tous les coins. À l’intérieur, une équipe de jeunes, hommes et femmes, travaille sur des morceaux de miroirs qui sont ensuite mis en place sur un mur ou au plafond. Omniprésents, leur agencement savant crée des images partout. Les peintures anciennes au plafond leur laissent moins de place. Des panneaux, hélas seulement en persan, montrent d’autres travaux de restauration. Nous nous déplaçons librement sans que personne ne s’en soucie, l’atmosphère de travail est feutrée.

Au programme ensuite, Narenjestan, une demeure ancienne devenue, à la fin du XIXe siècle, la maison d’une riche famille qui l’a arrangée au goût de l’époque. Rien ne filtre à l’extérieur mais le seuil débouche sur un jardin dominé par de hauts palmiers sous lesquels croissent des orangers qui entourent eux-mêmes de petites pièces d’eau. Le jardin est ceinturé par l’habitation. Comme dans la maison précédente, la décoration de la partie principale, une terrasse couverte incorporée dans la bâtisse, repose sur des jeux de miroirs, des miroirs de toutes tailles au plafond et sur les trois murs. Au-dessus des portes, les reflets sur les miroirs disposés entre les vitres dessinent des arabesques lorsqu’on les regarde du jardin. La visite se termine par des photos souvenir avec un couple de touristes Iraniens.

Il est temps, maintenant de partir vers le bazar. Vers le bazar est exagéré, nous sommes dans le bazar, nous visons sa partie couverte. Nous choisissons le trottoir à l’ombre ! Nous n’avons pas fait 100 m que nous tombons sur un marchand de tapis. Loin de toute pression touristique, si nous allions y faire un tour. Ici, pas de présentation luxueuse, les tapis sont enroulés ou, pour les moins grands, entassés les uns sur les autres. Le magasin n’est pas petit mais l’espace libre est finalement exigu ! Le patron ne parle pas anglais, heureusement, un autre homme est là et parle assez anglais pour que nous puissions échanger. Pour avoir le choix, nous avions pris la précaution de venir avec des dimensions, assez de dimensions pour les différents espaces de la maison sur lesquels nous pourrions mettre des tapis. Nous commençons par le plus grand, environ 2,50 m par 3,50 m. Ils en ont. Vu l’organisation du dépôt, cela nécessite un peu de manutention dans le magasin : extraire les rouleaux susceptibles de receler des tapis de cette taille, puis les ouvrir en partie pour nous présenter les motifs. L’espace au sol est insuffisant pour étaler les tapis. Tout ce travail est celui d’un troisième homme, les deux autres se contentant de l’aider si nécessaire ou de lui indiquer lesquels prendre. Les opérations durent, on sert le thé et nous sommes installés. Ils ont un autre dépôt, deux magasins plus loin, nous nous y rendons, eux et nous. L’espace au sol est encore plus réduit, seule une ou deux personnes peuvent y entrer tellement les empilements sont serrés, les tapis sont donc sortis sur le trottoir et étalés ou non selon nos indications. La belle lumière du soleil permet tout à la fois d’en apprécier la texture, les motifs et les couleurs et d’y traquer les défauts. L’un d’eux retient notre attention, il est étalé sur le trottoir, tourné et retourné dans tous les sens, les passants et les voisins doivent trouver tout cela normal puisque personne ne s’arrête. L’étape suivante est celle de la discussion sur le prix. Nous en sommes arrivés à ce point parce que le prix demandé nous a semblé correct. Dans le cas contraire, nous n’aurions rien fait déballer et, bien que correct, il est d’usage d’en discuter. Nous retournons au magasin. La discussion prend du temps, on ne doit pas se presser pour cela. Il est entendu que, si elle aboutit, nous paierons comptant et que nous emporterons le tapis, cela aussi a son importance. J’ignore le temps que nous y passons, mais au bout du compte, nous tombons d’accord. Bien évidemment, nous n’avons pas la somme sur nous et devons aller changer de l’argent. Ils nous trouvent un taxi qui a pour mission de nous amener à une adresse que je donne au chauffeur et de nous ramener. Évidemment, cela ne se passe pas exactement comme prévu. Nous n’arrivons pas loin de l’endroit demandé, mais pas exactement non plus, et là, comme par hasard, se trouvent tout un tas de changeurs. Repérés de loin, nous n’avons même pas à descendre du taxi, l’opération est faite par la fenêtre au vu et au su de tous les observateurs, chauffeur et accompagnateur compris – pourquoi ce chauffeur est-il accompagné d’ailleurs ? Il n’empêche que tout se déroule bien et que nous sommes reconduits chez notre marchand. Paiement, c’est la première fois que je sors plusieurs millions de ma poche ! Pour d’éventuelles questions en douane, je demande une facture, pas de problème, en tout cas pour l’Iran parce qu’elle est intégralement en persan, plus loin, nous verrons. Il reste à s’entendre sur l’enlèvement du colis. L’homme à tout faire fera le paquet. Nous avons décidé d’écourter notre séjour à Shirāz, non que la ville ne nous intéresse pas, mais en raison du renouvellement des visas. Nous sommes en effet mercredi, le week-end commence demain, il faudrait rester jusqu’à samedi et ce serait encore trop tôt pour entreprendre la démarche. Nous irons la faire à Yazd, la route est longue et les visites en chemin importantes. Il serait bien de ne pas partir plus tard que 4 h, ce que je propose. Le magasin ne sera pas ouvert, mais le second homme me donne son numéro de portable, il faudra que je l’appelle lorsque nous serons prêts et lui préviendra le patron qui viendra ouvrir et nous remettre le tapis. Ils me demandent de donner un pourboire au troisième homme, lui qui fait tout. Il est Afghan, de Kābul (prononcer coboulle), immigré depuis 30 ans et, selon les deux autres, parfaitement intégré ici. Combien ? Ils suggèrent une somme que je donne immédiatement. Je perçois un malaise qu’ils n’osent pas exprimer malgré nos demandes. J’imagine que c’est une confusion entre rials et tomans. Je leur ai pourtant demandé en rials, mais ils sont tellement habitués à travailler en tomans qu’ils pourraient avoir fait la confusion et avoir répondu en tomans sans dire tomans ce qui expliquerait que, se sentant fautifs, ils refusent de dire la raison du problème. Ils échangent longuement, mais nous ne comprenons rien, comme d’habitude. Nous en restons donc là. Voici deux heures que nous sommes ici.

Nous partons, l’ombre sur le trottoir a réduit et, plus grave, des commerçants commencent à tirer le rideau. Il reste toutefois assez de magasins ouverts pour que nous nous arrêtions, des pauses d’observation si fréquentes que nous n’avançons pas vite et lorsque nous arrivons à la partie couverte du bazar, bon nombre de commerces ont déjà fermé. C’est sûr, c’est calme et cela nous incite à aller visiter la mosquée Vakil. Sa cour, bien plus vaste que celle de ce matin, inondée de soleil à cette heure, est bordée de constructions en arcades toutes recouvertes de carreaux de faïence bleutés. L’ensemble a belle allure, tout renforcé qu’il est par une grande salle de prière dont les voûtes des dômes reposent sur quarante-huit piliers torsadés et dont le minbar est un impressionnant monolithe de quatorze marches. Ici encore, nous passons un bon moment à admirer les motifs floraux ou géométriques des façades. Nous continuons ensuite à errer dans le bazar sans arriver à bien nous y orienter, les venelles couvertes ne sont pas toutes rectilignes, et nous visitons finalement à la hâte et de façon très partielle d’autres édifices tout aussi admirables. Il s’agit en effet de penser à rentrer pour nous préparer. Sur la place proche du parking, nous faisons l’acquisition de recharges pour le portable, qu’un client valide à notre place, puis de fruits et de légumes. Un peu de repos, la matinée a duré plus de six heures !

Nous sommes prêts à l’heure. À la sortie du parking, le gardien – ce n’est pas le même qu’hier – essaie de demander un supplément, mais nous avons payé et il n’insiste pas. Aucune difficulté ensuite pour circuler, c’est l’heure creuse et c’est le même trajet qu’en taxi ce qui évite de chercher. Nous trouvons une place presque devant le magasin, il est d’ailleurs cocasse de constater que nous peinons un peu à reconnaître les magasins, ne voyant plus maintenant qu’une longue suite de grilles métalliques qui ne masquent certes pas complètement les vitrines mais qui ne laissent cependant pas passer le regard lorsque l’intérieur est sombre, et étant incapables de nous repérer à l’aide des enseignes. Ils m’avaient demandé d’appeler à notre départ pour avoir le temps de venir. Pas assez sûr, j’ai préféré attendre d’être sur place pour le faire, quitte à devoir attendre. Je téléphone, personne. Je laisse un message sur le répondeur espérant qu’on l’aura entendu et que le message sera écouté, beaucoup d’hypothèses pour ce temps de repos ! Nous attendons de fait un bon moment. Le patron finit par arriver, le message a dû faire son effet parce que ce n’est pas encore l’heure d’ouverture. Il ouvre et je découvre un gros paquet parfaitement emballé et cousu dans une toile artificielle orange de texture semblable à de la toile de jute. Il est lourd, nous nous mettons à deux pour le porter. Heureusement que nous avions prévu un bel emplacement dans le coffre. Une fois le tapis chargé, nous saluons et partons comme nous pouvons. Partant vers le sud-est, la rue n’a pas l’orientation souhaitée, mais, d’une part, rien ne dit que nous ne trouverons pas d’indication un peu plus loin et, d’autre part, le gabarit du camping-car n’autorise pas le demi-tour. Plus loin, la situation s’aggrave puisque cette rue débouche sur une large avenue en direction du sud. Ce n’est pas mieux, ni pour les indications, toujours absentes, ni pour le demi-tour, ici à cause du terre-plein central. Je vois bien que nous n’allons pas du tout dans la bonne direction, il est temps de demander. Un grand rond-point sur lequel les automobilistes débarquent à vive allure, voilà l’emplacement idéal ! D’ailleurs, bien que je sois sur la troisième file, la voiture qui nous précède s’arrête brutalement, sans s’occuper d’en mesurer des conséquences – on s’occupe de ce qui est devant, ce qui se passe derrière est l’affaire de ceux qui sont derrière, une règle simple mille fois vérifiée – c’est tout simplement qu’il avait un passager et que celui-ci était arrivé. Je me gare par là, au bord, il ne faut tout de même pas exagérer, et demande à un motocycliste qui nous fait le signe d’un demi-tour puis celui d’un rond-point et d’une route à droite. Ce n’est pas compliqué, juste un peu fatigant. La route indiquée va droit sur la montagne, il va falloir envisager de tourner. C’est à ce moment-là qu’apparaît une station-service pour poids lourds. Comme une longue route dans du désert nous attend, autant partir avec le plein. En cette fin de journée, la pagaille aux pompes est indescriptible, il y en a dans tous les sens, je me faufile et me retrouve nez à nez avec un gros camion de chantier. Il peut faire le plein et moi aussi. Il ne pourra pas repartir sans manœuvre, moi non plus ! La chaleur et la puanteur sont au rendez-vous. Sans la fameuse carte, je dois attendre un peu. Un pompiste vient, fait le plein, en prend plein le bras et les chaussures, le gazole dégouline partout, il en rit et continue à « remplir » pour arrondir le montant tant et si bien que le surplus coule à terre, bref, la routine. Je paie le double de ce qui est indiqué sur la pompe, la monnaie tarde un peu à venir, le chauffeur du camion s’impatiente, une question sur notre direction et nous repartons. En fait, ce n’est pas vraiment à gauche au rond-point comme indiqué, mais tout droit et la route tourne à gauche devant la montagne, un autre motocycliste nous a tirés d’affaire au beau milieu d’une circulation devenue intense. Cette route longe la montagne, mais, de nouveau, sa direction n’est pas bonne, il va falloir la quitter, où ? Son gabarit autoroutier et la rapidité du flot de véhicules permettent difficilement d’envisager un arrêt, nous traînons sur des kilomètres jusqu’à trouver un autre motocycliste arrêté auquel nous demandons. Il faut continuer et tourner à droite, sans plus de précision.

Nous nous rendons à Persépolis mais nous demandons plutôt Marvdasht, une ville importante peu éloignée sur la route. Une fois sur la route, plus de problème. Au début, les hauteurs sont rocheuses sans végétation, les cultures et la verdure restent limitées aux alentours des villages. Plus loin, le relief est moins prononcé et l’agriculture prend plus d’importance à mesure de l’extension de la plaine. À la fin du contournement de Marvdasht, un grand échangeur nous met dans l’embarras. Au premier passage, nous allons tout droit, faute d’avoir trouvé des indications, et allons faire demi-tour à la première brèche dans le terre-plein central. De l’autre côté, celui dont nous venons, une file de personnes attendent devant une boulangerie. Je m’arrête, nous avons besoin de pain. Le boulanger sort petit à petit, selon leur cuisson, des pains plats et longs et les pose brûlants sur une grille devant les clients. On me demande combien j’en veux, un, et on presse le boulanger de me servir alors que tous attendent. Le pain est tellement chaud que je ne peux pas le prendre et suis obligé d’attendre qu’il refroidisse un peu, le temps aussi de demander la route de Persépolis. Ils s’y mettent tous, boulanger compris, ce qui ne facilite pas la compréhension. Je ne retiens rien de leurs paroles et qu’il faut tourner à droite de leurs gestes. Il reste toutefois une interrogation, faut-il tourner à droite pour aller à droite ou pour aller à gauche, comme à tous les échangeurs, on ne tourne en effet qu’à droite ? Il n’y a qu’à essayer. Demi-tour plus loin et je prends à droite pour la droite. Il est hélas rapidement manifeste que cette direction est celle de la ville et qu’un nouveau demi-tour s’impose, le troisième sur les quatre directions ! Comme nous avons tout essayé, la dernière direction sera la bonne. Effectivement, un peu plus loin, un vaste rond-point marque le début de la route toute droite bordée d’arbres qui mène au site. Parking sur la gauche, il semblerait qu’on nous applique un tarif élevé, sans ticket et sans explication. Nous pouvons y passer la nuit, c’est exactement ce que nous souhaitions. Le parking et les terrains autour sont immenses, sans doute un reste des festivités de 1971. Ils paraissent d’autant plus vastes qu’ils sont peu occupés. Nous nous installons et je vais voir l’heure d’ouverture et les installations à l’entrée. Le guichetier me presse d’aller visiter le site maintenant, prétextant d’un bel éclairage. Contrairement à lui, je pense que l’air sera plus pur demain matin. Nous apprécions le calme des lieux et la largeur d’horizon du couchant. Au fur et à mesure que la soirée avance, nous constatons que nous ne sommes pas les seuls à les apprécier et que des tentes se montent, des tapis s’étendent, des pique-niques s’organisent, on y vient aussi pour apprendre à conduire en famille…

Jeudi 22 mai (Panjshanbeh 1 Khordād 1393) (پنجشنبه ۱ خرداد ۱۳۹۳)

Persépolis, Pāsārgād et route vers l’est (photos)

Très beau temps, ciel parfaitement pur. Sur le parking, les tentes sont plus nombreuses ce matin qu’hier soir. Du côté des autocars, l’heure du petit déjeuner a sonné : sur de grands tapis, de gros réchauds bruissent et fument. Nous avons déjà 10 minutes de retard sur l’horaire que nous nous sommes fixés hier, un horaire artificiel dont le seul objectif est de profiter au mieux de la relative fraîcheur de la matinée. Les premiers visiteurs, des groupes d’Iraniens, sont déjà sur place. Le site, un peu en hauteur par rapport à l’entrée, est aménagé sur une terrasse au pied d’une colline. Sa taille, il est vaste mais pas immense, permet d’envisager une visite détaillée et sans omission. Comme pour les sites grecs anciens, dépasser les simples émotions visuelles passagères nécessite des explications. Celles du guide nous conviennent, nos connaissances des Achéménides et de l’histoire des VIe et Ve siècles avant J.-C. sont en effet insuffisantes pour dépasser ce stade. Nous tournons autour de belles sculptures de style assyrien, des colonnes, montons et descendons des escaliers, en particulier ceux de l’Apadana, un palais dont la construction a commencé sous Darius et s’est terminée sous Xerxès 1er, des escaliers le long desquels ont été sculptés de splendides bas-reliefs. Au pied de la colline, ont été creusés deux tombeaux. Malgré le soleil et la chaleur, nous y montons à la fois pour les découvrir et pour jouir de la vue sur le site qu’offre leur situation. Au second, les visiteurs doivent être rares, le gardien qui s’ennuie, seul avec un livre, est tout content de rencontrer du monde et de pouvoir bavarder un peu. De là, pour rejoindre le parking, il faut retraverser tout le site et c’est très bien ainsi, une fois n’aurait pas suffi. Une occasion de repasser près de toutes ces processions de personnages et d’en découvrir de nouveaux aspects. Des groupes d’étrangers sont arrivés, toute la planète a envoyé des représentants, des renforts suivent. Nous avons bien fait de venir tôt, bien fait aussi de ne pas faire la visite hier soir comme le souhaitait le guichetier, le soleil un moment voilé vers l’est donne beaucoup de relief aux constructions et aux sculptures alors qu’hier soir, à part les lueurs du couchant, l’ensemble aurait été plus terne. Les visites dans cette région ne sont pas terminées.

De grands tombeaux royaux ont aussi été creusés dans des falaises des alentours. Les quatre de Naqsh-e Rostam, antérieurs à ceux du site de Persépolis, occupent le pied d’une falaise, de l’autre côté d’une plaine couverte de céréales. L’éclairage matinal est parfait. Les groupes qui visitent sont plus locaux. Disons au passage qu’au regard du coût de la vie, les tarifs d’entrée dans les sites sont élevés. Pour ces quatre tombes par exemple, comme pour le site de Persépolis, l’entrée vaut autant que 60 L de gazole ou qu’un poulet frit ou que 22 bouteilles d’eau d’un litre et demi. Retour ensuite pour aller voir les tombeaux de Naqsh-e Rajab. Cachés dans un repli de terrain rocheux au pied de la même colline que Persépolis, plus petits et moins élaborés que les précédents, ils manquent de finesse.

Il est plus de 11 h lorsque nous prenons la route vers le nord-est. Le paysage est coupé en deux : les parties horizontales sont vertes, le reste ocre et rocheux. La route remonte une vallée dans laquelle le vert, coincé entre les ocres, s’étend sur toute la largeur, épousant sa forme. Cette dichotomie cesse avec la vallée, ensuite, tout est minéral. Le site de Pāsārgād est en marge de l’oasis suivante. Le camping-car ne passant pas sous la barrière de l’entrée, nous y accédons par la sortie. Ses quatre composantes sont si éloignées les unes des autres qu’on s’y déplace en voiture. Au sommet d’un podium pyramidal, un sarcophage colossal, chambre funéraire de Cyrus le Grand, attend les visiteurs. Plus loin, arrêt aux jardins de Darius pour lesquels l’imagination doit prendre le relai, la plaine ressemblant à une steppe aride où croissent de beaux chardons fleuris aux piquants acérés et dans laquelle les antiques canaux délabrés paraissent déplacés. Les monuments sont réduits à leur base. Avec ses perspectives lointaines dans cet espace plat jusqu’aux montagnes et l’azur pur du ciel à peine taché de quelques beaux petits cumulus, l’ensemble n’est cependant pas déplaisant. Tout au bout du site, nous montons aux restes de la citadelle Tall-e Takht, un empilement de gros blocs de calcaire taillés d’où la vue porte sur le site, la plaine et les villages. De haut, la limite des terrains irrigués a la précision d’une coupe au ciseau, des troupeaux de moutons se déplacent à la recherche d’herbe sur des parties sèches. Plus loin, une plantation de très jeunes pistachiers dégage une impression d’abandon. À la sortie du site, nous retraversons les deux villages traversés à l’aller pour retrouver la grande route.

Au nord, l’aspect désertique des contrées s’intensifie, la végétation devient rare. Bien que cet axe de deux fois deux voies parfois distantes d’un kilomètre soit le principal entre Shirāz et Ispahan, la circulation est réduite. Les villages sont devenus rares aussi. Parfaitement minérales, les montagnes qui émergent du désert sont superbes. Le désert est à peine interrompu par des champs au nord de Dehbid. Ce n’est que plus loin que nous bifurquons à droite en direction de Yazd. Peu après le carrefour, des plantations d’arbres fruitiers, dont beaucoup d’abricotiers, sont un signe d’irrigation et de présence humaine. La route, moins importante, débouche en effet sur le village de Farāgheh à l’entrée duquel les petits étals de marchands de fruits ont envahi la chaussée. On y vend la production locale, des abricots frais. Comme en Turquie ou en Arménie, ils sont cueillis à peine jaunes et, d’ailleurs, le mot cueillir ne doit pas être le bon, on les dirait tombés, comme si les arbres avaient été secoués et les fruits ramassés à terre. Arrêt, je demande en tadjik le prix du kilo en rials, le vendeur comprend et nous montre le montant en le sortant en billets de sa poche. Je profite de la situation pour faire quelques photos, mais le vendeur auquel nous nous sommes adressés semble mécontent et un autre explique en anglais qu’il est militaire et ne doit pas être photographié. Trop tard, c’est fait. Il n’y a rien de militaire dans sa tenue, ni dans son activité ni dans sa personne. Après avoir goûté, nous choisissons nos abricots puis, le kilo étant atteint, je donne le montant demandé. Là, plus rien ne va. Ce n’est pas cela alors que c’est à l’identique ce qu’il a montré. Ne comprenant rien, nous lui rendons les abricots qu’il nous redonne immédiatement, pour rien puisqu’il refuse tout paiement. Nous avons un kilo d’abricots frais pas mûrs, tout juteux et savoureux mais nous ne comprenons rien. Heureusement, tous semblent apprécier la situation, notre vendeur, les autres et les badauds rient. Le village n’est pas bien beau : de nombreuses constructions en briques jaunâtres entourées de murs aveugles montés avec les mêmes matériaux, sur lesquelles tranchent de belles maisons traditionnelles en pisé et au toit en demi-cylindre allongé, elles aussi entourées d’un mur de la même facture. Ces dernières ne sont hélas pas assez nombreuses pour donner du cachet au village.

Plus loin, Abarkuh, un peu plus qu’un village. Les constructions sont de même type. Ce serait bien de trouver une place ici pour la nuit. Une station-service à l’entrée de la ville pourrait faire notre affaire, à la limite, parce qu’elle est petite. Nous allons voir plus loin. Sur la droite, un curieux édifice restauré, une sorte de tour de dix-neuf étages circulaires de moins en moins larges en hauteur, pas une ouverture n’est visible de la rue. C’est un yakhchāl, construction en partie enterrée, possédant une ouverture au niveau du sol et servant à conserver du froid, glace ou nourriture, malgré les températures élevées des journées. Au rond-point, je prends en face à gauche, tout droit ce doit être le centre, les chances de trouver un emplacement y sont sans doute moindres. Sur la gauche, un château fort en ruine, il n’en reste que les remparts et des tours rondes, une belle bâtisse, quel dommage qu’il ne soit pas entretenu ! Nous continuons le contournement sans remarquer d’espace approprié et finissons par retomber sur l’axe principal que nous prenons jusqu’au rond-point qui marque la fin de la ville. Là, sur la droite, une petite colline, en partie arborée, est couverte de voitures. Que se passe-t-il ? Nous sommes jeudi soir, début de week-end, s’agit-il de pique-niques, d’une fête ? Impossible de savoir sans aller voir, mais vu que le terrain n’est pas plat, nous n’y allons pas, préférant aller voir un peu plus loin, là où la densité d’habitations diminue. Rien, le désert reprend, nous ne trouverons rien. Retour sur le rond-point. Une voiture de police, une aubaine. Je m’arrête derrière et vais leur demander par gestes un parking pour la nuit. Ils ne parlent pas anglais, réfléchissent et me font signe de les suivre. Nous reprenons sous escorte le contournement jusqu’à une sortie à droite. Virage à gauche, rond-point, ils s’arrêtent et nous font signe d’en faire autant à côté d’eux. Par chance il ne se présente aucune voiture. Ils font un signe de continuer tout droit sur deux ou trois kilomètres et parlent d’une mosquée. Eux retournent et nous partons par une petite route entre des petites maisons, chacune avec son lopin de terre cultivée, sans voir le moindre emplacement. Elle débouche sur une voie plus importante, dans le village de Maryamābād. Un peu plus haut sur la droite, une grande mosquée, ce doit être là. La rue longe un parc et la mosquée trône en haut d’un large escalier qui descend jusqu’à la rue dans son axe. Nous prenons place devant l’escalier, en retrait de la circulation, et commençons à nous installer. Les curieux sont discrets et les voitures peu fréquentes, c’est appréciable. Au bout d’un certain temps, nous nous disons qu’il serait bien que l’on sache qui nous sommes et ce que nous faisons là. Je commence à monter l’escalier de la mosquée et rencontre un jeune homme, qui devait venir pour ces questions, et qui parle bien anglais. Il n’est pas question que nous restions là, dans la rue, je dois aller de l’autre côté. Un chemin de terre contourne effectivement la mosquée, je m’imaginais trouver un espace plus calme que la rue, mais pas du tout, il attend et nous fait signe d’entrer dans la cour de la mosquée. Il nous fait garer devant la porte de la mosquée, un jeudi soir, je n’en reviens pas. Ensuite, il me demande de le suivre : nous nous dirigeons vers l’une des portes des bâtiments qui ceignent la cour. Il ouvre et nous montre la pièce qu’il propose pour la nuit. Je l’en remercie et lui dit que nous n’en avons pas besoin parce que nous avons tout ce qu’il nous faut, que nous nous contentons d’une place de stationnement. Du coup, il nous fait garer au milieu, le long du bassin aux ablutions, ajoutant que nous pouvons utiliser l’eau à notre guise, c’est parfait d’autant plus que l’endroit est calme. C’est la première fois que nous avons un espace dallé de marbre pour le camping-car ! Un bon moment de repos. Plus tard commence l’appel à la prière. Certes, nous sommes près des haut-parleurs, mais nous savons d’expérience que cela ne dure habituellement pas. Le muezzin alterne chants et récitatifs, le problème est que cela dure, dure, dure. Nous restons à l’intérieur. Les fidèles arrivent régulièrement jusqu’à être nombreux et, bien sûr, tous passent par le bassin. Nous ignorons s’ils sont aussi nombreux dans la salle de prière. La plupart ont le visage buriné de paysans qui travaillent au soleil. Peu à peu, il en vient au camping-car et quelques-uns nous font signe de partir. Je regarde si je ne vois pas le jeune homme de tout à l’heure. Si, justement, il vient, accompagné de trois autres du même âge. Je sors et lui demande si notre présence pose problème. Pas du tout, il en parle avec les paysans et tout rentre dans l’ordre. Le jour décline, de nouveaux attroupements se forment et les gestes se répètent, nous décidons de partir, le muezzin n’en finit pas de psalmodier. Nous prenons la route tout droit, elle doit bien rattraper la principale. En attendant, c’est la nuit qui nous a rattrapés et c’est dans le noir que nous retrouvons la station-service vue en arrivant. Une camionnette est garée devant un bassin, nous nous mettons en parallèle et restons là. Personne ne dit rien. Nous nous rendons compte plus tard que le chauffeur de la camionnette prend un bain. Lorsqu’il a terminé, il part. Nous restons.

Vendredi 23 mai (Jomeh 2 Khordād 1393) (جمعه ۲ خرداد ۱۳۹۳)

environs de Yazd (photos)

5 h 30, on frappe à la porte. Le ciel, encore sombre, commence à s’éclaircir vers l’est. Une fois, nous ne bougeons pas, une seconde fois, nous réagissons. C’est le pompiste, il faut partir. Bien sûr, nous ne comprenons pas pourquoi et nous partons. Ce n’est pas encore l’heure de commencer la journée, nous faisons 30 m et prenons place entre un mini-magasin et une toute petite mosquée. Le jour se lève, nous nous recouchons et nous nous rendormons. L’heure de se lever reste l’heure habituelle, celle où nous nous réveillons spontanément, donc aujourd’hui, c’est un peu plus tard en raison du déplacement vespéral d’hier et du matinal d’aujourd’hui. Il fait très beau et le soleil a commencé à bien chauffer. C’est évidemment ici que nous aurions dû passer la soirée et la nuit ! Les voisins du mini-magasin, deux jeunes, ont dormi sur place et commencent à sortir au moment où nous partons pour de bon. Ce matin, le beau soleil clair illumine la façade du château en ruine. Nous allons voir là où il y avait tant de monde hier en fin d’après-midi. Il n’y a plus personne, ce qui ne nous éclaire pas sur ce qui s’y passait, un enterrement peut-être. Les marchands ambulants ont déjà pris place sur une partie du grand rond-point. Les camions de pastèques sont installés pour la journée, pare-brise caché du côté du soleil, les chalands sont au rendez-vous, il est tôt mais c’est déjà la pagaille. Un marchand de tout jeunes poulets a pris la précaution de se mettre sur le bord, il a eu beau faire une espèce de limite de ses cages grillagées, plusieurs poulets picorent aux alentours et dans son camion ouvert, ce qui ne l’émeut guère. Après la ville, la route, parfaitement rectiligne, traverse un désert parfaitement plat, tantôt sans la moindre trace de végétation, tantôt parsemé de touffes de courts arbrisseaux ressemblant à des tamaris. Au bout de la ligne droite se dessine une montagne, celle qu’il faut traverser ou contourner pour atteindre Yazd. À Dehshir, nous choisissons le contournement par l’est, une route moins importante qui traverse plusieurs villages. Le paysage est maintenant partagé, partagé entre la droite, suite du désert plat, et la gauche, la montagne tout aussi désertique. 1 500 à 2 000 m plus haut, partagé encore entre les villages, accompagnés de quelques champs et de verdure, et le reste, le désert. L’altitude, de 1 500 en plaine à 2 200 m au col, atténue la température. Tout à coup, la route fait un tour complet autour d’un sommet, nous voici dans la plaine de Yazd, cap au nord. Des cultures plus étendues, des arbres, un village, le paysage ne commence à changer qu’un peu avant de rejoindre la route de Kerman, à 260 km vers le sud-est. Quel changement ! Des camions, un trafic important, signe d’un grand axe commercial, à chercher sans doute plus loin que Kerman. C’est en effet aussi la route vers le Golfe persique.

Non loin du carrefour, nous devons chercher la route d’un village, Saryazd. D’après la carte, elle prend non loin du carrefour, de l’autre côté. Nous essayons vers la droite, rien. Nous allons jusqu’à un point de contrôle des poids lourds. Là, je m’approche d’un jeune qui donne des documents aux chauffeurs et demande. Il hésite un instant, j’ai déjà compris que c’était dans l’autre sens, et propose de nous y amener, il suffit de le suivre. Il abandonne là ses documents et son cartable, je lui dis et il fait signe que ce n’est pas grave, prend sa voiture et nous suivons. Effectivement, de l’autre côté, une route de campagne part à droite, merci. Saryazd n’est qu’à cinq ou six kilomètres. Si l’altitude a peu changé, la température par contre a bien monté. Le village est mort, chacun doit se cloîtrer au frais. Rien ne paraît à l’extérieur. La plupart des constructions sont en pisé et les parties habitées sont masquées par des murs qui courent tout au long de la rue principale et des ruelles. L’ombre est rare. Outre l’harmonie de l’ensemble, quelques constructions méritent le détour. Ici, dans le prolongement d’un reste de rempart, une tour ancienne, plus loin une place bordée d’arcades, en face, des tours du vent. Les tours du vent sont des citernes enterrées et surmontées d’un dôme encadré par deux ou trois tours maçonnées, creuses, et comportant, vers le haut, des ouvertures destinées au renouvellement de l’air et par suite au maintien d’une température intérieure fraîche malgré celle de l’extérieur. Bien que l’édifice ait été restauré, l’escalier de la citerne est couvert d’ordures, donnant l’impression que la restauration ne concerne pas les gens, c’est d’autant plus regrettable que l’édifice est beau et le travail bien fait. Ces tours ne sont pas les seules, plus loin, il se trouve une autre citerne, juste au bord de la route. Nous profitons de cet arrêt pour aller voir dans des ruelles, nous voyons… des murs dont les seules ouvertures sont des portes fermées ! Vu l’heure et la température à cette heure, nous n’insistons pas beaucoup. Au bout du village, une mosquée récente, deux caravansérails et un château fort. La mosquée allie des matériaux usuels et traditionnels. Le premier caravansérail, entièrement restauré, abrite un restaurant, nous n’y rencontrons personne, pas même de personnel, bien que tout soit ouvert. L’ombre et les volumes intérieurs sont agréables. Le second, un peu en retrait, est en cours de restauration. Les extérieurs sont terminés, tous les extérieurs, y compris ceux qui donnent sur la cour intérieure. Des escaliers permettent de monter sur le toit et de découvrir les aspects d’ordinaire masqués de l’architecture intérieure comme le dessus des dômes, en plus d’offrir une vue panoramique sur l’autre caravansérail et le château. Ce dernier qui donne la même impression de fermeture que le reste du village n’engage pas à la visite. Nous ne regrettons finalement pas d’avoir bravé la chaleur pour visiter ce village.

L’étape suivante est Fahraj, un autre village, plus proche de Yazd et, lui aussi, en dehors de la route principale. Conduisant à Bāfq, la route est plus importante que celle de Saryazd. Le désert borde la route jusqu’au but. Nous nous engageons dans la rue principale, prenons place, il n’en manque pas, et partons à la découverte des parties restaurées. Les lieux sont un tout petit peu plus vivants que les précédents puisque quelques enfants jouent dans les rues. Pour le reste, tout est aussi hermétiquement clos. La ruelle qui conduit à la mosquée est bordée, d’un côté, de maisons habitées et, de l’autre, de maisons traditionnelles délabrées en pisé. Tout autour de la place entourée d’arbres sur laquelle donne la mosquée, les maisons ont été réhabilitées, c’est propre et beau, mais mort, aucune n’étant occupée. La mosquée elle-même et son minaret sont refaits dans le même style. En pénétrant dans la cour, surprise : les travaux de restauration n’ont pas franchi la porte ! À peine cachée par les portraits d’Ali Khamenei et de l’ayatollah Khomeini, une peinture jaune défraîchie tombe en lambeaux sur le mur de la minuscule salle de prière, les tapis sont élimés, elle est pourtant en activité. Une autre rue part de la place et se dirige tout droit entre des murs et des maisons, passant sous des porches… Tout a été refait, du moins, tout ce que nous voyons. C’est beau, mais quel manque de vie !

Nous restons donc moins longtemps qu’à Saryazd d’autant que nous avons l’intention de ne pas nous arrêter à Yazd mais d’aller directement à Kharānaq. Retour à la route principale. Le trafic a décuplé, sans doute en raison de l’heure et de la proximité de la grande ville, Yazd, des camions dans tous les sens. Le contournement de Yazd ne pose aucun problème, les difficultés ne commencent qu’ensuite, en banlieue nord avec les multiples motifs d’arrêt pour les chauffeurs, comme des restaurants, des ateliers ou des magasins. Heureusement, la route de Kharānaq quitte bientôt cette pagaille pour se lancer à l’assaut du désert. Ici, c’est un désert en pente, nous montons de 600 m en une trentaine de kilomètres, une route en une demi-douzaine de lignes parfaitement droites entrecoupées de virages si peu prononcés qu’ils sont peu perceptibles. Le désert est limité des deux côtés par des montagnes escarpées au relief tourmenté et renforcé par l’éclairage rasant du soleil. En haut, l’air est nettement plus frais. Nous entrons dans le village, prenons place dans la rue et partons vite à la découverte des ruines de la partie ancienne avant que le soleil ne disparaisse. Les constructions sont intégralement en pisé, certaines sont refaites, la plupart sont dégradées, aucune n’est habitée, beaucoup ont des toits en demi-cylindre allongé, comme dans les villages précédents. L’ensemble, bâti sur une pente, est un enchevêtrement inextricable de ruelles et de passages étroits à tous les niveaux. Aucune indication, aucun fléchage ne viennent aider le visiteur, les rayons du soleil pallient. En bas, une route de terre suivie d’un canal d’eau vive mène à de petits champs. Vers l’est, la vue débouche sur le contraste d’autres champs plantés de céréales blondies aux couleurs du couchant et des lointains montagneux parfaitement minéraux. Les ombres, déjà longues, nous incitent à reporter à demain une visite approfondie. Pour ce soir, nous remontons tranquillement à la rue et partons nous installer un peu plus haut dans un espace de parking le long de la rue. Impossible de savoir ce que sont les établissements autour : ils sont tous entourés de vastes jardins, les bâtiments sont en retrait et les inscriptions, pour nous, illisibles. Nous espérons juste qu’aucun n’est un site militaire. La circulation et le passage sont si réduits que le calme est garanti pour la nuit.

Samedi 24 mai (Shanbeh 3 Khordād 1393) (شنبه ۳ خرداد ۱۳۹۳)

Kharānaq, Yazd (photos)

Ce matin, nous profitons du calme du quartier et du beau soleil pour déballer le coffre sur le trottoir et faire du rangement. De temps à autre, il faut bien renouveler nos provisions de route et les documents de voyage utilisés. C’est une opération qui nécessite cette tranquillité parce que nous stockons les réserves en tous genres dans des grosses boîtes en plastique dans le coffre qui sont si lourdes que leur manipulation nécessite le déplacement de tout ce qui gêne pour y accéder et, ensuite, bien des précautions pour les déplacer. L’une d’elles, en particulier, remplie de boîtes de conserve, ne peut être manipulée qu’à condition d’avoir tout débarrassé autour. Même si nous privilégions l’achat de denrées locales et les découvertes, nous emportons ce qu’il faut pour assurer une bonne autonomie. L’opération prend environ une heure. Le moins que l’on puisse dire est que les habitants de ce village ne sont pas curieux, pas un ne vient voir ce que nous faisons alors que dans d’autres pays, nous aurions évité la formation d’un large cercle en nous arrêtant quelque part en rase campagne. Ici, c’est parfait, nous sommes certes dans une partie de rue sans habitation, et, en plus, nous avons à disposition un large trottoir propre qui permet de nous étendre. Une fois le rangement terminé, nous retournons en haut de la rue qui descend au vieux village.

Un seul arbre en vue, une seule place à l’ombre, c’est pour nous. En bas de la rue, nous visitons le caravansérail entièrement restauré. Il sert de maison d’hôtes. Des pièces sont disposées tout autour de la cour intérieure. Du toit, la vue dépasse le village et porte sur les montagnes environnantes. Nous descendons maintenant vers les petits champs qui se trouvent sous le village en ruine. Bien qu’ils soient à des niveaux différents, les canaux d’irrigation les contournent tous. Leur taille évoque plus des jardins que des champs, leurs cultures, pour nous, relèvent plutôt de la seconde catégorie. Ici, des oignons, là des grenadiers, plus loin du foin… L’homme est la seule force de travail, l’âne sert au transport. La mosquée que l’on voit sur l’autre rive n’est pas loin et, pourtant, s’orienter en suivant des canaux d’irrigation tortueux sans empiéter sur les cultures nous oblige à demander notre chemin à deux reprises. Nous n’aurions pas pu demander plus, il n’y a en tout et pour tout que deux personnes aux champs ce matin ! Ces derniers s’arrêtent là où cesse l’irrigation, comme souvent. Ici, c’est en haut du lit de la rivière. La descente dans un terrain qui tient de l’éboulis est raide. La traversée de la rivière ne fait pas souci, même au plus profond de son lit presque plat, le sol ne présente pas la moindre trace d’humidité. De là, on a une jolie vue sur le vieil aqueduc qui l’enjambe, d’autant plus que la montagne du fond a encore les belles ombres matinales qui en révèlent le relief. Nous remontons au village par d’autres canaux. Une fois en haut, nous changeons le camping-car de côté dans la rue, tant pis pour l’ombre, immédiatement prise par un taxi qui vient de déposer ses quatre touristes étrangers, parce qu’un tuyau avec un robinet nous attend au bord du trottoir. C’est très bien de pouvoir faire le plein avant d’arriver en ville, la température et la sécheresse de l’air augmentent notre consommation habituelle. Quand je dis consommation, je parle de l’eau domestique, nous ne buvons que de l’eau en bouteille. En plus, c’est de l’eau de la montagne. Ensuite, nous ressortons du village et reprenons, en sens inverse, la route d’hier après-midi, retour à Yazd.

Le paysage était très beau hier, il l’est tout autant ce matin bien qu’il soit très différent en raison de l’éclairage du soleil, à 180° du premier, laissant apparaître des reliefs qui échappaient hier. La descente jusqu’à la ville, environ 500 mètres de dénivelé sur 80 kilomètres, est rapide, nous arrivons trop tôt pour nous aventurer dans le centre. Pour attendre, nous nous arrêtons le long d’un tout petit parc dont les ombres ne sont pas l’élément marquant et ne repartons que vers une heure, à l’heure tranquille de fermeture du bazar, pour circuler facilement en ville. Avant d’aller au centre pour les visites, nous voudrions trouver le bureau de la police touristique pour aller poser des questions sur la prolongation de nos visas demain matin. Les indications de notre guide, un nom de boulevard et celui d’un parc, nous conduisent dans un quartier au sud du centre. Nous suivons lentement le boulevard, rien ne nous donne l’impression d’avoir trouvé. Dans l’autre sens, pas mieux. Il y a bien une porte dans un mur marquée en anglais, mais elle ne mentionne que les Afghans. Dans le parc voisin stationne une petite caravane de camping peinte aux couleurs de la police et portant l’inscription « Police ». Arrêt. C’est fermé. Au parc, on vient surtout promener des enfants à l’ombre de ses grands arbres et aux terrains de jeux, il va être difficile de trouver de l’aide. Je me lance, mon interlocuteur ne parle pas anglais. Un autre, plus âgé, avec un enfant, il voudrait bien m’aider mais ne sait pas où est le bureau et cherche du côté de la police, sans plus de chance que moi puisqu’il n’y a personne. Tant pis, nous repartons pour un tour. Pour rien. Retour au parc. Nouvel arrêt et, là, un coup de chance, un jeune policier arrive et ouvre. Coup de chance, pas sûr car il ne parle aucune langue que je comprenne. Par contre, très serviable, il fouille dans ses tiroirs, fouille rapide, c’est quasiment vide, et finit par trouver quelques prospectus sans doute à caractère touristique mais tous rédigés en persan. C’est joli mais cela ne fait pas avancer. Je le remercie et me dit qu’il va falloir aller chercher de l’aide ailleurs. Juste après le parc, un grand bâtiment au fond d’un espace dont l’accès est limité et contrôlé par des gardes installés dans une petite maison à l’entrée. Je vais voir, à la limite, ne comprenant rien à ce qui est écrit, ne serait-ce pas ici ? Les gardes en question sont des jeunes, hommes et femmes, qui abandonnent leurs travaux pour m’aider. On parle anglais, après m’avoir mis en garde sur les horaires d’ouverture, on voudrait m’aider et on n’y arrive pas jusqu’à ce que l’un d’eux prenne la décision de partir en voiture pour nous montrer ! Donc non seulement ils savent parfaitement, mais en plus ils nous y mènent ! Un signe pour montrer la porte qui mentionne les Afghans et ils repartent, un signe de remerciement, ils sont déjà loin. C’était donc bien là. Maintenant que nous savons, nous trouverons demain sans problème. Ensuite, l’arrivée en ville est facile et le repérage simple. Devant nous de l’autre côté d’une place, un grand monument. Je m’arrête et demande son nom, histoire de voir où nous sommes sur le plan. C’est bon.

Il ne reste plus qu’à trouver un parking. Nous partons sur la gauche, c’est par là que j’en avais repéré sur internet avant le départ. Effectivement, avant le carrefour suivant, sur la gauche, en retrait puisqu’il faut passer entre deux constructions, une cour entourée de hauts murs en pisé et deux ou trois voitures. Juste après l’entrée, un coin offre une ombre réduite mais suffisante pour l’avant. Le parking est libre, nous l’aurions préféré gardé, il fera. Il ne resterait donc plus qu’à partir explorer la vieille ville si ce n’est qu’à cette heure, tout est encore fermé et qu’il fait bien chaud, nous faisons une seconde pause. En face du parking, une mosquée ; elle n’est ni indiquée ni même mentionnée dans le guide et, si l’intérêt de sa visite ne le méritait pas, elle aura au moins l’avantage, pour nous, de nous donner un accès à des toilettes ! Nous verrons plus tard. Pour l’heure, retournons voir ce monument entrevu tout à l’heure. Il s’agit d’Amir Chakhmāq, un hoseinieh à trois étages en arcade sur trois côtés et dont deux minarets dominent le centre. Même si la circulation n’est pas encore dense, c’est dommage de devoir passer entre les voitures pour l’admirer. Au carrefour, trois policiers font la circulation, sans zèle. Allons les voir pour leur demander où se trouve le bureau de la police touristique, ne serait-ce que pour confirmer ce qu’on nous a aidés à trouver. La conversation se fait sur la chaussée, là où ils se trouvent. Aucun ne sait aussi arrêtent-ils un taxi qui n’en sait pas plus mais qui assure que c’est fermé à cette heure ! Sur ce, nous allons où nous portent nos pas, sans but, occupés à regarder et découvrir tout ce qui se présente. Après ce monument, c’est une partie du bazar presque exclusivement consacrée à la bijouterie. Ayant la ferme intention de le visiter en détail demain, nous ne passons que dans deux ou trois de ses voies couvertes. Au retour, arrêt à « notre » mosquée. Il faut reconnaître qu’elle ne présente guère d’intérêt malgré ses deux hauts minarets. Les piliers de la salle de prière ne seraient que des poteaux carrés tout droits s’ils n’étaient couverts de faïences bleues. Son plafond plat est sans style et sans goût… on ne s’attarderait pas si des hommes ne venaient pour échanger avec les étrangers de passage, tout d’abord un jeune tout à fait sympathique qui semble avoir quelque autorité dans ces lieux et nous invite à aller partout à notre guise, puis un homme âgé, aussi sympathique, originaire du nord, dans la salle de prière, qui loue les grandeurs d’Allah et la force de la lecture, de la réflexion et de la prière, sans omettre de nous parler de ses enfants et de bien d’autres choses encore. De retour dans la rue où l’animation a retrouvé son niveau normal, nous continuons vers la tour de l’horloge toute proche, puis, de là par une autre rue, vers la grande mosquée dont les minarets sont comme deux bras tendus vers le ciel. Le commerce, dans cette rue, se partage entre le tissu, noir pour l’essentiel – mais que de variétés d’impressions ! – et les articles pour touristes, ces derniers de plus en plus nombreux à l’approche de la mosquée, point d’attrait incontournable pour les groupes. Comment, au passage, ne pas tomber en arrêt devant le dôme bleu de faïences du mausolée de Sayyed Roknaddin ? Il est si beau que nous cherchons à le voir sous différents angles en suivant les ruelles du quartier. Le mausolée est fermé, comme indiqué dans le guide, et, contrairement à ce qu’ils disent, nous ne cherchons pas à y entrer en raison, précisément, de la description qu’ils donnent de l’intérieur. Nous franchissons donc l’impressionnant portail de la mosquée. Tout bleu lui aussi et déjà très haut, il est surmonté des deux minarets vus de loin. D’ici, à cette heure tardive, rougeoyant sous un soleil bas qui n’éclaire plus la cour, on se dit que s’ils pointent bien vers le ciel, ils doivent l’atteindre tant ils sont hauts. Ouverte sur la cour, la salle de prière est passée à l’éclairage électrique, nous reviendrons demain. Dans la soirée, avant la nuit, un coup de vent porteur de sable aussi bref que violent secoue la ville. Fait plutôt rare dans cette ville, l’une des plus sèches du pays, il est accompagné de quelques gouttes d’eau. Plus tard, chez nous sur notre parking, le ballet automobile nous surprend : on vient tard au bazar et heureusement que nous sommes arrivés tôt pour la place, nous aurions eu du mal après. Il fait nuit noire lorsque le calme revient. Un seul des projecteurs fonctionne, c’est suffisant pour ne pas se retrouver dans l’obscurité complète.

Dimanche 25 mai (Yekshanbeh 4 Khordād 1393) (یکشنبه ۴ خرداد ۱۳۹۳)

Yazd (photos)

Le temps est toujours aussi radieux. Nous quittons le parking où une seule autre voiture a passé la nuit et où deux autres voitures arrivent pour nous rendre au poste de la police touristique que nous retrouvons sans problème. Il n’est pas clair que le stationnement soit autorisé devant, ce qui ne nous empêche pas de prendre place et d’entrer par la porte supposée être réservée aux Afghans. Au contrôle d’entrée, nous devons laisser le téléphone portable (cep, en turc, pourquoi du turc ici ?) et l’appareil photo. On nous dit où aller. Dans le second édifice, des guichets. On nous dit d’entrer et nous sommes reçus par un chef de bureau qui s’exprime bien en anglais. Il déclare, au vu de nos visas, qu’ils sont valides pendant 26 jours depuis le jour d’entrée dans le pays, indépendamment de la date de fin de validité du visa lui-même, cette date n’étant que la date à partir de laquelle ils ne permettraient plus d’entrer en Iran. La date d’expiration, le 28 mai, peut donc être dépassée sans souci à condition de ne pas rester au-delà du 9 juin. Si nous souhaitions dépasser cette date, nous devrions aller faire la demande dans un bureau comme celui-ci, il y en a un dans chaque préfecture de région, pas plus de deux jours à l’avance. Le défaut de visa, même minime comme un retard à la frontière, étant en théorie puni d’une peine d’emprisonnement, je lui demande si c’est certain. Il répond, presque piqué, qu’il exerce ce métier depuis 30 ans, à une frontière, puis ici ! Je le prie de nous excuser et le remercie. Nous voilà rassurés.

À la sortie, nous récupérons nos biens et nous partons pour les tours du silence, à la périphérie sud-ouest de l’agglomération, très faciles à trouver, même sans plan. Les tours et les autres constructions se trouvent sur un très vaste espace limité par un mur du côté de la rue et précédé d’un grand espace où les autocars viennent déverser leur cargaison de touristes le matin lorsque la température permet encore de monter à la première tour. Un car est d’ailleurs en train de rembarquer son groupe d’Asiatiques, un autre attend, son groupe est dans l’enclos, nous prenons place. Sur la droite en entrant s’étend l’actuel cimetière des zoroastriens et, devant, un certain nombre de constructions anciennes sans doute réservées aux sites avant que les défunts ne soient portés dans l’une des tours afin que des rapaces charognards viennent nettoyer le site. Aujourd’hui et depuis déjà pas mal de temps, une soixantaine d’années, les tours ne servent plus et ont cédé leur rôle au cimetière. Les lieux sont devenus une attraction touristique. Il fait chaud. Un groupe de Français, la moitié a été fatiguée avant de monter à la tour la plus proche et s’est arrêtée dans les constructions qui offrent ombre et ventilation naturelle sous leurs voûtes en briques. On peut même s’y asseoir. Les autres soufflent et suent dans la montée en s’éventant de la main ou avec un prospectus, les plus rapides redescendent, le travail du guide ne doit pas être facile tous les jours. Nous montons au rythme d’un groupe d’Italiens. À l’intérieur, un grand cercle au sol inégal ceint par le mur de la tour et évidemment sans toit vu l’usage qui en était fait. L’ombre du mur, là où il y en a encore, est bienvenue, on s’y agglutine. Le guide du groupe qui, en plus du persan, de l’italien et peut-être d’autres langues, parle français, nous demande d’où nous sommes, la question habituelle. C’est un sympathique jeune de Shirāz, la conversation s’engage, à laquelle les Italiens participent, la plupart parlant aussi français. Ils sont de Turin, une étape sur notre longue route pour arriver ici, et sont contents de faire une pause. Comme souvent pour les voyages de groupes, ils restent peu et passent tout rapidement. Passant sans arrêt de l’air conditionné à l’air ambiant, ils souffrent beaucoup plus de la chaleur que nous qui sommes maintenant habitués. Presque tous sont perplexes sur un voyage aussi long que le nôtre et ont beaucoup d’appréhension à la seule idée de l’entreprendre. Nos routes se séparent à la redescente, ils retournent à leur car, nous allons à l’autre tour, complètement délaissée par les touristes sans doute parce qu’elle est plus éloignée de l’entrée et plus haute. On n’y apprend pas plus, la vue plonge sur le site, première tour comprise. Pour terminer notre visite, nous nous dirigeons vers les autres constructions, certaines restaurées, d’autres non. En sortant, petit arrêt chez le gardien pour lui demander si le cimetière se visite. Réponse négative sans surprise vu le mur qui l’entoure et les portes qui le ferment. Nous lui faisons cadeau des prospectus que le policier nous a donné hier.

Au retour, nous faisons un arrêt prolongé le long d’un parc dont les grands arbres débordent et apportent leur ombre le long du trottoir. Il s’agit de nouveau d’attendre l’heure propice pour revenir à notre parking. Avant de nous y rendre, nous faisons un petit tour motorisé pour longer les remparts. Un peu plus tard dans l’après-midi, nous repartons à la découverte de la ville et surtout de son bazar. Surprise : tout ou presque est fermé. Nous retrouvons les Italiens qui errent dépités dans les ruelles désertes et apprenons de la bouche du guide que l’on célèbre le décès d’un dignitaire religieux dont le nom nous échappe immédiatement. C’est vrai que la mosquée d’en face était parée de fleurs artificielles aux couleurs vives et d’un grand panneau montrant une foule en train de porter et d’accompagner un cercueil et un portrait d’un vieillard barbu et enturbanné. Pas grand-chose à faire puisque la vie semble arrêtée. Devant la mosquée, on range. Le trafic reprend un peu, quelques magasins, peu, ouvrent. Nous marchons, allons jusqu’au rond-point suivant, finalement assez loin à pied, si loin que nous renonçons à poursuivre jusqu’à un pavillon indiqué dans le guide, d’autant plus que le ciel, si pur ce matin, s’assombrit rapidement. Au carrefour, deux jeunes hommes viennent à nous, l’un d’eux se dit étudiant en architecture et me demande de dessiner un plan de la ville. Pourquoi ? Pour ses études, dit-il, explication aussi énigmatique que sa question. Je dessine et il repart avec mon plan ! Nous rentrons. Une fois chez nous, comme hier, un fort coup de vent secoue le camping-car et répand du sable partout bien que tout soit fermé. Plus tard, à l’occasion d’un déplacement vital à la mosquée d’en face, je vois un attroupement sur le trottoir, juste à gauche de la sortie du parking. Le coup de vent a abattu l’un des petits arbres de la rue et celui-ci est tombé sur la voiture garée là, pas de chance, des dégâts matériels qui nous font apprécier l’abri relatif de notre coin de parking. Vu le nombre de personnes en train d’immortaliser la scène avec leur téléphone portable, je vais chercher l’appareil. Soirée aussi calme qu’hier.

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