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Voyage de 2014

Semaine 9, Iran

Lundi 26 mai (Doshanbeh 5 Khordād 1393) (دوشنبه ۵ خرداد ۱۳۹۳)

Nā’in (photos)

Nouvelle visite en ville et, décidément, pas de chance ! Le bazar est un peu plus ouvert qu’hier, mais sans plus en raison d’une autre commémoration qui nous échappe autant que la première. Il en faudrait plus pour nous retenir d’aller un peu partout, tout en regrettant cette activité partielle. Un petit tour du côté de la grande mosquée aussi, l’éclairage est à l’opposé de celui d’hier soir, non pas pour tout revoir, mais pour aller plus loin dans les ruelles. En attendant, le soleil illumine le portail et ses carreaux de faïence à dominante bleue ainsi que ceux qui agrémentent le parement de la salle de prière et il s’agit d’en profiter ! En plus d’admirer leur beauté et les formes géométriques qu’ils composent, cela a l’avantage de nous écarter des groupes de touristes étrangers, c’est leur heure. Nous nous lançons ensuite dans le dédale de ruelles, venelles et autres passages étroits qui s’étend au nord. Comme à Saryazd, nous sommes comme enfermés dans un long corridor tortueux aux ouvertures barrées de portes closes et aux murs en pisé. Le sol et ces murs sont de couleur ocre, le ciel est bleu et il n’y a pas d’autre couleur. Les rencontres ne sont pas fréquentes. À plusieurs reprises, nous avons tout le loisir d’observer le système de double marteau monté à l’extérieur des portes : ces heurtoirs faisant des bruits différents en retombant, les occupants savaient si celui qui frappait était un homme ou une femme et, dans le premier cas, les femmes de la maison avaient le temps de se voiler. Les tours du vent ne manquent pas non plus. Plusieurs sites méritent une visite, nous allons voir la prison d’Alexandre qui n’est pas une prison et qui n’a d’Alexandre que le puits dans la cour. Son dôme qui n’est pas couvert de faïences bleues mais juste rehaussé de quelques lignes de carreaux bleus à sa base, a des lignes très pures. Son voisin, au-dessus de la tombe des douze imams qui sont, soit dit en passant, tous enterrés ailleurs, est à la fois plus tassé et plus massif. Plus loin, nous découvrons le jardin de la cour intérieure du Khan-e Lari, la maison plus que centenaire d’une riche famille. Tout au fond, nous sommes accueillis par un jeune homme qui s’enquiert de notre nationalité et de notre langue et qui extrait ensuite un livre en français de sa collection. Il ne parle pas anglais mais est tout content de pouvoir nous offrir un livre qui, rédigé dans notre langue, nous persuadera du bien fondé et de la solidité de la religion musulmane, comme le dit son acolyte. La fin de la matinée apporte un peu de mouvement dans ce labyrinthe, surtout au moment où nous arrivons sur une sortie d’école, des filles toutes coiffées d’un foulard blanc et portant un uniforme violet. De retour vers la grande mosquée puis dans la rue de la tour-horloge, l’activité est plus intense que ce matin, les écoles doivent toutes terminer à la même heure. Après la pause, nous profitons du repos de début d’après-midi pour quitter notre camping. Avant de quitter la ville, nous passons devant des lieux que nous n’avons pas pu visiter comme le temple zoroastrien du feu, fermé à cette heure comme à chaque fois que nous y sommes passés.

Vers le nord, la route traverse les affreuses banlieues entrevues avant-hier. Ensuite, le désert reprend ses droits, peu interrompu par de rares petites oasis et leurs maisons. Presque partout rectiligne, la route, lien important au gabarit autoroutier entre le nord et le sud du pays, est facile. La coupure dans le paysage désertique que représentait la traversée de Meybod et Ardakan n’existe plus en raison de l’aménagement d’un contournement sans doute assez récent parce que non indiqué sur la carte. Un désert sans relief accompagne le voyageur jusqu’à l’entrée dans Nā’in, même après avoir quitté la voie rapide. Une avenue bordée d’arbres tout du long après ces kilomètres de désert modifie la couleur ambiante de fond en comble, leur ombre accentue le contraste. Au bout, un rond-point tranquille, une grande mosquée sur la droite et, pour nous, une hésitation, ce ne doit pas être cette mosquée, celle que nous cherchons étant connue pour son ancienneté. Je m’arrête sur le rond-point – le stationnement est interdit mais il reste de la place – et vais, avec le guide, voir un vieil homme assis à l’ombre pour lui demander où aller. Je lui montre le nom en persan, il ne regarde pas au bon endroit et dit « anglais », je repointe le nom et il explique par gestes la suite du parcours. Les noms en persan sont écrits si petits dans le guide qu’au moment d’aller vers lui je me suis dit qu’il ne pourrait peut-être pas lire sans lunettes, mais non, il a bonne vue ! C’est simple, à gauche jusqu’au rond-point suivant puis tout droit et la première à droite. Les arbres continuent à nous accompagner. Ils ont partout les pieds dans l’eau, une eau vive qui coule en abondance dans les canaux le long du trottoir. Par rapport à l’environnement désertique de la ville, c’est surprenant. La mosquée attend fièrement au bout de la rue indiquée, son minaret dans l’axe. La construction, à l’extérieur dépouillée et austère, a la couleur du désert. Cette mosquée est l’une des plus anciennes du pays. Un parking devant la mosquée, nous sommes déjà certains que ce sera celui de notre halte nocturne, les constructions du quartier sont basses et entourées de murs, des garçons jouent au ballon sur la place, des personnes âgées profitent de l’ombre des arbres autour du bassin aux ablutions… la tranquillité sera au rendez-vous. Nous sommes à peine descendus de voiture qu’un homme se dirige vers nous. Bien habillé, présentant bien, une barbe grisonnante soignée et parlant bien anglais, il est le directeur du musée voisin et se propose de nous montrer le travail de tapisserie, une spécialité de Nā’in. Auparavant, nous visitons la mosquée en sa compagnie. De dimensions modestes, des salles regorgeant de décors en stuc d’une grande finesse qui font écho aux sculptures du minbar en bois entourent la cour intérieure. De là, un escalier descend à une sorte de crypte ancienne à la fraîcheur bienvenue. Pour ce qui est du musée, nous sommes lundi, et, comme dans de nombreux pays, c’est jour de fermeture, il faut attendre demain. Ensuite, le directeur nous amène chez lui, c’est là que sa femme confectionne des tapis dans le style propre à cette ville. Il nous précède dans sa voiture, situation commode bien que la circulation soit plus que réduite ici. Hors des artères principales, nous ne suivons que des rues rectilignes bordées de maisons peu élevées ou de murs. Il s’arrête dans l’une d’elles, nous sommes arrivés. Il nous présente au gérant de l’hôtel en face puis nous le suivons chez lui. Après nous être déchaussés dans l’entrée, nous prenons place au salon où le thé est aussitôt servi par son fils. En l’absence de sa femme, c’est lui qui nous montre le point persan, point simple à la différence du turc qui est double. La démonstration est suivie de la présentation d’une bonne demi-douzaine de tapis dont il achète une partie à des habitants des environs pour les revendre. On pourrait les caractériser par leurs motifs floraux stylisés ou animaliers sur fond blanc ou bleu pastel. Nous leur reconnaissons un beau travail mais continuons à préférer les tapis d’autres régions malgré toutes les prouesses verbales qu’il développe pour essayer de vendre sa marchandise. Nous faisons aussi connaissance avec l’une de ses filles qui, elle, dessine ces motifs sur papier. Nous prenons finalement congé pour retourner sur la place de la mosquée non sans aller faire un petit tour préalable au rond-point central. Devant notre mosquée, une rangée d’arbres plantés sur le trottoir sépare la rue du parking. Ce ne sont pas de grands arbres, des mûriers, mais, à cette heure où les ombres s’allongent, ils suffisent à nous en apporter un peu. Périodiquement, les garçons qui jouent au ballon viennent cueillir des mûres sur les branches basses, en faisant tomber qui rejoignent celles qui, à demi-écrasées, jonchent le sol. Comme prévu, la soirée est d’un calme sans faille.

Mardi 27 mai (Sehshanbeh 6 Khordād 1393) (سهشنبه ۶ خرداد ۱۳۹۳)

Ispahan (Esfahān) (photos)

Ce matin, pas de précipitation. Nous ne sommes en effet plus très loin d’Ispahan où, comme ailleurs, il vaut mieux arriver en début d’après-midi et, par ailleurs, ici, le musée n’ouvre qu’à 9 h. Le quartier est aussi calme qu’hier soir, nous ne prêtons même plus guère attention aux appels à la prière. À l’ouverture, visite. Le directeur est bien là, mais on le sent moins attentionné. Il a rassemblé une collection ethnographique locale intéressante et l’a exposée dans une riche demeure toute organisée autour d’un jardin central très agréable et invisible de l’extérieur. Ensuite, plein d’eau à la mosquée et départ. Pour éviter d’avoir à chercher, nous repartons par les boulevards suivis à l’aller. Achat de bouteilles d’eau avant de nous lancer dans le désert, notre consommation ne baisse pas. La route a eu beau changer d’orientation, l’environnement est aussi désertique. Le seul changement notable est le rapprochement du relief. L’arrivée en ville ne pose aucun problème, bien que nous soyons un peu en avance.

Nous sommes dans les bonnes avenues, sans chercher, avec tout juste un arrêt de temps à autre pour vérifier. Nous visons la place Naghshe Jahān sans savoir si la circulation y est autorisée ; avant de partir, nous avons en effet vu des photos avec et sans voitures et une rue est marquée sur le plan. Tout se passant pour le mieux, nous trouvons du premier coup la rue qui y mène et force est de constater qu’elle est barrée en son milieu et que seuls les piétons peuvent continuer. Un premier parking est indiqué sur la droite, c’est-à-dire la gauche après le demi-tour, par prudence je ne m’y aventure pas, préférant m’arrêter et aller chercher à pied, une bonne idée, le parking était souterrain ! Un autre sur la droite, je vais voir. C’est celui d’un hôtel et il a le mauvais goût de fermer la nuit, allons chercher ailleurs. Ailleurs consiste à dépasser la fameuse place que nous n’avons pas encore vue, à la contourner sans la voir et à revenir par son autre côté, toujours sans la voir. Pas de problème, nous n’avons même pas à aller jusqu’à la rivière. Surprise : un autre parking, public celui-ci, entre la place et le palais Chehel Sotun. L’entrée et la sortie sont séparées par l’abri des gardiens, le passage est exigu. Le premier réflexe des gardiens est de me demander de repartir, mais, sans être réellement engagé, c’est impossible parce qu’on s’est accumulé à l’iranienne derrière, ils se reprennent et font signe d’avancer. À deux, ils déménagent plusieurs voitures pour nous faire une place à l’ombre d’un grand pin. Les voitures sont garées à quelques centimètres les unes des autres, laissant à peine ce qu’il faut de place au chauffeur pour se faufiler. Les clés restent sur les voitures et les gardiens les déplacent selon les besoins. L’arrière loin au-dessus de l’allée piétonne, nous n’occupons pas plus de place qu’une voiture et nous avons, d’un seul des deux côtés, quelques centimètres de libre pour nos mouvements, les sacs à dos passent par la fenêtre à défaut de pouvoir le faire par la porte. C’est parfait, il était difficile d’imaginer que nous trouverions aussi bien situé, à moins de 200 m de la place. Nous prévoyons de rester deux jours, sans doute ce qui a incité les gardiens à nous laisser entrer ! Les autres ne restent pas longtemps, le tarif horaire – environ 25 centimes d’euro – est sans doute assez élevé pour la moyenne et nous devrions en avoir pour près d’un demi-million ! Comme notre pin est grand, nous sommes entièrement à l’ombre. À l’arrière, l’allée est agrémentée de jets d’eau qui apportent un peu de fraîcheur.

Partons à la découverte ! La renommée des lieux est telle que nous ne tardons pas malgré la chaleur. L’allée, derrière, traverse un petit parc et y mène directement. Au bout, nous arrivons à l’entrée d’une longue galerie couverte, celle qui fait le tour de la place. Elle ne nous arrête pas pour l’instant, nous préférons aller tout de suite sur la place, cette place universellement connue qui nous attire est la deuxième plus vaste du monde après la Place Tian’anmen de Pékin. La vue est fantastique : double rangée d’arcades superposées tout autour, superbes dômes des deux mosquées, vaste jardin, pelouse et bosquets, pièces d’eau et jets d’eau, calèches, tout ce qu’il faut pour apprécier l’ensemble et en faire un lieu où l’on se plaît à flâner. Les perspectives sont admirables dans toutes les directions au point de se retourner sans cesse ! Pour l’heure, nous allons vers la plus petite des deux mosquées, celle d’en face, la mosquée du Cheik Lotfallah. Son portail et son ouverture sur la place, tout bleus, attirent l’œil tout autant que son dôme, lui aussi recouvert de faïences. Nos pas nous portent ensuite vers la Mosquée royale ou Mosquée du shah. La perspective est curieuse : l’ouverture et le monumental portail ici encore recouverts de faïences bleues occupent le centre du petit côté sud de la place tandis que la mosquée, décalée vers l’ouest et perceptible grâce à son dôme, n’est pas dans l’axe. Après ces vues extérieures, nous passons dans la galerie, une longue succession de magasins orientés vers le tourisme, pour aller au palais Ali Qapu. Tarif élevé, hésitation, surtout que des échafaudages pour des travaux de restauration enlaidissent le haut de sa façade. Ce n’est pas bien intéressant ! S’il n’y avait la vue sur la place, aujourd’hui limitée en raison des travaux et de l’interdiction d’aller jusqu’au bord de la terrasse, et une salle de musique aux murs et plafond décorés et présentant des ouvertures en creux destinées à en améliorer l’acoustique, on pourrait se passer de cette visite. En redescendant, des magasins de nougat attendent le touriste. En fait, c’est une spécialité appelée gaz (گز ‎) et qui fait la renommée de la ville. À l’extérieur, le ciel se couvre rapidement et une grosse averse arrose les lieux. Elle dure peu, juste le temps de regarder la pluie tomber puis de parcourir la partie de galerie entre le palais et la Mosquée royale que l’averse est terminée et que nous pouvons aller visiter la mosquée. Une visite qui prend un peu de temps en raison des nombreuses parties qui la constituent et dont la plupart sont décorées de faïences à dominante bleue. Bien qu’il soit resté gris, le ciel n’est pas une gêne pour la visite. Sur la fin, au cours d’une petite pause pour changer d’objectif, un homme s’adresse à nous ; comme d’autres, il souhaite savoir d’où nous venons, ce que nous visitons… Son anglais est un peu incertain, sans doute par manque de pratique, aussi n’hésite-t-il pas à téléphoner à sa femme et à sa fille en visite dans la mosquée pour leur demander de venir. Sa fille, étudiante, parle très bien. Lui est un professeur d’université à la retraite et ils visitent Ispahan. Ils nous demandent d’ailleurs si nous voulons aller au palais Chehel Sotun où ils vont maintenant. En fait, nos chemins vont diverger parce que le beau temps revient et que nous préférons aller à la rivière voir les célèbres ponts de la ville. Petit passage au camping-car et visite d’un homme qui nous demande des pièces étrangères pour sa collection. Pas de chance, nous prenons soin de n’en garder aucune à chaque fois que nous quittons un pays. Il n’en reste qu’une albanaise et une bosnienne, elles sont pour lui !

Notre rue descend, une façon de parler, c’est plat, vers la rivière, à un peu moins de deux kilomètres pour aboutir à un premier pont. Moderne, au trafic ininterrompu, il n’a d’intérêt que d’offrir une vue sur ses deux voisins, beaucoup plus anciens, typés et célèbres. Si l’eau coule abondamment dans les canaux le long du trottoir pour arroser les petits arbres, pas une goutte dans la rivière, l’argile de son lit se crevasse. En amont, le pont Chubi, 150 m, 21 arches, XVIIe siècle et, en aval, le pont Si-o Seh, 298 m, 33 arches comme son nom l’indique, premières années du XVIIe. Sur les deux rives, des allées verdoyantes. À défaut de la fraîcheur des flots au moins bénéficie-t-on de l’ombre des arbres. Les habitants ne s’y trompent pas, les jeunes, surtout, qui sont très nombreux. On vient en groupe, le plus souvent des jeunes hommes, on s’installe sur les pelouses, on cherche un coin tranquille lorsqu’on est en galante compagnie, on se promène, on récite des poèmes… Nous suivons la rivière jusqu’au deuxième pont, le plus célèbre et le plus photographié. Exclusivement piétonnier, le passage au niveau supérieur, le seul lorsque la rivière n’est pas à sec, est une sorte de rue bordée d’arcades et suivie, des deux côtés, d’allées qui passent sous d’autres arcades et qui donnent sans parapet sur la rivière. La concentration humaine y est plus forte, on nous interpelle de partout et les téléphones portables sont mis à contribution pour garder un souvenir de la rencontre. Nous revenons par le lit de la rivière à la fois pour avoir une vue du pont et de ses multiples arches avec un peu de recul et pour avancer à notre rythme tout en profitant de ces vues. Le pont débouche sur une place très animée. À cette heure, bien que le trafic soit vif, on finit par traverser et il suffit ensuite de rester sur le trottoir, un large trottoir encombré de passants et sur lequel débordent les étals de magasins qui se suivent sans discontinuité. À côté d’établissements de restauration rapide, de marchands de glaces, les plus nombreux sont les échoppes de vêtements. Les vêtements, dans ce quartier, sont sans doute plus proches des préoccupations des jeunes que ce que l’on observe dans la rue. Les vêtements féminins moulants et les sous-vêtements sont légion. Là où nous posons la question, on nous dit bien que les prix indiqués sont en tomans. Nous remontons, la pente est aussi faible que celle que nous avons descendue dans l’autre rue, jusqu’à passer derrière les jardins du palais Chehel Sotun, ils marquent l’arrivée chez nous !

Une petite pause au camping-car et nous voilà repartis sur la place Naghshe Jahān. Le soleil se couche, la lumière baisse un peu et, pourtant, on y vient en masse, surtout en famille. On s’installe sur les pelouses et, malgré la taille de la place, les retardataires peineraient presque à trouver un emplacement. On arrive avec tout le matériel, tapis roulés sous le bras, réchaud à la main, gros sacs de provisions. Observant ensuite qu’on vient de la rue voisine avec des récipients fumants, nous allons voir : des échoppes proposent effectivement des plats chauds tout prêts dont beaucoup sont des sortes de purées ou de soupes. Bien qu’il fasse nuit noire lorsque nous quittons la place, tous sont encore installés, allongés sur leurs tapis et occupés à manger ou à bavarder ou même à aller chercher des plats. Installations identiques dans le petit parc derrière le camping-car. Évidemment, le parking est encore en pleine activité. Celle-ci ne diminue que plus tard puis cesse complètement, nous restons seuls. Bien que nous soyons en pleine ville, le silence est absolu.

Mercredi 28 mai (Chaharshanbeh 7 Khordād 1393) (چهارشنبه ۷ خرداد ۱۳۹۳)

Ispahan (Esfahān) (photos)

Nous sommes restés seuls toute la nuit, une nuit d’un calme surprenant pour notre situation urbaine. L’activité reprend vers 7 h et elle reprend bien, à voir comme on se presse, comme hier, et, comme hier aussi, nous partons vers la place Naghshe Jahān, si pittoresque que nous souhaitons la voir et la revoir à toutes les heures. Ce matin, éclairage à l’opposé, presque personne, quel changement ! L’éclairage est moins intéressant car, si une autre partie des arcades en profite, il met moins en valeur les entrées des mosquées. Il en faudrait toutefois plus pour que nous n’y passions pas un bon moment. Petit à petit, nous nous dirigeons vers la rue d’en face pour aller à la mosquée du vendredi, un kilomètre et demi par des avenues que nous avons prises hier pour arriver. C’est facile et il suffit de demander en cas d’hésitation. Il est encore tôt, les magasins commencent juste à ouvrir, il fait bon, nous y parvenons rapidement. L’entrée de la mosquée se trouve en limite du bazar couvert.

L’édifice, vaste, est organisé autour de sa cour et de son bassin. La visite de chacune des parties est déjà un tout pour lequel, à tour de rôle, nous bénéficions des explications des guides qui délivrent leurs commentaires à leur groupe de touristes plus ou moins attentifs ou intéressés. La cour, qui est limitée par des murs de faïences bleues en arcades et possède quatre grands iwans, a beaucoup de charme. La technicité des constructions en briques des piliers et dôme laisse une forte impression. Nous restons une bonne heure à tout regarder en détail, le temps de voir défiler un bon nombre de groupes qu’il est agréable d’avoir le temps de laisser passer.

De retour à l’extérieur, nous avançons un peu devant la porte principale. De part et d’autre les commerces proposent des tissus et exposent des modèles de vêtements féminins conformes aux souhaits et règles en cours, autant dire que la couleur noire domine et que les mannequins ne laissent paraître que l’ovale de leur visage. Nous nous arrêtons au premier à gauche après l’escalier, nous y sommes reçus par un jeune homme – tiens, c’est vrai, il n’y a que des hommes à la vente des tenues féminines – qui nous montre les tissus, tous noirs, comme à Yazd, mais très variés. Il parle bien anglais et explique que leur prix est fonction de leur qualité et de leur rendu à l’éclairage. Vient ensuite la confection qu’ils proposent à celles qui le souhaitent et dont le prix varie aussi largement selon le travail, ce qu’il nous montre sur pièce, un examen qui dévoile beaucoup de subtilités dans le détail des réalisations au-delà de celles de l’étoffe. Pour terminer, les clientes n’étant pas encore là à cette heure, il prend le temps de feuilleter et commenter pour nous une revue qui montre les photos de mannequins, des vrais, qui ont revêtu les modèles des différents pays de la région, les alentours du Golfe persique n’étant pas avares de prescriptions ou d’incitations dans ce domaine. C’est très instructif et tellement inhabituel pour des Occidentaux.

Pour rentrer, nous prenons les venelles couvertes du bazar, en essayant de nous repérer grâce au plan du guide. Elles sont si nombreuses, si peu rectilignes et si marquées de coins que l’orientation, en l’absence de soleil, n’est pas facile et nous oblige à demander fréquemment, mais, même en demandant, les choses ne sont pas si simples qu’on le penserait parce que, bien sûr, si on peut passer à droite, on peut aussi passer à gauche… À l’une des demandes, on nous dit que nous pouvons passer mais que tout est fermé, sans que nous en comprenions la raison ni la durée. On nous a dit vrai, tous les rideaux sont tirés, sans doute pas pour longtemps parce que les rideaux ont été baissés mais pas jusqu’au sol et que la lumière brille à l’intérieur. Nous pensons, sans certitude, que la raison de ce mouvement est l’enterrement d’une personnalité de cette partie de bazar. C’est par ici que se trouve la mosquée Hakim et nous réussissons à la trouver par nous-mêmes ! Comme quelques caravansérails, la mosquée, la plus ancienne d’Ispahan, est complètement imbriquée dans les ruelles et les constructions du quartier. Sa décoration et son architecture ne font pas regretter de l’avoir cherchée. Les caravansérails sont variés, couverts ou non, lieux de rencontre ou de ventes spécialisées et plus ou moins décorés. Sur la fin, à l’approche de la place Naghshe Jahān, les marchands de tapis sont majoritaires, c’est en effet par ici qu’entrent les touristes. La vente se fait dans de toutes petites échoppes, dans des magasins, dans de grands commerces luxueux jusque dans de vastes entrepôts où des milliers de tapis sont empilés pour le commerce en gros. Un vendeur nous propose des tapis, nous reviendrons plus tard. À côté mais un peu en marge, il reste de petits commerces de matériel de tapisserie : laine de toutes les couleurs usuelles, outillage et métiers. Nous ressortons du bazar par la porte, la belle et monumentale porte, qui ouvre sur la place. Nous ne l’avions pas encore franchie et nous ne pensions pas la passer pour la première fois dans ce sens. Au lieu de passer par la place pour aller faire une pause chez nous, nous prenons des petites rues où l’activité prolonge celle du bazar. Un ébéniste construit des fauteuils sur le trottoir au milieu de la foule, on se promène…

Après cette matinée chargée, un peu de repos, puis nous reprenons. Le but ? Le palais Chehel Sotun, juste en face, nous le voyons du camping-car. L’entrée marque l’arrivée au calme, celui d’un vaste jardin planté de grands arbres sous lesquels on se repose sur les pelouses entre les bassins. Le jardin est vraiment agréable, nous nous y promenons longuement. Au milieu, le palais dont la couverture de la terrasse repose sur une vingtaine de piliers (Sotun) de bois, qui donnent eux-mêmes une vingtaine de reflets dans le grand bassin, d’où le total, quarante (Chehel). L’intérieur présente de belles peintures, principalement des plafonds peints et de grandes fresques murales qui retracent des épisodes historiques. Autant le palais de la place Naghshe Jahān nous a déçus hier, autant cette visite est agréable et intéressante.

Maintenant, nous retournons voir le marchand de tapis rencontré ce matin. À notre surprise, malgré la multiplicité des magasins et leur ressemblance globale, nous le retrouvons et il nous reconnaît. Puisque nous sommes revenus, nous sommes accueillis et entrons aussitôt. L’accueil est impeccable : dès que nous sommes installés, le thé arrive et, après quelques mots de conversation entremêlés d’un peu de français, on nous présente toutes sortes de tapis. Certains, à notre goût bien sûr, sont très beaux, nous trouvons par contre les prix un peu élevés, les touristes doivent être plus nombreux qu’à Shiraz. Ni l’accueil, ni notre attrait pour quelques-uns ne nous poussent à l’achat. Nous sommes raccompagnés avec le même sympathique entregent que si nous avions réalisé un achat, puis, nous repassons dans quelques ruelles du quartier pour en admirer d’autres en appréciant bien le fait de ne pas être interpellés par des vendeurs. Ils sont si peu commercialement agressifs que nous pouvons visiter un hangar de dépôt sans que quiconque nous demande quoi que ce soit. Retour sur la place, nous ne les comptons plus. L’éclairage, celui de la fin de l’après-midi, comme hier, met mieux en valeur les monuments. C’est le moment d’aller visiter la petite mosquée, la mosquée Cheik Lotfollah, petite en comparaison de l’autre. Comme pour sa royale voisine, son orientation ne reprend pas celle de la place. Passé son iwan tout bleu, suit un couloir couvert lui aussi de faïences qui mène à une unique salle sous le dôme. C’est superbe. Je ne sais pas si c’est encore un lieu de culte. Peu de monde, on admire, on lit tranquillement assis sur le sol, on échange en chuchotant, on photographie… un calme agréable, un cadre superbe ! De retour à l’extérieur, nous errons sans but sur la place, juste pour admirer et regarder les passants. Un coup d’œil toutefois dans la galerie marchande toute orientée vers le tourisme, de beaux objets et d’autres. Ensuite, faisant un nombre incalculable de tours sur la place, nous attendons le coucher de soleil. Le ciel, plus pur qu’hier, et les teintes, moins diffuses, offrent un spectacle différent. Bien que l’on vienne en nombre pour pique-niquer, la foule est moins dense. À un moment, alors que nous sommes absorbés par la contemplation des lueurs rougeâtres sur le dôme de la Mosquée royale, une femme nous demande, dans un français impeccable, ce que nous cherchons. Rien, juste admirer, merci. Repos un peu plus tôt ce soir car la journée a été chargée et parce qu’il faudra sortir tôt du parking demain matin.

Jeudi 29 mai (Panjshanbeh 8 Khordād 1393) (پنجشنبه ۸ خرداد ۱۳۹۳)

Kashan (photos)

Comme prévu, nous nous levons de bonne heure. Il faut en effet sortir du parking avant que le camping-car ne soit coincé et même avant que l’entrée ne soit encombrée. Vite, vite donc ! Nous nous préparons assez tôt pour avoir le temps d’aller faire un dernier tour sur la place Naghshe Jahān. L’air est d’une pureté extraordinaire, la découpe sur le ciel des constructions autour de la place et surtout celle des dômes des deux mosquées est parfaitement nette. Les passants sont rares mais les cochers des fiacres sont déjà là, prêts à embarquer des touristes pas encore arrivés. Nous ne devons pas nous éterniser. De retour au parking, les premiers clients sont au rendez-vous, il est temps de partir. Je vais payer et nous partons. Partir se déroule en trois étapes : arriver à l’abri des gardiens, sortir du parking et sortir de la ville. La première est un succès, comment en serait-il autrement puisque le parking est presque vide. La deuxième, par contre, est une réelle difficulté. J’avance tant que je peux, mais il faut se rendre à l’évidence, la largeur du passage entre les branches de l’arbre et l’abri, en hauteur, est insuffisante, même en s’y reprenant à deux fois pour être parfaitement dans l’axe et malgré l’aide des gardiens. Il ne reste qu’une solution, sortir par l’entrée, c’est passé à l’entrée, nous devons y parvenir pour sortir. Les gardiens stoppent le flot d’entrée. Premier essai infructueux, je suis en parallèle avec l’abri et ne peux tourner un peu à droite pour rester sur la rampe. Deuxième essai, je suis dans l’axe de l’ouverture, l’avant touche le sol, je dois me mettre plus en biais. Troisième essai, l’avant passe mais c’est au tour du pot d’échappement de toucher le sol. Quatrième essai, les gardiens fatiguent un peu au vue de la file qui s’allonge, un peu plus en biais encore et c’est bon, ouf !

Pour la sortie de la ville, nous ne choisissons pas la voie directe qui consisterait à partir à droite et à suivre l’avenue jusqu’à l’autoroute. Nous aimerions aller voir un autre pont et revoir ceux d’avant-hier avec le soleil sur leur autre face. Pour s’y rendre directement, il suffit de tourner à gauche malgré la bande continue, les voitures dans tous les sens et les plots installés au milieu de la chaussée. Moins intéressants sur le plan humain qu’en fin d’après-midi, c’est cependant aussi un bon choix parce que le soleil matinal met l’architecture des ponts en valeur. Évidemment, si de l’eau passait sous les ponts… Cette fois, nous partons et, pour cela, nous retraversons la rivière puis nous nous laissons embarquer par le flot, droit vers le nord. Sortie de la ville sans problème. Nous retrouvons rapidement une route à deux fois deux voies puis une autoroute, la différence entre les deux étant une baisse substantielle du trafic dès qu’on arrive sur l’autoroute ; sans doute en raison du péage, de nombreux chauffeurs préfèrent les routes qui suivent. Certains tronçons sont interdits aux poids lourds, la raison devant être le relief. Les pentes ne sont pourtant pas fortes, les montagnes, jamais bien loin, ont été évitées. Nous circulons en plein désert, les paysages sont toujours aussi spectaculaires.

Nous partons pour Kashan, la grande oasis suivante. Ce n’est en fait pas la suivante, mais nous ne quittons pas l’autoroute à Natanz pour arriver à Kashan avant la fermeture du bazar. Difficile de s’imaginer qu’on arrive dans une ville en voyant la sortie de l’autoroute tant elle ressemble à une route de campagne. C’est bien là, la ville est un peu à l’écart. Et c’est bien la ville : circulation intense à cette heure, pas de parking, une place dans l’artère principale au troisième passage. Hâtons-nous. Le bazar, coupé en deux par cette artère, ne ressemble pas à ce que nous avons vu jusqu’à présent. Sans quartier spécialisé, les magasins se succèdent sans unité, offrant le plaisir de découvertes à chaque instant. Un autre aspect nous séduit aussi, son caractère plus authentique en ce sens que, un peu à l’écart des sentiers battus par les touristes, on y trouve ce que cherchent les habitants. La déambulation sans but conduit à de belles découvertes comme ce grand caravansérail au dôme tapissé de faïences bleutées. Les étals de fruits secs sont si appétissants que nous y faisons quelques provisions. Nous restons jusqu’à la fermeture progressive sans aller voir l’autre partie, nous reviendrons en fin d’après-midi.

Bien que la chaleur soit étouffante, nous partons visiter la mosquée-medersa Agha-Bozorg, un beau bâtiment dans les tons ocre des briques rehaussés des touches géométriques bleues des faïences. Le centre est occupé par une cour elle-même en grande partie prise par un bassin autour duquel s’ordonnent les pièces de la medersa. L’atmosphère est sereine, on se repose à l’ombre, on bavarde, des étudiants jouent… Notre visite se poursuit avec la maison des Boroudjerdi, un très bel ensemble de pavillons contigus autour d’un jardin de quelques arbres et un bassin. Les façades internes sont décorées de stucs tandis que le fond est occupé par une salle de réception ouverte aux multiples décors peints. Comme le précédent, l’endroit est tout à fait agréable. Il constitue une halte pour les bus de touristes qui descendent à Ispahan. Petit tour dans le quartier pour constater que les touristes en question sont bien attendus et nous partons vers le Jardin de Fin à la périphérie de la ville, du côté de l’autoroute. Là, il faut se rendre à l’évidence, jeudi après-midi, le week-end a commencé, le parking est plein, pas de place dans la rue à moins d’aller loin ce à quoi nous nous résignons. Beaucoup de voitures, donc beaucoup de monde. Le quartier est plutôt résidentiel avec un bord de rue intégralement occupé par des restaurants et des maisons de thé. On vend aussi la spécialité locale, l’eau de rose. Les étals lancent des éclats aux couleurs des milliers de bouteilles qui attendent preneurs. Le désert n’est pas loin, juste derrière les maisons, cela n’empêche pas l’eau de couler abondamment dans le canal qui longe la route. La densité de la foule augmente à l’approche de l’entrée du jardin, un jardin qui reste mystérieusement masqué par la haute muraille qui l’enclot. Passage à la caisse. À l’intérieur, on est presque aussi serré qu’au dehors. Passer dans le jardin est entrer dans le domaine de la verdure – pelouse, grands arbres – et de l’eau, omniprésente sous forme de canaux, bassins et jets. Les jeux d’eau continuent sous les coupoles du bâtiment principal. On se photographie beaucoup, on prend des bains de pied, on visite tous les coins et recoins, le passage dans le hammam ressemble à une file dans un couloir étroit de métro ! Il n’en reste pas moins que le site est agréable.

Après un bon moment, nous repartons vers le centre-ville pour aller voir la partie de bazar que nous n’avons pas encore vue. Contrairement à la fin de matinée, le soleil ayant baissé, des ombres envahissent la place centrale. On y trouve même de la place sans chercher, signe que le bazar commence tout juste à ouvrir. C’est vrai, la plupart des magasins ont le rideau tiré. Nous passons un moment chez un boulanger qui nous invite à voir son travail. Ils façonnent la pâte en une longue et fine langue qu’ils déposent avec leur pelle sur le tas de gros gravier qui couvre le sol du four. Sans surprise vu la finesse de la pâte, la cuisson est rapide. Le pain est alors extrait du four, toujours avec la pelle, la chaleur est vraiment intense, et déposé sur une grille à grosses mailles à la fois pour qu’il refroidisse et aussi pour qu’il perde, s’il en a, les graviers qui ont adhéré à la pâte en début de cuisson. Le pain est bon marché, il s’en vend beaucoup. Les boulangers semblent très fiers de nous faire découvrir leur savoir-faire. En fin d’après-midi, nous regagnons le parking d’où nous sommes partis près de la maison des Boroudjerdi. Il est un peu en dehors de la route et fera pour la nuit. Je vais, plus par curiosité que par nécessité, chez l’épicier, en face. Je n’avais jamais vu de magasin aussi exigu : s’il entre, je ne peux le suivre ! Tout aussi sympathique, lui aussi est très content de la visite. Je lui prends de l’eau, j’en vois deux ou trois bouteilles. Je lui demande un paquet de six sans en voir et en me disant que son espace de stockage est peut-être juste pour cela. C’est oublier la débrouillardise : il va à sa voiture, garée devant, ouvre la porte arrière et revient avec le pack demandé ! Au retour, un tourbillon de sable obscurcit un instant la rue, la place et le ciel. Heureusement, nos fenêtres fermées auront limité la pénétration du sable. Comme à Yazd, la remarquable finesse des grains est suffisante pour s’introduire partout. Il suffit de passer la main sur la table pour s’en rendre compte. Avant la nuit, nous changeons de place plusieurs fois, selon les disponibilités, de façon à avoir le moins de bruit possible de la rue.

Vendredi 30 mai (Jomeh 9 Khordād 1393) (جمعه ۹ خرداد ۱۳۹۳)

visite, route et contrariétés (photos)

Départ tôt pour une journée incertaine. C’est en effet aujourd’hui que nous devons passer à Téhéran (Tehrān) où nous avons décidé de ne nous arrêter en raison des difficultés de circulation mentionnées partout, et du fait que je n’ai pas trouvé de stationnement simple à l’avance. Nous avons beau être dimanche localement, il n’est pas sûr que la circulation ne soit pas infernale. La route est simple, c’est la suite de l’autoroute d’hier. C’est d’ailleurs la suite à tous points de vue, paysage au relief toujours aussi désertique, faible trafic, vendeurs sur les bas-côtés. Au départ, ceux-ci proposent, sur des mètres de longueur, des bouteilles d’eau de rose, plus loin, ce sont des paysans, sortis on ne sait d’où tant le milieu est aride, qui offrent des melons et des pastèques.

Nous arrivons assez tôt à Qom, ville sainte et centre chiite connu bien au-delà des frontières du pays. L’arrivée en ville est un peu déroutante. De grands travaux visent à améliorer la circulation et le stationnement, nous ne sommes heureusement pas en période de pèlerinage. Il faut se rendre à l’évidence : les parkings pour voitures, pourtant nombreux et bien indiqués, ne sont pas pour nous ; couverts, ils sont trop bas et nous devons nous rabattre sur les parkings pour autocars. Ce qui déroute le plus est de ne pas savoir si nous sommes loin ou non du centre, la voie rapide est en contrebas, le long d’une petite rivière, et l’on ne voit pas en haut. Nous entrons dans l’un d’eux. Ici, des Iraniens, installés sur des tapis près de leurs tentes n’ont pas encore fini de se préparer. Un escalier pentu conduit à l’avenue, en haut. Nous la suivons jusqu’au centre, les minarets sont visibles au loin. Presque personne au début, beaucoup de monde en vue sur l’esplanade. Manifestement, on vient de partout, les visages et les costumes en témoignent, de l’Iran à l’Extrême-Orient. Par contre, pas un Occidental en vue, nous sommes seuls et bien des regards se dirigent sur nous ce qui n’empêche pas d’avancer jusqu’aux portes des sanctuaires appareil photo en bandoulière et souvent en activité. Nous avons le sentiment de ne pas nous trouver à notre place, pas la moindre trace d’hostilité, juste des regards un peu interrogateurs, c’est gênant. Comme les portes sont renseignées en persan, nous n’insistons pas et rebroussons tranquillement chemin, de toute façon très contents d’être venus et d’avoir pu admirer une forêt de minarets qui ne parvient pas à masquer les dômes dorés ou couverts de faïences bleues et au pied desquels évolue une foule bariolée. Retour et départ pour la capitale.

La circulation s’intensifie un peu, mais rien d’alarmant, nous roulons bien. Les panneaux publicitaires font leur apparition, nous en jugeons bien entendu par les images et non par le texte. Après un grand lac salé, le désert disparaît progressivement au profit de petites constructions semi-industrielles et surtout en raison de la présence de quelques arbres. À l’approche de la ville, de la pelouse et des fleurs apparaissent aussi. Nous ne sommes malheureusement pas là pour nous réjouir de voir des fleurs, mais plutôt pour guetter les indications à chaque échangeur. Nous avions un peu d’appréhension, et tout se passe très bien. C’est bien indiqué, les voies sont très larges et la circulation raisonnable. Nous voilà partis en direction de Qazvin, vers le nord-ouest, une direction qui change au point de se dire qu’au bout de la route, c’est chez nous ! Le tournant n’est qu’une illusion puisque nous avons l’intention de quitter l’autoroute à Karaj et de partir vers le nord, vers la Mer Caspienne. Là non plus, pas de problème, c’est à croire que ce qu’on lit sur le trafic n’est que baliverne. Nous trouvons même la route de Chālus sans difficulté, elle commence à un grand rond-point au trafic étrange. Beaucoup de voitures descendent là où nous souhaiterions monter et nous ne sommes pas les seuls. L’ennui est qu’un policier en interdit l’accès, ce qui forme un petit bouchon dans lequel chaque chauffeur concerné va, à son tour, demander ce qui se passe ou comment faire au policier. Nous emboîtons le pas, il parle un tout petit peu anglais et explique en quelques gestes que la route restera fermée jusqu’à 2 h du matin, la raison qu’il a du mal à expliquer nous échappant. Que faire ? Nous nous arrêtons un quart de tour plus loin, entre deux garages ouverts. Quoi qu’il en soit, nous ne pourrons pas passer avant l’heure dite et nous n’avons pas l’intention d’attendre.

L’alternative consiste à poursuivre jusqu’à Qazvin et à rejoindre la côte par Rasht. Cela fait perdre la traversée de la montagne au nord de Téhéran et la côte jusqu’à la région de Rasht, un peu plus embêtant pour la haute montagne que pour la mer que nous verrons plus loin et pour laquelle le guide ne se montre guère élogieux. Nous terminons notre second tour du rond-point et partons à l’aventure vers l’ouest ou le sud-ouest nous disant qu’une sortie de la ville sur l’autoroute devrait bien se situer par là. Plus compliqué que prévu, nous devons demander à deux reprises. Retour à l’autoroute donc et, de nouveau, cap au nord-ouest. Sans que cela réduise la vitesse, la circulation est plus intense que pour arriver sur Téhéran. Peu de temps après, je vois une voiture de police sur la droite, ses deux occupants un peu avachis sur les banquettes et je vois ensuite distinctement qu’ils se sont mis en route derrière nous. Quand je dis derrière, ce n’est pas faux, mais à leur allure, ils ont vite fait d’être à côté et de nous faire signe d’arrêter. Un contrôle, pénible, pour une fois que nous sommes un peu pressés d’essayer de rattraper le retard dû au changement de programme, nous n’avons en effet aucune envie de passer la nuit quelque part au bord de l’autoroute. Pas de chance. Ce sont deux jeunes. L’un d’eux vient, il ne parle pas anglais et demande les passeports, pas nécessaire de parler persan pour comprendre ce qu’un policier peut bien demander. Comme d’habitude, curieuse habitude, ce n’est que la seconde fois, je présente le mien ouvert aux pages les concernant. Au bout d’un moment – pourquoi cela prend-il du temps et pourquoi a-t-il feuilleté tout le passeport ? – il demande l’autre passeport. De même. Il part à leur voiture sans rien dire, je le suis. Au bout d’un moment encore, il déclare, un peu d’anglais lui est revenu, que les visas ne sont plus valides et joint les poignets en signe de menottes. Quand je disais pénible, je ne me trompais pas ! Au-dessus de la route, la montagne dans des teintes plutôt grises malgré le soleil, quelques murs… ce n’est pas beau et cela ne donne aucune envie d’y abandonner le camping-car. Pour ajouter une couche à l’aspect désagréable de la situation, le policier sort de sa voiture et fait le tour du camping-car pour aller montrer ses poignets joints à la porte du côté passager. Il ne fait pas dans la finesse. Bon, il va falloir s’expliquer, eux quasiment sans anglais moi sans persan. Heureusement, nous savons que nos visas sont parfaitement valides et les circonstances stimulent l’imagination. Je leur montre que je voudrais écrire, ils tendent un stylo, pas nécessaire, j’en ai un, et une feuille de brouillon et je me lance. Je commence par une espèce de forme orientée, l’Iran, que je complète par deux flèches, une vers l’intérieur et l’autre dans l’autre sens. À côté de la première, je porte notre date d’entrée, en caractères latins et selon le calendrier occidental. En haut, je marque « + 26 days », la durée de validité des visas indiquée sur les visas, et en déduit la date limite de sortie du territoire que je mets à côté de la flèche de retour. Ensuite, je leur explique par gestes et quelques paroles, ponctuées de la désignation des éléments nécessaires sur les visas. Explications assez claires et efficaces, c’est tout. Ils repartent. Nous les retrouvons à la station-service toute proche où ils sont en train de rire avec d’autres jeunes. Je pense qu’ils avaient tout à fait conscience de ce qu’ils faisaient, qu’ils savaient tout de la validité de nos visas et qu’ils venaient partager cette expérience réjouissante avec des amis. Ensuite, il reste deux hypothèses : ou bien il s’agissait juste de se divertir un peu alors qu’ils devaient s’ennuyer sur le bord de l’autoroute, ou bien ils auraient essayé de nous soutirer de l’argent pour nous laisser partir si nous n’avions pas été sûrs de nous. Le guide met en effet en garde, dans cette région, contre de faux policiers. Il est peu probable qu’ils aient été faux, comment auraient-ils eu une voiture ? Par contre, cherchant à s’amuser ou un peu pourris, pourquoi pas ? La station-service, surchargée, rend les déplacements délicats et, comme je n’arrive pas à trouver les pompes de gazole, nous repartons.

Rien à signaler pour la suite. Nous avançons jusque vers Qazvin. Une grande aire d’autoroute semble n’attendre que nous y prenions place, quelques camions à l’écart, des voitures, des familles, des magasins, des restaurants, de la pelouse, le tout un peu à l’écart de l’autoroute, à quoi bon aller chercher plus loin et sans certitude un emplacement pour la nuit ? Avant d’arrêter la décision, nous faisons le tour des installations. Les toilettes, par exemple, assez nombreuses pour satisfaire les passagers des autocars, sont parfaitement propres. Deux magasins vendent une spécialité locale de petits gâteaux sablés. Sur l’extérieur, c’est une librairie qui propose des ouvrages aux voyageurs, nous n’avions encore jamais vu cela nulle part. Les restaurants ne désemplissent pas. Les voyageurs qui font une pause ici y passent un bon moment. Tout cela est très bien, des enfants jouent sur l’aire… nous restons. Une surprise avant d’aller prendre place sur un bord éloigné de la circulation : l’homme et la femme de la voiture voisine viennent nous faire cadeau d’un kilo de petits gâteaux, bien emballé comme un cadeau. L’effet de surprise est tel que nous ne savons que faire. Rien, ils paraissent contents de nous faire ce présent que nous ne nous expliquons pas. Venant de la ville voisine de Qazvin, ils repartent, leurs gâteaux en moins. Nous allons ensuite nous mettre le long d’une pelouse, le plus loin possible du bruit même s’il n’est pas trop fort. Ici aussi, des enfants jouent, profitant de l’eau d’arrosage des espaces verts. Plus tard, on s’arrête pour la nuit : des tentes sont montées sur le parking entre les voitures dans un autre coin, des réchauds ne tardent pas à fumer, nous ne serons pas seuls à dormir ici !

Samedi 31 mai (Shanbeh 10 Khordād 1393) (شنبه ۱۰ خرداد ۱۳۹۳)

vers la mer Caspienne (photos)

Le nombre de tentes s’est bien accru depuis que nous avons fermé hier soir. L’air est pur, les couleurs sont vives et les contrastes marqués, la route va être agréable. L’autoroute prend la direction sud-ouest, il faut changer. Nous trouvons effectivement l’embranchement peu après. La circulation est plus que réduite, nous ne sommes pas seuls mais presque. Barrage-péage à l’entrée de la nouvelle autoroute. La décoration, comme nous l’avons déjà observé, est une voiture accidentée méconnaissable posée sur un socle à deux mètres de hauteur au milieu du terre-plein central. Un policier nous fait signe, stop. Il nous refuse l’accès à l’autoroute et, comme il ne parle pas anglais, nous ne voyons pas ce qui motive l’interdiction. Un petit camion de chantier doit faire demi-tour aussi. Je demande au chauffeur ce que nous pouvons faire. Par chance, il parle un peu turc ou une variété locale de turc, nous sommes en effet dans l’Azerbaïdjan iranien. Il nous propose de le suivre.

À défaut d’autoroute, nous partons donc par la route et nous ne risquons pas de nous perdre, les deux se suivant et se croisant sans arrêt. Ce changement de direction est aussi celui du changement de relief, c’en est fini de la plaine aride, nous commençons à monter un peu dans des collines teintées de vert, une couleur souvent absente ces derniers temps. Le relief s’accentue au fur et à mesure que l’on avance. Plus loin, le vert est limité aux fonds de vallées escarpées. De petites villes peu nombreuses et industrieuses ponctuent le trajet. La spécialité est le commerce des olives. Dans l’un d’elles, nous profitons d’une séance de nettoyage au jet des abords d’un restaurant pour demander à faire le plein d’eau. Le débit est si fort qu’il prend peu de temps. Tous sont sortis pour voir les étrangers et aimeraient que nous venions manger, mais l’heure matinale n’est pas propice à l’arrêt, nous poursuivons jusqu’à ce que les croisements avec l’autoroute nous fassent suffisamment regretter de ne pas y être. C’est joli, mais la route fort sinueuse ralentit beaucoup notre progression, aussi profité-je d’une bretelle de raccordement pour continuer sur l’autoroute. Finalement, l’interdiction de prendre l’autoroute devait être due au relief et limitée aux poids lourds auxquels le policier nous a assimilés. Insensiblement, nous passons du versant sud au nord, c’est-à-dire à l’influence de la mer Caspienne. Sans être verte, la montagne semble moins aride ici, la taille des rivières en est la preuve. Nous nous attendons à franchir une ligne de démarcation franche d’un instant à l’autre. La voici : tout à coup, la montagne est couverte de forêts épaisses et la couleur de la roche disparaît. Plus loin, au débouché sur une petite plaine le long du fleuve, les premières rizières nous surprennent. Le ciel, nettement moins pur, donne l’impression d’un couvercle translucide de brumes élevées. La moiteur de l’air surprend à son tour après tout ce temps passé dans des atmosphères sèches. Le climat désertique vient d’être remplacé par un climat tropical ! Bien que nous ayons vu beaucoup de rizières ailleurs, nous nous arrêtons tant le changement est frappant. Des petits kiosques de restauration et de boissons ont envahis tout le bas-côté et, s’il n’y avait le paysage au-delà, la saleté du lieu suffirait à nous faire fuir. Court arrêt, nous reprenons rapidement la route, le premier souci étant de trouver la bonne sortie de l’autoroute avant de rejoindre Rasht.

Nous partons en effet pour un village de montagne, Masuleh. Pour cela, il faut traverser une partie de plaine vers l’ouest avant de remonter une vallée encaissée en direction du sud-ouest. Les constructions ne sont pas belles, les abords de la route non plus. Sans cette débauche végétale, les champs de thé, les grands arbres… la route présenteraient peu d’intérêt. Avec la remontée de la vallée, le paysage évolue. Quelques maisons ont gardé un caractère traditionnel, des parcs de pique-nique agrémentent la montée. La forêt monte haut à l’assaut des versants de cette profonde vallée. L’humidité et les pentes boisées de beaux feuillus laissent supposer que les lieux sont propices à la recherche de champignons, nous n’irons pas jusque-là. Plus la route s’élève et plus l’air redevient transparent, pur et sec. Au bout de la route, le village de Masuleh, construit sur une pente raide orientée au sud, se trouve à la limite supérieure de la forêt dense. La pente est telle que les maisons, malgré leurs deux ou trois étages, semblent placées les unes au-dessus de autres. Le gardien du premier parking nous ayant fait signe de continuer à monter, nous prenons place à l’ombre entre des minibus, un parking fermé qui paraît réservé aux transports publics, mais en l’absence de gardien, pas de problème. D’ailleurs, en continuant à monter la route à pied, nous constatons que les voitures viennent s’arrêter plus haut. Pas de regret, la pente de la montée était trop forte pour le camping-car, d’autant plus qu’elle est un peu sablonneuse. Avant l’arrivée dans le village même, une petite cascade attire les touristes, des touristes locaux, nous ne voyons pas un étranger. Ensuite, c’est bien comme on le devinait : à bien des endroits, ce sont les toits de la maison du dessous qui servent de rue aux maisons du dessus. Les constructions en pisé sont belles, certaines ont aussi de beaux balcons en bois desquels dépassent des fleurs. Toutes ne sont pas du même style et c’est bien dommage. L’aspect touristique du village avec ses restaurants, pensions et magasins de souvenirs divers prime sans que cela soit trop gênant, d’une part parce que les vendeurs ne sont pas commercialement agressifs, et d’autre part parce que cela renforce chez ses occupants l’envie de le parer pour le mettre en valeur. Nous y ajouterions volontiers que ce bol d’air frais tranche avec la moiteur que nous avions oubliée en visitant d’autres parties du pays et qui nous a saisis à l’arrivée dans cette région.

Pour repartir, il faut reprendre la route aller jusqu’à la plaine. En passant à l’aller, j’avais repéré l’entrée d’un musée en plein air décrit dans le guide, impossible de le retrouver, je comprends mieux maintenant pourquoi le guide disait qu’il n’était pas simple à trouver. À défaut de celui-ci, allons voir Rasht et son musée. Bien que nous y arrivions assez tard dans l’après-midi pour que l’activité ait repris, nous trouvons un stationnement sur la place principale au deuxième tour. Pourtant à pied, nous ratons le musée, coincé entre deux maisons, et devons demander avant de finir par le trouver. Il est non seulement tout petit mais, de plus, partiellement fermé ce qui ne l’empêche pas de présenter quelques pièces intéressantes. Nous partons ensuite à la découverte du centre et du bazar. Ici, contrairement à ce que nous avons vu du reste du pays, l’ombre des arbres, au moins sur la place centrale, ne manque pas. On s’assied sur les bancs, on bavarde, on se promène. Les ruelles du bazar, plutôt non couvert, ne sont pas rectilignes et leur largeur permet à des vendeurs ambulants de se placer au milieu, c’est original et un peu différent. Nous ne pouvons pas trop nous attarder dans la mesure où nous aimerions aller jusqu’à la mer et y trouver un emplacement pour la nuit. La sortie de la ville est un peu encombrée par le trafic et par les marchands de fruits et de légumes. La route ressemble plus aux nôtres avec ses maisons et installations de petites industries tout le long, par son gabarit et par le fait qu’elle serpente un peu. Une grande courbe sur la gauche indique l’arrivée à la mer, mais où est-elle ? La route la suit à quelques centaines de mètres, assez de place pour des constructions en tous genres et assez d’espace pour qu’elle se dérobe au regard. Il nous faut tendre le cou sur la droite à chaque petit carrefour pour tenter de l’apercevoir. Les premiers coups d’œil sur la mer Caspienne sont brefs. Les emplacements pour la nuit ne sautent pas aux yeux non plus. Nous avançons jusqu’à l’entrée de Bandar-e Anzali. Sur l’autre voie, une station-service trop exiguë, nous retournons un peu pour prendre une route qui va à la mer à la fois pour la voir et dans l’espoir de trouver le site que nous cherchons. Près du portique qui marque l’entrée de la ville, d’énormes dauphins blancs ou jaunes, une rue part vers la mer. Sur sa gauche, rien, sur sa droite, un mur d’entreprise puis des pavillons cossus. L’ensemble n’est pas animé mais, à l’écart de la circulation et du bruit et à – 27 m d’altitude, nous sommes presque au bord de l’eau. Tout ce qu’il faut pour une soirée et une nuit tranquilles.

Dimanche 1er juin (Yekshanbeh 11 Khordād 1393) (یکشنبه ۱۱ خرداد ۱۳۹۳)

de la mer Caspienne à Ardabil (photos)

Nous descendons à la mer, ce que nous n’avons pas fait hier soir parce que je n’aime pas signaler notre présence avant la nuit. La mer reflète le bleu pur du ciel et c’est à peu près tout ce qui est beau, non que le sable gris noir soit désagréable, mais la quantité d’ordures, surtout sous les arbres, rend le spectacle peu avenant. Premier vrai contact avec ce rivage décevant alors que celui avec les eaux du Golfe avait été un enchantement. Dommage. Nous reprenons la route sur une impression mitigée, partagée entre le plaisir de la découverte et le dur spectacle de la réalité. Après la traversée de Bandar-e Anzali, la route retrouve l’environnement que nous avons commencé à entrevoir hier soir avec son habitat lâche et ses champs dont la plupart sont des rizières. Nous pensions suivre la mer, c’est vrai à distance, la route passant juste à la limite des premiers reliefs pour laisser la place à tous ces champs dans les parties planes. Nous ne voyons la mer qu’à quelques reprises. Après sa partie est-ouest, nous suivons la côte sur sa remontée vers le nord jusqu’à la frontière avec l’Azerbaïdjan. Dans les villages, par ailleurs sans intérêt, des sacs de riz attendent des acheteurs ou des ramassages devant les magasins. L’un des magasins montre une activité qui le démarque des autres. Nous ne tardons pas à nous rendre compte que c’est jour de marché. Le désordre d’automobiles en mouvement ou arrêtées nous libère de tout scrupule pour stationner. Nous prenons place entre deux voitures au moins en deuxième file, tout le bord étant occupé par des étals et des chalands. Les voitures, comme nous l’avons fait, se débrouillent pour passer sur les deux voies qui restent et qui sont bien encombrées par ceux qui cherchent une place. Nous n’avons besoin de rien, pure curiosité. Marché de campagne entre produits et matériels agricoles et biens courants, marché côtier aussi avec ses étals de poissons séchés. Quelques belles photos, personne ne s’occupant de nous, trop pris par leurs tâches. À plusieurs reprises, la route passe tout à fait à la limite de la plaine, là où les rizières laissent la place au relief et aux forêts. C’est là aussi que se trouvent les vendeurs de fruits, des cerises surtout. Loin de nos monocultures et de notre uniformité, le plus frappant est la variété des produits, mise en valeur par leur arrangement en tas de couleurs différentes sur des plateaux. Très appétissants et, bien sûr, irrésistibles. La ville frontière d’Āstārā approche, il va toute de même bien falloir faire un effort pour retourner une fois jusqu’à la plage, pour voir, surtout maintenant que la route en est un peu moins éloignée. Les petites routes dans cette direction ne sont pas fréquentes ce qui est normal puisqu’elles ne peuvent servir à rien d’autre et qu’on est loin ici des zones fréquentées par la foule de Téhéran. Il en existe, nous en trouvons une ! Un petit kilomètre de plus en plus sablonneux au bout duquel l’eau s’étend à perte de vue. Je reste prudemment en haut et nous allons à pied jusqu’à la limite entre le sable sec et le mouillé, sable tout aussi noir que celui de Bandar-e Anzali, couvert d’ordures aussi mais moins densément. La vue ne présente pas beaucoup d’intérêt, un coup d’œil vers le sud, un vers le nord et nous repartons.

La partie sud d’Āstārā ne présentant pas d’intérêt, au lieu de bifurquer directement vers Arbabil, nous entrons un peu en ville, mais la crainte de nous trouver coincés dans le trafic transfrontalier nous renvoie dans cette direction avant d’être arrivés au centre et de pouvoir en dire quelque chose. Tant pis. Ensuite, plus de rivage, retour au relief. La traversée de la plaine et de ses rizières n’est pas longue avant d’attaquer la remontée d’une vallée encaissée et sinueuse dans laquelle le trafic est tel que nous passons du temps dans des files derrière des camions. À notre droite, presque tout le long au bord de la route, de hauts barbelés gardés par des militaires marquent la frontière. En fait la frontière suit le torrent, une cinquantaine de mètres derrière, sans introduire la moindre discontinuité dans le paysage, une forêt dense et ininterrompue. Plus haut, la forêt commence par s’éclaircir avant de disparaître complètement au profit de prairies, c’est le royaume de l’apiculture dont les maîtres occupent les bords de la route pour vendre leur production. Les pots se suivent sur des kilomètres jusqu’à l’entrée du tunnel sous le col. Le versant ouest puis la plaine sont à la fois moins verts et plus cultivés. Outre ce changement, le plus important dans l’immédiat est plutôt celui du ciel que de gros nuages noirs ont envahi. Le temps est incertain, il y avait si longtemps que cela ne nous était pas arrivé.

Si l’entrée dans Ardabil ne pose pas de problème, il n’en est pas de même de la circulation dans ses rues et du repérage du centre. Il arrive même que j’entre dans une rue à contresens, le sens réservé aux transports publics, ne m’en rendant compte qu’en croisant une voiture de police qui nous regarde bizarrement mais ne dit rien. Une fois sur place, le stationnement ne présente pas d’autre difficulté que celle qui consiste à éviter le profond canal sans rebord qui court entre la chaussée et le trottoir. Ces canaux ne sont pas seulement profonds, ils sont larges aussi, mais les commerçants ou les habitants ont installé des planches pour rejoindre le trottoir, gare aux maladroits. Nous laissons passer le plus fort d’un gros orage avant de nous lancer, K-way sur le dos. Les auvents des magasins offrent ensuite les abris nécessaires. La pluie ne nous fait pas peur, nous l’avions presque oubliée et le complexe du Mausolée de sheikh Safi-al-Din est tout proche, de l’autre côté de la place. Des portes séparent différentes parties de l’ensemble. Après un jardin de roses, viennent de belles constructions recouvertes de briques vernissées ou de faïence, toutes dans les tons bleus habituels et dont l’agencement et les décors montrent des motifs floraux ou géométriques. Le ciel un peu sombre et le sol mouillé accentuent les contrastes. Ce que nous voyons de l’intérieur est tout aussi admirable : voûtes à stalactites dorées, parements muraux à caissons comme dans le château d’Ispahan, tapis… De plus, les visiteurs sont trop peu nombreux pour se gêner, nous prenons notre temps. Retour dans la rue. Il est clair qu’il se prépare quelque chose, les poteaux, les troncs d’arbre et les téléphones publics sont enveloppés de papier doré, on déploie des drapeaux devant l’entrée du site en les piquant dans les branchages qui ont été déployés tout le long. Un peu plus loin, un attroupement féminin, les formes noires bien visibles de loin. Est-ce lié ? Qu’est-ce que c’est ? Nous n’arrivons pas à savoir, les marchands de souvenirs – de la confiserie – ne parlent pas anglais. Pendant la visite, le trafic s’est intensifié, la traversée de l’avenue est plus difficile. Retour. La rue dans laquelle nous sommes arrêtés a précisément la direction voulue pour la sortie de la ville que nous avons choisie, mais, nous aurions voulu aller jusqu’à la petite rivière qui traverse la ville et elle est justement à l’opposé ! Il suffit de repasser dans le bazar et de descendre jusqu’en bas. Nous ne voyons que le pont Ebrāhimābād, un pont à trois arches, joli, certes, mais qui ne supporterait pas la comparaison avec l’un de ceux d’Ispahan, il aurait mieux valu passer ici avant.

Il est maintenant temps de quitter la ville. Aucune difficulté, nous ne demandons pas plus de deux fois la direction de Pārsābād. Nous n’y allons pas mais notre route en prend la direction, pour contourner le massif Qusheh, nous devons en effet prendre vers le nord. La culture dominante, au moins de façon visible à cette saison, est celle de la pomme de terre. Toutefois, la route s’élève et les champs, par défaut ou impossibilité d’irrigation, laissent la place à des parcours d’élevage extensif. Comme souvent, la route a la taille d’une autoroute, n’en différant que par les multiples chemins et routes de campagnes qui semblent ne mener nulle part qui y débouchent. Tout à coup, sur la gauche, une station-service. Elle n’est pas grande, mais son parking est immense, allons voir. Il suffit de faire demi-tour, une opération somme toute pas si compliquée sur ce type de route, n’importe quelle trace entre les voies distantes d’une bonne centaine de mètres fait l’affaire. C’est formidable, de la place, personne, le calme. Je vais voir les pompistes pour leur demander, aucun problème, ils viennent même nous indiquer le meilleur emplacement, celui que j’aurais pris si je n’avais rien demandé. Pour cela, ils déplacent un gros tuyau d’arrosage, j’en profite pour demander si nous pouvons prendre de l’eau, pas de problème non plus, et comme la dernière fois, attention au débit ! Vu l’abondance, lavage en grand. Autour, à part le bâtiment et les pompes qui ne sont pas près de surchauffer vu le peu de clients, une rangée de pièces vides, pas vieilles mais déjà abandonnées aux oiseaux. On avait dû prévoir un hébergement pour les voyageurs, et, de l’autre côté, un magasin, les pompistes ont parlé de supermarket bien que l’anglais ne soit pas leur point fort. Plus tard, au moins pour participer au fonctionnement, j’y vais. C’est petit, presque vide et fermé. Je retourne les voir et leur demande « supermarket? ». L’un d’eux prend la clé et m’accompagne. Ce que j’avais vu au travers de la vitre sale se confirme, ils n’ont presque rien. Finalement, le mot supermarket est amusant, en particulier son préfixe. On ne peut pas dire que les étagères sont vides, il n’y a pas d’étagères. Ce qu’ils ont est posé par terre. Tout est poussiéreux et le mot tout est plaisant aussi. Je prends un paquet de six bouteilles d’eau. En plus elles sont chères ! Ce n’est pas grave, c’est pour le geste. Avant même de revenir au camping-car, ils m’interpellent. J’y vais mais ne comprends pas malgré leurs efforts, ni en persan ni en turc. Sans autre recours, ils me prennent par la main, me font entrer dans le poste et me conduisent à leur réfrigérateur. Merci, mais nous en avons un ! Ils n’en reviennent pas. Quelle prévenance. Comme d’habitude, à aucun moment, il n’a été question de pourboire. Je ne me fais pas de souci sur la température de l’eau, nous sommes à nouveau en altitude, la montagne est proche, le temps et redevenu beau et sec, la nuit sera fraîche.

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