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Voyage de 2014

Semaine 10, Iran, Turquie

Lundi 2 juin (Doshanbeh 12 Khordād 1393) (دوشنبه ۱۲ خرداد ۱۳۹۳)

Tabriz (photos)

Je ne m’étais pas trompé, la nuit a été fraîche. Quel changement après les bords de la Caspienne ! Pour ce qui est du calme, c’était parfait. Le ciel ennuagé d’hier après-midi qui n’était pas parvenu ici n’est qu’un souvenir. Comme hier soir, nous avons un ciel parfaitement pur, un beau ciel de montagne. La route oblique bientôt vers l’ouest, nous passons au nord du massif et d’ailleurs, les sommets ne tardent pas à apparaître, c’est tout simplement superbe : encore lointains, brillants de neige immaculée dans le soleil matinal et s’élevant au-dessus des premières pentes que la route longe entre quelques champs à la végétation peu développée et de vastes terrains pierreux. Les arbres ont disparu hier après-midi en même temps que la plaine. Ici, ils ne croissent que près des villages et ceux-ci sont plutôt rares. Comme toute montagne, celle-ci dévoile de nouveaux aspects à l’approche. Les arrêts photo sont fréquents. Le clou du spectacle est la vue qu’elle offre au-dessus de la ville de Meshginshahr avec les verts de grands arbres élancés pointant vers la montagne sur l’horizon de la découpe des toits et des murs en ville. Nous n’y entrons pas, nous contentant de la magnifique vue qu’offre le contournement. C’est ensuite à regret que nous voyons les sommets s’éloigner lentement. Sans ces grands arbres et leur verdure, toute cette partie semblerait à peine sortie de la léthargie hivernale. La neige ne couvre-t-elle pas toute la partie haute ? Il est vrai que le sommet dépasse les 4 500 m. Avec l’éloignement de la montagne, vient celui des réserves d’eau, le relief s’assèche pour retrouver les tons d’ocre et les rochers qui nous ont si longtemps accompagnés. La verdure, maintenant plus avancée, se cantonne aux fonds de vallée et en épouse les formes, de petits champs, des haies d’arbres ou des vergers. L’autre ville de cette partie du trajet est Ahar. Les maisons inachevées et la poussière enlaidissent l’entrée en ville. Nous n’allons pas bien loin, prenons une place sur le côté d’un rond-point pour nous accorder une minute de réflexion. Cette ville, la plus proche de la frontière arménienne, nous donne en effet le choix entre un retour par l’Arménie et la Géorgie ou la poursuite vers Tabriz et la Turquie. Nous connaissons le premier pays mais pas le second, une connaissance suffisante pour savoir que les routes y sont pour la plupart dans un état peu adapté au passage d’un camping-car, goudronnées certes mais les nids de poules s’y suivent de si près que la mécanique serait mise à rude épreuve. Nous avons donc tôt fait de nous décider à poursuivre comme nous l’avions prévu, nous disant toutefois qu’il faudrait bien aller visiter la Géorgie dont les voyageurs disent tant de bien sur les forums. Décision rapide suivie d’une sortie rapide de la ville en direction de Tabriz. La route traverse l’extrémité ouest du massif que nous suivons depuis hier après-midi. Le relief y est ici bien moins prononcé qu’à l’est et la neige en est absente. C’est très bien ainsi puisque tous les reliefs à nu dévoilent les arcs de couleurs qui teintent les couches du terrain, alternant des rouges et des jaunes du plus bel effet. Nous voulions voir ce spectacle sans arriver à nous rappeler comment nous avions appris son existence puisque le guide n’en souffle pas mot. Peu importe, nous y sommes et en profitons tranquillement. Nous faisons bien parce que la plus grande ville de l’ouest iranien, Tabriz, approche et que le trafic, local et de transit international, s’intensifie sérieusement.

La recherche du centre, le bazar, est une suite d’interrogations, du plan du guide, des panneaux et d’automobilistes voisins aux feux. Et, comme d’habitude, une fois que nous pensons avoir atteint le but, vient la recherche d’un stationnement. Nous avons la chance d’arriver à une heure où l’activité n’a pas encore complètement repris, une place nous attend, assez longue pour ne pas nécessiter de manœuvres compliquées. Dernières questions : le parking est-il payant ? Sommes-nous loin d’une entrée du bazar ? Pour la première, il semble, aux dires plus ou moins compréhensibles des nombreux passants venus voir, que la réponse soit affirmative, mais que quoi qu’il en soit, nous n’aurons à payer qu’au départ. Je fais confiance au préposé arrivé entre temps et aux personnels des magasins pour faire savoir que nous sommes sur le point de partir lorsque nous en serons là. Pour notre seconde question, c’est plus vague, le bazar est partout… il va falloir se débrouiller. Laissant les curieux sur place, nous partons à la découverte. La recherche n’est pas longue, nous identifions immédiatement les avenues au carrefour suivant et nous dirigeons vers une entrée dans la partie couverte du bazar. Ce bazar, un vrai labyrinthe, est le second plus grand d’Orient après celui d’Istanbul ; renommé pour ses tapis, il comporte de plus des caravansérails et des dômes à ne pas rater. Nous n’avons pas fait dix mètres à l’intérieur qu’un homme encombré d’achats vient vers nous, se dit marchand de tapis et nous propose d’aller voir sa collection. Pourquoi pas ? Voir n’engage pas et nous pourrions acheter des descentes de lit pour les enfants s’il s’en trouvait à notre goût. Nous le suivons dans le dédale des allées, sans avoir le temps de regarder ce qui se vend par ici, si ce n’est vite, à la volée. Toutes sortes de marchandises, pains de sucre, fruits secs, brouettées de pieds de bœuf, poudres en tous genres, épices, ampoules électriques…, apparaissent et disparaissent avec la rapidité de l’éclair. Coup d’œil dans un caravansérail, tapis partout, nous continuons. Notre guide ne cesse de nous demander ce que nous aimerions voir, question à laquelle nous n’avons pas de réponse puisque nous ne sommes ni pressés de faire une acquisition, ni fixés sur un type. Premier arrêt, tiens, ce n’est pas son magasin et cela ne l’empêche pas de soulever des tapis pour les présenter, aucun ne nous plaît au point de se dire « Eurêka ». Nous ressortons aussi vite que nous sommes entrés et reprenons la course dans les ruelles. Un autre, mêmes remarques en pire, les scènes bibliques ne nous accrochant pas ; un autre plus loin, magasin aussi petit que les précédents mais qui continue à l’étage, pas d’escalier, juste un monte-charge électrique, une simple planche sans rebord qui embarque trois personnes et qui a le bon goût de ne pas tomber en panne, autant de tapis en haut, plus petits mais nous en avons assez et convenons, n’étant à Tabriz que depuis une demi-heure, la priorité n’étant pas à la recherche d’un tapis et la précipitation mauvaise conseillère, de nous retrouver demain matin ici même, à 10 h. C’est un peu malhonnête parce que nous savons que nous aurons quitté la ville, mais il faut arrêter, il a beau être sympathique, notre guide n’est au final qu’un rabatteur pressé de participer à une transaction puisqu’en tout ce temps, nous n’avons toujours pas vu son soi-disant magasin. Nous n’avons qu’une idée approximative de notre position dans le bazar et sommes totalement incapables de demander une direction, cela donne d’autant plus de temps pour la visite et l’observation ! Petit à petit, tranquillement, à notre rythme, nous arrivons à une porte sud. De là, nous partons vers la Mosquée bleue, à un petit kilomètre. Une passerelle enjambe l’avenue principale ce qui évite de se lancer dans le flot de voitures. Si les commerces se font plus rares en s’éloignant, il reste pas mal de pâtisseries dont nous détaillons les productions. La mosquée occupe une place centrale dans un petit parc où l’on vient se reposer ou bavarder. Après sa destruction par des tremblements de terre, sa reconstruction est relativement récente. Le ciel, devenu gris, ne permet pas bien d’apprécier les tuiles dont la couleur a donné le nom à la mosquée. Dès l’entrée dans le jardin, nous sommes hélés par un groupe de jeunes hommes en train de blaguer sur des bancs sous une sorte de tonnelle, nous verrons en repartant. Plus loin, près de l’entrée de la mosquée, un homme qui parle bien anglais engage la conversation. Ingénieur spécialisé dans l’architecture d’ouvrages d’art pour le réseau ferré, il se plaint de l’embargo qui empêche le développement et limite les échanges dans des pans entiers de l’ingénierie du pays. La suite est plus gênante, elle concerne la tenue de mon épouse : pourquoi pas en noir avec un voile ? là, passe encore puisque sa tenue est correcte au regard des lois iraniennes. Par contre, lorsqu’il aborde la révolution iranienne et surtout son leader avec des mots très durs, je ne relève pas, lui disant que je n’arrive pas à le suivre parce qu’il parle mieux anglais que moi. Qu’attendait-il ? Nous ne saurons pas. Après les propos sur les vêtements féminins, on peut penser qu’il est assez versé dans le domaine religieux, m’engager en public sur un terrain que je ne maîtrise pas est trop risqué, passons, après tout, nous sommes venus pour la mosquée. Pas de chance d’ailleurs de ce côté, c’est jour de fermeture et bien qu’elle soit ouverte, on ne nous autorise pas à y pénétrer. Il ne reste plus qu’à rebrousser chemin, pas sans souhaiter bonne journée à cet ingénieur puis, sans nous arrêter, voir le groupe qui invitait tout à l’heure. Ici, le niveau d’étude est moins élevé et, avec lui, celui de la connaissance d’une langue étrangère compréhensible plus que limité mais la joie de vivre déborde. Nous prenons place, ils veulent nous offrir un thé que nous refusons en raison du peu d’échanges que nous pourrions avoir et repartons vers le bazar. Quelques gâteaux et pâtés au passage et nous retrouvons une grande entrée à partir de laquelle nous nous dirigeons vers la Mosquée du vendredi qui nous laissera un souvenir moins vif que les étals des venelles étroites qui y conduisent. Le temps passe hélas vite à traîner et nous devons songer à ressortir.

Nous avons en effet envie d’aller passer la soirée à Kandovān, un village au sud de la ville. Une surprise nous attend au camping-car : impossible de payer, tous le refusent sans que nous arrivions à en saisir la raison. L’avenue dans laquelle nous sommes arrêtés part dans la bonne direction, mais que faire aux carrefours suivants, le plan ne va pas jusque-là ? Arrêt près de policiers, sans succès, nous ne nous comprenons pas ! Tant pis et nous voilà partis dans une direction qui ne me semble pas bonne. Effectivement, nous tombons sur un immense rond-point dont la plupart des issues partent vers le nord, l’ouest ou l’est, les trois qui ne conviennent pas. Demi-tour, c’est-à-dire tour complet du rond-point et nous reprenons l’avenue encombrée qui nous a amenés ici. La circulation est infernale et les panneaux font défaut. Deux kilomètres dans ces conditions et tout le trafic part sur la droite, je suis. Des travaux obligent à se mettre sur une file, il ne manquait que cela, et, bien sûr, toutes les voitures sans exceptions poussent de tous côtés pour avancer. C’est infernal, nous avons le gabarit du camping-car pour nous. Plus loin, cela s’élargit à nouveau et donne enfin la possibilité de demander à un voisin. La direction est bonne, il propose de le suivre jusqu’à l’intersection suivante où il repart à gauche et nous fait signe de continuer tout droit. Le trafic urbain a maintenant rejoint le flot de camions qui contourne le centre. Le ciel a mis un chapeau gris jaunâtre de temps incertain mêlé de sable. Arrêt quelques kilomètres plus loin pour contrôler que nous n’avons pas raté la route de Kandovan, sortir de la ville a duré deux heures, c’est exténuant, le plus dur étant de toujours s’attendre à parer à des manœuvres incongrues, fantaisistes, aberrantes… les qualificatifs ne manquent pas. Malgré le trafic, nous continuons à allure réduite pour ne pas manquer la sortie, d’ailleurs le village de Kandovan sera-t-il indiqué ? La route est bien là, une forte montée qui absorbe une partie de l’intense trafic de la grande route. En haut, un choix qui ne figure pas sur la carte, nouvel arrêt. Sur la gauche, une ville neuve, des banlieues modernes de Tabriz, nous prenons à droite, descente vers un premier village, Osku, le trafic est enfin plus modéré. Bifurcation à gauche, la route est encore plus petite et plus tranquille. Jusqu’à Esfanjan et à sa sortie, elle suit la vallée qui est boisée alors que tout le reste depuis la ville avait des teintes de roches et de sable. Elle monte ensuite sur le plateau où le vent est violent, même les troupeaux ont quitté les lieux, avant de redescendre sur le village cherché. Il est connu pour ses formations de tuf avec des allures de petite, toute petite Cappadoce. La rue principale du village est pavée de galets, les autres sont des ruelles pentues et principalement des escaliers. Un vaste élargissement en pente le long du torrent sert de parking, nous y prenons place et calons le mieux possible afin de retrouver l’horizontale. La soirée arrive vite, il était temps de nous arrêter. Le ciel ne laissant filtrer aucun rayon de soleil, nous remettons la visite à demain en espérant qu’il se purifie pendant la nuit et, d’ailleurs, vu l’orientation, les premiers rayons de soleil matinal devraient donner un bel éclairage et du relief à l’accumulation de cheminées des fées et aux maisons adossées à la colline. Avant la nuit noire, des voisins déballent leur tente, leurs tapis et leur réchaud pour s’installer, ils sont suivis, une fois la nuit tombée, de l’autre côté du camping-car, par deux nouveaux voisins, des familles dans deux tentes. Bien qu’ils soient tous très près, nous ne percevons aucun bruit, sans doute la fraîcheur de la soirée et le vent les auront-ils aidés à se calfeutrer chez eux !

Mardi 3 juin (Sehshanbeh 13 Khordād 1393) (سهشنبه ۱۳ خرداد ۱۳۹۳)

retour en Turquie (photos)

Nous avons bien joué : le ciel est du beau bleu pur qui nous a si souvent accompagnés. Avant 7 h et demie, avant qu’on ne bouge chez les voisins, nous sommes dehors. Les premiers rayons de soleil ne vont pas tarder, il est temps de passer sur l’autre rive du torrent et monter un peu pour avoir une vue d’ensemble du village. En commençant par le haut, les sommets des formations de tuf commencent à s’illuminer. Nous montons rapidement où nous pouvons mais, d’une part, la vue est gênée par les grands arbres du fond du vallon et, d’autre part, nous n’arrivons pas à savoir si c’est bien vu de franchir des clôtures. Ensuite, nous allons faire un tour dans quelques ruelles ce qui présente peu d’intérêt, tout est cimenté et la plupart des maisons et abris sont des commerces qui n’ont pas encore ouvert. Ce n’est pas grave, nous sommes venus pour les formations géologiques habitées et elles sont bien là, qui plus est bien éclairées par un soleil presque rasant. De retour au camping-car, nous constatons qu’on commence à remuer du côté des tentes et que les réchauds fument bien que personne ne soit visible, il faut dire que le soleil n’est pas encore arrivé ici. Nous quittons la place en faisant de grands signes d’adieu aux voisins puis reprenons la route, une route un peu longue nous attend en effet aujourd’hui.

Il faut reprendre, dans l’autre sens, tout le trajet d’hier soir jusqu’à la route principale de Tabriz. C’est beaucoup plus joli avec le soleil. La ville nouvelle ne tarde pas à paraître et, avec elle, le flot de voitures pour la capitale régionale. Heureusement, nous le quittons en prenant vers le sud. Une douzaine de kilomètres plus loin, bifurcation vers l’ouest pour le lac d’Orumiyeh. Rapidement, le terrain devient plat, l’herbe se fait rare et les lits des semblants de petits ruisseaux secs sont tout blancs. Nous savons pour l’avoir lu que le lac est salé, nous n’en sommes pas près et, pourtant, le sol doit déjà regorger de sel. Plus on avance et plus la tendance s’affirme, plus loin ce sont tous les terrains plats qui sont blanchâtres. Une petite montagne que la route contourne barre la vue du côté du lac. Sa présence est suffisante pour drainer assez d’eau et donner quelques sources qui autorisent des cultures et permettent à des arbres de se développer. Par contre, la montagne elle-même est entièrement minérale. Le lac apparaît tout à coup en la contournant. Il est blanc de sel, un blanc brumeux qui ne sépare pas ses eaux du ciel, un blanc sans horizon malgré le grand soleil. Plus on s’approche, plus nette est la croûte blanche. Une suite de digues et un pont enjambent le lac vers son milieu, à un endroit de moindre largeur, une quinzaine de kilomètres. Juste avant le pont, sur la gauche, une baraque de fortune abrite un commerce de sel tandis qu’on descend en nombre jusqu’à l’eau du côté droit. Quelques-uns s’aventurent même dans l’eau. La vue vers le nord, toujours dépourvue d’horizon, donne une impression d’infini. Nous poursuivons dans ce décor fantastique jusqu’à la rive occidentale où cesse la brume et réapparaît la couleur verte. Ne trouvant pas la route indiquée sur la carte pour couper vers le nord, nous allons jusqu’à la ville sans y entrer et prenons la route principale dans cette direction. Des collines plus ou moins élevées et, par suite, plus ou moins cultivées, émergent de la vaste oasis d’Orumiyeh. Bien que la route soit en majeure partie à deux fois deux voies, leur étroitesse rend délicat le dépassement des lourds camions accompagnés de leur nuage noir de fumée. Nous profitons d’une petite oasis de verdure au pied d’une montagne escarpée et d’une large place pour faire une pause. Pause avec surprise, celle de découvrir que la salle de bain est baignée de lumière et, surtout, de constater que c’est dû à la perte du lanterneau de toit. Nous ne l’avons même pas entendu s’arracher. Ses quatre bras ont cassé. Nous prenons toujours la précaution de les fermer tous avant de prendre la route, de plus, la température matinale ne nous aurait pas donné l’idée d’ouvrir. Il faut se rendre à l’évidence, nous devons continuer ainsi, en espérant pouvoir faire un pansement avant l’arrivée de pluie. La réparation sera pour le retour, nous savons d’expérience que si le remplacement ne pose pas de problème, il n’en est pas de même pour trouver la pièce qui, soit dit en passant coûte bien cher. Ce trou béant sur le toit est donc un souci pour la suite. Heureusement qu’il se trouve dans la salle de bain, au moins, s’il venait à pleuvoir, l’eau pourrait-elle partir dans l’écoulement. Au-dessus d’un lit, nous aurions eu plus peur. Pour l’instant, avec ce ciel d’un beau bleu pur, les risques sont minimes. Après être passée près de Salmās, la route continue vers le nord. Le changement de direction suivant se trouve à l’entrée de Khoy. Nous quittons la grande route au milieu d’une mosaïque de petites parcelles cultivées et entourées de haies ou d’arbres. Ensuite, la route remonte la vallée d’une petite rivière passant tantôt à droite, tantôt à gauche d’une voie de chemin de fer qui ne doit pas être très active ou réservée à quelque exploitation minière. La rivière en question est un peu torrentueuse et ses affluents, tous à sec, doivent parfois se transformer en torrent de boue. La pente des versants est telle que ses éboulis ne demandent qu’à descendre. À bien des endroits, l’asphalte est plus qu’incertain. Vue d’avion, la vallée doit évoquer un long serpent vert. Tiens, une petite station-service, arrêt. Ils n’ont pas de gazole et je n’arrive pas à savoir s’il y en a une autre plus loin et, si oui, s’ils en auraient bien qu’ici le gérant parle turc ou que je comprenne son azéri. Il m’amène à des bidons, mais je suis toujours aussi réservé sur l’achat de produits pétroliers hors pompe. Tant pis ! Le fait de ne pas avoir trouvé de gazole prouve que peu de camions circulent sur cette route, le passage de la frontière n’en sera que plus simple d’autant plus que nous n’en voyons aucun et que les voitures sont rares. En ce qui concerne les camions, la question est réglée quelques kilomètres plus loin : ce qui reste de la route passe sous la voie de chemin de fer sous une arche commune avec un affluent de la rivière, sans parapet, au-dessus d’une eau peu abondante mais un mètre plus bas avec un éboulis instable vertical. Pour compléter le tableau, avec l’arrondi de l’arche, je ne suis pas sûr que le passage soit suffisant pour le camping-car ce qui m’oblige à rouler au plus près du bord, une situation dont on est content de se sortir sans encombre ! Pas d’autre obstacle jusqu’à la frontière, mais… au détour d’une boucle de la vallée, un mauvais présage, la présence d’un nuage orageux déjà noir accroché à un sommet à gauche. Chacun sait que ce genre de nuage a tendance à s’accroître avec la chaleur l’après-midi. La pluie signifierait l’arrêt immédiat bien que le relief, avec ses pentes dénudées instables, n’y engage pas. Nous arrivons tant bien que mal en vue d’installations militaires perchées sur les petits sommets puis bientôt aux barbelés qui marquent la fin du pays.

Comme prévu, ce poste n’est pas un passage important pour les camions et c’est à se demander comment ceux qui sont ici ont fait pour arriver. Ils ont dû être obligés de passer dans le lit du torrent sous l’arche. Côté voitures, c’est le bazar infernal auquel on peut s’attendre, nous y arrivons. Quelques baraquements ont été installés dans un enclos fermé plein de voitures, plein, plein, plein, on ne pourrait en mettre une de plus. Comme d’autres, nous nous approchons au plus près de la porte, une sorte de porte de jardin assez haute et je vais voir, il est quatre heures moins dix. Rien n’empêche d’aller et venir malgré la fermeture, mais voir n’apporte rien et aucune explication ne vient éclairer la situation. Pourvu que la porte ne soit pas fermée jusqu’à demain ! Ici, des aides se proposent spontanément, je n’aime pas beaucoup cela parce qu’on ne sait jamais ce que cela coûtera, il est si facile de faire passer par des bureaux pas indispensables lorsqu’on ne comprend rien et qu’on ne sait pas lire. Première information : la porte est ouverte de temps à autre au fur et à mesure que des conducteurs en ont fini avec leurs démarches et qu’ils peuvent passer du côté turc. Donc pour l’instant, le plus urgent est d’attendre. De fait, la porte finit par s’ouvrir et le militaire de garde laisse passer quatre voitures dont nous. Démarche suivante, faire viser le carnet de passage en douane, indispensable si nous voulons récupérer la caution au retour. C’est au guichet, juste à côté. La règle est ici de tendre le bras aussi loin que possible par-dessus tous ceux qui attendent agglutinés en vrac à la minuscule fenêtre jusqu’à ce qu’une main prenne le carnet à l’intérieur. Les Iraniens qui doivent avoir ce carnet pour passer à l’étranger et récupérer des plaques d’immatriculation blanches, bleues et rouges écrites en chiffres arabes se pressent à cet endroit. Le traitement de chaque carnet est long, il n’est donc pas étonnant qu’il faille tendre le bras avec constance pendant un certain temps, sans s’inquiéter de ceux que l’on écrase sur le guichet puisque d’autres viennent rejoindre le tas dans la même position et que, placés plus loin, ils doivent pousser un peu plus. Vient un moment où mon carnet est happé. Il ne faut toutefois pas rêver, ce n’est pas pour s’en occuper tout de suite, mais juste pour jeter un œil pour vérifier qu’il ne manque rien. Justement, si, il manque un papier, un aide me fait passer derrière la baraque et on m’explique que je dois payer une taxe pour le gazole. C’est la première fois que j’en entends parler et m’en inquiète. On répond que cette taxe est à payer au bureau de banque installé dans une autre baraque, que j’aurai un reçu et qu’il ne s’agit pas du tout d’un bakchich déguisé. Amusant qu’ils en viennent eux-mêmes à évoquer cela alors que, sans poser aucune question, je manifestais juste un peu de surprise. Combien ? C’est fonction d’une quantité que je prends pour celle de ce qui reste dans le réservoir, et je dis 35 L. Cela ne passe pas, ce ne doit pas être cette quantité-là. La capacité du réservoir peut-être ? Je l’ignore et n’ai pas envie d’aller voir dans le livre, je dis 70 L. Ils sont satisfaits et calculent le montant, 3 millions 750 mille, une fortune, mauvaise surprise. Il nous reste quelques rials, mais pas assez, nous voilà obligés de changer au bureau de la banque à un taux on ne peut plus désavantageux. Pour tout cela, je suis accompagné par un aide qui passe la main à un autre que je marchande passablement. Retour au guichet. Là, comme je suis déjà venu, le préposé prend mon dossier immédiatement et le met sous la pile. La suite est simple mais nécessite une attention sans relâche : regarder la pile pour s’assurer que les dossiers suivants ne soient pas placés plus haut dans la pile. Tout se passe très bien jusqu’au moment où on me demande d’avancer le camping-car pour laisser de la place pour de nouveaux arrivés. Nous nous organisons : je fais signe à mon épouse de venir puis lui montre notre carnet, compte les carnets qui sont au-dessus du nôtre, trois, et lui demande de constamment vérifier que nous restons en quatrième position ou mieux si des dossiers sont enlevés plus haut. Comme à l’arrivée en Irak, la présence d’une femme au guichet crée un vide autour ce qui facilite la surveillance et peut-être le traitement des dossiers à l’intérieur. Le déplacement du camping-car est mission impossible, je ne fais pas plus de deux mètres parce que des voitures comblent sans retard tout espace laissé libre. Je reprends la garde jusqu’à ce que ce soit notre tour. Quelques questions et c’est bon. Il ne manque plus que les visas de sortie du pays. Cela se passe dans l’autre bâtisse, aucun problème non plus. Le plus délicat reste à venir : atteindre la barrière de sortie. Il doit y avoir une quarantaine de voitures tellement serrées et en désordre qu’en général les passagers ne peuvent en sortir que d’un côté. Je suis sur la droite du fatras de voitures, il faudrait aller vers la gauche pour me présenter face à la porte de sortie, nouvelle mission impossible ! Quand cela avance, c’est qu’une voiture a pu sortir, autant dire que les déplacements sont limités ce qui n’empêche pas de serrer de près ceux de devant, faute de quoi on chercherait à nous dépasser. Je ne sais pas combien de temps il nous faut pour traverser la cour, longtemps, c’est sûr. Je ne suis plus qu’à trois mètres de la porte et n’entrevois pas la moindre possibilité d’aller plus à gauche, cela va être rude ! Nous avons une pause dans ce train de tortue fatiguée, deux voitures ont cherché à passer le portail en même temps et, évidemment, elles se sont accrochées, on constate les dégâts, on palabre… ils ont dû bien forcer tous les deux parce qu’à un kilomètre-heure ou moins, ils ont réussi à plier de la tôle. Lorsqu’ils en ont fini de leurs constats, l’avancée se poursuit et, là, le militaire de garde comprend que je ne pourrais pas passer sans aide. C’est donc lui qui choisit les voitures qui peuvent avancer et celles qui doivent attendre. Ce portail doit marquer la fin réelle de l’Iran et le début de la Turquie parce que, de l’autre côté, les uniformes et les panneaux sont différents. Passer en Turquie ne suffit toutefois pas à résorber le bazar. Les Iraniens ont des documents à compléter, la queue à faire à des guichets… et pendant ce temps, ils abandonnent leur voiture n’importe où. Il n’y a aucune issue. Plus que réduites, grâce à une policière efficace, nos démarches sont vite terminées. On nous a fait attendre le long du grillage. Bien que je connaisse la réponse, je vais régulièrement demander pourquoi on nous retient. « Notre » policière cherche bien à nous aider, nous la voyons demander s’il ne serait pas possible d’ouvrir la barrière qui ferme le passage vers le trafic – nul – en sens inverse. Après plusieurs demandes, on commence à remuer, nous avons hâte parce que le petit nuage noir entrevu plus tôt s’est développé et prend une bonne moitié du pan de ciel visible d’ici. Pas d’échappatoire, nous sommes mis dans le flot de voitures iraniennes arrêtées n’importe comment et qui barrent la route. Par contre, une fois dans le flot, nous avançons sans que d’autres nous doublent pour s’arrêter aussitôt afin de faire leurs démarches. Nous sortons du poste à 18 h 20 soit 16 h 50 locales. Il aura tout de même fallu deux heures et quarante minutes, la plupart perdues dans le désordre automobile.

Plus nous avançons, plus le ciel est chargé, à plusieurs reprises, nous avons la chance de passer après la pluie, sans doute une belle pluie d’orage tant la route est mouillée. Le paysage s’aplanit, nous sommes maintenant sur un plateau presque partout cultivé et les montagnes se cantonnent aux horizons sauf l’ouest vers où nous allons. La route, en cours d’élargissement, est facile. Premier village, Saray, nous regardons bien s’il n’y aurait pas un espace couvert comme un hangar ou une place de marché, mais non. Second, Özalp, rien non plus, à part quelques gouttes, pas assez pour s’arrêter. Pourtant, il est temps de chercher un emplacement pour la nuit. Une station-service, l’aire n’est pas asphaltée, mais sa largeur permettrait le stationnement d’une douzaine de camions. Le seul ennui est que rien n’empêcherait le vent de balayer violemment les lieux s’il se levait. Je vais voir le pompiste, un jeune qui donne son accord. C’est au moment où la nuit commence à tomber qu’éclate un bel orage accompagné de rafales, pas de chance. Je sors le parapluie par le trou, l’ouvre au-dessus et nous sommes à l’abri et tout irait bien ainsi si les rafales ne le déplaçaient pas, m’obligeant à le maintenir à deux mains. Une seule question maintenant, celle de la durée, un orage ce n’est pas bien long, en théorie, mais qui sait ? Il est hors de question de passer la nuit à tenir un parapluie-paratonnerre au-dessus du trou. Nous avons une idée, pourquoi, à la place du grand parapluie, ne pas utiliser le petit d’Istanbul. Je vais vite le chercher dans le coffre et nous le ficelons solidement aux bras cassés du lanterneau. Sa petite taille le rend moins sensible au vent. Par contre, en ce qui concerne la température, sans la porte de la salle de bain, nous serions presque dehors, la nuit va être fraîche, effet conjugué de l’altitude et de l’orage. Nous pouvons maintenant nous occuper d’autre chose. L’orage cesse assez tôt dans la nuit. Calme garanti.

Mercredi 4 juin

Van, démarches et visites (photos)

L’orage d’hier n’a laissé aucune trace. De nouveau, le ciel s’est mis au bleu pur, pureté accompagnée d’une baisse sensible de la température, baisse bien répercutée à l’intérieur par notre ouverture sur le toit ! En route pour Van, chauffage à fond, il s’agit d’arriver tôt au garage pour les réparations.

Nous avons la chance de savoir où il se trouve pour y être allés il y a deux ans. Au programme aujourd’hui, la fermeture à bricoler sur le toit et les vidanges pour nous débarrasser de poussières du voyage. Aussi surprenant que cela paraisse, nous ne sommes pas seuls au garage, des voitures, bien sûr, mais surtout un autre camping-car ! Un Stambouliote qui voyage en groupe et en camping-car. Il est venu seul au garage, les autres sont restés là où ils ont passé la nuit. Il parle parfaitement allemand ce qui facilite grandement les explications avec les mécaniciens, bien que toutes nos demandes soient faciles à expliquer. Le plus important est la réparation du toit, mieux vaut le préciser, les vidanges, au besoin, pourraient attendre l’après-midi ou demain. Ils ont trouvé dans un coin deux morceaux de plexiglas ; j’insiste un peu pour qu’en plus de fixations, ils les collent, mais rien n’y fait, ils ne veulent pas, prétextant que la colle pose des problèmes. Quels problèmes ? Mystère. Le seul problème est qu’une colle inappropriée pourrait faire fondre le support ou le plexiglas, mais au point où nous en sommes, aucune importance. Ou alors, ils n’ont pas de colle mais ne le disent pas. C’est un peu ennuyeux que la fermeture soit faite avec deux morceaux qui, quoi que l’on fasse, joueront l’un par rapport à l’autre et perdront de leur étanchéité. Mon insistance les pousse toutefois à placer du ruban adhésif de carrossier tout autour et sur la jonction. Tout ceci nous laisse bien du temps pour bavarder avec le Stambouliote. Engagés dans un grand voyage dans leur pays, ils se dirigent vers le nord-est. Je lui indique la cascade de Muradiye et le site d’Ani qu’il semble ne pas connaître, mais n’en dis pas plus parce que toute discussion à propos de l’Arménie ou des Arméniens risquerait de m’embarquer en terrain mouvant. Il nous informe de difficultés en pays kurde sans plus de détail, précisant seulement que nous devons éviter Diyarbakır et la partie au nord de cette ville. Décidément, voilà la seconde fois qu’on nous met en garde et pas de chance, la route que nous comptions emprunter vers l’ouest passe par là. L’heure n’étant pas aux décisions, nous remettons cela à plus tard, il est toujours possible de redescendre vers la frontière avec la Syrie et de reprendre la route de l’aller en sens inverse, donc pas de panique. Sa réparation étant de courte durée, il part rejoindre son groupe et nous restons. En fait, tout va vite. Le plexiglas est solidement vissé sur le cadre du lanterneau, les vidanges posent d’autant moins de problème que je fournis tous les filtres, ceux que j’avais achetés à Mardin et gardés en réserve pour parer à toute éventualité en Irak et en Iran.

Courte pause en sortant, il est déjà midi, nous allons faire un tour jusqu’au château, près du lac, juste pour voir s’il se trouve un parking qui reste ouvert la nuit. Revenus bredouilles, nous allons en ville faire des achats. Supermarché, nous avons du mal à tenir notre panier parce que les employés voudraient tous nous le porter ! En sortant, ils sont en train d’arroser l’entrée et le parking pour le dépoussiérer et le rafraîchir, l’occasion rêvée pour notre plein d’eau, l’occasion aussi de rassembler des curieux. C’est la bonne heure pour aller en ville, ni trop tôt ni trop tard. Le stationnement s’est un peu amélioré en deux ans, finies les interdictions devant des immeubles ébranlés par le tremblement de terre du 23 octobre 2011, tous ont été détruits et les reconstructions vont bon train bien que les alentours continuent d’abriter des camps de réfugiés. Nous trouvons une place sans parcmètre au second passage dans l’une des artères du centre et partons. Second passage ici, nous savons nous diriger. Le musée tout d’abord, toujours fermé, pas prioritaire. Nous errons ensuite dans des rues du bazar. Les prix ne sont plus les iraniens, les produits frais sont beaux, comment résister aux montagnes de cerises bien mures qui, placées sur des carrioles sur les trottoirs, ne sont là que pour tenter le passant ? Nous trouvons une halle que nous ne connaissions pas, celle des fromages et de la viande. Les fromages frais aux herbes sont une spécialité locale, les piles sont impressionnantes. La viande est fraîche, les têtes de moutons dépecées sont sur le devant de l’étal au-dessus duquel pendent des dizaines de foies et de poumons attachés par l’œsophage ou des trachées ? Une manière de constituer un décor avec la marchandise inhabituelle pour nous. Les toiles cirées sont rouges, une façon sans doute de réduire l’aspect sanguinolent du décor. Très photogénique en tous cas !

Nous partons ensuite chez notre marchand de tapis, presqu’en face du musée. Les lieux ont changé, nous peinons à les reconnaître. Une fois à l’intérieur, pas de problème, nous y sommes bien. On nous explique d’ailleurs dans un anglais réduit qu’on a refait la façade. Aujourd’hui, les patrons, deux frères originaires de Hakkâri, sont là, celui qui était présent il y a deux ans nous remet petit à petit. On nous installe, le thé arrive promptement. Avez-vous des petits tapis ? Nous cherchons des tapis qui puissent faire descentes de lit, il suffit de montrer la taille avec les mains. Le déballage commence, nous en mettons de côté. Ici non plus, le magasin n’est pas immense mais il y a de la réserve et assez d’espace pour les étaler. Le choix est difficile. Nous en trouvons trois presque identiques et un quatrième peu différent, ce qu’il nous faut, la question du prix peut commencer à être débattue. Inutile de se presser, j’ignore combien de thés sont passés. La discussion est cordiale. Nous finissons par nous entendre aux trois quarts du prix initial. C’est correct mais évidemment bien plus cher qu’en Iran. Recherche suivante, celle d’un tapis pour couloir, donc long et pas large. Ils sont nettement moins bien fournis mais l’un d’eux nous tente. Il faudrait un mètre, j’ai l’impression qu’il est trop large. Ils comprennent mais n’en ont pas, eux non mais les voisins, si. C’est bien ce que je pensais. Malgré cela, nous nous lançons dans le marchandage qui se termine comme le premier. Au passage un petit tapis avait attiré notre attention. Je leur demande s’ils ne nous l’offriraient pas. C’est non. Dommage ! Étape suivante, le paiement. Nous n’avons évidemment pas cette somme sur nous, je dois aller faire un retrait. Je profite de cette sortie sans tout l’attirail pour aller voir plus loin, là où devrait se trouver l’office de tourisme, sans succès. Pas de chance avec le distributeur, il y en a partout et je suis tombé sur celui où ceux qui me précèdent traînent à faire je ne sais quelle opération ou à consulter je ne sais quelles données puis retourne au magasin. Encore un petit essai pour le cadeau, pas plus de succès. Nous laissons tous nos tapis et continuons à visiter des rues du bazar. C’est calme en fin d’après-midi, même les maisons de thé ont de la place. Plus tard, après un passage dans un quartier de commerces de tissu, nous prenons possession des tapis. Ils veulent nous accompagner, ce n’est pas nécessaire, ils ont en effet emballé chaque tapis dans un papier cadeau, regroupé les petits par deux ce qui nous permet de partir avec trois gros sacs faciles à porter. Nous n’avions pas souvenir d’avoir garé le camping-car aussi loin. Inquiet, je vais jusqu’au milieu de la chaussée pour voir plus loin, il est bien là ! Il faut dire qu’à l’aller, nous n’étions pas chargés comme maintenant. De l’autre côté de l’avenue, un parking de terre battue, sans doute l’emplacement d’un immeuble détruit. Je vais voir si nous pouvons passer la nuit ici. Aucun problème. Les gardiens du parking sont laveurs de voitures et de tapis. À cette heure, ils sont installés devant leur hangar sur de vieilles banquettes de voitures et cassent la croûte. Le prix demandé est correct, nous serons à l’écart du trafic, très bien. Demi-tour au carrefour au bout de l’avenue et nous prenons place selon leurs instructions.

Jeudi 5 juin

Van, Çavuştepe, Güzelsu (photos)

Ce matin, petit déjeuner en ville. C’est une spécialité de la ville, autant en profiter. Nous avons vu plusieurs établissements hier lors de nos pérégrinations dans le bazar. Le plus difficile est le choix de l’un d’eux. L’assurance de produits frais repose souvent au nombre de clients, mais ce matin, il n’y a pas foule. Commencer à traîner devant donne l’indice de clients potentiels, nous sommes invités à entrer, cela tombe bien, vu la fraîcheur matinale, nous ne serions pas restés dehors. Petite salle, y en a-t-il une autre à l’étage ? Ce n’est pas impossible, le rez-de-chaussée nous convient, nous aurons au moins le spectacle de la rue et celui des autres clients s’il s’en présente. Nous n’avons rien à dire, tous savent pourquoi nous sommes ici. D’ailleurs, serions-nous en mesure de commander quoi que ce soit ? Le patron ou le gérant s’occupe de nous et un serveur fait le nécessaire pour la commande en cuisine. L’attente est brève. Ce n’est pas un service mais une avalanche d’assiettes. Ce sont heureusement des assiettes à dessert, plus grandes elles n’auraient pas tenu sur la table, qui est pourtant une table pour quatre ! Une dizaine de plats nous ont donc été servis, le thé suit rapidement. Quelques explications dont nous ne saisissons pas tout et nous nous lançons. Comme le thé, le pain est brûlant. Plusieurs assiettées de fromages frais, une autre spécialité, la plupart aux herbes, d’autres au miel, des œufs brouillés… toute tentative de description serait vouée à l’échec. Le patron et le serveur n’hésitent pas à nous dire ce que c’est et comment faire au besoin. Au fait, tout cet étalage ne mériterait-il pas une photo ? J’interpelle le patron qui se fait un plaisir de nous mitrailler avant de lui-même faire appel au serveur pour pouvoir se mettre à la table et paraître sur les photos ! Nouveau mitraillage, mieux réussi que le premier où nous émergeons de toutes ces assiettes. Tout est bien frais, le petit doute en entrant a été vite dissipé parce que de nombreux clients sont arrivés non pas en chair et en os mais sous forme de commandes que des livreurs emportent. On doit prendre le petit-déjeuner dans toutes les échoppes du bazar ce qui expliquerait l’abondance des bars à petits déjeuners. Tout est bon bien que certaines associations de goût ne nous soient pas familières. Nous finissons tout sauf les assiettes de préparations trop sucrées. En sortant, nous retournons voir notre marchand de tapis. Il n’a pas répondu à mon message demandant une facture pour les achats d’hier, pourtant compréhensible vu le peu de mots qu’il comprenait. D’ailleurs il l’a reçu. Nous avons besoin d’un reçu pour un éventuel contrôle douanier, on ne sait jamais. Il établit une belle facture sur papier à en-tête. Je relance la question du tapis en cadeau, il n’est pas plus décidé qu’hier mais nous offre un sac en laine.

Il est maintenant temps de quitter la ville. Nous voudrions partir en direction de Hakkâri jusqu’à Güzelsu. La sortie de la ville dans cette direction n’est pas indiquée ou nous échappe. Nous tournons pas mal sans arriver à demander. Une station-service à un carrefour, arrêt, le plein, environ 27 fois plus cher qu’en Iran. La route est bonne. Le marchand ambulant de cerises repart allégé d’un kilo. La route suit des reliefs sans accident de terrain plus propices à l’élevage qu’à la culture. Les fonds de vallée sont un peu plus verts, encore que l’altitude rende bien perceptible le retard de la saison. Premier arrêt à Çavuştepe, une citadelle ourartéenne du VIIIe siècle av. J.-C. Les restes sont peu significatifs, murs ou bases de murs, jarres de réserves de grains à demi enterrées. Le site, perché sur une colline rocheuse au milieu d’une plaine, offre de belles vues. Complètement isolé dans son abri bas, le gardien vend de petits objets qu’il fait lui-même. Nous allons jusqu’à Güzelsu, un autre site, une trentaine de kilomètres plus loin. Le château-fort occupe le sommet d’une éminence rocheuse dont les contreforts soutiennent les murailles. Sa situation scinde le village entre l’élevage et le commerce dû à la route avec ses maisons tristes. Nous laissons le camping-car au bord de la route et partons vers le château sans savoir où se trouve l’entrée. Une bonne piste y monte, une route doit donc se détacher de la principale, nous ne l’avons pas vue. L’entrée est formidable, une haute muraille, des tours. Des travaux d’entretien ont été entrepris, il en faudrait dix ou cent fois plus. Au-dessus de la rivière qui longe la route, l’à-pic est vertigineux. Au début, nous sommes seuls, puis il arrive un petit groupe de jeunes Stambouliotes dont l’un est Français. Ils ne restent pas longtemps puis nous redescendons et commençons à rebrousser chemin vers le lac de Van. Le temps reste gris, peu engageant. Ses teintes ternissent le lac. Nous n’allons pas loin, au parking de l’embarcadère pour l’île d’Akdamar, peu après Gevaş. Nous prenons place tôt, espérant que le temps aura changé en mieux demain matin.

Vendredi 6 juin

sud du lac de Van (photos)

Moins gris qu’hier, le ciel n’est tout de même pas au beau temps, le soleil perce de temps en temps. Au sud du lac de Van, la route qui était longue se trouve raccourcie par l’ouverture du tunnel sous le col. Les vues sur le lac, lorsque la route le longe, sont loin d’être à la hauteur de nos souvenirs bien que de beaux nuages soient attachés aux montagnes omniprésentes. Le soleil arrive en même temps que nous à Tatvan. Nous nous y arrêtons pour des appels téléphoniques et des achats, la trouée de soleil poursuit sa route. Direction Bitlis, plein ouest. Peu avant de descendre en ville, nous repassons devant le caravansérail Alaman Hanı. Complètement fermé lors de notre passage il y a deux ans, il semble qu’il soit ouvert. Je traverse les quatre voies en diagonale pour aller me mettre au bord de l’autre côté et nous allons voir. C’est ouvert et quelqu’un finit par se rendre compte de notre présence. Du coup, on nous accompagne. Tout a été restauré et réorganisé en une sorte de vaste maison de thé, avec de petites pièces. Quand nous entrons dans l’une d’elles, un groupe de femmes qui discutaient font toutes tomber le voile sur leur visage ! Très sombre, l’ensemble est peu intéressant, le plus beau restant les vues extérieures. De Bitlis, nous conservons, entre autres, le souvenir d’un stationnement difficile que nous appréhendons dès l’entrée en ville. Cette ville sinueuse est tellement encaissée qu’il n’y a de place nulle part. Nous en trouvons une vers la fin, comme la dernière fois, mais à l’autre bout, et nous partons au centre à pied. Un gros tas de bois sur le trottoir, c’est une livraison chez le boulanger pour ses cuissons. Nous lui rendons visite, l’attrait du pain frais ne faiblit pas, photos. Nous espérons ensuite pouvoir visiter les monuments religieux que nous n’avions pas pu voir en raison de travaux. Ils restent aussi difficiles à trouver et les travaux sur la Grande mosquée ne sont pas terminés. Nous n’arrivons enfin à la mosquée Şerifiye qu’au moment de l’entrée pour la prière, ce qui limite la visite mais ne l’annule pas. Divers achats dans le bazar complètent ceux de ce matin. Un bazar reste un lieu de découvertes et de surprises. Ici, au détour d’une ruelle, on charge un coffre de voiture de sacs de surplus de boucherie jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de glisser une pièce de monnaie. L’avant de la voiture pointe vers le ciel. Plus loin des caisses de poissons noyés dans du sel attendent preneurs ; dans un autre passage, des têtes de chèvres sont entassées sur un haut billot de découpe, de longues cornes torsadées dépassant d’un amas sanguinolent. Le soleil réapparaît au moment où nous quittons la ville. C’est très bien ainsi parce que la vallée continue à être bien sinueuse et encaissée. Les rayons du soleil donnent beaucoup de relief à toutes les formations rocheuses tourmentées qui se présentent. À Ziyaret, en continuant tout droit, nous abandonnons la route connue pour découvrir de nouveaux paysages. Barrage policier, il tombe bien. C’est un jeune, tout seul. Il parle anglais et je peux lui demander s’il y a un problème à continuer vers Diyarbakır. « Non ». Nous pouvons aller où bon nous semble, mais il vaut mieux éviter la région de Lice, nous n’avons donc aucune modification à apporter à notre plan et pouvons continuer tranquillement. Au fur et à mesure que nous perdons de l’altitude, la température monte. Le couvert végétal reste clairsemé tandis que les cultures céréalières prennent de l’importance. Avec la fin de la vallée encaissée, nous retrouvons une route à deux fois deux voies, la circulation est limitée, nous pouvons avancer à notre rythme et profiter du beau temps revenu pour faire des photos, paysages, villages, bergers… Ces derniers ont accouru à un arrêt pour être photographiés, je ne m’en prive pas. Les lieux sont agréables, il est tôt et, pourtant, peu après Kozluk, un espace de graviers et d’herbe à la limite d’une station-service retient assez notre attention pour aller faire demi-tour plus loin et revenir.

Samedi 7 juin

Diyarbakır (photos)

Le beau temps s’est levé avant nous, pas un nuage. Comme hier en fin de journée, les champs de céréales mûres jaunissent les paysages dans toutes les directions. Quelques kilomètres vers l’ouest, nous arrivons à la rivière Batman, un panneau sur la droite indique le pont Malabadi alors que, sur la carte, il se trouve sur la route. Quel est ce mystère ? Allons voir. La route fait une large boucle vers le repli de terrain rocheux au pied duquel le pont est construit. Entièrement restauré, il ne possède qu’une arche, très haut au-dessus du niveau de l’eau. Ses pierres blanches contrastent bien avec le fond de la vallée en forme de cirque où s’accroche le village voisin de Çatakköprü avec ses arbres élancés. Une voiture de jeunes est arrêtée, nous les voyons revenir. Une nuée d’enfants occupe les lieux. Il paraît que moyennant monnaie, certains s’élanceraient du pont pour sauter dans l’eau ou que d’autres entonneraient des chants dans les pièces ménagées dans les piliers afin de profiter de leur acoustique remarquable. Craignant un peu les groupes d’enfants incontrôlés, nous ne les sollicitons pas et limitons la visite au minimum. Retour à la route principale. Nous ne l’avions pas remarqué, mais le pont est bien visible de loin aussi, avant un grand barrage. Ce n’est qu’une fois sur l’autre rive, un peu plus loin, que nous nous rendons compte que cette route est nouvelle et contourne le village, nous aurions pu ressortir de l’autre côté et comprenons maintenant que le vieux pont ne soit plus en bordure de la route. Nul besoin d’aller jusqu’à Diyarbakır pour être complètement entourés de champs de blés mûrs. Les vagues ondulations de terrain laissent le regard vagabonder loin au-dessus. La circulation étant toujours aussi réduite, nous parvenons tôt en ville. Nous nous y reconnaissons tout de suite. Nous savons qu’à défaut de trouver un emplacement dans la rue, nous pourrions aller dans la cour de l’hôpital. Inutile, une place se libère le long des remparts, nous pouvons alors constater que la cour en question, réduite pour des travaux, est interdite. Allons en ville. Il s’agit de repasser à bien des endroits que nous avons déjà parcouru, mais la ville est agréable et bien vivante. Nous retournons au château, l’office du tourisme a disparu et les travaux de réhabilitation de tous les édifices anciens ont bien avancé, c’est méconnaissable. Sur les trottoirs, on vend de tout, en particulier pas mal de mûres à cette saison, des noires et des blanches, ainsi que des cerises. Les caravansérails aménagés en maison de thé attirent toujours autant de monde. Nous cherchons des parties de bazar que nous n’avions pas vues. Il s’en trouve plusieurs au-delà de la Grande mosquée où l’on se presse toujours autant. Nous allons et venons en tous sens, accumulant des achats aussi divers que des vêtements, des pistaches, du pain et des gâteaux, des piles neuves pour nos montres, un keffieh et un agal… La journée est presque passée lorsque nous quittons la ville. De nouveau, nous partons dans une direction que nous ne connaissons pas, celle d’Elazığ. Les travaux de mise à quatre voies vont rendre la recherche d’un emplacement plus délicate. Ce n’est que plus loin, les travaux continuant, que nous optons pour une grande station-service avec un grand restaurant. Nous serons bien, à l’écart de la circulation en raison des travaux, la campagne à notre porte, des toilettes et un jardin. Je demande au gardien, pas de problème, il nous conseille même sur la meilleure place. Grand soleil et… des moustiques qui obligent à prendre des précautions.

Dimanche 8 juin

Elazığ et l'Euphrate (photos)

Toujours le même beau temps. Départ et arrêt, nous faisons le plein et comme ils sont en train d’arroser le ciment à grandes eaux, je leur demande si l’eau est potable et si nous pouvons faire le plein. Tout va pour le mieux. La route continue de traverser la plaine où les cultures évoluent, passant des céréales aux lentilles. Peu de monde, tant sur la route que dans les champs. La moisson et la récolte des lentilles ont débuté, les lentilles sont arrachées et mises en petits tas. Une ville, Ergani, où les immeubles neufs vont jusqu’aux champs, sans espace intermédiaire ni banlieue. Les chauffe-eau solaires individuels sont autant d’excroissances sur les toits. Ensuite, le relief s’accentue et le Tigre (Dicle) coule dans une gorge étroite et rocheuse. Les versants sont beaux, mais l’autoroute remplit le fond de la vallée. Les arbres et la verdure reculent à Maden, un centre minier aux installations importantes tandis que des arbres isolés continuent à gravir les pentes. Ce type d’environnement nous accompagne jusqu’au lac Hazar. La route le suit sur sa rive nord, un lieu de villégiature, les parcs de pavillons et les villages de vacances fleurissent sur les coteaux, les aménagements de pique-nique se suivent, offrant de beaux points de vue. Le nuage qui vient obscurcir le coin sud-ouest du lac et s’y refléter gêne dans cette direction et nous fait préférer les vues vers l’arrière, toutes bleues, ou vers la rive opposée dont les teintes forestières verdissent les eaux. Le paysage ne change vraiment qu’après le passage du col qui sépare ce lac de la plaine suivante toute couverte de petits champs variés.

La route y est parfaitement droite jusqu’à l’entrée d’Elazığ. Là, nous partons sur la droite pour aller voir le lac suivant, le lac du barrage de Keban. La route restant éloignée de la rive, nous faisons demi-tour et allons en ville. Une partie importante de la traversée de la ville est celle de nombreux et beaux espaces militaires suivie, sur tout le haut, de quartiers militaires de luxe. Nous montons à Harput, la ville ancienne. En haut, beaucoup de monde mais nous trouvons une place au parking. C’est le terminus de lignes de minibus (dolmus) qui déversent leurs passagers sans interruption ainsi que de lignes de bus qui en font autant mais à un rythme moins soutenu. Un marchand de cerises a pris place en face, sur la trajectoire des passagers, le stock baisse vite. Un gros château-fort est construit en contrebas. Tous les passagers, tous ceux qui arrivent en voiture, convergent vers l’espace entre la mosquée et le château. Nous sommes dimanche, on vient de partout et on s’installe partout pour le pique-nique. Les espaces aménagés sont insuffisants, les pelouses débordent, les parkings sont pleins, on s’installe sous les arbres, partout. On vient pique-niquer avec tout le matériel nécessaire, de grands tapis pour le sol, de gros sacs de provisions, feu ou réchaud ou samovar et la fumée qui les accompagne. À la descente des transports en commun, les chargements sont impressionnants. L’atmosphère est décontractée, même les tenues féminines sont moins strictes, plus occidentalisées. Partout, on est assis en tailleur ou allongé. La densité d’occupation est élevée. Nous allons au château, pas mal de reconstructions bien faites, mais peu d’intérêt historique. L’intérêt est plutôt du côté de la foule des visiteurs, ici on visite, on ne pique-nique pas. Les photos vont bon train, nous sommes pris sous toutes les coutures. Le point de vue sur la plaine et la ville vaut le déplacement. Nous poursuivons notre tour avec la visite de la mosquée. En chemin, nous ne cessons de contourner des groupes, le plus souvent familiaux, bien installés. C’est décidément bien vivant. Pour terminer notre tour, nous allons sur l’avant de la colline, le plus proche du haut de la côte. On aurait peine à imaginer une telle densité. En redescendant, nous constatons que tous les abris de la montée sont pareillement occupés. Nous passons par le centre de la ville pour chercher un téléphone public, en vain. Bon nombre de magasins sont ouverts, c’est vivant aussi, toutefois moins qu’à Harput. C’est en sortant de la ville que nous tombons sur toute une rangée de téléphones. Je suis mal garé sur un arrêt de bus, mais nous y passons un bon moment.

Retour à la campagne, la route monte, tranquillement et dans la verdure à un col peu élevé avant de plonger dans de profondes gorges rocheuses et accidentées et de déboucher sur un lac de barrage. Les vues sur la retenue d’eau au milieu de ces paysages rocheux sont extraordinaires. L’eau est celle de l’Euphrate (Fırat). Le lac avance des bras dans de nombreuses vallées très découpées. Après le passage du pont gardé par des militaires, ce qui passe l’envie de s’arrêter mal pour faire des photos, un grand parking. Bien que moins belle que dans la descente, la vue n’en demeure pas moins très belle avec l’avantage de voir plus loin, d’autres montagnes prises entre le bleu du ciel et celui de l’eau. Nous y passons un bon moment. Un Turc vient discuter. Il est originaire des lieux et y revient régulièrement aux congés. Il travaille en Allemagne et parle très bien allemand. Il parle de son enfance, du vieux pont qui enjambait le fleuve et qui se trouve maintenant englouti par les eaux du barrage, des cultures d’abricotiers, disant que 90 % de la production commerciale mondiale est concentrée ici. Il évoque les dégâts de cette année, la neige, la pluie et la grêle qui ont eu raison de la production, qui en sera si réduite que les prix sont déjà élevés et que la production d’abricots secs sera minime l’an prochain. Il profite de son séjour sur des terres ancestrales pour faire une sorte de pèlerinage sentimental dans tous ces lieux qu’il aime, sans pour autant moins apprécier la découverte de zones nouvelles dans son pays d’origine. En continuant vers l’ouest, le relief tend à s’effacer et le décor à se remplir d’abricotiers. De petits kiosques se sont montés au bord de la route pour la vente d’abricots frais. On les consomme vert jaune, ils sont à la fois juteux et pleins de saveurs. Les cultures s’étendent bientôt à perte de vue, jusqu’aux pieds des montagnes, dans le fond. Nous nous arrêtons non loin d’une station-service, sur une aire de chargement d’un camion d’abricots. Apportées par de petits camions ou des tracteurs, les cagettes sont soigneusement rangées dans la remorque. Sur le côté, un tas de cagettes vides et des paniers revêtus d’un tissu blanc doivent attendre la prochaine cueillette. Notre seul sujet d’étonnement est la taille des abricotiers, de grands arbres, ce qui pose le problème de la cueillette.

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